A la sortie de la pandémie Covid-19, pouvons-nous faire un état des lieux des pratiques de la téléconsultation ? (1)

Ce thème faisait partie du programme de la Journée de Consensus sur la télémédecine qui s'est tenue le 9 mars 2023 à l'Académie Nationale de Médecine. Pendant la pandémie à la Covid-19, le principal service médical rendu (SMR) aux patients par la téléconsultation fut d'assurer la continuité des soins pendant les confinements et d'éviter les contaminations infectieuses tant pour les patients que pour les professionnels médicaux. Depuis la sortie de l'état d'urgence sanitaire (31 juillet 2022), on voit se développer plusieurs formes de téléconsultation : ponctuelle, non-programmée, programmée, combinée avec les consultations en présentiel. Apportent-elles toutes le même SMR aux patients ? Respectent-elles toutes les recommandations élaborées par la HAS en mai 2019 ? La HAS doit-elle faire de nouvelles recommandations de bonnes pratiques à la sortie de la crise sanitaire ? Le quota de 20% d'activité globale en téléconsultation (et téléexpertise) par médecin, voulu par les représentants de la médecine libérale, de la CNAM et de l'Ordre national des médecins, s'applique-t-il à toutes les formes de téléconsultation ? Le référentiel éthique élaboré par la DNS à l'intention des fournisseurs de plateformes de téléconsultation immédiate ou de prise de rendez-vous s'applique-t-il à toutes les formes de téléconsultation ? Nous allons tenter de répondre à ces différentes questions dans deux billets successifs. Ce premier billet est consacré aux différentes formes de téléconsultation et au service qu'elles rendent aux citoyens.


Quelles sont les différentes formes de téléconsultation ?


La téléconsultation ponctuelle demandée par le citoyen

C'est la forme dominante aujourd'hui à la sortie de la pandémie. Alors qu'elle n'était pas reconnue comme une "bonne pratique de la médecine" avant la pandémie, considérée comme une pratique "hors sol" par l'Assurance maladie et de ce fait non remboursée (https://telemedaction.org/432098221/424171961), elle s'est imposée dans le paysage de l'accès aux soins primaires pendant la Covid-19 et est aujourd'hui plébiscitée par les jeunes adultes, principalement les femmes, vivant en zones urbaines comme l'ont révélées deux études successives : celle du journal Le Quotidien du Médecin en septembre 2022 (https://telemedaction.org/422016875/453185455) et celle de la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques) publiée en décembre 2022 (https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-12/ER1249.pdf). Pour que le remboursement par l'Assurance maladie soit poursuivi après la pandémie, les sociétés qui développent la téléconsultation ponctuelle doivent être agréées par le ministre de la Santé sur la base d'un cahier des charges qui respecte le parcours territorial des soins primaires et l'accès à l'Espace numérique santé (MES) du citoyen lorsque ce dernier télé consulte, afin que le compte-rendu de la téléconsultation soit déposé dans le DMP et accessible au médecin traitant (https://telemedaction.org/437100423/453459149).

S'agit-il davantage d'un service "social" rendu que d'un service médical ? Des études prospectives sont nécessaires pour répondre à cette question, car il existe un risque de surconsommation médicale pour des motifs autres qu'une demande de soins (certificats, renouvellement d'ordonnances, etc.), lesquels peuvent ne pas relever d'un service médical à proprement parlé. Il faut reconnaître que cette pratique de la téléconsultation ponctuelle correspond davantage à la formation des médecins urgentistes, habitués à délivrer des soins ponctuels dans les services d'urgences hospitaliers, qu'à la pratique d'un médecin généraliste "traitant" attaché au parcours de soins coordonné de ses patients. Ceci peut expliquer que le fonctionnement de nombreuses plateformes de téléconsultation ponctuelle soit assuré par des médecins urgentistes qui partagent leur temps professionnel entre l'hôpital et ces plateformes.


La téléconsultation non-programmée demandée par le patient.

