Les pratiques françaises de télésanté peuvent-elles contribuer à la souveraineté numérique de la France?

Il n'a échappé à personne que les GAFAM développent depuis quelques mois une offensive pour acquérir une souveraineté mondiale en matière de santé numérique. Les leaders d'opinion qui annoncent la mondialisation de la médecine grâce aux technologies numériques font recettes auprès des actionnaires du Nasdaq ou du CAC 40. L'Exchange Traded Fund (ETF) ou Trackers  représente aujourd'hui quelques centaines de milliards de dollars ciblées sur le développement mondial de la télémédecine et de la santé numérique.(https://www.boursorama.com/bourse/actualites/lancement-d-un-etf-sur-la-sante-digitale-ca04e50b6aabc717a682a98adfff5f41).

Selon certains experts de l'e-santé qui s'expriment dans les médias et sur les plateaux de TV, la médecine deviendrait "un métier technologique, capitalistique et mondialisé". Les pays qui n'auraient pas acquis cette vision resteraient au stade d'une pratique "artisanale" de la médecine. La France et la "vieille" Europe sont considérées par ces mêmes experts comme attachées à une pratique artisanale de la santé.  (https://www.mapbusiness.ma/a-la-une/medecine-du-futur-le-maroc-a-un-role-important-a-jouer). Nous sommes dans une époque où tout ce qui peut paraître inattendu ou totalement "disruptif" fait recette auprès des médias. Le "raisonnable" ou une démarche pratico-pratique ne fait plus audience sur les chaînes TV qui sont rivées à leur audimat.

L'ambition de la France d'acquérir la souveraineté numérique en santé est-elle vraiment une démarche "artisanale" ?

N'allons pas chercher ailleurs ce que l'on peut faire chez soi. C'est le message que nous envoie la Délégation du numérique en santé (DNS) (http://www.telemedaction.org/page:DEF3B580-D529-444A-BB85-F2BD08860DF4"bashing" (le dénigrement) de notre pays, estimant que tout est mieux ailleurs, en particulier dans une santé mondialisée par les GAFAM et les BATX. Nous sommes parfois arrogants, pensant que notre pays peut devenir un leader "mondial" dans telle ou telle innovation.

Dénigrement et arrogance sont des traits de caractère bien connus du peuple français. Mais ce peuple a aussi de grandes qualités dans le domaine de l'innovation. La matière grise française se recherche et s'achète. De nombreuses sociétés et start-up françaises sont reconnues sur le plan mondial. Il suffit pour s'en convaincre de voir la place des industriels français du numérique au Consumer Electronics Show de Las Vegas. 

Atteindre prochainement la souveraineté numérique devrait nous satisfaire, par exemple acquérir un cloud performant pour traiter nos propres données de santé (Health Data Hub) par l'IA, ce qui permettra de poursuivre la recherche médicale grâce au traitement algorithmique de ces données.

Est-ce artisanal d'avoir notre propre démarche pour la transformation numérique de notre système de santé ? Est-ce artisanal d'avoir une loi bioéthique sur les innovations qui garantisse à nos concitoyens l'interprétation humaine d'une réponse algorithmique ? Est-ce artisanal que l'Etat-plateforme numérique mette à disposition des citoyens et des professionnels de santé un espace numérique en santé (ENS) qui reçoive les meilleures logiciels métiers en matière d'interopérabilité et les meilleures solutions technologiques pour pratiquer la télésanté, solutions qui soient fiables, sécurisées, agiles, etc. Est-ce artisanal de souhaiter à la fois la souveraineté en santé numérique de la France et être un pays actif au sein de l'UE pour que les services d'e-santé profitent au plus grand nombre lorsqu'ils sont conformes au RGPD ?

Les connaissances scientifiques médicales sont aujourd'hui mondialisées et le traitement d'une maladie grave, comme un cancer, reposant sur les données acquises de la science à l'échelle international, est abordé de la même façon dans tous les pays développés et dans certains en développement. En revanche, ce sont les conditions d'accès aux soins qui différent, dépendant ou non de conditions de ressources financières, de la proximité ou non d'un établissement de santé capable de mettre en route le traitement, etc. La France n'a pas à rougir de la performance de son système de santé, lequel est accessible à tous quelque soit le niveau de ressources. Il sera encore plus performant au terme de sa transformation numérique. 

L'ambition de la France de donner à toutes les professions de santé la possibilité de faire des soins à distance peut-elle relever d'une vision "artisanale" de la santé ?

Peu de pays dans le monde ont aujourd'hui notre vision qui permet à toutes les professions de santé de bénéficier de la transformation numérique. Peu de pays dans le monde font participer les citoyens et les patients aux plans quinquennaux de stratégie en santé. Peu de pays dans le monde ont mis en place une loi garantissant les droits et devoirs des patients en matière de santé, en particulier le droit à être informés des bénéfices et des risques d'un acte médical ou de soin et d'y consentir ou non, mais aussi la garantie que leurs données personnelles de santé sont protégées. Peu de pays dans le monde ont une vision large de l'organisation pluriprofessionnelle des parcours de santé et de soins qui intégrent toutes les situations d'exercice professionnel, en présentiel comme à distance. Peu de pays dans le monde vont offrir aux citoyens et aux professionnels de santé des moyens de communication sécurisés (espace MSS) et des moyens technologiques fiables et sécurisés pour réaliser la télémédecine et le télésoin.

