Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Le colloque qui s'est tenu les 11 et 12 avril 2022 à l'Université catholique de Lille, organisé par les étudiants de l'Association du Master2 Droit de la responsabilité médicale (DRM), avait comme thème principal "Quels futurs souhaitables pour notre santé ?" Une table ronde a débattu de la médecine prédictive et de l'Intelligence artificielle au service, demain, d'une meilleure prise en charge du patient ! (Image du billet).
Cette table ronde fut particulièrement intéressante. Les étudiants avaient préparé ce thème en groupe de travail. Ils maitrisaient parfaitement l'approche théorique et juridique. Ils demandaient aux experts invités de la table ronde de faire part de leur vision vis à vis de ce futur souhaitable de la santé que pourrait être une médecine prédictive performante grâce à l'Intelligence artificielle (IA).
L'échange entre étudiants et experts abordait aussi la question des droit des patients, en particulier le droit à être informé d'une maladie prédite par l'IA, ainsi que la nécessaire réflexion éthique sur l'impact d'une telle information, tant sur le plan de la vie personnelle que sociale des personnes concernées, celles-ci devant réagir à l'annonce d'une maladie possible qui ne deviendrait handicapante que plusieurs années après la découverte du risque prédit par l'IA.
Qu'entend-t-on par médecine prédictive et médecine génomique ?
La médecine prédictive est une discipline médicale en développement, dont le but est d’indiquer, avec le plus de précision possible, le risque d’apparition de certaines maladies grâce à la génétique (séquençage du génome), ou dans le télésuivi de maladies chroniques le risque de survenue de complications grâce à l'usage de dispositifs médicaux embarquant des algorithmes de l'IA.
La médecine génomique est la discipline qui implique l'utilisation de l'information génomique des individus comme part entière de leur prise en charge clinique (préventif, diagnostic, thérapeutique). L'examen des caractéristiques génétiques d'une personne ne peut être entrepris que pour des finalités médicales ou de recherche après avoir obtenu le consentement écrit de la personne concernée (art.16-10 du CC).
Ainsi, la médecine génomique n'est pas que prédictive, c'est aussi une médecine qui éclaire un diagnostic et certains choix thérapeutiques à partir de l'information génomique. La médecine prédictive n'est pas que génomique. Si on utilise aujourd'hui des algorithmes pour le diagnostic (par exemple en imagerie médicale), on peut aussi les utiliser pour prédire la survenue d'une maladie ou des complications de cette maladie. On parle alors d'une médecine algorithmique.
Les algorithmes prédictifs de l'IA servent en particulier la prévention des maladies chroniques ((http://www.telemedaction.org/450542418)), qu'elle soit primaire s'appuyant alors sur les facteurs de risque d'apparition de maladie, secondaire pour ralentir l'évolution lorsque la maladie s'est installée, ou tertiaire pour prévenir la survenue de complications graves de la maladie chronique qui justifient l'envoi aux urgences hospitalières et souvent une hospitalisation. (http://www.telemedaction.org/449438546) (http://www.telemedaction.org/448060112)
Quelles informations le professionnel de santé doit-il donner aux personnes usagers de la santé ?
L'information médicale est devenue un droit fondamental de l'homme.
Tous les professionnels de santé ont le devoir d'informer les patients de toute démarche à visée préventive, diagnostique et thérapeutique. Ils doivent recueillir leur consentement. L'information et le recueil du consentement relèvent du principe constitutionnel de la liberté humaine et du droit de la personne à l’intégrité de son corps. La construction des droits des malades s'est faite par étapes successives depuis 1942, d'abord par de nombreuses jurisprudences conduisant à la promulgation de la loi Kouchner du 4 mars 2002, puis à celle de Claeys-Léonetti du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
L’article L. 1111-2, alinéa 1er, du Code de la santé publique (CSP) précise : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé (…) ». Les exceptions à ce droit à l’information sont rares, il s’agit de l’urgence, de l’impossibilité d’informer le patient et du cas dans lequel le patient exprime sa volonté d’être « tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic », volonté qui ne saurait être respectée lorsque les tiers sont exposés à un risque de transmission.
Ce même article du CSP précise le contenu de l'information: "cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus".
