Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Nous continuons la revue du développement de la télémédecine et de la santé connectée en France en 2019. Le précédent état des lieux a été publié en 2015 dans le livre qui illustre cet article. Ce troisième billet est consacré à la télépsychiatrie, la télépathologie et la télénéphrologie.
La télépsychiatrie
C'est une application très ancienne de la télémédecine. Ce fut même la première application aux USA dans les années 70 pour améliorer la santé mentale des détenus des prisons du Texas. Les psychiatres français, marqués par l'enseignement psychanalytique du Professeur Lacan (1901-81), ont refusé pendant plusieurs dizaines d'années l'usage de la télémédecine en psychiatrie.
C'est la nouvelle génération de psychiatres qui aujourd'hui commence à développer les téléconsultations de psychiatrie dans les EHPADs et les prisons. Ce sont les deux applications principales de la télépsychiatrie. Mais il faut reconnaître la rareté des travaux français sur ce sujet depuis l'article princeps publié en 2013 par l'équipe de l'Hôpital Saint-Anne de Paris.
Astruc B., Henry C., Masson M. « Intérêt de la télépsychiatrie pour la prise en charge des patients : enjeux et questions d’une pratique nouvelle ». Annales médico-psychologiques, revue psychiatrique, vol. 171, n° 2, mars 2013, p. 61-64.
Dans les EHPADs, plus de 50% des résidents ont des troubles cognitifs plus ou moins sévères et les troubles du comportement sont fréquents. Certains psychiatres acceptent de faire une téléexpertise asynchrone de ces troubles comportementaux à partir d'enregistrements video qui leurs sont adressés.
On mesure les risques éthiques d'une telle pratique. Elle ne peut exister qu'avec le consentement éclairé de la personne de confiance ou de la famille du résident sur les raisons d'une telle pratique filmée, les moyens mis en oeuvre pour assurer la confidentialité du document transmis et surtout le devenir du document lorsqu'il a été expertisé par le médecin spécialiste. Est-il détruit ? Est-il conservé ? Dans cette dernière éventualité, quelles sont les conditions d'hébergement. Toutes ces informations doivent être données avant de recevoir le consentement de la personne de confiance ou de la famille.
Certains troubles peuvent relever d'une téléexpertise synchrone, un professionnel de santé accompagnant le patient lors de cette téléexpertise synchrone. Il ne faut pas parler de téléconsultation lorsque l'état cognitif du patient ne lui permet pas de recevoir l'information et de donner un consentement éclairé.
Il existe également des téléconsultations d'évaluation de la mémoire lorsque les troubles cognitifs commencent à apparaître.
Dans les prisons, les raisons de développer la téléconsultation psychiatrique sont au moins doubles. D'une part, il existe dans le milieu carcéral une fréquence élevée de troubles psychiatriques (environ 8% de la population carcérale, soit une fréquence deux à trois fois plus élevée que dans la population générale), le taux de suicide en étant un des indicateurs extrêmes.
D'autre part, la consultation présentielle a un prix de revient très élevé à cause des moyens humains de sécurité liés à une extraction de la prison dont le coût a été évalué à plus de 800 euros par consultation réalisée à l'extérieur de la prison dans l'établissement public en charge des prisonniers. Plusieurs études ont montré que la téléconsultation psychiatrique était bien acceptée des prisonniers et qu'elle pouvait être d'aussi bonne qualité que la consultation présentielle.
D'autres indications de télépsychiatrie se développent pour le suivi de certaines maladies mentales chroniques, en alternance avec des consultations présentielles ou dans le suivi de certains handicaps mentaux comme l'autisme, en particulier chez les patients atteints du syndrome d'Asperger. Signalons également l'espoir suscité par les robots animaux pour traiter certaines crises paroxystiques de l'enfant autiste.
Enfin dans les régions isolées où l'accès physique à un médecin psychiatre est très difficile, en particulier à l'Outre-mer (forêt amazonienne guyanaise), les téléconsultations apportent indiscutablement une amélioration dans la prise en charge spécialisée des patients.
