Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Un médecin néphrologue, un chercheur en sociologie, une chercheuse en psychopathologie et une juriste-éthicienne de la santé numérique posent des regards croisés sur les pratiques de la téléconsultation (TC) pendant la pandémie à la Covid-19, en particulier pendant le premier confinement. Ces regards croisés pluridisciplinaires sont instructifs et méritent d'être commentés.
Regards croisés sur les modalités et les enjeux de l’expérimentation et de la généralisation de la téléconsultation médicale. Lina Williatte, Anna Filancia, Cristina Lindenmeyer, Alexandre Mathieu-Fritz Journal international de bioéthique et d'éthique des sciences2021/4 (Vol. 32)
L'introduction à cet article donne le sens de la démarche. La période expérimentale de la téléconsultation, qui nécessitait une contractualisation avec une ARS, s'est terminée le 13 septembre 2018 (décret de télémédecine revisité), 2 jours avant la mise en place du financement de cet acte dans le droit commun de la Sécurité sociale, Les auteurs entendent souligner le gap avec la réglementation en vigueur en 2018 lors des pratiques de TC qui ont explosées pendant la pandémie. Cette période a montré que les médecins ne pouvaient réaliser la télémédecine dans les déserts médicaux (et numériques) que par téléphone, dérogeant ainsi aux exigences réglementaires.
En fait, l'Assurance maladie n'a jamais eu l'intention de financer immédiatement des millions de téléconsultations après le lancement du 15 septembre 2018. Elle espérait une montée en charge progressive avec au mieux 500 000 actes en 2019, 1 million en 2020, 1,5 millions en 2021. Les conditions de mise en oeuvre étaient précisées dans l'avenant 6 de la Convention médicale nationale dont l'arrêté fut publié le 1er août 2018. La conviction de certains que la téléconsultation allait améliorer l'accès aux soins dans les déserts médicaux relevait d'un vision erronée, comme vient de le confirmer les données du Health Data Hub.(https://www.telemedaction.org/page:2DE8DFCC-1F1F-418A-8AB7-57A6850779DA"textnormal" style="text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;">Selon le Health Data Hub, seulement 127 128 téléconsultations ont été réalisées au cours de l'année 2019 (https://www.telemedaction.org/page:2DE8DFCC-1F1F-418A-8AB7-57A6850779DA"https://esante.gouv.fr/virage-numerique/feuille-de-route" style="padding: 0px; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; font-weight: normal; font-style: italic; text-decoration: underline solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">https://esante.gouv.fr/virage-numerique/feuille-de-route) qu'à un excès de contraintes réglementaires qui aurait freiné le développement de cette pratique.(https://www.telemedaction.org/443481923)
Le témoignage d'un médecin néphrologue sur la téléconsultation chez les patients insuffisants rénaux chroniques.
L'ESPIC Calydial de Vienne fait partie des premiers établissements de dialyse à avoir instauré la télémédecine dans le suivi des patients insuffisants rénaux, après d'autres établissements de santé de Bretagne et de Lorraine qui étaient les pionniers au début des années 2000 (https://www.decitre.fr/livres/l-insuffisance-renale-9782294078781.html)
Lors de la mise en place du confinement en mars 2020, le suivi des patients insuffisants rénaux chroniques de cet établissement s'est fait essentiellement par téléphone et très peu par videotransmission. L'accès aux soins a ainsi été maintenu pendant cette période où seuls les déplacements pour le traitement par dialyse étaient autorisés. Après la levée du premier confinement, l'établissement Calydial souhaitait poursuivre les téléconsultations en respectant les bonnes pratiques recommandées par la HAS en mai 2019 (l'usage en particulier de la videotransmission). Finalement, les praticiens néphrologues de cet ESPIC sont revenus au suivi des patients en présentiel, alterné parfois par quelques téléconsultations. Le témoignage du néphrologue se termine par une question aux chercheurs de cette table ronde (Congrès SFSD 2020) : pourquoi existe-t-il une résistance à la généralisation de la téléconsultation ?
Le point de vue du chercheur en sciences sociales.
