La nécessaire formation des professionnels de santé pour réussir la Strategie nationale e-santé 2020

Il y avait à la première réunion du Conseil stratégique du numérique en santé (CSNS) un certain parfum d'unanimité pour reconnaître que la formation des professionnels de santé, médicaux et non médicaux, devait être un des premiers axes stratégiques de cette nouvelle instance.

La Société Française de Télémédecine (SFT) a pris l'initiative en 2016 de créer un diplôme inter-universitaire (DIU) avec 6 universités françaises (Bordeaux, Montpellier, Nantes, Caen, Lille, Besançon), ouvert à tous les acteurs engagés dans les nouvelles organisations et pratiques de la télémédecine et de la santé connectée.

Nul ne conteste aujourd'hui que l'usage du numérique en santé représente une formidable opportunité de répondre aux besoins sanitaires non satisfaits, notamment  l'égalité d'accès aux soins dans les déserts médicaux, ainsi qu'aux demandes des citoyens qui s'impliquent de plus en plus dans la prévention des maladies chroniques. Cette médecine 5P du XXI ème siècle (voir sur ce site le billet "Médecine 5P" dans la rubrique "Edito de semaine")  est porteuse d'espoir d'un meilleur bien être et du "bien vieillir". Elle est également porteuse d'une meilleure prise en charge des maladies chroniques au sein d'un parcours de soin coordonné.

Former à de nouvelles pratiques au sein d'organisations innovantes

Un besoin de télémédecine pour améliorer l'accès aux soins ou leur coordination signifie que l'organisation traditionnelle sans télémédecine a du mal à y parvenir ou n' y parvient pas tout simplement.

Prenons l'exemple du patient qui présente un accident vasculaire cérébral. Le principal service médical à rendre à ces patients à la phase aiguë de l'accident neurologique est de leur permettre de bénéficier de la thrombolyse et/ou de la thrombectomie dans un délai compatible avec une réversibilité totale ou partielle de  certaines lésions cérébrales. Seul un service spécialisé en pathologie neurovasculaire (UNV) peut réaliser ces traitements. Encore faut-il que le délai d'accès à ce service spécialisé corresponde au délai de l'action thérapeutique. Plusieurs études scientifiques ont montré que lorsque la thrombolyse était réalisée dans la première heure, the golden hour, la guérison neurologique totale est obtenue dans 30% des cas. Le délai de traitement par thrombolyse est de 4h30 et par thrombectomie de 6h. Lorsqu'on s'éloigne de la "golden hour", la guérison n'est que partielle.

Dans plusieurs régions françaises existent des zones isolées où le délai d'accès à une UNV n'est même pas compatible avec le délai de réalisation de la thrombolyse, plus ou moins compatique avec le délai de la thrombectomie. Pour pallier à cette perte de chance, les pouvoirs publics ont mis en place le téléAVC, organisation de télémédecine qui permet à la personne, victime d'un AVC ischémique, de bénéficier de cette thrombolyse avant de rejoindre l'UNV.

Encore faut-il que l'organisation médicale soit performante et que certaines conditions techniques soient réalisées ( la première d'entre elles étant un réseau numérique suffisant pour réaliser le transfert des images du scanner cérébral et la consultation neurologique, préalables à la décision de faire ou non cette thrombolyse).

L'organisation est innovante pour que la réalisation du traitement thrombolytique soit la plus précoce possible après la survenue des premiers symtômes de l'AVC. Nous avons déjà abordé sur ce site cette importante question de l'organisation médicale du téléAVC (voir les billets Télémédecine (4) et Télémédecine (15) dans la rubrique Revues et Publications). Le lecteur intéressé pourra s'y référer.

Le modèle organisationnel du téléAVC est un bon modèle pour le fonctionnement des groupements hospitaliers de territoire (GHT), montrant les coopérations possibles  entre les services spécialisés de l'hôpital support et les services polyvalents des établissements parties du GHT. Le patient qui entre dans le parcours de soin gradué du territoire de santé peut relever, si nécessaire, d'une prise en charge hautement spécialisé, comme celle dispensée dans une UNV après la thrombolyse. En l'absence d'indication de soins spécialisés, le patient peut demeurer dans l'établissement partie du GHT, le plus proche de son domicile. Il peut alors bénéficier d'un suivi de soins spécialisés par téléexpertises avec les médecins du service spécialisé , voire de téléconsultations. Le modèle du téléAVC peut s'appliquer à l'ensemble des filières de soins définies dans le projet médical partagé du GHT.