Elle est par définition ponctuelle, mais le contexte est généralement différent de la forme précédente. Il s'agit d'un problème médical d'urgence non vitale, mais ressenti par le patient comme urgent à résoudre, pour lequel le médecin traitant n'est pas disponible immédiatement ou dans un délai compatible avec l'état de santé du patient, la téléconsultation débouchant alors sur une orientation dans le parcours territorial de soins, souvent sur une consultation en présentiel auprès d'un médecin du territoire dont la disponibilité a été identifiée par la plateforme du service d'accès aux soins (SAS). Le chef d'orchestre de la demande non-programmée au sein d'un territoire de santé (24h sur 24, 7 jours sur 7)  est désormais en 2023 cette plateforme SAS qui oriente le patient au sein du territoire où il vit, la plateforme disposant d'un accès à l'annuaire des professionnels de santé du territoire ainsi qu'au niveau national, d'un agrégateur de disponibilités des professionnels médicaux grâce à un interfaçage avec les logiciels de prise de rendez-vous et d'une solution pour fluidifier ces prises de rendez-vous dans un délai de 48h. C'est le médecin régulateur du SAS qui sollicite, si nécessaire, une téléconsultation ponctuelle auprès d'une société de téléconsultation, en particulier lorsque la prise de rendez-vous médical au niveau du territoire a échoué.


La téléconsultation programmée organisée par le médecin traitant.

Cette forme de téléconsultation a été quasi oubliée pendant la pandémie, alors qu'elle était la forme retenue en 2018 dans l'avenant 6 à la Convention médicale nationale (https://telemedaction.org/432098221/424171961). Le médecin traitant prenait l'initiative de proposer à son patient une téléconsultation programmée, par exemple pour commenter les résultats d'examens qui avaient été prescrits à la précédente consultation en présentiel ou pour renouveler une ordonnance chez un de ses patients atteint d'une maladie chronique. Il est vrai que cette forme de téléconsultation a eu peu de succès auprès des médecins libéraux, puisque le nombre total sur la première année (septembre 2018-fin août 2019 ne dépassait pas les 60 000 actes. Mais elle était en progression régulière chaque mois avec une perspective sur un an de 300 à 350 000 téléconsultations pour l'année 2020 (https://telemedaction.org/422016875/443481923). On était loin cependant des prévisions initiales de l'Assurance maladie (500 000 en 2019, 1 million en 2020, 1,5 millions en 2021). A partir du 20 mars 2020, date d'entrée en vigueur de l'état d'urgence sanitaire, et jusqu'au 31 juillet 2022, toutes les formes de téléconsultations qu'elles fussent ponctuelles, non-programmées ou programmées ont été prises en charge à 100% par l'Assurance maladie sur la base d'une lettre clé unique (TG), ce qui ne permettait plus de distinguer ces différentes formes. En fait, le remboursement  à 100% a été poursuivi jusqu'à la fin septembre 2022. Depuis, les règles du droit commun sont de nouveau appliquées (remboursement à 70% ou 30%)

Pour favoriser les téléconsultations programmées à la demande du médecin traitant, les représentants de la médecine libérale, avec le CNOM et l'Assurance maladie, ont demandé dans l'avenant 9 à la Convention médicale nationale que la pratique de la téléconsultation, quelle que soit sa forme, soit limitée à 20% de l'activité globale d'un médecin, qu'il soit libéral ou salarié, généraliste ou spécialiste (https://telemedaction.org/437100423/450710673). Mais une telle mesure, non fondée sur des preuves scientifiques, fut jugée trop restrictive par un grand nombre de professionnels et de responsables politiques (https://telemedaction.org/423570493/t-l-sant-dans-la-strat-gie-territoriale). Elle prend en compte essentiellement une vision médicale de la téléconsultation et non les attentes des usagers de la santé, ce qui pose la question de son fondement éthique (https://telemedaction.org/423570493/452442936). Cette question éthique nous semble d'autant plus pertinente que les preuves scientifiques internationales s'accumulent pour reconnaitre que le SMR aux patients par la téléconsultation avec videotransmission en soins primaires n'est pas inférieur à celui de la consultation en présentiel (The effectiveness of teleconsultations in primary care: systematic review. Carrillo de Albornoz S, Sia KL, Harris A. Fam Pract. 2022 Jan 19;39(1):168-182. doi: 10.1093/fampra/cmab077.PMID: 34278421).


