Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
La question des déserts médicaux en France est l'objet de deux billets successifs. C'est un sujet important qui provoque depuis plusieurs années des débats politiques et sociétaux, sur le thème que la principale cause serait une démographie médicale insuffisante, en particulier en médecine générale, laquelle serait améliorée par l'augmentation du numérus clausus à l'entrée des facultés de médecine françaises. On apprend qu'une université croate se propose de créer une antenne de sa faculté de médecine à Orléans où les déserts médicaux sont particulièrement présents dans cette région du Centre Loire. (https://www.ouest-france.fr/centre-val-de-loire/orleans-45000/deserts-medicaux-une-universite-croate-va-former-des-medecins-a-orleans-c77f7af2-8280-11ec-8d55-c8e42126f2cc)
Cette première partie est consacrée au rappel du contexte français et aux expériences de certains pays développés confrontés au même problème.
Un problème toujours d'actualité, débattu à chaque élection présidentielle.
A chaque élection présidentielle, depuis près de 20 ans, le sujet des déserts médicaux français est débattu. A chaque fois, la télémédecine est présentée comme faisant partie des solutions qui aideraient à résoudre cette situation. Aucun résultat tangible n'a pourtant été obtenu jusqu'à présent, alors que la télémédecine est possible en France depuis 2011 et financée dans le secteur ambulatoire depuis septembre 2018 et février 2019. En particulier, les plateformes nationales de téléconsultation ponctuelle, autorisées à titre expérimental par l'ARS Ile de France de 2012 à septembre 2018 n'ont pas eu le succès escompté. (http://www.telemedaction.org/page:E4ADBED8-B5B1-44D2-810C-9EC63764A2EB"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Les infirmiers/infirmières et les pharmaciens d'officine libéraux sont financés depuis 2019 et 2020 par l'Assurance maladie pour assister les personnes touchées d'illectronisme ou vivant dans un désert numérique. Ils peuvent organiser en officine ou en cabinet infirmier des téléconsultations à la demande du médecin traitant ou de tout autre médecin lorsque la demande se situe en dehors du parcours de soins ou que le médecin traitant habituel n'est pas disponible. (http://www.telemedaction.org/424171961) (http://www.telemedaction.org/450497110)
Alors que tout est fait depuis quelques années pour améliorer l'accès aux soins des personnes isolées ou en difficulté d'utiliser le numérique, les mesures financées par l'Assurance maladie ont du mal à prendre sur le terrain par manque d'organisations professionnelles adaptées. C'est du moins ce que nous pensons et que nous allons argumenter dans ce billet. La pandémie à la Covid-19 a aussi contribué à ce que ces mesures tardent à être mises en oeuvre, la loi d'urgence sanitaire créant une parenthèse dans le cadre juridique commun.
Malgré l'expérience de télémédecine acquise pendant la pandémie, avec des pratiques de téléconsultation pas toujours conformes aux recommandations de la HAS de juin 2019 (http://www.telemedaction.org/452026585), nos concitoyens et les élus locaux continuent de demander le retour en présentiel des médecins généralistes dans les communes qui en étaient dotées au 20ème siècle. Ils y parviennent parfois grâce à des recrutements de médecins de la Communauté européenne (Europe de l'est surtout) ou de médecins d'autres pays autorisés à exercer en France.
