Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
La technologie blockchain est souvent présentée comme la révolution de la confiance, "le développement le plus excitant depuis l'avènement du langage Java en 1995", "la possibilité de disrupter et d'inventer de nouveaux modèles relationnels", "la technologie qui relèvera le pari perdu d'internet de placer l'humain au coeur de sa technologie pour plus de pouvoir et de liberté", etc. Quand on lit tous les articles consacrés à cette nouvelle révolution, lancée dans le grand public en 2015 par l'article publié dans le journal The Economist ( "Blockchain, the Trust Machine"), on ne peut qu’être impressionné par l'espoir créé par cette nouvelle technologie qui apporterait la confiance, autrement dit qui restorerait une confiance perdue....
Il est vrai qu'en matière de santé, la main mise des géants du GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazone, Microsoft) sur nos données de santé à caractère personnel peut susciter une certaine défiance vis à vis de l'usage qu'ils veulent en faire en s'appropriant notre vie privée, parfois la plus intime lorsqu'il s'agit de la maladie. Les cyberattaques des données de santé sont devenues le nouvel eldorado de certains hackers. La blockchain peut-elle être la riposte numérique à ce vol permanent de nos données personnelles par les GAFAM ou aux attaques des hackers ? Certains le pensent. Tout citoyen se sent désormais obligé de comprendre ce que sous-tend la technologie blockchain et quelle révolution de la confiance elle apporte.
L'auteur de ce billet, non spécialiste du sujet, a fait cette démarche de compréhension et se cantonne à son domaine d'expertise qu'est la santé en général, la télémédecine et la santé connectée en particulier.
Qu'est-ce que la Blockchain ?
Plusieurs définitions, allant du simple au plus compliqué, sont proposées. Nous prendrons la définition la plus simple à nos yeux :"
En médecine, ou parlera de "registre patient distribué" aux données inaltérables. Le logiciel blockchain pourrait ainsi sécuriser les données de santé à caractère personnel, les rendre accessibles de façon transparente aux professionnels de santé, aux patients, aux structures de soins, aux centres de recherche médicale, et cela en toute confidentialité, sans organe de contrôle. Il pourrait ainsi aider à la gestion des dossiers médicaux et de l'information médicale sans être exposé à un rapt de ces données médicales par les GAFAM ou aux cyberattaques des hackers.
La particularité de la blockchain réside dans le potentiel de ses applications, dont le nombre ne cesse de progresser depuis 2015. Nous tenterons ainsi de voir si la blockchain pourrait améliorer certaines pratiques de la télémédecine et de la santé connectée, un joli sujet d'innovation pour les Start-upers français qui sont à la pointe de l'innovation blockchainienne.
Comment la blockchain peut-elle contribuer à ce que les données de santé des essais cliniques soient fiables et non falsifiables ?
Il faut le dire, un doute s'est progressivement installé sur la fiabilité des données scientifiques, alors qu'on annonce leur traitement par l'Intelligence artificielle (IA) pour aider le médecin dans son diagnostic et la démarche thérapeutique.
De nombreuses études scientifiques médicales, publiées parfois dans des revues prestigieuses, sont jugées par les professionnels de santé eux-mêmes insuffisamment fiables soit à cause d'une méthodologie médiocre ou discutable au plan de l'analyse statistique, ou de cohortes de patients trop petites, soit à cause d'un conflit d'intérêt manifeste vis à vis du résultat attendu lorsque l'étude est financée par des fonds pharmaceutiques. Le conflit d'intérêt devient le cancer de la démarche scientifique.
Il suffit, pour être convaincu, de voir le nombre élevé d'articles scientifiques qui sont exclus dans les "review" de la littérature consacrées aux pratiques de la santé connectée et de la télémédecine. Nous avons fait un relais sur ce site de certains articles (voir les billets "santé mobile" dans la rubrique "Edito de semaine" et "télémédecine (14) dans la rubrique "Revue publications").
Quand l'intelligence humaine (IH) considère que près de 80% des articles scientifiques médicaux ne donnent pas de résultats suffisamment fiables, notamment parce que la méthodologie est imparfaite, un énorme travail de sélection reste à faire pour que l'IA puisse être utilisée en toute confiance par les médecins.
