Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
L'Australie est un pays où l'accès aux soins des populations isolées, notamment aborigènes, pose des problèmes plus importants que ceux que nous rencontrons en Europe, en particulier en France. C'est la raison pour laquelle les solutions de télémédecine ont été naturellement développées, comme elles l'ont été dans d'autres régions de la planète où les distances pour accéder aux soins sont très grandes (les populations inuits du Grand Nord canadien et du Groenland, les populations norvégiennes vivant au-delà de cercle polaire Arctique, les populations vivant dans la forêt amazonienne de Colombie, de la Guyane, les populations vivant dans les îles du Pacifique, les zones désertiques de l'Afrique du Maghreb et Sub-saharienne, etc.). Il y a plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde qui ont des problèmes d'accès aux soins, et, à l'heure d'internet et des médias sociaux, le sentiment d'injustice ne peut être qu'exacerbé devant ces inégalités devant la maladie.
Dans toutes ces régions du globe où le besoin de télémédecine ne fait pas débat à l'heure du numérique en santé, il est intéressant de se pencher sur les recommandations de bonnes pratiques de cette médecine à distance (téléconsultation, téléexpertise), élaborées par les Sociétés médicales savantes, les autorités sanitaires et les Ordres professionnels.
Ce premier billet est consacré à l'Australie. Il s'inspire du rapport effectué par Europe Economics sur Regulatory Approaches to Telemedicine, publié le 29 mars 2018.
https://www.gmc-uk.org/Regulatory_approaches_to_telemedicine.docx_73978543.docx
Des guidelines de bonnes pratiques de la télémédecine ont été publiées par 4 sociétés médicales savantes australiennes : ACRRM (Australian Collège of Rural and Remote Medicine), RACGP (The Royal Australian College of General Practitioners), AMA (Australian Medical Association), RACP (Royal Australian College of Physicians), et les organismes de régulation : AHPRA (Australian Health Practitioner Regulation Agency), MBA (Medical Board of Australia), MCNSW (Medical Council of New South Wales).
LA REGULATION DE L'ACTIVITE DES PROFESSIONNELS DE SANTE AUSTRALIENS
L’Agence australienne de réglementation des professions de santé (AHPRA) applique la loi nationale et la réglementation en vigueur pour les praticiens dans tous les Etats et Territoires de l’Australie. Elle réglemente les 14 professions de santé grâce à une législation nationale cohérente qui assure l’enregistrement et l’accréditation des professionnels. Elle soutient les 14 conseils nationaux en charge d’appliquer cette réglementation auprès des professionnels. Le registre national des praticiens avec les renseignements y figurant est mis à la disposition du public. L’Agence gère également les processus d'inscription et de renouvellement d'activité des praticiens de la santé et des étudiants en médecine. Elle assure les enquêtes sur la conduite professionnelle, la performance en santé des praticiens agréés, sauf en Nouvelle-Galles du Sud et au Queensland.
Le Conseil médical de l'Australie (MBA) est l'équivalent du CNOM en France. Il enregistre les médecins et les étudiants en médecine qui remplacent les médecins, élabore des normes, codes et lignes déontologiques de la profession médicale, enquête sur les notifications et les plaintes contre les médecins, et, s'il y a lieu, procède à des audiences contradictoires en groupe et renvoie les questions graves devant un Tribunal disciplinaire. Il évalue les diplômes internationaux des médecins qui souhaitent pratiquer en Australie. Il approuve les normes d'accréditation et les programmes des études accréditées. Il délègue aux Conseils des territoires certaines missions.
Le Collège Royal australien des médecins généralistes (RACGP) est une société médicale savante, responsable de l'élaboration des référentiels pour une pratique clinique de qualité, l'éducation et la formation, et la recherche clinique en pratique générale australienne. Elle soutient les médecins généralistes, les activités éducatives et de recherche, évalue les compétences et les connaissances des médecins, offre des activités de formation continue professionnelle, élabore les normes en pratique de médecine générale pour des soins de haute qualité.