Cet article a été modifié sous l’influence des nouveaux acquis de la science médicale. Ainsi, le droit à l’information porte également sur le droit de bénéficier de soins sous la forme ambulatoire ou à domicile, lorsque l’état de santé du malade le permet, notamment lorsqu’il relève de soins palliatifs. De même, si postérieurement aux investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf s’il est impossible de la retrouver.
Ainsi le droit à l’information porte sur trois éléments majeurs nécessaires à l’obtention d’un consentement libre et éclairé : 1) la nature exacte des soins proposés ou des investigations, 2) les conséquences de ces soins, 3) l’existence d’alternatives thérapeutiques entre lesquelles le malade pourrait faire un choix.
Comment ce droit fondamental peut-il être appliqué à la médecine prédictive ?
Initialement, le droit à l'information visait à rééquilibrer les savoirs et les pouvoirs, lesquels étaient asymétriques au cours de la première moitié du 20ème siècle, le médecin "sachant" prescrivant des soins à un malade "ignorant". D'où le terme de médecine "paternaliste" qui a caractérisé la pratique médicale pendant une bonne partie du siècle précédent. Cette obligation d'information devait permettre au malade d'acquérir une liberté décisionnelle, fondamentale lorsque la décision à prendre concerne son intégrité corporelle. Dans l'oeuvre jurisprudentielle qui a précédé la loi Kouchner, nombreuses décisions concernaient des accidents de la chirurgie.
Commet appliquer au 21ème siècle ce droit fondamental à une médecine construite avec des algorithmes ? Nul n'ignore l'existence d'interrogations sur cette médecine algorithmique qui représenterait le "futur de notre système de santé".
Dans l'éditorial du 5 avril 2022, The Lancet Digital Health fait un point intéressant sur la médecine algorithmique :
"La nature de boîte noire de l’intelligence artificielle (IA) a amené certains à se demander si l’IA doit être explicable aux patients et aux professionnels de santé pour être utilisée dans des scénarios à enjeux élevés tels que la médecine".
"En réponse au malaise créé par l’IA-boîte noire, un nombre croissant de cliniciens, de législateurs et de chercheurs appellent à des modèles d’IA explicables pour les domaines à haut risque tels que les soins de santé".
"Le RGPD stipule que
toute personne a le droit d’obtenir des informations significatives sur la logique qui sous-tend les décisions utilisant ses données personnelles traitées par l’IA".
Holding artificial intelligence to account - The Lancet Digital Health
L'approche française dans la révision de la loi Bioéthique promulguée le 2 août 2021.
L'article L.4001-3 du CSP précise comment un professionnel de santé peut maitriser le choix d'un dispositif médical embarquant un traitement algorithmique des données :
I.-Le professionnel de santé qui décide d'utiliser, pour un acte de prévention, de diagnostic ou
de soin, un dispositif médical comportant un traitement de données algorithmique dont l'apprentissage a été réalisé à partir de données massives s'assure que la personne concernée en a été
informée et qu'elle est, le cas échéant, avertie de l'interprétation qui en résulte.
II.-Les professionnels de santé concernés sont informés du recours à ce traitement de
données. Les données du patient utilisées dans ce traitement et les résultats qui en sont issus leur sont accessibles.
III.-Les concepteurs d'un traitement algorithmique mentionné au I s'assurent de l'explicabilité
de son fonctionnement pour les utilisateurs.
IV.-Un arrêté du ministre chargé de la santé établit, après avis de la Haute Autorité de santé et de la Commission nationale de l'informatique
et des libertés, la nature des dispositifs médicaux mentionnés au I et leurs modalités d'utilisation.
Un arrêté relatif à l’approbation du cahier des charges de l’appel à projets « Evaluation du bénéfice médical et/ou économique des dispositifs médicaux numériques ou à base d’intelligence artificielle » a été publié le 20 septembre 2021.
Une excellente analyse juridique de ce texte a été publiée dans la revue Dalloz Actualité du 16 septembre 2021. Il explique comment le principe de "garantie humaine" de l'IA a été traité dans cette révision de la loi Bioéthique. Nous encourageons les lecteurs de ce billet à en prendre connaissance. (https://www.dalloz-actualite.fr/node/l-intelligence-artificielle-dans-revision-de-loi-bioethique).