La téléconsultation assistée et alternée avec la consultation en présentiel chez les patients handicapés ou atteints de maladies chroniques.

Cette forme de téléconsultation programmée se développe lentement depuis la fin de la pandémie dans certaines régions, car elle nécessite des organisations professionnelles innovantes (https://telemedaction.org/422021881/447931078), dont certaines ont fait l'objet d'un expérimentation art.51 de la LFSS 2018 (https://telemedaction.org/422016875/ehpad-et-t-l-consultation).

La téléconsultation assistée d'un professionnel de sante, par définition programmée par le médecin traitant ou le médecin spécialiste, permet d'apporter un réel SMR aux résidents des Ehpads et à ceux d'autres structures médico-sociales. Elle bénéficie aux patients qui ont de lourds handicaps physiques et/ou cognitifs, lesquels réduisent les possibilités d'un déplacement au cabinet médical. Cette situation de handicap majeur peut justifier des téléconsultations programmées quasi-exclusives à la condition que les échanges avec le patient par Visio soient de grande qualité et sécurisé, et qu'un professionnel de santé soit à ses côtés pour utiliser des objets connectés nécessaires à un examen clinique virtuel "augmenté" (https://telemedaction.org/432098221/453327732).

L'Insee, dans un rapport récent, précise que l'illectronisme (difficultés à naviguer seul sur le web) touche près de 20% de l'ensemble de la population française, dont 70% de celle âgée de 65 ans et plus (https://www.vie-publique.fr/en-bref/271657-fracture-numerique-lillectronisme-touche-17-de-la-population#:~:text=Ne%20pas%20avoir%20acc%C3%A8s%20%C3%A0,des%20%C3%A9tudes%20%C3)%A9conomiques%20(INSEE).

Ce handicap dans l'accès au numérique en santé a été trop longtemps sous-estimé dans les programmes nationaux ou régionaux de télémédecine et de télésoin (https://telemedaction.org/422016875/450497110). Comme cela a bien été montré dans les études rapportant l'usage de la téléconsultation pendant la pandémie (https://telemedaction.org/422016875/453185455), la population âgée touchée d'illectronisme a peu bénéficié de l'accès à des soins virtuels pendant cette période, en particulier la population âgée atteinte de maladies chroniques et vivant dans des déserts médicaux.

Cette forme de téléconsultation assistée d'un professionnel de santé (infirmier, pharmacien), alternée à des consultations présentielles, que certains appellent physidigitale, s'adresse en priorité à ces quelque 17 millions de personnes touchées d'une ou plusieurs maladies chroniques, dont près de 12 millions sont reconnues en affections de longue durée (ALD) par l'Assurance maladie. Le SMR à ces patients est démontré par de nombreuses études dans la littérature scientifique médicale. Cette forme de téléconsultation est jugée pertinente ou non par le médecin traitant en fonction de critères définis par la HAS (https://telemedaction.org/432098221/445840641). Elle nécessite une organisation professionnelle innovante impliquant en particulier les infirmiers/infirmières (IDEL, IPAL) qui organisent ces téléconsultations programmées par le médecin traitant au domicile du patient ou dans leur cabinet infirmier. Lorsque cette organisation est mise en place et acceptée par le patient au regard des bénéfices attendus, on voit mal pourquoi un médecin traitant comptabiliserait cette activité de téléconsultation programmée et assistée sur la base d'un quota qui lui serait imposé par l'Assurance maladie.


11 mai 2023


Le prochain billet traitera du SMR aux patients par ces différentes formes de téléconsultation et des aspects éthiques liés à l'offre technico-commercial qui les caractérise.





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