Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
L'American Telemedicine Association (ATA) a organisé son congrès 2022 à Boston, du 1er au 3 mai. Nous rapportons ici les principales nouveautés qui ont marqué ce congrès postpandémie. Cet évènement annuel international est aux professionnels de santé qui pratiquent la télémédecine ce que le Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas est aux industriels et Startuppers de la e-santé. L'ATA a réuni à Boston pendant 3 jours plus de 6000 participants. Cette nouvelle édition 2022 (celles de 2020 et 2021 n'avaient pu avoir lieu) était particulièrement attendue car elle tirait les leçons de la pandémie Covid-19 sur l'usage de la télémédecine à travers le monde. Même si les publications américaines dominent, d'autres pays ont communiqué lors de cet évènement.
Nous avons choisi de résumer ici quelques présentations orales d'équipes américaines qui nous ont semblé intéressantes à faire connaître aux professionnels français. La plupart de ces présentations seront publiées dans des journaux avec " peer-reviews" dans les prochains mois. Le lecteur peut retrouver les résumés de l'ensemble des communications orales et des présentations "poster" dans le document publié au moment du congrès.
Rembourser la téléconsultation au même prix que la consultation en présentiel permet de pérenniser l'usage de la téléconsultation.
ASSESSING THE EFFECT OF PAYMENT PARITY ON TELEHEALTH USAGE AT COMMUNITY HEALTH CENTERS DURING COVID‐19. Jordan Herring, Fitzhugh Mullan Institute for Health Workforce Equity (The George Washington University)
L’utilisation de la téléconsultation par les Centres de santé communautaires (CSC) pour les patients ayant une assurance privée a augmenté au cours des quatre premiers mois de la pandémie, pour atteindre environ 61 % de la totalité des consultations médicales réalisées pendant cette période. Puis l'usage a diminué à environ 44 % des consultations, un an plus tard. L’égalité des niveaux de remboursement de la téléconsultation et de la consultation présentielle était associée à une plus grande probabilité d’utiliser la téléconsultation au-delà de la période initiale de quatre mois (RC : 1,762, p < 0,001). De plus, un meilleur accès à une large bande passante était significativement associé à l’utilisation de la téléconsultation, tandis que l'emplacement des CSC en zone rurale était corrélé négativement à cet usage.
Payer le même montant pour une téléconsultation que pour une consultation en présentiel semble profiter à la téléconsultation, son usage étant plus durable dans les centres de santé communautaires. Des investissements dans des infrastructures à large bande passante pourraient contribuer à accroître l’usage de la téléconsultation dans les zones rurales.
Commentaires. L'Assurance maladie obligatoire en France a choisi en septembre 2018, soit avant la pandémie, de rembourser la téléconsultation au même niveau que la consultation en présentiel. De plus, pendant la période d'urgence sanitaire, la téléconsultation fut remboursée à 100%. La diminution de l'usage de la téléconsultation après les confinements fut également observée en France, mais de façon plus importante qu'aux Etats-Unis. Cependant, le taux d'usage s'est stabilisé à un niveau d'environ 3 à 12% selon les spécialités. Comme aux Etats-Unis, l'amélioration du niveau de bande passante dans les zones rurales (déserts numériques souvent associés aux déserts médicaux) devrait être atteint en France en 2025.
La téléconsultation en Visio n'est pas inférieure à la consultation en présentiel pour élaborer un diagnostic pendant la période pandémique de confinement.
ASSESSMENT OF PROVIDER DIAGNOSTIC ACCURACY WITH VIDEO TELEMEDICINE IN THE INTEGRATED MULTISPECIALTY PRACTICE AT MAYO CLINIC DURING THE COVID-19 PANDEMIC. Bart Demaerschalk, MD, Andrew Pines, Richard Butterfield, Jack Haglin, Tufia Haddad, James Yiannias, Christopher Colby, Sarvam TerKonda, Steve Ommen, Matthew Bushman, Troy Lokken, R Blegen, Mekenzie Hoff, Gregory Anthony, Jordan Coffey, Nan Zhang. Diagnostic Accuracy of Telemedicine Utilized at Mayo Clinic Alix School of Medicine Study Group.
L'étude a inclus 2393 personnes. L’âge médian était de 53 ans et 57,7 % étaient des femmes. Le diagnostic provisoire établi par téléconsultation en Visio correspondait à la référence CIM 10 pour 2080/2393 [86,9 % (IC à 95 % 85,6 %-88,3 %)] des cas. La précision diagnostique variait de 65 % (IC à 42 % à 87 %) pour les "maladies de l’oreille et de la mastoïde", à 97 % (IC à 95 % 95 %-99 %) pour les "néoplasmes''. La précision du diagnostic dans chaque spécialité médicale variait de 77 % (IC à 95 % 65 %-90 %) pour l’oto-rhino-laryngologie à 96 % (92 %-100 %) pour la psychiatrie. Les soins spécialisés se sont avérés significativement plus conformes en téléconsultation que les soins primaires, et les diagnostics par téléconsultation en Visio étaient conformes à la consultation en présentiel qui suivait (RC : 1,69; IC à 95 % : 1,24, 2,30 p < 0,001).
