Les preuves scientifiques s'accumulent en faveur du rôle du e-patient dans la surveillance de sa propre maladie chronique.

A l'ère des maladies chroniques, le patient, grâce à l'usage d'objets connectés qu'il utilise pour agir sur sa santé (e-patient), peut-il jouer un rôle dans la surveillance de sa propre maladie chronique ? Il y a déjà longtemps que la place du patient "acteur" de sa santé a été reconnue. En France, cette reconnaissance s'est traduite dans la loi Kouchner du 4 mars 2002 (voir le billet intitulé " Loi Kouchner en 2017" dans la rubrique "Droit de la santé") qui a inscrit dans le Code de la santé publique les Droits des patients.

Il y a plusieurs degrés d'implication du e-patient. Ce qui est le plus souvent rapporté est son implication dans le "quantified self", c'est à dire dans l'autosurveillance de ses facteurs de risque de maladie. On espère que cette implication du plus grand nombre de citoyens dans une démarche de prévention primaire ou secondaire de certaines maladies chroniques aura à terme un effet favorable et permettra d'éviter l'apparition de ces maladies chroniques ou du moins de les retarder.

La prévention primaire est l’ensemble des actes destinés à diminuer l’incidence d’une maladie, donc à réduire l’apparition de nouveaux cas. En agissant en amont, cette prévention empêche l’apparition de la maladie. Elle utilise l’éducation et l’information auprès de la population. La prévention secondaire est l’ensemble des actes destinés à diminuer la prévalence d’une maladie, donc à réduire sa durée d’évolution.

Aujourd'hui, aucune étude scientifique n'a encore démontré que l'usage du quantified self (par la santé mobile), en prévention primaire ou secondaire, a l'impact attendu. Il faudra probablement attendre plusieurs dizaines d'années pour obtenir des preuves scientifiques.

Par compte, en matière de prévention tertiaire les preuves scientifiques commencent à s'accumuler dans la littérature scientifique. On rappelle que la prévention tertiaire est l’ensemble des actes destinés à diminuer la prévalence des incapacités chroniques ou des récidives dans la population, donc à réduire les invalidités fonctionnelles dues à la maladie. Le rôle du e-patient s'avère essentiel pour obtenir ces résultats.

Rôle du e-patient dans la surveillance d'une rémission d'un cancer

Une équipe française vient de démontrer l'impact déterminant du patient dans la surveillance de la rechute du cancer du poumon. Denis FBasch E, Septans AL, Bennouna J, Urban T, Dueck AC, Letellier C. Two-Year Survival Comparing Web-Based Symptom Monitoring vs Routine Surveillance Following Treatment for Lung Cancer. JAMA. 2019 Jan 22 ;321(3) :306-307. Doi : 10.1001/jama.2018.18085.

Cent vingt et un patients étaient enrôlés dans l’étude contrôlée et randomisée (60 dans le groupe intervention). 67% étaient des hommes. La médiane d’âge était 65 ans (35-88 ans).  Trente-deux pour cent avaient un cancer du poumon de stade III, 63% de stade IV et 17% une forme à petites cellules. Au terme de deux années de suivi, il était observé dans le groupe intervention (participation des patients à leur propre surveillance avec le recueil hebdomadaire de 13 symptômes) 29 décès (47,5%) et une survie globale de 22,5 mois et dans le groupe contrôle 40 décès (66,7%) et une survie globale de 14,9 mois (OR : 0,59 [IC à 95%, 0,37- 0,96] ; P = .03). La participation des patients atteints de cancer du poumon à leur propre surveillance montre à deux ans une survie significativement meilleure que chez les patients qui ont la surveillance habituelle d’une rémission.

Rôle du e-patient dans la surveillance de la maladie de Crohn

La maladie de Crohn est une maladie inflammatoire chronique qui nécessite un traitement au long cours pour maintenir la rémission et prévenir les rechutes. Son incidence et sa prévalence sont en progression. Lorsque l’état de rémission a été obtenu, l’éventuelle rechute est souvent difficile à prédire. Une surveillance étroite doit être engagée. Le patient peut contribuer à sa propre surveillance. Le médecin programme une surveillance médicale périodique en consultation qui ne peut remplacer la surveillance quotidienne du patient. Celui-ci doit être éduqué sur les signes de la maladie.

La possibilité d’utiliser des applications mobiles dédiées à une telle surveillance permettrait de dépister plus tôt la rechute et d’engager le traitement dès les premiers signes de rechute. Cent dix-neuf patients ont été inclus dans l’étude. Ils évaluaient leur maladie grâce à une application mobile construite sur le Harvey Bradshaw Index ou HBI. Un médecin faisait la même évaluation dans un délai de 48h, à 1 mois et à 4 mois. L’application était installée sur un smartphone (HBImApp). 12 items étaient suivis dans 5 domaines : l’état général, la douleur abdominale, la fréquence de selles, l’existence d’une masse abdominale, les manifestations extra-intestinales de la maladie. L’ensemble des signes était traité par un algorithme.