La banque américaine "Pubmed" contient quelques 28 millions d'articles scientifiques référencés. Il faudrait probablement en éliminer une vingtaine de millions pour que le traitement des données médicales de cette banque par l'IA donne des résultats fiables. Est-ce que les algorithmes puissants de l'IA, construits par l'IH, ont la capacité d'écarter de l'analyse les articles peu fiables au plan méthodologique ou de ne reconnaitre que les articles fiables ? La question n'a pas aujourd'hui de réponse.
Si l'IA en médecine doit devenir une aide au diagnostic médical ou à la décision thérapeutique, elle ne peut s'appuyer que sur des données médicales scientifiques que l'IH aura considéré comme fiables. Le travail de l'IH sur les données médicales scientifiques est donc immense pour que l'IA puisse devenir un outil fiable pour les médecins.
La blockchain peut améliorer la fiabilité des essais cliniques en créant un système de transparence qui empêcherait les promoteurs d'études cliniques (entreprises pharmaceutiques, chercheurs) de falsifier les données des essais. Les chercheurs de l'université de Cambridge ont créé un système basé sur une blockchain qui vérifie indépendamment les uns des autres les protocoles des essais cliniques (http://cambridge-blockchain.com/). La garantie repose sur l'immutabilité de la blockchain, c'est à dire une blockchain transparente qui permet à tout le monde d'accéder au code source de la plateforme, à l'information et à l'historique de tous les échanges. Dans un tel système, les écritures sont irrévocables et infalsifiables. The "proof of concept" de la blockchain de Cambridge montre qu'il est possible de vérifier que ceux qui mènent les essais cliniques ou la recherche ne s'écartent pas de l'essai réel en apportant des modifications au protocole. Le processus est rentable et peut être automatisé. Il devrait intéresser les centres de recherche médicale, ainsi que les entreprises pharmaceutiques.
La télémédecine et la santé connectée ont besoin d'études fiables pour démontrer un service médical rendu aux patients et la blockchain peut aider les promoteurs de ces études à y parvenir. La méthode classique des expérimentations en télémédecine ne satisfait personne, ni les professionnels de santé, ni les patients, ni les payeurs et pouvoirs publics. A la différence des études sur l'efficacité des médicaments, les études évaluant l'efficacité des pratiques de télémédecine et de l'usage des dispositifs médicaux doivent prendre en compte la qualité des organisations professionnelles. Dans les grandes études internationales, les organisations professionnelles étaient hétérogènes, ce qui a contribué pour une part aux échecs des deux plus grandes études européennes de télémédecine qui ont rassemblé près de 12 000 patients (Whole System Demonstrator et Renewing Health) (voir sur ce site le billet "A quoi ça sert" dans la rubrique "Edito de semaine").
Sans entrer dans le détail, le traitement des données de santé d'une étude clinique par le logiciel blockchain peut avoir un impact sur les organisations professionnelles innovantes qui devraient accompagner la mise en place des pratiques professionnelles de télémédecine. Trop souvent, les études de télémédecine ne jugent que l'impact des outils numériques avec des organisations professionnelles qui ne changent pas.
La blockchain, qui permet le partage des données médicales sans organe de contrôle, peut-elle aider la collaboration pluriprofessionnelle dans le parcours de soin structuré par la télémédecine et la santé connectée d'un patient atteint de maladies chroniques ?
Ce serait un réel progrès si l'usage de la blockchain pouvait optimiser la collaboration entre les professionnels de santé qui ont en charge les patients atteints de maladies chroniques. Dans le cadre d'une stratégie territoriale des soins, intégrant notamment les groupements hospitaliers de territoire, le partage des données entre tous les acteurs de santé, publics et privés, salariés et libéraux, sans oublier les acteurs sociaux, avec le consentement des patients, donnerait de la valeur ajoutée à cette nécessaire coopération pluriprofessionnelle en santé et de la confiance aux patients.
En effet, la situation actuelle des systèmes d'information (SI) au sein des territoires de santé, souvent cloisonnés et peu interopérables entre les établissements de soins, consommateurs de sommes gigantesques d'argent public, ne sera pas tenable très longtemps. Aux Etats-Unis, le manque d'interopérabilité entre les SI des hôpitaux couterait plusieurs dizaines de milliards de dollars chaque année et la vie à plusieurs milliers de personnes.