D'emblée, le sociologue affirme que les recherches en sciences sociales sur les dispositifs numériques, en particulier sur la télémédecine, font largement écho aux constatations faites (par le médecin), les médecins s'interrogeant plus que jamais, après l'expérience de la pandémie, sur les usages de la télémédecine et notamment de la téléconsultation. Selon ce chercheur, l'explosion des téléconsultations pendant les confinements ne constitue pas une pratique légitime aux yeux des professionnels concernés, et d'ajouter que très peu de formations lui sont consacrées et que nombre de praticiens demeurent faiblement informés à propos des dispositifs et de leur fonctionnement, mais aussi concernant leur modalités d'usage et leurs effets à l'occasion de leur intégration dans les parcours de soins.
Le sociologue développe ensuite une analyse à partir des recherches qu'il a effectuées. Nous engageons le lecteur à les découvrir (lien ci-dessus), car il existe en France peu de chercheurs en sciences sociales qui s'intéressent aux pratiques de la télémédecine. Nous avons sur ce site commenté son livre, très exhaustif sur le sujet. (https://www.telemedaction.org/449684373)
Nous retiendrons le passage où le chercheur souhaite "tordre le cou" à quelques idées reçues. Pour lui, ce ne sont pas les dispositifs de télémédecine qui seraient "humanisants" ou "deshumanisants", mais plutôt les "contextes organisationnels". Sans en prononcer les termes, le chercheur rappelle l'importance de l'échange non-verbal et de l'environnement pour capter les émotions de la personne en téléconsultation (https://www.telemedaction.org/page:D1462A49-B851-484F-8D4D-2F036A3ABDD9"padding: 0px; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; font-weight: normal; font-style: italic; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">la position manichéenne du tout ou rien, le sociologue est en phase, sans les nommer, avec les recommandations de la HAS d'alterner les téléconsultations et les consultations en présentiel dans le parcours de soins des patients, en particulier de ceux atteints de maladies chroniques.
Le point de vue de la chercheuse en psychopathologie et psychanalyse
Le point de vue de la chercheuse en droit et éthique de la santé numérique
COMMENTAIRES. Ces regards croisés de chercheurs avec un médecin concernent trois domaines : les sciences sociales, la psychopathologie, le droit et l'éthique de la santé. Leurs points de vue sont des axes de recherche qui peuvent améliorer les pratiques de télésanté et les faire rejoindre les pratiques normales de la médecine. Il a toujours été rappelé que les pratiques à distance, notamment de la téléconsultation, devaient se rapprocher de la qualité humaine des pratiques en présentiel (https://www.telemedaction.org/page:D1462A49-B851-484F-8D4D-2F036A3ABDD9"textnormal" style="text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;">Le débat est parti de l'expérience d'un médecin spécialiste qui a connu les pratiques "exclusives" de la téléconsultation pendant les confinements de 2020 et qui, suite à cette expérience, s'interroge sur les résistances de ses collègues à poursuivre la téléconsultation à la fin de la pandémie, voire à la généraliser. Mais pourquoi donc vouloir généraliser la téléconsultation ? Il a toujours été dit que la téléconsultation ne devait pas se substituer aux consultations en présentiel, mais en être un complément, qu'elles devaient recevoir le consentement préalable des patients après les avoir informés des bénéfices et des risques et que cette nouvelle pratique à distance devait être jugée pertinente par le médecin traitant grâce à une relation de confiance avec son patient. Il ne fallait pas partir de la substitution totale qui a caractérisé la période de confinement pour réfléchir à la "généralisation" de la téléconsultation, mais plutôt s'appuyer sur les recommandations de la HAS de mai 2019 pour débattre de la position de cette pratique dans le parcours de soin.
Tous les pays qui ont connu la pandémie ont fait le même constat : cette substitution totale de la consultation médicale par la téléconsultation pendant les confinements a posé
des problèmes technologiques (de connexion et d'outils) et créé des insatisfactions tant chez les médecins que chez les patients (https://www.telemedaction.org/452664440). Les
instituts universitaires et les sociétés médicales savantes de ces pays travaillent aujourd'hui sur la manière d'améliorer les pratiques professionnelles à distance (https://www.telemedaction.org/page:D1462A49-B851-484F-8D4D-2F036A3ABDD9"padding: 0px; text-align: justify; color: rgb(153, 51, 102); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; font-weight: bold; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(153, 51, 102); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">). Les
usages du téléphone et des solutions de videotransmission "grand public" des GAFAM ont été à l'origine de fuites massives de données de santé vers les data centers californiens.