Le Collège australien de médecine rurale et éloignée (ACRRM) établit des normes médicales professionnelles pour la formation, l'évaluation, la certification et le perfectionnement professionnel continu dans la spécialité de la pratique de médecine générale, inculque les valeurs professionnelles, les compétences nécessaires pour fournir des soins de haute qualité, sûrs et appropriés à une communauté rurale ou éloignée.
LES RECOMMANDATIONS AUSTRALIENNES DE BONNES PRATIQUES DE LA TELEMEDECINE
De l'ACRRM (Collège australien de médecine rurale et éloignée)
La télémédecine est définie comme un moyen de délivrer des soins de santé cliniques dans de nombreux milieux.
Les guidelines sont destinées aux médecins qui effectuent des téléconsultations par videotransmission en temps réel entre un patient et un médecin spécialiste requis par l'intermédiaire du fournisseur de soins de santé primaire. Elles ne concernent pas les téléconsultations directes entre un patient et un médecin spécialiste qui n'auraient pas été demandées par un médecin de soin primaire. Une telle pratique n'est pas recommandée par l'ACRRM. Ces guidelines ont été approuvées par le Comité consultatif de télémédecine de l'ACRRM, lequel est composé de représentants des collèges et organisations de médecins et d'infirmiers spécialistes, des organisations de santé autochtones, des organisations de consommateurs, de la National Rural Health Alliance, l'Association des médecins ruraux australiens, la Société australienne de télémédecine et le service de la médecine royale aéronautique.
Le patient doit être informé sur les conditions organisationnelles et technologiques de réalisation de la téléconsultation (confidentialité, protection des données personnelles). Il doit préalablement donner son consentement après avoir reçu ces informations. La téléconsultation programmée doit privilégier la continuité du parcours de soins en ayant accès aux données du dossier médical. Sont décrits ensuite tous les aspects cliniques à respecter dans la conduite d'une téléconsultation (8 recommandations) ainsi que les critères de choix du fournisseur de la plateforme de téléconsultation (5 recommandations).
Les praticiens qui pratiquent la télémédecine doivent avoir les compétences nécessaires acquises par une formation préalable.
L'évaluation de la télémédecine clinique est faite auprès des patients concernés par ces pratiques. Ils jugent la compétence individuelle du médecin et la qualité de l'organisation mise en place.
Puis les guidelines donnent des recommandations sur la performance nécessaire du matériel utilisé et du réseau numérique, l'interopérabilité de ce matériel avec d'autres organisations ou plateformes de téléconsultations et les risques d'une mauvaise organisation lesquels peuvent être prévenus par l'élaboration de procédures. Enfin le cadre environnemental de la téléconsultation doit permettre d'assurer aux patients un confort, une sérénité et le respect de leur vie privée. Le matériel de téléconsultation doit être accessible à tout moment.
De la RACGP (Collège royal australien des médecins généralistes)
Le Collège définit la télémédecine comme une téléconsultation par videotransmission.
Les recommandations de ce Collège visent le besoin ou non de téléconsultation et le respect de la volonté du patient. Il récuse la téléconsultation qui serait une substitution systématique de la consultation en face à face. C'est pourquoi le Collège recommande aux médecins généralistes et spécialistes qui veulent réaliser des téléconsultations de s'assurer préalablement de la sécurité du patient, du réel besoin clinique, de l'efficacité clinique, de la préférence du patient par rapport à une consultation en face à face, de l'emplacement de cette téléconsultation pour assurer la confidentialité des échanges, de la disponibilité réelle des médecins spécialistes au rendez-vous fixé, de l'accès à une formation appropriée des médecins, de l'existence d'une assurance en responsabilité civile.
Le Collège insiste sur l'information préalable donnée aux patients afin de recueillir son consentement. à savoir la raison médicale de cette téléconsultation programmée, le soutien clinique qui sera apporté par la présence d'un professionnel de santé auprès du patient, la confirmation que le patient peut avoir à ses côtès son propre soutien familial, l'information que le patient devra donner en début de téléconsultation, nom, prénom, date de naissance, lieu de résidence, afin qu'il soit bien identifié par le médecin spécialiste, l'assurance qu'il peut avoir une discussion privée à la fin de la téléconsultation pour qu'on lui explique ce que le médecin spécialiste lui aura dit, l'assurance que tout est fait pour protéger sa vie privée et que, si un enregistrement des échanges s'avère nécessaire, il en connaisse préalablement les raisons pour qu'il donne son accord.
