Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Le décret 2021-1048 relatif à la mise en oeuvre de l'espace numérique de santé (ENS) a été publié le 4 août 2021. Ce décret est pris en application de la loi du 24 juillet 2019, dite "Ma Santé 2022", et s'inscrit dans la feuille de route ministérielle du numérique en santé, dont l'ENS est une priorité pour l'année 2021. Il rend possible l'ouverture automatique de l'ENS à partir du 1er juin 2021, sauf opposition de la personne.
Après 6 mois d'expérimentation dans 3 départements (Haute-Garonne, Loire-Atlantique et Somme), l'ENS sera ouvert à compter du 1er janvier 2022 à tous les citoyens français. "Mon Espace Santé" est lancé après un constat d'échec du Dossier Médical Partagé (DMP). Alors que 40 millions de DMP devaient être ouverts d'ici 2023, moins de dix millions l'avaient été à la fin 2020 dont un grand nombre n'a jamais été rouvert après leur création.
Quelles sont les principales conditions et modalités de mise en oeuvre de l'ENS ?
Le décret définit le contenu de l’espace numérique de santé (ENS), les modalités de sa création et de sa clôture éventuelle, les modalités d’exercice des droits de son titulaire, notamment du droit de s’opposer à sa création et d’une manière plus générale l’ensemble des règles de fonctionnement (accès, gestion, clôture). Il définit également les critères de référencement des services numériques en santé au catalogue de l’ENS ainsi que le cadre applicable à la procédure de référencement. Le décret complète enfin la liste des professionnels susceptibles d’échanger ou de partager des informations relatives à la même personne prise en charge.
Quel est le contenu de l'ENS ?
Les données administratives : noms, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, identifiant national de santé, coordonnées postales, électroniques, et téléphoniques, le cas échéant, identité et coordonnées de ses représentants légaux ou de la personne chargée d’une mesure de représentation relative à une personne majeure, coordonnées du médecin traitant.
Le DMP avec les éléments suivants (cf. l'art. R1111-30 du CSP) : les données relatives à la prévention, à l'état de santé et au suivi social et médico-social que les professionnels de santé estiment devoir être partagées dans le DMP, afin de servir la coordination, la qualité et la continuité des soins, y compris en urgence, notamment l'état des vaccinations, les synthèses médicales, les lettres de liaison, les comptes rendus de biologie médicale, d'examens d'imagerie médicale, d'actes diagnostiques et thérapeutiques, et les traitements prescrits.
Le titulaire de l'ENS peut consigner dans ce DMP ses propres données personnelles de santé. Il est également précisé que doivent y figurer les données nécessaires à la coordination des soins issues des procédures de remboursement ou de prise en charge, détenues par l'organisme d'assurance maladie obligatoire, dont relève le titulaire. Y figurent aussi les données de dispensation des médicaments issues du dossier pharmaceutique, ainsi que les données relatives au don d'organe ou de tissus.
Les constantes de santé produites par des services ou outils numériques référencés au catalogue de l'ENS.
Un questionnaire de santé librement renseigné par le titulaire contenant ses traitements en cours, les dernières interventions dont il a fait objet et ses antécédents médicaux.
Toutes autres données de santé utiles à la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins ne figurant pas dans le dossier médical partagé.
Les données relatives au remboursement de ses dépenses de santé par les régimes obligatoires d’assurance maladie.
Une messagerie sécurisée de santé permettant au titulaire d’échanger des messages et documents avec les professionnels, les établissements de santé et les établissements ou services sociaux ou médico-sociaux, dans des conditions de nature à assurer le respect de la sécurité des informations ainsi transmises.
Un agenda permettant au titulaire d’organiser les évènements relatifs à sa santé, agenda qui peut être alimenté par le titulaire lui-même, par un professionnel, un établissement de santé, un établissement ou service social ou médico-social ou par un service ou outil numérique référencé au catalogue.
Un catalogue d’outils et de services numériques en santé référencés, proposant, notamment, des services de télésanté, des services développés pour favoriser la prévention et fluidifier les parcours, des services de retour à domicile, des services procurant une aide à l’orientation et à l’évaluation de la qualité des soins, des services visant à informer les usagers sur l’offre de soins et sur les droits auxquels ils peuvent prétendre.
Comment est créé l'ENS par la Caisse Nationale d'Assurance Maladie ?
L’ouverture d’un espace numérique de santé est précédée d’une information de la personne concernée ou de son représentant légal effectuée par l’organisme d’assurance maladie auquel elle est rattachée, au moyen d’un courrier électronique adressé à l’adresse déclarée auprès de celui-ci. Les informations données à l'assuré sont les suivantes :
La mise à disposition d’un ENS, les modalités de son fonctionnement, et son articulation avec le DMP.
L’existence et les modalités d’exercice de son droit de s’opposer à l’ouverture de cet espace, notamment par une démarche en ligne sur le portail de l’espace numérique de santé.
Les modalités de la clôture de l’espace numérique de santé, ainsi que toute autre information utile à son fonctionnement.
En l’absence d’adresse électronique disponible ou en cas d’échec d’envoi du courrier électronique, l’information est adressée par voie postale. A l’issue d’un délai de six semaines à compter de l’envoi du courrier d’information à la personne, et en l’absence d’opposition de sa part, l’espace numérique de santé est ouvert par la Caisse nationale de l’assurance maladie. Si la Caisse nationale de l’assurance maladie constate que l’espace numérique de santé ne peut être ouvert pour des raisons techniques, elle en informe sans délai la personne concernée.
La Caisse nationale de l’assurance maladie identifie les personnes pouvant bénéficier de l’ouverture d’un espace numérique de santé au moyen des données collectées par les organismes d’assurance maladie auxquelles elles sont rattachées. En cas d’exercice du droit d’opposition, les organismes d’assurance maladie notifient à la personne concernée la prise en compte de son opposition à la création de son espace numérique de santé. Dans ce cas, cet espace n’est pas ouvert.