Les remarques faites par les chercheurs en sciences sociales et en psychopathologie s'inscrivent dans les recherches en cours au niveau international, en particulier l'importance de l'environnement et l'intérêt des outils de video présence en téléconsultation (https://www.telemedaction.org/450415051), ainsi que la place des objets connectés dans l'examen clinique virtuel. L'usage de la téléconsultation n'a pas à être généralisé car elle ne répond pas toujours aux attentes des patients (https://www.telemedaction.org/450618190). Elle est un moyen, parmi d'autres, d'améliorer le parcours de soins des patients à qui elle doit être destinée en priorité : les patients fragiles, handicapés, isolés, porteurs de maladies chroniques du vieillissement. Plus que la téléconsultation "solo" qui intéresse la jeune génération et qui est considérée comme non-inférieure à la consultation en présentiel (https://www.telemedaction.org/452531961), c'est la téléconsultation assistée par un professionnel de santé pour les personnes âgées qui peut améliorer l'accès aux soins de ces populations fragiles (https://www.telemedaction.org/452702488).
On sait aujourd'hui (https://www.telemedaction.org/page:2DE8DFCC-1F1F-418A-8AB7-57A6850779DA"padding: 0px; text-align: justify; color: rgb(153, 51, 102); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; font-weight: bold; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(153, 51, 102); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">que le fameux "boom" de la téléconsultation des années 2020 (19 millions d'actes remboursés) et 2021 (16 millions d'actes) n'a profité qu'aux personnes jeunes (en télétravail le plus souvent) dont 75,8% étaient âgés de 20 à 39 ans, que nombre de ces téléconsultations ont dérivé vers des pratiques non éthiques et que les pouvoirs publics et les ordres professionnels ont réagi en instaurant un "quota" de 20% pour mieux réguler ces pratiques afin qu'elles soient conformes aux règles déontologiques et éthiques, ainsi qu'aux recommandations de la HAS (https://www.telemedaction.org/452442936).
Cette période où tous les aspects réglementaires étaient levés par la loi d'urgence sanitaire n'a pas servi l'objectif initial de la télémédecine lors de son lancement
en 2011 : améliorer le parcours de soins des personnes atteintes de maladies chroniques, souvent handicapées et isolées. Quant à l'amélioration de l'accès aux soins dans les déserts médicaux, l'échec
est évident quand on connait la prévalence de ces téléconsultations en 2020 et 2021 dans les zones en sous-densité médicale (https://www.telemedaction.org/453185455).
Le retour à une réglementation spécifique au décours de la pandémie peut-il être un frein au développement de la télésanté ? Nous ne le pensons pas, car c'est la démarche de plusieurs pays européens de mieux encadrer juridiquement les pratiques à distance au décours de la pandémie. On sait aujourd'hui que la principale cause d'un développement lent de la téléconsultation en 2019 était avant tout une maturité insuffisante de la technologie numérique, laquelle a considérablement progressé en France au cours des trois dernières années avec la prise en main "régalienne" de l'Etat (https://www.telemedaction.org/451700437).
La France a certainement besoin d'un consensus professionnel sur les pratiques de télésanté, arbitré par une autorité académique indépendante et reconnue. (https://www.telemedaction.org/450151637)(https://www.telemedaction.org/45198483). C'est aussi aux patients de préciser ce qu'ils attendent des pratiques à distance. L'Experience-Patient de la période Covid-19 devrait être mieux connue (https://www.telemedaction.org/452585514).
Il n'en demeure pas moins vrai que nous irons à moyen ou long terme vers une "normalisation" de ces pratiques spécifiques au sein de la médecine dite classique (en présentiel)
et c'est tout le mérite de la recherche française en droit et éthique de la santé de l'envisager dès à présent, comme le font aussi d'autres pays qui situent cette "normalisation" après 2030. (https://www.telemedaction.org/435763092)
29 septembre 2022