Pour la gestion des risques, le Collège recommande une convention écrite entre le médecin généraliste et le médecin spécialiste dans laquelle sont décrites les pratiques de téléconsultation et de téléexpertise synchrone par videotransmission. Lorsqu'un médecin traitant confie à un autre professionnel médical le soutien clinique nécessaire pour la téléconsultation avec le spécialiste, il s'assure que son remplaçant a les connaissances, l'expérience et les compétences requises pour agir en son nom. Le médecin traitant doit être conscient que le choix du clinicien de soutien peut influer sur les décisions finales de la téléconsultation.
Pour maintenir la continuité des soins, les médecins généralistes sont encouragés à réaliser les téléexpertises avec les médecins spécialistes avec lesquels ils travaillent régulièrement, qu'ils connaissent et qui sont déjà impliqués dans les soins aux patients, notamment ceux atteints de maladies chroniques. Dans le cas contraire, le médecin généraliste a la responsabilité de vérifier que le médecin spécialiste choisi est bien inscrit au Registre des médecins australiens et qu'il a reçu une formation à la pratique de la télémédecine.
De l'AMA (Association Médicale Australienne)
Selon l'AMA, la télémédecine se réfère à tout ce que le réseau numérique en santé peut véhiculer : le courrier électronique en ligne et autres formes de consultations utilisant les larges bandes dans le but de délivrer des soins aux patients, en clair tous les services de santé qui ne sont pas en face à face et qui utilisent les systèmes de télécommunication en ligne.
L'AMA précise que ces moyens de communication numérique doivent être seulement utilisés comme compléments à la pratique médicale normale, ne doivent pas remplacer les services où la qualité et la sécurité des soins ne sont pas compromises, y compris lorsqu'ils donnent accès à des services de soins médicaux dans les zones où ces services sont indisponibles, ne pas remplacer la consultation en face à face lorsque la prestation médicale nécessite une consultation en présentiel, que le médecin a le droit "ultime" et la responsabilité de juger si les prestations de soins en ligne sont appropriées, qu'il a également le droit "ultime" de dire si oui ou non il répondra à une demande de soins en ligne quel que soit la demande du patient, qu'il doit s'assurer que le dossier médical des patients intègre bien les conclusions des prestations de soins en ligne.
L'AMA ne soutient pas les téléconsultations entre des médecins et des patients qui n'ont aucune relation déjà établie, sauf s'il n'y a pas d'alternative possible et que la demande provient des patients qui vivent dans les zones où les services de soins médicaux sont indisponibles. L'AMA encourage les enregistrements des téléconsultations avec l'accord du patient afin d'atteindre des solutions d'authentification les plus solides possibles.
De la RACP (Collège Royal australien des médecins)
Pour la RACP, la télémédecine est définie comme l'utilisation des technologies la vidéoconférence pour mener une consultation médicale où l'information est échangée en audio et vidéo en temps réel. La télémédecine est utilisée pour permettre à un patient d'accéder à un médecin spécialiste en présence de son médecin traitant. Le Collège ne donne que des recommandations pour la téléconsultation, en excluant les autres prestations de soins à distance.
Les guidelines de la RACP concernent les aspects cliniques et technologiques de la téléconsultation et de la téléexpertise en temps réel.
Pour les aspects cliniques de la téléconsultation, la RACP recommande que le médecin traitant détermine quels patients relèvent de la consultation en ligne, en fonction de leurs ressources et de leur environnement technologique (qualité du réseau numérique), que le médecin requis soit responsable du caractère approprié ou non de la téléconsultation. La décision de recourir à une téléconsultation doit prendre en compte les facteurs suivants : le profil clinique, la continuité des soins, les soins partagés avec d'autres professionnels de santé, en clair le meilleur modèle de soins pour l'individu concerné. Avant de procéder à une téléconsultation, le médecin doit s'assurer que le patient est bien informé des conditions de déroulement de cette téléconsultation. Le médecin doit être convaincu que le patient a donné son consentement à cette téléconsultation. Si le patient ne peut lui-même donner son consentement, une tierce-personne désignée par le patient doit pouvoir le donner à sa place. Le patient doit pouvoir avoir un membre de sa famille à ses côtés ou un professionnel de santé non médical. La téléconsultation doit reproduire le caractère privé et confidentiel de la consultation en face à face.