Les téléconsultations par Visio donnent un degré élevé de précision diagnostique dans la plupart des situations cliniques. Cependant, II est important de reconnaître les circonstances cliniques qui sont associées à une diminution de la précision diagnostique en téléconsultation et quels sont les patients qui doivent bénéficier prioritairement d’une consultation en présentiel dans le parcours de soins.
Commentaires. Une étude venant de la Mayo Clinic est toujours une référence scientifique dans le milieu médical. Cette étude qui compare la fiabilité de la téléconsultation versus une consultation en présentiel manquait jusqu'à présent dans la littérature médicale. Elle pourrait convaincre les médecins français qui estiment, après l'expérience acquise pendant la pandémie, que la téléconsultation est une forme dégradée de la médecine qui entraine une perte de chances sur le plan diagnostic. L'étude de la Mayo Clinic démontre de manière scientifique qu'il n'en est rien si la téléconsultation est réalisée en Visio et non par téléphone.
Mettre fin à l'inégalité d'accès aux soins : une priorité pour la télémédecine
ENDING INEQUITY IN HEALTHCARE ACCESS: A TELEHEALTH PRIORITY Cynthia Williams, University of North Florida.
Nous avons examiné 17,98 millions de dossiers de consultations de mars 2019 à décembre 2019 et 22,17 millions de mars 2020 à décembre 2020 afin d’étudier les éventuels changements dans l’utilisation de la téléconsultation avant et pendant la pandémie. Les téléconsultations avant et pendant la pandémie ont été évaluées respectivement à 8,33 % et 11,08 % du total des consultations, avec un pic à 15,46 % en avril 2020 pendant le confinement. Avant la pandémie, le groupe hispanique affichait une utilisation de la téléconsultation nettement inférieure (5,36 %) à celle des groupes blancs non hispaniques (8,39 %, valeur p <0,01) et des groupes noirs (22,11 %, p <0,01). Pendant la pandémie, les Américains d’origine hispanique conservaient une utilisation inférieure aux autres populations.
Les chances d’utiliser la téléconsultation chez les Américains hispaniques restaient ainsi significativement plus faibles pendant la pandémie par rapport aux Blancs et aux Noirs. Malgré la suppression des obstacles réglementaires et de remboursement pour accéder à la téléconsultation, les tendances à son utilisation sont demeurées en grande partie inchangées par rapport à la période prépandémique. En identifiant les sous-groupes qui n’ont pas eu accès à la téléconsultation, nous recommandons des stratégies politiques pour mieux éduquer et cibler les groupes minoritaires afin de faciliter leur usage de la téléconsultation.
Commentaires. Cette publication révèle une discrimination sociale aux Etats-Unis dans l'accès à la téléconsultation pendant la pandémie, les Américains hispaniques, très souvent immigrés, ayant été défavorisés par rapport aux populations non hispaniques. Cette discrimination existait avant la pandémie et n'a pas été corrigée. En France, l'usage de la téléconsultation avant la pandémie était beaucoup plus faible qu'aux Etats-Unis. La pandémie a un peu changé l'usage de la téléconsultation qui est désormais dix fois supérieur à la période prépandémique. Nous pouvons aussi rencontrer une discrimination comparable à celle des Etats-Unis avec les populations immigrées. Il nous faut lutter contre la discrimination sociale dans l'accès aux soins par les solutions numériques.
Assurer l'équité d'accès aux soins : leçons tirées de la période pandémique pour la télésurveillance des patients atteints de la Covid-19.
ENSURING EQUITY: LESSONS FROM COVID-19 REMOTE PATIENT MONITORING Lulu Wang, MedStar Health. (Maryland, Virginie)
La télésurveillance a comblé une importante lacune en matière d'accès aux soins pendant la COVID-19. Pour certains patients, la télésurveillance au domicile a servi de point d’accès principal au système de soins. Elle a permis la détection précoce de l'aggravation de la Covid-19 et a fourni une assurance supplémentaire aux patients pour qu’ils se rétablissent en toute sécurité à leur domicile. Cependant, la télésurveillance médicale reste exposée aux mêmes disparités qui affectent en général les soins de santé : différences dans l’information et l'éducation en santé, dans l'accès aux technologies numériques et dans la disponibilité de ces services.
L'étude a recruté 2047 patients qui ont été inscrits à la plateforme de télésurveillance au domicile de la Covid-19. Parmi ceux-ci, 120 ne possédaient pas de smartphone et 43 ne parlaient pas anglais (espagnol, portugais et thaï). Les participants sans smartphone nécessitaient des ressources humaines supplémentaires. L’équipe de la plateforme a appelé les patients individuellement pour collecter leurs données, car les patients n’étaient pas capables de charger eux-mêmes les signes vitaux via la méthode Bluetooth. Pour les patients non anglophones, l’application était disponible en espagnol. Toute autre communication entre l’équipe de télésurveillance et le participant avait besoin de l’aide d’interprètes.