Le titulaire qui a exercé son droit d’opposition peut à tout moment revenir sur sa décision et demander la création de son espace numérique de santé.
Comment un citoyen accède-t-il à son ENS ("Mon espace santé") ?
Le titulaire ou son représentant légal accède à son ENS par le téléservice “FranceConnect”, par le moyen d’identification électronique mis à sa disposition par l’organisme d’assurance maladie auquel il est rattaché ou par tout autre moyen d’identification électronique de nature à garantir son authentification.
Lorsque le titulaire souhaite autoriser un professionnel, un établissement de santé ou un établissement ou service social ou médico-social à consulter ou alimenter tout ou partie de son ENS de manière temporaire, un moyen d’identification électronique propre à chaque autorisation d’accès lui est fourni par l’opérateur de cet espace.
Le titulaire d'un ENS peut autoriser un professionnel, un établissement de santé ou un établissement ou service social ou médico-social, à consulter ou alimenter tout ou partie de son ENS de manière permanente.
Le titulaire d'un ENS peut autoriser les services et outils numériques en santé référencés dans l’ENS à accéder à certaines données de son dossier. Toutes les autorisations d’accès à ses données par le titulaire sont modifiables à tout moment.
Le titulaire est informé sans délai de chaque accès par un professionnel ou un établissement à son ENS. Toutes les actions réalisées dans l’ENS sont tracées et conservées dans cet espace, et notamment la date, l’heure et l’identification de la personne, du service ou de la personne morale qui l’a consulté ou modifié.
Le titulaire d'ENS exerce son droit de rectification, son droit à la limitation, son droit à l’effacement et son droit d’opposition, dans les mêmes conditions. L’ensemble des données de l’ENS est mis à la disposition du titulaire dans un format aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé.
Le titulaire peut décider de clôturer son ENS à tout moment, soit directement, soit en en formulant la demande auprès de l’opérateur de l’ENS. A compter de la date de la clôture, les données contenues dans l’espace numérique de santé sont archivées pendant une période de dix ans.
Quel sera le succès de l'ENS dans la population française ?
On ne peut que saluer la performance technologique et la manière dont l'Etat a respecté ses engagements avec le programme accéléré de transformation numérique du système de santé conduit par la Délégation ministérielle du numérique en santé (DNS) et par son bras armé, l'Agence du Numérique en santé (ANS). En guise de commentaires sur cette avancée majeure, plusieurs questions peuvent être posées.
Tous les citoyens ont-ils une acculturation numérique suffisante pour bénéficier dès le 1er janvier 2022 de leur ENS ?
La réponse est bien évidemment négative. Seule une partie des citoyens français pourra dès 2022 bénéficier de l'ENS. L'évolution sera probablement comparable à celle observée pour la digitalisation des services bancaires ou des services des impôts.
Pour la digitalisation des services bancaires, l'enquête réalisée par Accenture en 2020 auprès de 48 000 citoyens européens dans 28 pays révèle que l'échange par Visio avec son banquier se développe (35% des sondés), que la consultation des comptes via une application ou le site Web dédié progresse, 38% en 2018 et 50% en 2020. Ainsi, presque 5 ans après le lancement de la digitalisation des banques, seulement 50% des clients utilisent en Europe les services bancaires digitalisés.
Pour la digitalisation des services des impôts, lancée en France en 2017, la déclaration en ligne des impôts est faite en 2017 par 48% des Français, en 2018 par 60% et en 2019 par 65%. La progression semble être de 5 à 10%/an.
Outre l'acculturation numérique nécessaire pour accéder aux services digitalisés, il faut prendre en compte que 15% des Français âgés de plus de 18 ans (soit 6,5 millions) n'accèdent pas encore à internet, en particulier dans les zones rurales où la pénétration de la 4G et de la fibre optique est beaucoup plus lente que dans les métropoles (données de l'ARCEP en 2020).
Au bout de combien de temps pourrons-nous mesurer l'impact de l'ENS sur notre système de santé ?
Tant que l'ENS ne sera pas accessible à tous les Français, il sera difficile de considérer ce service comme pouvant avoir un impact significatif à court terme sur notre système de santé. Au nom du principe constitutionnel de l'égalité d'accès aux soins, tous les citoyens devront avoir accès à court ou moyen terme à l'ENS.
Si le décret précise que lorsque le courrier électronique d'information du titulaire ne sera pas possible, la caisse nationale d'Assurance maladie informera les assurés par voie postale de l'ouverture d'un ENS, aucune information n'est cependant donnée sur la manière dont les assurés, sans accès à internet, pourront jouir des nouveaux services de l'ENS. L'absence d'accès à internet concerne surtout les gens âgés, dont la plupart sont atteints de maladies chroniques.
Nous l'avons observé lors de la pandémie à la Covid-19, près de 3 millions de personnes âgées, dites "vulnérables" au virus, n'ont pu prendre un rendez-vous de vaccination par internet. L'accès par téléphone était généralement difficile, voire impossible. On perçoit alors la nécessité de solutions substitutives à l'ENS pendant plusieurs années, comme la mise en place d'équipes mobiles de soignants qui se déplacent dans les zones rurales au plus proche du domicile des personnes isolées, souvent âgées et handicapées.
En fait, l'ENS aidera surtout la jeune génération de citoyens français, peu ou pas malade, à développer des actions de prévention primaire des maladies grâce aux solutions numériques qui sont proposées dans l'ENS. L'impact de ces services numériques de prévention sur notre système de santé ne pourra être évalué que dans quelques années.
10 août 2021