Des facilités architecturales (centres ou pôles de santé) ou financières et fiscales sont aussi proposées par les collectivités locales pour rendre attractive l'installation de jeunes médecins dans leur commune. Parfois, ils pensent trouver la solution dans des cabines de télémédecine installées dans les mairies, les zones commerciales ou les pharmacies d'officine.(http://www.telemedaction.org/450893471)
Le non-remplacement des médecins exerçant en zone rurale, à leur départ en retraite, n'est pas propre à la France. Cette situation est observée dans de nombreux pays développés comme le Canada, les Etats-Unis, l'Australie, plusieurs pays du nord de l'Europe, etc. Sauf à utiliser la coercition au nom d'un devoir de service public, c'est à dire obliger les jeunes médecins à s'installer dans les zones en sous-densité médicale (voir plus loin la définition), ce que le Parlement français a toujours refusé de voter depuis 20 ans, la situation actuelle perdurera et même s'amplifiera car les causes de non-installation des médecins en zones rurales ou péri-urbaines sont multiples, à la fois de nature sociétale (activité professionnelle du conjoint, entre autres) et de nature professionnelle (préférence pour un exercice regroupé). Cette situation a été fort bien analysée dans un ouvrage récent. (http://www.telemedaction.org/449052109)
L'augmentation du numérus clausus d'ici 2030 pourrait-il avoir un impact sur ces différentes causes ? Les pouvoirs publics le pensent, mais rien n'est moins sûr car la solution aux déserts médicaux ne se trouve pas seulement dans une augmentation du nombre de médecins généralistes. La progression de la démographie médicale à l'horizon 2030 servira surtout à compenser la réduction d'environ 40% du temps médical disponible hebdomadaire depuis le début du 21ème siècle. La grande inconnue est l'adhésion ou non des jeunes médecins à un métier qui est en pleine transformation, en particulier celui de médecin généraliste "traitant". (http://www.telemedaction.org/448017564) (http://www.telemedaction.org/448060112)(http://www.telemedaction.org/448098838)
Il faut donc prendre en compte l'évolution sociétale, ainsi que les changements organisationnels des métiers de la santé qu'entraine indiscutablement la transformation numérique progressive de notre système de santé. (http://www.telemedaction.org/428412499) (http://www.telemedaction.org/450202746) Il est par ailleurs frappant de constater qu'il y a peu d'initiatives en faveur d'organisations professionnelles innovantes. Le paiement à l'acte de la médecine libérale peut constituer un frein, car les organisations innovantes dans le secteur ambulatoire peuvent nécessiter un financement innovant, lequel doit passer par l'expérimentation art.51 financée depuis 2018, à titre dérogatoire, par l'assurance maladie et le ministère de la santé (http://www.telemedaction.org/448344308). Chaque expérimentation acceptée ne sera évaluée qu'au bout de 3-4 ans pour sa généralisation éventuelle.
Les différentes solutions proposées par les gouvernements français successifs depuis 20 ans pour régler la question des déserts médicaux ont pratiquement toutes échoué. Les raisons de ces échecs devraient être mieux analysées par les pouvoirs publics, et être connues des élus locaux. Toutes ces mesures visaient en fait à maintenir une offre présentielle dans les communes qui avaient connu au 20ème siècle la présence de médecins. Rappelons qu'il existe en France, en 2022, 34 954 communes pour une population de 67,8 millions d'habitants en 2021. L'Allemagne, dont la population est supérieure (82,25 millions d'hab. en 2021), a seulement 10 795 communes, l'Italie dont la population est de 59 millions d'hab. a 7 904 communes, l'Espagne a 8 131 communes pour 47 millions d'hab. Tous ces pays européens ont globalement la même démographie médicale que la France. A mesurer la densité médicale par commune française (tableau gauche de l'image du billet), on contribue à surestimer les déserts médicaux.
Il nous semble qu'il faille aborder aujourd'hui la question des déserts médicaux de manière différente en s'inspirant de solutions d'organisations professionnelles mises en place dans d'autres pays. Ces organisations ont fini par faire la preuve de leur efficacité et d'une satisfaction des populations vivant en zone rurale en particulier. La télésanté est un moyen complémentaire. Les pays qui ont mis en place ces nouvelles organisations l'ont toujours utilisée. Notre pays est aussi dans cette démarche depuis la loi Ma santé 2022 du 26 juillet 2019, et c'est ce que nous voulons montrer.
Comment un désert médical est-il défini en France ?
Dans la plupart des pays confrontés aux déserts médicaux en zone rurale, on constate que les zones urbaines et péri-urbaines sont plutôt mieux dotées en médecins, la densité médicale y étant plus forte que la moyenne nationale du pays. C'est ce que nous observons aussi en France (carte à gauche de l'image du billet) où les plus fortes densités médicales correspondent pour la plupart à des zones urbaines et à un littoral peuplé (PACA).