L’état de rémission correspondait à un score <5 et un état actif de la maladie à un score >/= 5. La performance de HBImApp utilisée par les patients était comparée à celle du médecin. Elle montrait que la valeur prédictive en faveur d’un état de rémission était de 98,2% et la valeur prédictive négative de 76,7%. Ce haut niveau de valeurs était retrouvé à 1 mois et 4 mois de surveillance.

La conclusion était que l’application HBI était suffisamment fiable pour dépister un état de rémission ou un état actif de la maladie de Crohn. Grâce à cet algorithme performant, les patients peuvent transmettre au médecin des éléments cliniques fiables de leur état. Il reste à montrer maintenant que l'usage de HBImApp chez un grand nombre de patients atteints de la maladie de Crohn contribue à améliorer le pronostic de cette maladie chronique.

Ana Echarri, Isabel Vera, Virginia Ollero, Claudia Arajol, Sabino Riestra, Pilar Robledo, Marta Calvo, Franscisco Gallego, Daniel Ceballos, Beatriz Castro, Mariam Aguas, Santiago García-López, Ignacio Marín-Jiménez, María Chaparro, Paco Mesonero, Iván Guerra, Jordi Guardiola, Pilar Nos, Javier Muñiz, on behalf of the MediCrohn study investigators. The Harvey–Bradshaw Index Adapted to a Mobile Application Compared with In-Clinic Assessment: The MediCrohn Study Telemedicine and E-Health, DOI: 10.1089/tmj.2018.0264.

Rôle du e-patient dans le dépistage du cancer de la peau

Beaucoup de personnes ont pris l'habitude (bonne ou mauvaise ?) de prendre eux-mêmes avec leur smartphone des photos de petites tumeurs ou taches de leur peau et de les adresser à leur médecin traitant ou directement à un dermatologue qui accepte de les recevoir et de donner un avis. Cette demande se fait le plus souvent juste avant de partir en vacances au ski ou à la mer. Cette pratique est-elle suffisamment performante pour dépister un cancer de la peau ? Une équipe de dermatologues américains s'est posé la question.

Dans cette étude est comparé le niveau de diagnostic lors d'une consultation dermatologique en présentiel avec le niveau de diagnostic par télédermatologie. Par rapport à la consultation dermatologique en présentiel, la télédermatologie avec dermoscope augmente de 9% la probabilité de découvrir un cancer de la peau (95% d'intervalle de confiance [IC] de 2% à 16%), réduit de 4% le besoin d'une biopsie cutanée (risque relatif [RR] 0.96; IC 0.93-0.99), et réduit de 39% le besoin d'une consultation dermatologique en présentiel (RR 0.61; CI, 0.57-0.65). La moins bonne solution de télédermatologie est celle où le patient prend lui-même les photos avant de les adresser au dermatologue. Cette conclusion ne peut être probablement que provisoire étant donné l'augmentation constante des performances en pixels des nouveaux smartphones.

Marwaha S, Fevrier HB, Alexeeff SE, Crowley E, Haiman M, Pham N, Tuerk MJ, Wukda D, Hartmann M, Herrinton LJ. Comparative Effectiveness Study of Face-to-Face and Teledermatology Workflows for Diagnosing Skin Cancer. J Am Acad Dermatol. 2019 Feb 1. pii: S0190-9622(19)30178-1. doi: 10.1016/j.jaad.2019.01.067.

Rôle du e-patient dans la surveillance de l'hypertension artérielle

Une très belle étude publiée en 2010 dans le Lancet montrait qu'en patient qui réalisait l'automesure de la pression artérielle au domicile pouvait lui-même ajuster son traitement antihypertenseur en fonction des résultats et des recommandations du médecin traitant. Les patients avaient bénéficié au préalable d'une formation. L'étude était contrôlée et randomisée. Les patients qui étaient dans la branche "autogestion du traitement antihypertenseur avec automesure de la PA" avaient de meilleurs résultats à un an que les patients suivis de façon traditionnelle sans autogestion.

McManus RJ, Mant J, Bray EP, Holder R, Jones MI, Greenfield S, Kaambwa B, Banting M, Bryan S, Little P, Williams B, Hobbs FD. Telemonitoring and self-management in the control of hypertension (TASMINH2): a randomised controlled trial.Lancet. 2010 Jul 17;376(9736):163-72. doi: 10.1016/S0140-6736(10)60964-6. Epub 2010 Jul 8.