Le parcours au sein d'un territoire des patients atteints de maladies chroniques devient complexe, soumis aux interventions de nombreux acteurs sanitaires et sociaux. La liste est impressionnante. Au moins 15 à 20 métiers différents interviennent à un moment donnée chez une personne âgée cumulant plusieurs handicaps et maladies chroniques : le médecin de famille qui est le coordonnateur du parcours avec plusieurs médecins spécialistes (gériatre, neurologue, cardiologue, endocrinologue, néphrologue, dermatologue, etc..), parfois le médecin urgentiste, le pharmacien d'officine, l'infirmier(e) hospitalier(e) et libéral(e), le chirurgien dentiste, ergothérapeute, l'audioprothésiste, le diététicien, le masseur-kinesitherapeute, le podologue, le psychologue clinicien, l'orthoptiste, l'aide soignant, l'assistante de vie, et, lorsqu'on introduit la santé connectée et la télémédecine, des nouveaux métiers comme les ingénieurs santé, les prestataires de santé, les gestionnaires des plateformes de télésurveillance, des IoT, etc. Peut-on raisonnablement penser que tous ces acteurs qui doivent se coordonner avec le médecin de famille et qui sont soumis au secret professionnel, peuvent se passer des données de santé des patients qu'ils prennent en charge avec leur propre compétence ?
Le partage des données de santé au sein d'une blockchain territoriale assurerait une indiscutable qualité de la prise en charge des patients au cours de leur parcours, tout en assurant la sécurité et la confidentialité de ces données, notamment vis à vis de hackers ou des géants du GAFAM, ainsi que leur homogénéité grâce au smart contract qui valide les données avant de les intégrer dans la blockchain. L'intégration des données de santé fournies par les dispositifs médicaux et les objets connectés et applis mobiles (IoT) à finalité médicale directement dans la blockchain, grâce aux smart contracts, permettrait de mettre à jour en temps réel le dossier du patient, et également de les protéger des GAFAM.
Ces données de la blockchain sont infalsifiables et le droit à l'oubli de certaines données de santé serait plus difficile à appliquer. Le cadre juridique de l'usage de la blockchain est à développer pour protéger les droits des patients, et pour son utilisation potentielle par les assureurs et centres de recherche médicale (traitement des Big data). Le cadre réglementaire varie entre les pays. Le niveau est particulièrement élevé en France depuis la loi de 1978. Une adaptation du droit de la santé est donc nécessaire si on veut développer la blockchain dans les prochaines années. Il faut se réjouir de voir que des gros établissements de santé français, comme l'AP-HP et le CHU de Nantes, ont choisi de développer les solutions de la blockchain. D'autres les suivront.
Le changement de paradigme de notre système de santé se caractérise, d'une part par le retour à des soins ambulatoires au domicile ou dans les substituts médico-sociaux, l'hôpital devennant un centre d'investigation technique de courte durée, d'autre part par une approche globale de la santé des personnes, intégrant à la fois les données sociales et sanitaires.
La télémédecine et la santé connectée vont contribuer à rendre ces parcours de santé plus efficients grâce à des pratiques et organisations professionnelles nouvelles. Les nouvelles pratiques de la télémédecine ont besoin de tracabilité écrite pour que toutes les données échangées en téléconsultation, téléexpertise et lors de la télésurveillance médicale, grâce aux IoT, intégrent en synchrone le dossier médical des patients et qu'elles soient partagées entre tous les professionnels qui interviennent dans le parcours de santé d'un patient.
La blockchain ne peut que contribuer au développement de la télémédecine et de la santé connectée, en créant la confiance des patients envers les nombreux métiers sociaux et sanitaires dont ils dépendent.
3 novembre 2017
Bruno BOUTTEAU
03.11.2017 17:25
Il reste à entendre les promoteurs de la blockchain sur des cas d'usage précis pour se déterminer.
BRUNO BOUTTEAU
03.11.2017 12:08
La blockchain c'est le manque de confiance dans les institutions ou encore se mettre à l'abri de celles-ci, ex : la crypto monnaie et ses abus, nouveau vecteur du blanchiment
Pierre Simon
03.11.2017 12:56
Vous êtes plus compétent que moi sur le sujet ! C’est le concept qui m’a séduit et la possibilité de se protéger des GAFAM