Il est difficile d'obtenir un consentement libre et éclairé a priori des patients qui utilisent un dispositif médical comportant un traitement de données algorithmique pour
un acte de prévention, de diagnostic ou de soin. L'information due au patient est incomplète puisque la nature même de l'algorithme et les conséquences de son usage ne peuvent être "explicables". L'interprétation
du résultat donné par un algorithme ne peut être faite, pour l'instant, que par le professionnel de santé qui bénéficie de la confiance du patient. C'est le professionnel de santé qui fait le choix du dispositif
médical. Il doit s'assurer que la personne concernée en a été informée et qu'elle est, le cas échéant, avertie de l'interprétation qui en résulte.
L'explicabilité
du fonctionnement de l'algorithme est assurée par le concepteur du dispositif médical qui doit en informer le professionnel de santé.
A titre d'exemple, lors du traitement d'une image médicale par un algorithme, le professionnel de santé doit en informer le patient a postériori au moment où il communique le résultat. Si le patient n'a pas confiance dans ce résultat, il a la liberté de demander une interprétation à un autre professionnel de son choix. Dans cet exemple, l'IA est une aide au diagnostic d'une image médicale, celui-ci restant de la responsabilité du professionnel de santé.
Comment la réflexion éthique peut-elle faire progresser la médecine prédictive en vue de préparer le "futur souhaitable pour notre santé" ?
Nous avons déjà abordé ce sujet dans un récent billet qui précédait la tenue du colloque lillois. (http://www.telemedaction.org/452118895)
Compte tenu des nombreuses inconnues actuelles de la médecine algorithmique, en particulier l'explicabilité d'un algorithme à finalité médicale, cette médecine prédictive doit être éclairée d'une réflexion éthique qui permette aux patients et aux professionnels de santé de maitriser le mieux possible l'irruption de l'IA dans le "futur de la santé". Il faut avancer avec prudence disait en 2018 l'Académie nationale américaine de médecine dans cet excellent rapport que nous avions commenté sur ce site (http://www.telemedaction.org/444543626).
Le risque d'une maladie génétique
Lors de l'examen des caractéristiques génétiques constitutionnelles d'une personne pour une indication à finalité médicale, lequel examen aura reçu préalablement le consentement écrit (art.16-10 du CC), le séquençage génomique peut conduire incidemment à la découverte de caractéristiques génétiques sans relation avec l'indication initiale. L'ignorance de ces résultats pourrait être admise si dans l'état actuel des connaissances médicales, aucune mesure de prévention ou de soins ne pouvait être proposée à la personne.
C'est une réflexion éthique qui prend en compte le principe de non-malfaisance. En effet la révélation de caractéristiques génétiques qui pourraient conduire à une maladie sans que l'on dispose, au moment de la découverte, de moyens de prévention ou de soins pourrait être vécue comme un acte malfaisant vis à vis d'une personne qui pourrait impacter sa vie personnelle et sociale.
Toutefois, si postérieurement aux investigations génétiques, un nouveau risque était identifié, le professionnel de la santé aurait alors l'obligation d'en informer la personne. D'où l'importance, pour le professionnel de santé qui a prescrit l'examen de tracer dans le dossier médical toutes les données génétiques identifiées, ainsi que de s'appuyer sur le conseil génétique d'un spécialiste.
La médecine prédictive dans la surveillance algorithmique d'une maladie chronique.
C'est une médecine prédictive en plein développement avec la surveillance des patients atteints de maladies chroniques dont le nombre ne fera qu'augmenter au cours du 21ème siècle (http://www.telemedaction.org/447104236). Elle vise à dépister précocement les complications de la maladie chronique. Un dispositif médical numérique (DMN) embarquant l'algorithme de l'IA est proposé au patient en respectant l'article L4001-3 du CSP (ci-dessus).
La réflexion éthique appliquée à la télésurveillance médicale a été développée dans un billet précédent (http://www.telemedaction.org/449286796). Les 4 grands principes éthiques de bienfaisance, de non-malfaisance, d'autonomie et d'équité s'appliquent aux organisations de la télésurveillance au domicile des patients atteints de maladies chroniques. Le professionnel de santé doit faire en sorte que cette prise en charge à distance reste humaine. L'organisation professionnelle est essentielle pour y parvenir.
En résumé, le futur souhaitable de notre santé doit s'appuyer non seulement sur l'évolution du droit, mais également sur une réflexion éthique de chaque instant pour que ce futur souhaitable reste humain.
21 avril 2022