La télésurveillance médicale a rapidement élargi le champ d’application de la prestation des soins cliniques. Alors que son utilisation continue de croître, nous devrions être conscients de promouvoir l’équité selon les critères d’inclusion, l'accès à la plateforme, la modalité de communication et les méthodes de collecte de données. Tout cela a un impact significatif sur l’expérience du patient. Si la télésurveillance médicale est déployée avec équité, elle peut être un moyen puissant de combler les lacunes existantes dans l’accessibilité aux soins.
Commentaires. Il est frappant de constater que la pandémie à la Covid-19 a révélé aux professionnels de santé américains le manque d'équité dans l'accès aux soins avec les solutions numérique. Nous connaissions déjà cette inégalité d'accès aux soins en général, propre au système de santé américain. Elle s'est manifestée avec plus d'acuité pendant la pandémie. N'ignorons pas ce problème en France car il existe également. L'accès à la téléconsultation est plus facile par exemple en Ile de France qu'en province. Toutes les enquêtes qui ont suivi les phases de confinement l'ont montré. Alors que la pratique de la télésurveillance des maladies chroniques passe dans le droit commun de la Sécurité sociale à compter du 1er août 2022, restons vigilants pour que les avantages fournis par cette organisation innovante des soins pour les patients atteints de maladies chroniques ne bénéficient qu'à une population d'initiés qui maitrise les solutions numériques, alors que les populations touchées d'illectronisme, les plus âgées et les plus malades, peuvent ne pas en bénéficier.
L'IA pour améliorer l'expression des patients ayant une maitrise limitée de l'anglais lors des téléconsultations de psychiatrie.
HOW SHOULD WE BE INTERPRETING LANGUAGE IN TELEHEALTH CONSULTATIONS ? S. Chan, MD, MBA; H. Tougas, MD; T. Shahrvini, BS; A. Gonzalez, MA; Reyes R. Chun, BA; Parish M. Burke, PhD; P. Yellowlees, MBBS, MD UC Davis. California
Une combinaison de la reconnaissance vocale (ASR) et de la traduction automatique (AMT) a été appliquée à des consultations asynchrones de télépsychiatrie dans l’objectif d’améliorer les entretiens psychiatriques dans toutes les langues, par rapport aux entretiens médiés par des interprètes.
Dans une première étude, nous avons utilisé trois entretiens psychiatriques enregistrés, effectués par des cliniciens bilingues pour comparer le taux d’erreur des mots et le taux de précision de la transcription ASR, ainsi que la comparaison de la traduction automatique (AMT) entre deux moteurs de traduction.
Dans une deuxième étude, nous avons utilisé un échantillon de paires d’entretiens psychiatriques enregistrées chez 3 patients hispanophones, traduits par AMT de façon asynchrone, c'est à dire différée. Parallèlement, nous avons étudié un groupe de patients qui participait à une étude plus large en examinant la précision de la traduction et de l’interprétation du patient. Le langage non-verbal (comme les sourires et les métaphores), la précision de la traduction du langage figuratif et le nombre de mots ont été comparés.
Ce sont les premières études en médecine qui comparent la traduction par des interprètes et l’utilisation de l’AMT et de l’ASR lors de téléconsultations psychiatriques asynchrones. L’utilisation de la transcription par apprentissage automatique (Machine Learning) et les systèmes de traduction en psychiatrie ont un grand potentiel, mais leur précision dépend des solutions utilisées.
Selon la littérature industrielle, la précision s’améliore avec le temps. L’utilisation des interprètes conduit les patients à simplifier et à raccourcir leur langage, ce qui peut entraîner des omissions d'informations qui seraient importantes pour le psychiatre. Le meilleure option à long terme serait donc la téléconsultation avec ASR et AMT qui deviendrait progressivement de plus en plus précise.
Les patients sont interrogés et enregistrés dans leur propre langue avant l'intervention de l’AMT et de l’ASR. Cela permet aux patients de fournir le plus de détails et d'informations possibles, plus utiles sur le plan clinique que les propos traduits par les interprètes. La téléconsultation asynchrone en psychiatrie est une nouvelle approche clinique qui devrait améliorer l’impact des disparités linguistiques sur la santé mentale.
Commentaires. C'est certainement la publication phare de l'ATA 2022. Elle était attendue car la médecine doit désormais chercher à dépasser les barrières linguistiques, compte tenu de la mobilité des personnes à travers le monde et des flux migratoires. Nous disposons en Europe, depuis 2011, d'un cadre réglementaire autorisant la pratique transfrontalière de la télémédecine. Cette solution de téléconsultation augmentée par l'IA devrait permettre de réaliser des consultations en présentiel et des téléconsultations dans la langue maternelle du patient. C'est indiscutablement une avancée technologique dans un monde en grande mobilité.
28 mai 2022