Pour les aspects technologiques, la RACP demande que les moyens technologiques utilisés pour la téléconsultation soient adaptés à l'objectif clinique de la consultation, que les médecins fassent eux-mêmes une analyse des risques encourus, préviennent les éventuels problèmes techniques et soient conscients des limites de la technologie utilisée, qu'ils ont un plan de sauvegarde en cas de défaillance ou d'insuffisance de la solution technologique utilisée.
COMMENTAIRES. A une période où la France est en plein débat sur le caractère universel ou non de la téléconsultation et de la téléexpertise, il est intéressant de connaître comment un pays comme l'Australie, où le besoin de télémédecine est incontesté, aborde le champ des recommandations aux médecins qui pratiquent la télémédecine. Plusieurs constats peuvent être faits.
Le premier constat est qu'un médecin australien qui souhaite pratiquer la télémédecine doit être préalablement formé, au moins pour connaitre les pratiques recommandées par les organismes de régulation et les Sociétés médicales savantes pour cette pratique professionnelle innovante. En France, malheureusement, nous n'avons pas imposé aux médecins cette obligation de formation et on risque de voir s'installer des dérives lorsque les pratiques de téléconsultations et de téléexpertises vont être remboursées dans le droit commun de la Sécurité sociale. On rappelle qu'aux USA, un médecin ne peut pratiquer la télémédecine que s'il a obtenu une licence spécifique pour cette pratique.
Le deuxième constat est que la téléconsultation en Australie doit privilégier le parcours et la continuité des soins sous la responsabilité du médecin traitant de premier recours. C'est la position adoptée en France par les autorités sanitaires et la CNAM. Le médecin traitant est pleinement responsable des indications de téléconsultation et de téléexpertise spécialisées, et c'est lui seul qui doit évaluer si de telles pratiques sont appropriées ou non aux patients qu'il a en charge. Le patient doit être clairement informé des conditions dans lesquelles se fait cette téléconsultation ou cette téléexpertise spécialisée en temps réel, et il doit préalablement donner son consentement.
Le troisième constat est que la téléconsultation en Australie est programmée et se réalise par vidéotransmission. C'est la décision prise en France dans la LFSS 2018. C'est bien le médecin traitant qui programme la téléconsultation avec le médecin spécialiste. Et il doit s'assurer que le médecin spécialiste connaît bien le dossier médical du patient. Fait particulier à l'Australie, la téléexpertise entre médecin traitant et médecin spécialiste se fait en temps réel par videotransmission. Elle est programmée. Il n'est pas fait état de téléexpertise en mode asynchrone par messagerie sécurisée en santé.
Le quatrième constat est qu'aucun organisme australien de régulation médicale ou Société médicale savante n'aborde la question débattue aujourd'hui en France de la téléconsultation immédiate hors d'une situation d'inaccessibilité au médecin traitant. Toutes les recommandations privilégient une pratique programmée de la téléconsultation ou de la téléexpertise dans la cadre de la continuité des soins. Elles précisent également que la médecine en ligne ne peut se substituer à la médecine en face à face, alors que ce concept de téléconsultation substitutive commence à apparaître en France avec les plateformes de téléconsultation immédiate. Il est urgent que les Sociétés françaises médicales savantes et les organismes français de régulation de l'activité médicale prennent position sur cette question importante pour l'évolution de la médecine de soins primaires.
Dernier constat, l'Australie a beaucoup d'infirmier(e)s praticien(ne)s (niveau master 2) qui peuvent participer en tant que clinicien(ne) de soutien à une téléconsultation ou une téléexpertise. Les pratiques de télémédecine tant pour les médecins que pour les infirmier(e)s praticien(ne)s sont rémunérées comme les pratiques médicales ou de soins en face à face. Les organismes payeurs sont diverses. Il est urgent de développer en France les pratiques avancées des infimier(e)s en télémédecine.
31 mars 2018