Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Le titre de ce billet peut surprendre, car il laisse entendre que l'exercice de la médecine à distance pendant la période de la Covid 19 n'était pas de bonne qualité. Comprenons-nous bien, nous disons simplement que le "tout télémédecine" auquel ont été contraints plus de 60% des médecins de soin primaire et près de 30% des médecins spécialistes pendant plusieurs semaines ne peut représenter le nouveau mode d'exercice médical du 21ème siècle. C'était une situation sanitaire exceptionnelle. Il nous faut désormais retrouver, après l'épisode de la Covid 19, une "médecine de qualité" (belle expression utilisée récemment par le directeur de la CNAM) où des cas d'usage pertinents de la téléconsultation et la téléexpertise viennent compléter les autres pratiques présentielles et non les remplacer.
Cette envolée rapide de la téléconsultation en France au cours de la période de confinement a surpris, mais avait été bien préparée.
Le Directeur de la CNAM a raison lorsqu'il dit que le système de santé français, par rapport à celui de nos voisins, était mieux préparé à déployer les soins à distance par télémédecine et télésoin pour affronter la période de confinement imposée par l'épidémie au coronavirus. La France est en effet le seul pays en Europe à avoir mis dans le droit commun du financement de la sécurité sociale les pratiques médicales de la téléconsultation, à partir du 15 septembre 2018, et de la téléexpertise, à partir du 10 février 2019. Elle a fait aussi en sorte que les pratiques de télésoin puissent se mettre rapidement en place dès l'entrée en vigueur du confinement (voir le billet intitulé "Télésanté post-Covid" dans la rubrique "Articles de fond").
Même si l'année 2019 a été un "galop d'essai" de la téléconsultation (TLC) effectué par quelques praticiens et un réel échec pour la téléexpertise (voir les billets "Téléconsult An 1" et "Téléexpertise An 1"), l'ensemble du corps médical avait été informé de ces solutions de télémédecine suite à l'avenant 6 de la Convention médicale signé entre les représentants de la médecine libérale et l'Assurance maladie (voir le billet intitulé "Téléconsultation (3) dans la rubrique "le Pratico-pratique"). Il fut donc facile de mettre en place ces nouvelles pratiques en quelques jours, avec quelques facilités dérogatoires par rapport à l'avenant 6 et un remboursement à 100%.
La CNAM se félicite que 84% des TLC (1 million/semaine en avril) ont été réalisées par le médecin traitant, montrant ainsi que les patients étaient restés fidèles à leur médecin généraliste pendant cette période de confinement et à la médecine de parcours à laquelle l'Assurance maladie reste très attachée. A condition bien sûr que le médecin traitant ait pris l'initiative de suivre sa patientèle par télémédecine pendant cette période. La dérogation exceptionnelle de faire ce suivi par téléphone ou par les systèmes Visio grand public (des GAFA) a probablement contribué à atteindre un tel volume de TLC en quelques jours. Mais nous n'avons pour l'instant aucune information sur la proportion de médecins qui a utilisé les solutions numériques dédiées à la TLC et sécurisées, par rapport à ceux qui n'ont utilisé que le téléphone ou les solutions grand public non sécurisées.
Comment l'expérience de ces pratiques nouvelles peut-elle désormais se transformer en pratiques pérennes de qualité ?
Tout d'abord, même si le déconfinement en vigueur depuis le 11 mai doit permettre le retour progressif des patients au cabinet médical, 30% des citoyens, souvent les plus âgés ou les plus fragiles, déclarent hésiter à revoir leur médecin en présentiel par peur d'être contaminés par le virus.
Les industriels et start-ups du numérique en santé ont bien travaillé avant la Covid 19 pour créer des solutions numériques dédiées à la télésanté.
Dès le début mars 2020, le ministère de la santé a sollicité des sociétés du numérique en santé qu'elles déclarent les solutions qu'elles avaient élaborées pour la TLC. Près de 150 sociétés ont répondu en précisant quelles fonctionnalités elles avaient développé sur les six retenues par le ministère de la santé (voir le billet "Solutions télésanté" dans la rubrique "le Pratico-pratique"). L''Agence du Numérique en Santé (ANS) a évalué la sécurité des solutions autodéclarées. Une centaine de ces solutions obtenaient la valeur 9 ou 10 sur une échelle de 1 à 10.