En France, pour définir un désert médical, on utilise l'indicateur d'accessibilité potentielle localisée (APL) aux médecins généralistes, créé par la DREES (direction de la recherche, des études de l'évaluation et des statistiques) en 2017. Cet indicateur tient compte du niveau d’activité des médecins pour mesurer l’offre, et du taux de recours différencié par âge des habitants pour mesurer la demande. Il s’agit d’un indicateur local, calculé au niveau de chaque commune, mais qui considère également l’offre de médecins et la demande des communes environnantes. (https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/er795.pdf) (https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/les-dossiers-de-la-drees/deserts-medicaux-comment-les-definir-comment-les-mesurer)
On classe les zones d'APL en trois catégories : 1) plus de 4 consultations/an/hab., 2) entre 2,5 et 4 consultations/an/hab., 3) moins de 2,5 consultations/an/hab. (c'est à dire une zone fortement sous-dotée en médecins généralistes, considérée alors comme un "désert médical". En 2018, 6% de la population française vivaient dans une zone médicale sous-dotée. (carte à droite de l'image du billet) (https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/er1144.pdf)
Chaque ARS est tenue depuis la loi du 24 décembre 2019 (art.51) de publier les cartes régionales des zones où l'accès aux soins est insuffisant (zone d'intervention prioritaire ou ZIP), doit être renforcé (zone d'action complémentaire ou ZAC) ou nécessite une vigilance particulière en raison de l'évolution attendue de la démographie médicale (zone de vigilance ou ZV). (https://www.fncs.org/les-zones-d-intervention-prioritaires-region-par-region)
Le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) calcule la répartition des médecins généralistes par commune (carte à gauche de l'image du billet). Les zones les plus sombres, où la densité médicale pour 10 000 habitants est la plus élevée, correspondent souvent à des agglomérations, les zones les plus claires à des communes rurales.
Cette cartographie date de 2019. Elle montre un phénomène qui peut conduire à des organisations nouvelles : les zones claires de très faible densité médicale jouxtent des zones d'hyperdensité médicale. Autrement dit, les personnes qui habitent dans ces zones "claires" ne sont pas très éloignées des médecins exerçant dans les zones "foncées". Elles pourraient accéder en moins de 20 mn par voiture (critère de la DREES) à une offre médicale de soin primaire.
Un autre problème surgit : la réduction importante du temps médical disponible. La plupart des cabinets de médecine générale sont surchargés et refusent de nouveaux patients. Des organisations médicales nouvelles (cabinets secondaires) pourraient exister si les médecins généralistes le voulaient ou le pouvaient. Le décret 2019-511 du 23 mai 2019 modifiant l'article 85 du Code de déontologie médicale le permet. Il faut reconnaître que les cabinets secondaires sont plus développés par les médecins salariés de centres de santé relevant de collectivités locales que par les médecins libéraux.
Les organisations professionnelles innovantes dans les pays confrontés à la désertification médicale en zone rurale.
Si en France 45% des médecins sont généralistes pour les soins primaires (densité 14,1/10 000 hab. en 2021), ce pourcentage est souvent inférieur, dans les pays développés de l'OCDE. L'offre de soin primaire pourrait y être différente. (https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-01/11%20Comparaisons%20internationales%20des%20m%C3%A9decins%20et%20infirmiers.pdf)
En Europe, la densité en médecins libéraux est en moyenne de 18,2/10 000 hab. 30% étant des médecins généralistes. Ce qui veut dire qu'il y a plus de médecins spécialistes que de médecins généralistes dans un grand nombre de pays européens. Ce pourcentage de médecins généralistes va de 55% en Irlande à 8% en Grèce. Treize pays européens, prenant acte de la faible démographie médicale en zone rurale, ont autorisé les infirmiers/infirmières en pratique avancée (IPA) à prescrire des médicaments : Chypre (25% de médecins généralistes), Danemark (30%), Estonie (23%), Finlande (22%), France (45%), Irlande (55%), Pays-Bas (45%), Norvège (30%), Pologne (18%), Espagne (22%), Suède (22%), Royaume-Uni (27%), Canton de Vaud en Suisse (30%).