Après un recul de cinq années, cette autosurveillance de la pression artérielle par les patients persistait, mais l'autogestion du traitement était moins fréquente. Les auteurs concluent à la nécessité de maintenir une éducation thérapeutique pour conserver les bénéfices de l'autogestion du traitement.

Bray EP, Jones MI, Banting M, Greenfield S, Hobbs FD, Little P, Williams B, Mcmanus RJ.Performance and persistence of a blood pressure self-management intervention: telemonitoring and self-management in hypertension (TASMINH2) trial.J Hum Hypertens. 2015 Jul;29(7):436-41. doi: 10.1038/jhh.2014.108. Epub 2015 Jan 8.

Rôle du e-patient dans la surveillance du diabète de type 1

Bien que cette étude soit déjà ancienne, elle mérite d'être rappelée ici, car c'était une des premières études au monde qui démontrait le rôle positif d'un dialogue entre des patients diabétiques et une application installée sur un smartphone (Diabeo) pour ajuster le traitement insulinique. L'efficacité significative à 6 mois sur le taux d'HbA1c de l'usage de cette application a surpris tous les professionnels, car c'était la première fois qu'on montrait une baisse significative de ce marqueur chez les jeunes diabétiques de type 1. Cette baisse, si elle restait permanente, permettait d'envisager une réduction à 10 ans des complications du diabète. Il était nécessaire de refaire une étude de plus longue durée pour confirmer l'effet pérenne du système Diabeo. C'est l'étude Telesage.

Charpentier G, Benhamou PY, Dardari D, Clergeot A, Franc S, Schaepelynck-Belicar P, Catargi B, Melki V, Chaillous L, Farret A, Bosson JL, Penfornis A; TeleDiab Study Group. The Diabeo software enabling individualized insulin dose adjustments combined with telemedicine support improves HbA1c in poorly controlled type 1 diabetic patients: a 6-month, randomized, open-label, parallel-group, multicenter trial (TeleDiab 1 Study). Diabetes Care. 2011 Mar;34(3):533-9. doi: 10.2337/dc10-1259. Epub 2011 Jan 25.

L'étude Telesage lancée en 2016 a pour objectif de confirmer les résultats de l'étude TeleDiab 1. Elle intègre également des patients diabétiques de type 2 qui relèvent du traitement insulinique. Elle est complétée par une démarche d'éducation thérapeutique et d'une délégation à des infirmières formées d'une prescription de dose d'insuline en fonction des résultats donnés par le système Diabeo. Les résultats de l'étude Telesage sont attendus pour 2019-2020.

Jeandidier N, Chaillous L, Franc S, Benhamou PY, Schaepelynck P, Hanaire H, Catargi B, Farret A, Fontaine P, Guerci B, Reznik Y, Penfornis A, Borot S, Serusclat P, Kherbachi Y, D'Orsay G, Detournay B, Simon P, Charpentier G. DIABEO App Software and Telemedicine Versus Usual Follow-Up in the Treatment of Diabetic Patients: Protocol for the TELESAGE Randomized Controlled Trial. JMIR Res Protoc.2018 Apr 19;7(4):e66. doi: 10.2196/resprot.9154.

En définitive, le système Diabeo s'avère être une véritable aide personnalisée à l'ajustement des doses d'insuline chez les patients diabétiques, grâce au dialogue du patient avec le logiciel installé sur son smartphone. L'algorithme autoapprenant est enrichi en permanence par les données que lui fournit le patient, et le traitement insulinique devient véritablement personnalisé avec de bien meilleurs résultats à court et moyen termes que les recommandations habituelles faites jusqu'à présent par le médecin à chaque consultation.

Joubert M, Benhamou PY, Schaepelynck P, Hanaire H, Catargi B, Farret A, Fontaine P, Guerci B, Reznik Y, Jeandidier N, Penfornis A, Borot S, Chaillous L, Franc S, Serusclat P, Kherbachi Y, Bavière E, Detournay B, Simon P, Charpentier G. Remote Monitoring of Diabetes: A Cloud-Connected Digital System for Individuals With Diabetes and Their Health Care Providers. J Diabetes Sci Technol. 2019 Mar 12:1932296819834054. doi: 10.1177/1932296819834054

En résumé, la médecine du XXIème siècle sera prédictive, préventive, participative et personnalisée. Il faut néanmoins que l'impact des objets connectés (IoT), désormais pilotés par les algorithmes de l'IA, soit démontré scientifiquement. C'est le fondement éthique du service médical que l'on doit rendre aux patients, en particulier ceux atteints de maladies chroniques. Le rôle du patient participant à sa propre surveillance est désormais possible et souhaité grâce aux outils de la santé mobile. Nous sommes désormais à l'ère du e-patient qui participe à l'évaluation scientifique de la médecine personnalisée.

14 avril 2019 

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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