L'ANS publie sur son site les tutoriels d'une quinzaine de solutions numériques pour aider les médecins à choisir la solution la plus appropriée à leur organisation professionnelle. https://esante-formation.fr/course/index.php?categoryid=24
Quelles fonctionnalités faut-il obtenir pour réaliser une TLC ou un télésoin de qualité ?
L'intérêt des solutions web est aujourd'hui indiscutable. Aucune installation n'est requise pour le professionnel. Il suffit qu'il ait accès à internet et qu'il se connecte à la solution choisie. Il demande l'ouverture d'un compte. En cette période de Covid 19, plusieurs solutions permettent une ouverture gratuite du compte. Autre avantage d'une solution Web : elle fonctionne sur l'ensemble des devices (PC, tablette, smartphone) et des principaux navigateurs d'internet (de préférence Google Chrome, Firefox et Safari, mais plus difficile avec les navigateurs de Microsoft, Edge ou Internet Explorer).
L'activation du service de TLC est opérationnelle en quelques minutes. Seuls les patients invités par le médecin peuvent accéder à la TLC. Lorsque la fonction "prise de rendez-vous" existe, le patient peut solliciter un rendez-vous auprès de son médecin traitant, éventuellement à partir d'un planning préétabli par le médecin. Il faut privilégier la téléconsultation programmée. L'accord du médecin est donné par l'envoi d'un lien par SMS ou par courriel. S'agissant d'un patient connu du médecin traitant, celui-ci dispose dans le dossier médical du numéro de téléphone mobile et/ou de l'adresse mail de ses patients qui ont donné préalablement leur consentement à la pratique de TLC par leur médecin. Le médecin ne communique pas son numéro de téléphone.
Avec le lien envoyé par le médecin traitant, le patient entre dans une salle d'attente virtuelle où il attend que le médecin soit libéré d'une précédente TLC ou d'une consultation présentielle. Dans le cadre d'une TLC assistée d'un professionnel de santé (infirmier, pharmacien), le médecin peut solliciter la présence de ce professionnel (s'il n'est pas aux côtés du patient) par l'envoi d'une invitation par SMS et d'un code d'accès si le professionnel ne dispose pas déjà de l'accès à la solution. Il vaut mieux choisir une solution agile qui n'impose pas aux autres professionnels d'avoir préalablement souscrit un abonnement à la solution du médecin traitant.
La solution doit avoir la fonctionnalité d'échanges de données personnelles de santé du patient vers le médecin et vice versa. C'est la seule façon pour le patient de transférer des données de santé de manière sécurisée à son médecin traitant. Pour l'instant, en attendant la mise en place d'une plateforme nationale de messagerie sécurisée pour les citoyens, un patient n'a pas d'autres moyens que le moment de la TLC ou du télésoin pour adresser au professionnel de santé ses propres données en toute sécurité (par exemple, des résultats d'examens biologiques demandés lors de la dernière consultation ou soin présentiel). De même, le médecin peut adresser une ordonnance ou un certificat médical à son patient en fin de TLC en toute sécurité.
Les solutions qui ont cette fonctionnalité d'échanges de données personnelles sécurisées peuvent être utilisées également pour des téléexpertises synchrones entre professionnels de santé. Pour la téléexpertise asynchrone, le médecin traitant et le médecin spécialiste peuvent échanger dans l'espace de messagerie sécurisée santé (MSSanté). En clair, l'usage de la messagerie grand public n'est pas sécurisée, de même que l'échange de données de santé au cours de TLC par les systèmes Visio grand public qui ont la fonctionnalité "partage de documents".
Certaines solutions permettent le paiement direct de la TLC au médecin. Il faut simplement que le médecin ait déjà enregistré la carte vitale du patient dans son ordinateur. Lorsque la TLC n'est pas réalisée par le médecin traitant, ce dernier peut transmettre au médecin téléconsultant les données administratives du patient. Le médecin téléconsultant peut également s'adresser au web service ADRI. Lorsque le médecin téléconsultant est dans l'impossibilité de lire la carte vitale du patient, la facturation peut être réalisée en mode SESAME sans vitale.
Enregistrer la carte bancaire du patient en début de TLC n'est pas une pratique déontologique (art.4127-53 du CSP précisant que les honoraires ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués même s’ils relèvent de la télémédecine°. En effet, la TLC peut être interrompue pour des raisons cliniques (nécessité de voir le patient en présentiel) ou des raisons techniques (insuffisance du réseau numérique).