Tous ces pays européens, dont certains ont plusieurs zones en sous-densité médicale, ont donné l'autorisation aux infirmiers/infirmières exerçant en soin primaire de prescrire des médicaments dans le cadre d'un protocoles précis de collaboration pluriprofessionnelle, ce qui soulage les médecins généralistes. La France va timidement dans cette direction avec les IPA dont le décret d'application de la loi votée le 26 janvier 2016 n'a été publié que 2 ans et demi plus tard (18 juillet 2018). La résistance des médecins libéraux français aux interventions des IPA dans le parcours de soin primaire est forte. ( Nurse prescribing of medicines in 13 European countries. Maier CB. Hum Resour Health. 2019 Dec 9;17(1):95. doi: 10.1186/s12960-019-0429-6.PMID: 31815622)
Au Canada, les médecins généralistes représentent 48% de la communauté médicale. Ils doivent intervenir par télémédecine dans des zones isolées, très nombreuses dans ce grand pays. La sous-densité médicale touche en particulier une grande partie des zones extra-urbaines du Québec. Les Infirmiers/infirmières québécois ont le niveau master 2 des IPA français et sont pour la plupart salariés de l'Etat. Le gouvernement québécois participe à l'organisation des soins primaires. Les patients atteints de maladies chroniques sont pris en charge prioritairement par les infirmiers/infirmières salariés, lesquels utilisent largement le télésoin. La France s'en est inspirée en inscrivant le télésoin dans la loi Ma Santé 2022. (http://www.telemedaction.org/422113393)
Aux Etats-Unis, 12% de la communauté médicale exercent la médecine générale de soin primaire. Cette mission est surtout confiée à des infirmières cliniciennes spécialisées, dont le niveau de formation correspond à celui des IPA européennes. En zone rurale, elles assurent les soins de premier recours et sont en permanence reliées à des cabinets de médecins généralistes ou de spécialités par télémédecine. Il existe ainsi une collaboration pluriprofessionnelle entre les structures médicales en charge des soins primaires et les centres spécialisés urbains.
Nurse practitioner-physician comanagement of primary care patients: The promise of a new delivery care model to improve quality of care. Norful AA, Swords K, Marichal M, Cho H, Poghosyan L. Health Care Manage Rev. 2019 Jul/Sep;44(3):235-245. doi: 10.1097/HMR.0000000000000161.PMID: 28445324.
En Australie, l'usage de la télémédecine en soin primaire est la règle depuis plusieurs années. Les déserts médicaux sont immenses, et touchent en particulier les populations aborigènes. La pandémie à la Covid-19 a transformé la pratique des soins primaires avec un développement des téléconsultations, non seulement en zone rurale, mais également en zone urbaine. Une intéressante revue de la littérature médicale tire les leçons de la pandémie à la Covid-19, ciblant la pratique de la téléconsultation en soin primaire. L'Australie réfléchit aujourd'hui à la place respective de la téléconsultation et de la consultation en présentiel dans les parcours de soin primaire, en collaborant étroitement avec les infirmiers/infirmières praticiennes.
From telehealth to virtual primary care in Australia ? A Rapid scoping review. Jonnagaddala J, Godinho MA, Liaw ST.Int J Med Inform. 2021 Jul;151:104470. doi: 10.1016/j.ijmedinf.2021.104470. Epub 2021 Apr 22.PMID: 34000481 Review
En résumé, on soulignera, d'une part les échecs successifs des solutions tentées en France pour améliorer cette situation, d'autre part les réussites de pays confrontés à ce même problème et qui ont su mettre en place des organisations professionnelles nouvelles avec l'aide de la télésanté. Le prochain billet traitera des solutions apportées par la loi Ma Santé 2022 du 26 juillet 2019, laquelle s'est inspirée des réussites d'autres pays.
14 avril 2022
Dr Illouz Stéphane
15.04.2022 09:20
Un rappel et une mise au point factuel et utile
Merci Pr Simon
Pierre Simon
16.04.2022 09:25
Merci Stephane pour ce commentaire ! Amitiés