Beaucoup de pays dans le monde pratiquent depuis quelques années la télémédecine avec les outils des GAFAM, sans se soucier de la protection des données personnelles de santé.

WhatsApp est devenu une sorte de licorne de la santé numérique. Voici les principales publications des cinq dernières années relatant l'usage de WhatsApp en télémédecine. Les auteurs de ces articles viennent tous de pays qui ne respectent pas les droits des patients et qui n'ont pas de législation sur la sécurité des données personnelles de santé.

WhatsApp in Clinical Practice: A Literature Review. Mars M, Scott RE.Stud Health Technol Inform. 2016;231:82-90.PMID: 27782019 Review

WhatsApp Messenger as an Adjunctive Tool for Telemedicine: An Overview.  Giordano V, Koch H, Godoy-Santos A, Dias Belangero W, Esteves Santos Pires R, Labronici P.Interact J Med Res. 2017 Jul 21;6(2):e11. doi: 10.2196/ijmr.6214.PMID: 28733273

Medicine in the Whatsapp era. Semeniuk GB.Medicina (B Aires). 2019;79(5):407-408.PMID: 31671392.

Telemedicine Practice in Saudi Arabia During the COVID-19 Pandemic. Kaliyadan F, A Al Ameer M, Al Ameer A, Al Alwan Q.Cureus. 2020 Dec 9;12(12):e12004. doi: 10.7759/cureus.12004.PMID: 33457115 

WhatsApp Tele-Medicine - usage patterns and physicians views on the platform. Barayev E, Shental O, Yaari D, Zloczower E, Shemesh I, Shapiro M, Glassberg E, Magnezi R.Isr J Health Policy Res. 2021 Jun 1;10(1):34. doi: 10.1186/s13584-021-00468-8.PMID: 34074319.

Ophthalmologists and WhatsApp: Teleophthalmology is already here. Barayev E, Vorobichik Berar O, Dotan G, Skaat A, Gal-Or O, Gershoni A, Gaton D.Eur J Ophthalmol. 2021 Mar 15:11206721211002694. doi: 10.1177/11206721211002694. Online ahead of print.

Certains diront que tous ces pays ont raison de ne pas s'encombrer de nos solutions juridiques contraignantes, voire "artisanales", pour protéger les patients, en particulier leurs données personnelles de santé, et protéger aussi les professionnels de santé. WhatsApp est considéré par un grand nombre de personnes dans le monde comme un outil de communication très réussi. On rêve bien sûr d'un WhatsApp de la santé qui soit aussi performant que l'outil grand public.(http://www.telemedaction.org/446283095)

Grâce à la transformation numérique du système de santé, nous aurons des outils aussi performants que ceux des GAFAM, mais respectant la confidentialité des données. Les sociétés et start-ups du numérique en santé sont capables de les créer ou de les rénover. La balle est dans le camp des ingénieurs français et européens qui doivent coconstruire ces solutions avec les professionnels de santé et les patients.(http://www.telemedaction.org/449536030). 

Nous reviendrons dans un prochain article sur les évènements juridiques du 31 mai et 5 juin 2021. Plus de 10 ans après le décret précisant les conditions de mise en oeuvre de la télémédecine, le décret sur le télésoin permet désormais à tous les autres professionnels de santé non médicaux (pharmaciens et auxiliaires médicaux) de pratiquer le soin à distance, dans leur champ de compétence, lorsque le présentiel n'est pas nécessaire. Après avoir reçu le consentement du patient.

Les conditions de réalisation de ces actes à distance sont les mêmes en télémédecine et en télésoin : l'usage de la videotransmission pour une relation humaine optimale, la responsabilité totale et entière du professionnel de santé pour juger de la pertinence ou non de l'acte à distance, l'obligation d'informer les patients sur les bénéfices et les risques de ces pratiques à distance et de recevoir leur consentement avant de la mettre en oeuvre, un remboursement des actes de télémédecine et de télésoin par l'assurance maladie d'un niveau identique à celui des actes en présentiel.

Autre avancée majeure, la possibilité donnée désormais à tous les professionnels de santé médicaux et non médicaux, qu'ils soient salariés du secteur public ou d'exercice libéral,  d'échanger entre eux au cours de leur activité professionnelle pour renforcer leurs propres connaissances et prendre les meilleures décisions pour leurs patients. La téléexpertise comme outil d'échange entre les professionnels de santé remplacera les échanges clandestins par téléphone que le patient ignorait. Désormais la téléexpertise se fera au grand jour avec le consentement du patient concerné. 

Qui peut dire que de telles avancées dans la transformation numérique de notre système de santé soient "artisanales" ? Cette télésanté française renforce la souveraineté numérique de notre pays.

8 juin 2021

 

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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