Signalons l'étude PROMETTED chez les enfants et adolescents, conduite par l'équipe française de l'Hôpital Saint-Anne de Paris :
Doyen CM, Oreve MJ, Desailly E, Goupil V, Zarca K, L'Hermitte Y, Chaste P, Bau MO, Beaujard D, Haddadi S, Bibay A, Contejean Y, Coutrot MT, Crespin L, Frioux I, Speranza M, Francois N, Kaye K. Telepsychiatry for Children and Adolescents: A Review of the PROMETTED Project. Telemed J E Health. 2018 Jan;24(1):3-10. doi: 10.1089/tmj.2017.0041. Epub 2017 Dec 11. Review.
La télépathologie
C'est également une application phare de la télémédecine. L'examen anatomopathologique à distance a permis d'améliorer le diagnostic histopathologique et par voie de conséquences les traitements. Il est aujourd'hui possible de faire un examen extemporané à distance permettant ainsi au chirurgien de mieux conduire son acte opératoire, en particulier en cas de suspicion d'une tumeur cancéreuse (voir le billet intitulé "téléoncologie" dans la rubrique "le Pratico-pratique"). Un service d'anatomopathologie peut ainsi rayonner au niveau d'une région sans obliger le pathologiste à se déplacer dans les blocs opératoires.
La télépathologie devient l'assistant de l'oncologue lorsque ce dernier est confronté à des diagnostics différentiels difficiles qui nécessites des avis de pathologistes très spécialisés dans tel ou tel cancer. La télécytopathologie se développe et permet d'avoir à distance des diagnostics de plus en plus fiables.
Rapid on-site evaluation using telecytology: A major cancer center experience. Lin O, Rudomina D, Feratovic R, Sirintrapun SJ. Diagn Cytopathol. 2019 Jan ; 47(1) :15-19. doi : 10.1002/dc.23925. Epub 2018 Mar 25.
De véritables réseaux nationaux et internationaux de télépathologie ont été créés au cours des dernières années à l'instar du réseau québécois mis en place au début des années 2010 et dont les premiers résultats ont été publiés en 2014. Il s'étend désormais à l'ensemble du Canada.
Têtu B, Perron É, Louahlia S, Paré G, Trudel MC, Meyer J.The Eastern Québec Telepathology Network: a three-year experience of clinical diagnostic services. Diagn Pathol. 2014;9 Suppl 1:S1. doi: 10.1186/1746-1596-9-S1-S1. Epub 2014 Dec 19
Pare G, Meyer J, Trudel MC, Tetu B. Impacts of a Large Decentralized Telepathology Network in Canada. Telemed J E Health. 2016 Mar;22(3):246-50. doi: 10.1089/tmj.2015.0083. Epub 2015 Aug 7.
Le Collège français des pathologistes utilise aujourd'hui son réseau de télépathologie interhospitalier et interuniversitaire à l'enseignement des étudiants en anatomopathologie.
Perron E, Battistella M, Vergier B, Fiche M, Bertheau P, Têtu B; working group of the french College of Pathologists (CoPath/CUFP). Online teaching of inflammatory skin pathology by a French-speaking International University Network. Diagn Pathol. 2014;9 Suppl 1:S5. doi: 10.1186/1746-1596-9-S1-S5. Epub 2014 Dec 19.
La télénéphrologie
Alors que l'Australie a développé la télénéphrologie depuis plus de dix ans, la France, comme d'ailleurs les Etats-Unis, a tardé à reconnaître et à financer ces nouvelles organisations médicales.
L'Assurance maladie a eu pendant plusieurs années le même raisonnement que les assureurs américains. Elle craignait une inflation des dépenses sans qu'un bénéfice médical réel soit apporté aux patients par la télémédecine, en particulier chez les patients atteints de maladies chroniques. Elle a changé d'avis en 2017-18 en lançant le programme ETAPES, persuadée qu'elle est aujourd'hui que la télésurveillance médicale au domicile de certaines maladies chroniques parvenues à un stade avancé (insuffisance cardiaque chronique, insuffisance rénale chronique dialysée ou transplanté, insuffisance respiratoire chronique assistée, diabète non équilibrée, troubles chroniques du rythme cardiaque appareillés) peut prévenir les hospitalisations coûteuses. Les résultats du programme ETAPES seront connus en septembre 2021.
Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS). ETAPES : Expérimentations de Télémédecine Pour l’Amélioration des Parcours En Santé. 12 nov. 2018. Rapport remis au Parlement. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dgos_telemedecine_etapes_rapport_parlement.pdf
Sans reprendre la mise au point faite récemment sur ce site (voir le billet "télénéphrologie" dans la rubrique "le Pratico-pratique"), nous voudrions rappeler deux importantes études françaises, controlées et randomisées, en cours de réalisation, qui permettront de valider de nouvelles organisations de télénéphrologie dans le parcours de soins des patients atteints d'une maladie rénale chronique (MRC).
L’étude eNEPHRO est une étude randomisée et contrôlée comparant la prise en charge des patients atteints de MRC par télésurveillance médicale à domicile ou dans des substituts avec la prise en charge habituelle sans télémédecine. Trois populations de patients sont distinguées : les patients avec un stade 3B-4 de MRC (n = 320) ; les patients au stade 5 de MRC traités par dialyse (dialyse péritonéale et hémodialyse périodique) (n = 260) ; et des patients de stade 5 de MRC traités par transplantation rénale (n = 260). Il s’agit d’une étude multicentrique avec 5 hôpitaux (3 CHU et 2 hôpitaux non universitaires) et 3 établissements privés de dialyse non lucratifs. Les patients sont répartis dans trois régions sanitaires françaises (Hauts de France, Grand Est, Grande Aquitaine). L’inclusion des patients a débuté en décembre 2015 et se termine le 30 juin 2019. Les paramètres étudiés sont cliniques, biologiques, sociaux et économiques. Le modèle eNEPHRO a la particularité d’étudier le parcours de soins des patients à tous les stades évolutifs de la MRC. Les auteurs émettent l’hypothèse que la télésurveillance médicale des patients aux différents stades évolutifs de la MRC permettra de mieux contrôler les paramètres cliniques et biologiques et de réduire ainsi les consultations en urgence et les hospitalisations. Les résultats sont attendus fin 2019-début 2020.
Thilly N, Chanliau J, Frimat L, Combe C, Merville P, Chauveau P, Bataille P, Azar R, Laplaud D, Noël C, Kessler M. Cost-effectiveness of home telemonitoring in chronic kidney disease patients at different stages by a pragmatic randomized controlled trial (eNephro): rationale and study design. BMC Nephrol. 2017 Apr 5;18(1):126. doi: 10.1186/s12882-017-0529-2.
L'étude TELEGRAFT est une étude de phase IV, ouverte, randomisée, multicentrique et prospective. 250 patients sont tirés et intégrés dans l’un des deux bras suivants : un bras où les patients sont pris en charge par télémédecine (téléconsultation au domicile), un bras contrôle qui bénéficie seulement des consultations hospitalières. Les patients inclus sont classés avec un indicateur de risque (KTFS) d’une perte ou non du greffon dans un délai de 8 ans. Les patients classés à faible risque (KTFS ≤ 4,17) ont 4 consultations à l’hôpital chaque année, les patients à haut risque ont 6 consultations hospitalières par an. Dans le groupe télémédecine, les patients à faible risque ont trois téléconsultations et une consultation à l’hôpital, les patients à haut risque ont 6 consultations hospitalières et 6 téléconsultations. L’adhésion ou non des patients greffés à une téléconsultation à domicile a été évaluée dans une thèse avec la méthode des choix discrets. Les patients greffés avaient une préférence pour le suivi par téléconsultation à domicile. Houdard-Brunet S. Le suivi des patients greffés rénaux par télémédecine : étude de leurs préférences individuelles par la méthode des choix discrets [thèse]. Nantes : université de Nantes ; 2014.
L’étude TELEGRAFT vise à évaluer l’impact de la téléconsultation comme moyen d’intensifier le suivi des patients à haut risque de rejet de leur greffon avant 8 ans, en réduisant le nombre de consultations hospitalières et les coûts engendrés par les déplacements et les pertes de journée de travail. Les résultats de l'étude seront connus en 2020.
Foucher Y, Meurette A, Daguin P, Bonnaud-Antignac A, Hardouin JB, Chailan S, Neau K, Papuchon E, Gaboriau S, Legendre C, Morélon E, Tessier P, Giral M. A personalized follow-up of kidney transplant recipients using video conferencing based on a 1-year scoring system predictive of long term graft failure (TELEGRAFT study): protocol for a randomized controlled trial. BMC Nephrol. 2015 Jan 28 ;16 :6. doi: 10.1186/1471-2369-16-6.
Le prochain billet (4/6) sera consacré à la télégériatrie.
15 mai 2019