Un autre exemple d'organisation innovante est celle de la téléexpertise dans la médecine de soin primaire.

La désaffection des jeunes médecins pour les soins primaires inquiète les pouvoirs publics et les élus. Nous avons analysé certaines causes dans un billet précédent, intitulé " Crise de vocation" dans la rubrique "On en parle". Pour faire simple et concret, disons qu'une grande majorité de jeunes médecins sortant de la faculté ne veulent plus exercer seuls, conscients qu'ils sont que la demande de soins a considérablement changé avec l'émergence des maladies chroniques depuis une vingtaine d'années. Ils ont raison et il est curieux que que certains élus persistent à vouloir attirer dans leurs cantons des médecins qui acceptent encore cet exercice isolé, souvent originaires de l'Est de l'Europe.

La télémédecine et la santé connectée peuvent contribuer à créer de nouveaux modèles d'exercice de la médecine de soin primaire.

Le sujet est trop vaste pour l'aborder dans ce billet, car il intègre non seulement les pratiques de télémédecine, mais également l'usage des objets connectés et bientôt de l'intelligence artificielle comme aide au diagnostic et aux décisions thérapeutiques. Faisons un focus sur la téléexpertise qui est, de notre point de vue, la pratique la plus innovante dans cette médecine 5P du XXIème siècle. Nous l'avons déjà traitée sur ce site dans plusieurs billets ( entre autres dans les rubriques "Edito de semaine" et "le pratico-pratique").

La téléexpertise nécessite une nouvelle organisation. Le médecin traitant de soin primaire est demandeur d'un avis spécialisé. le médecin spécialiste requis doit pouvoir répondre dans un délai raisonnable pour préserver la continuité des soins que le médecin généraliste doit assurer.

La forme la plus simple est celle appelée "téléexpertise non synchrone". Elle consiste à adresser au médecin expert une image (comme en dermatologie ou en radiologie) et/ou un courriel (l'équivalent de la lettre que donnerait le médecin traitant à son patient pour aller consulter en face à face ce spécialiste). Dans la convention passée entre le médecin traitant et le médecin expert, il est convenu que la réponse de médecin expert se fera au maximum dans un délai de 48h.

la forme la plus élaborée est "la téléexpertise synchrone", c'est à dire un dialogue programmé entre les deux médecins. Cette forme, la plus difficile à mettre en place, est certainement la plus riche au plan intellectuel lorsqu'on considère la fonction "apprenante" de la télémédecine.

On voit bien, que ce soit la forme asynchrone choisie par les pouvoirs publics dans l'expérimentation tarifaire art.36 LFSS 2014,( voir sur ce site les billets "C'est déverrouillé" dans la rubrique "Edito de semaine" et "programme Etapes" dans la rubrique "On en parle") ou la forme synchrone, la téléexpertise devient une pratique médicale incontournable de la médecine du XXIème siècle, puisqu'elle repose sur la nécessaire mutualisation des savoirs médicaux entre le médecin traitant, qui a la charge de coordonner les soins d'un patient dans leur globalité, et le médecin spécialiste, qui a en charge une pathologie d'organe pour laquelle ses connaissances sont naturellement supérieures à celles du médecin traitant.

C'est certainement par la qualité de ces nouvelles organisations médicales qu'on pourra évaluer à moyen terme (quelques années) un impact économique sur le panier de soins des citoyens, notamment sur la réduction des erreurs médicales, la diminution des hospitalisations et des venues aux urgences, la réduction des transports, la réduction des consultations spécialisées en face à face, etc..., ainsi qu'un impact social sur la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques. D'ou l'importance capitale de ces formations...Ne pourrait-on pas utiliser les énormes moyens financiers des OPCA pour réaliser de manière massive et rapide ces formations professionnelles ? A notre avis, la réussite du plan stratégique e-santé 2020 en dépend.

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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