Quelles conditions dérogatoires propres à la période Covid 19 pourraient être maintenues tout en assurant une TLC ou un télésoin de qualité ?
C'est la question souvent posée au Directeur de la CNAM depuis la mise en place du déconfinement. La réponse est à la fois pragmatique et sage : la CNAM reste attachée à une médecine de qualité centrée sur le médecin traitant. Le Directeur de la CNAM reste cependant ouvert à des propositions qui faciliteraient la pérennité de l'usage de la TLC ou du télésoin dans un cadre qui maintiendrait une "médecine de qualité", selon ses propres termes. La décision de la CNAM n'est pas encore prise puisque nous ne sommes pas encore sorties totalement de la période Covid 19, mais on peut faire quelques propositions.
Dans le cadre d'une TLC inscrite dans le parcours de soin d'un patient, c'est à dire piloté par le médecin traitant, l'obligation d'avoir vu préalablement le patient en présentiel au moins 12 mois avant la TLC n'est probablement pas nécessaire. Il suffirait d'exiger que la TLC soit réalisée avec le médecin traitant déclaré à l'Assurance maladie et qu'elle soit faite par videotransmission en utilisant une solution sécurisée, reconnue par l'ANS, pour être remboursée. Il faut arrêter la dérogation donnée aux TLC par téléphone ou par les systèmes Visio grand public non sécurisés.
Il est vrai que la primo TLC n'est pas recommandée lorsque le patient n'est pas handicapé puisqu'une première consultation présentielle permet de délivrer l'information sur les pratiques de télémédecine (obligation légale) et de recueillir le consentement (obligation déontologique et réglementaire). On pourrait imaginer une procédure initiale d'information sur les bénéfices et les risques de la TLC lorsque le patient choisit un médecin traitant et que le consentement recueilli soit donné pour l'ensemble du parcours de soin (par télémédecine et présentiel) que le médecin traitant s'engage à piloter.
On pourrait également proposer que les patients qui ont été "contraints" d'avoir des TLC pendant la phase de confinement due au Covid 19 donnent désormais leur consentement pour poursuivre ou non cette pratique en alternance avec des consultations présentielles.
Dans le cadre d'une TLC "hors parcours", c'est à dire pour 5 spécialités (ophtalmologie, gynécologie, psychiatrie, stomatologie-chirurgie maxillo-faciale et pédiatrie), les conditions d'accès à la TLC pourraient être aussi simplifiées, compte tenu des délais de rendez-vous propres à certaines de ces spécialités. Mais c'est aux spécialistes concernés de déclarer s'ils pratiquent ou non des TLC sur des plages dédiées accessibles par une plateforme de rendez-vous. La connaissance de la disponibilité ou non de ces médecins spécialistes est donc essentielle.
Pour les autres spécialités intégrées au parcours, le médecin traitant dispose de la téléexpertise asynchrone pour éviter les délais trop éloignés d'avis spécialisés. L'obligation de verser le compte rendu dans un DMP pourrait également contribuer à créer le lien nécessaire entre ces spécialités et le médecin traitant.
Pour les patients qui n'ont pas encore de médecin traitant, l'accès à une TLC doit se faire au niveau du territoire où réside le patient. C'est tout le travail des CMTS et autres organisations de soins primaires de proposer à la population du territoire ce service.
Dans le cadre du télésoin, il faudra certainement faire une évaluation des pratiques professionnelles qui ont été développées à la suite des autorisations données pendant la période Covid 19 ( voir le billet "télésanté/Post-Covid" dans la rubrique "Articles de fond"). Nous pensons qu'il faudra élargir le télésoin infirmier à l'ensemble des patients atteints de maladies chroniques afin d'aider le médecin traitant dans le parcours de soin de ces patients, en attendant que des IPA aient la charge de la surveillance de ces malades (voir le billet "IPA et Télésoin" dans la rubrique "Droit de la santé").
De même, pour développer la réadaptation après chirurgie orthopédique ambulatoire et après un AVC, les masseurs kinésithérapeutes devraient être autorisés à assister les patients lors de TLC périodiques réalisées par le chirurgien orthopédique et par le neurologue vasculaire. La télé réadaptation s'installe progressivement dans le paysage des soins coordonnés (voir le billet "téléréadaptation" dans la rubrique "le pratico-pratique").
17 mai 2020