Quel avenir de la téléconsultation ponctuelle en télécabine après l'échec de H4D ?

Alors que le pionnier de la téléconsultation en télécabine en France vient d'être mis en liquidation judiciaire fin septembre (https://www.usine-digitale.fr/article/sante-connectee-en-liquidation-judiciaire-la-start-up-h4d-ferme-ses-cabines-de-teleconsultation.N2220269), ne devrions-nous pas nous interroger sur les raisons de l'échec d'une solution qui avait été adoptée et soutenue par les pouvoirs publics au plus haut niveau et par les élus des collectivités locales, notamment les maires ruraux, qui trouvaient dans cette solution technologique une réponse aux déserts médicaux de leurs communes ou départements ?

S'agirait-il d'une erreur d'usage ou simplement d'un modèle organisationnel et économique qui a failli ? Il nous paraît important d'en parler sur ce blog dédié à la télémédecine, afin d'en tirer les leçons éventuelles. Nous invitons le lecteur à lire ou relire le billet que nous avions déjà rédigé sur cette question le 29 octobre 2021 avec le titre : "les cabines de télémédecine ont-elles un avenir dans l'écosystème français de la télésanté ? " (https://telemedaction.org/422016875/450893471)


La téléconsultation clinique en cabine : l'aboutissement d'une démarche R&D de 8 années.


Créée en 2008 par un médecin généraliste, le Dr Franck Baudino, la société H4D (Health for Development) a conduit une démarche R&D pendant environ 8 ans avant d'installer ses premières télécabines au sein d'entreprises (https://www.leparisien.fr/vie-de-bureau/des-cabines-de-teleconsultation-arrivent-en-entreprise-04-10-2021-SIWWB223INA4LFCOXEG5LQXBZA.php)(https://www.infoprotection.fr/une-cabine-de-teleconsultation-medicale-connectee-pour-les-salaries-dey/)(https://axalive.fr/article/axa-cabine-teleconsultation-h4d) ou de mairies (https://www.ville-cormeilles95.fr/cabine-de-teleconsultation/#:~:text=Une%20cabine%20de%20t%C3%A9l%C3%A9consultation%20m%C3%A9dicale,d'ouverture%20de%20la%20mairie.)(https://www.amrf.fr/2021/10/28/installation-dune-cabine-de-telemedecine-le-favril-28/?cn-reloaded=1)(https://www.villejust.fr/ville-pratique/centre-communal-daction-sociale-2/cabine-de-teleconsultation-2/)(https://www.leparisien.fr/val-d-oise-95/sans-medecin-depuis-2020-fontenay-en-parisis-installe-une-cabine-de-teleconsultation-dans-la-mairie-16-01-2024-ADL3QWSSNJAIPJ57UTETSKY444.php)(https://www.yvelines.fr/solidarite/sante/la-telemedecine-dans-les-yvelines/).

Il faut reconnaître que l'inventeur de la télécabine H4D  a toujours eu le souci de réaliser une téléconsultation clinique qui se rapproche le plus possible de la consultation présentielle en cabinet médical. Avec la multitude des dispositifs médicaux (DM) qui la composait, cette cabine était capable, selon son inventeur, de réaliser près de "80% des conditions cliniques d'une consultation en présentiel" (https://video.lefigaro.fr/figaro/video/voici-la-telecabine-de-consultation-medicale-a-distance/5732544180001/)(https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-zoom-de-la-redaction/soigner-autrement-1-5-la-cabine-de-consultation-a-distance-6291627).

Cette cabine H4D fut considérée dans l'écosystème de la télésanté comme une véritable "Roll-Royce" des cabines par son équipement sophistiqué, responsable d'un coût d'acquisition élevé (près de 100 000 euros). Les autres télécabines et bornes, qui ont proliféré dans les officines après la pandémie Covid, sont moins bien équipés avec seulement 6 DM (ceux recommandés par l'Assurance Maladie) et ont surtout un prix d'acquisition 3 à 4 fois moindre que la télécabine H4D. Avec un remboursement de la téléconsultation au même prix qu'une consultation en présentiel, le modèle économique pour ces télécabines est en fait difficile à trouver.


Un nombre important de télécabines installé en France.

Pres de 200 télécabines H4D ont été installées en métropole, généralement  dans des lieux gérés par les collectivités locales (les mairies) ou dans les entreprises, à un prix de location mensuel de 2500 €.

Plus de 3000 télécabines et bornes ont été installées dans les officines par d'autres sociétés de télécabines avec un coût de location d'environ 500 €/mois et une aide de l'Assurance maladie à l'installation dans les officines de 1250 € la première année, et de 750 € les années suivantes, cette aide financière couvrant les frais de location quasi totalement pour les télécabines et bornes installées dans les officines.

En juin 2020, portée par ses succès indiscutables auprès des maires ruraux de France (AMRF), la société H4D parvenait à lever 15 millions d'euros de fonds auprès d'investisseurs nationaux et internationaux qui étaient convaincus du fort potentiel de croissance de la télémédecine clinique en télécabine au sein des zones de désertification médicale (https://presse.bpifrance.fr/h4d-la-start-up-francaise-de-telemedecine-leve-15-millions-deuros-pour-revolutionner-lacces-aux-soins).

En octobre 2022, le journal Le Monde publiait un article dont le titre était évocateur de la fragilité du service : "les cabines de téléconsultation médicale, une nouveauté au succès incertain" (https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/21/les-cabines-de-teleconsultation-medicale-une-nouveaute-au-succes-incertain_6146734_3234.html).


Une volonté des pouvoirs publics de mieux encadrer les sociétés de téléconsultation dans la LFSS 2023.


Alors que les téléconsultations bénéficiaient d'une prise en charge à 100% pendant la période d'urgence sanitaire liée à la pandémie Covid-19, à partir du 1er septembre 2022 le remboursement retournait dans le droit commun de la sécurité sociale avec un remboursement de la téléconsultation à 70%, 30% étant à la charge des complémentaires santé ou du patient s'il n'avait pas de complémentaire (5% de la population).

Dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 (LFSS 2023), les pouvoirs publics mettaient en place un cadre juridique pour les sociétés de téléconsultation, leur permettant d'obtenir un agrément ministériel pour que les téléconsultations qu'ils réalisaient soient remboursées par l'Assurance maladie (https://telemedaction.org/437100423/453459149). Par cette démarche, les pouvoirs publics entendaient mettre un terme au "Far West" de la téléconsultation constaté au décours de la pandémie et dénoncé par l'Assurance maladie (https://telemedaction.org/423570493/le-far-west-de-la-t-l-consultation), mais également par les patients qui exprimaient leurs désaccords avec certaines pratiques dérivantes  dans  un manifeste de France Assos Santé (https://telemedaction.org/423570493/un-coup-de-gueule-salutaire).

Parmi les plus fidèles soutiens de la société H4D chez les maires de France depuis 2019 (https://www.villes-internet.net/site/entretien-exclusif-avec-john-billard-maire-du-favril-eure-et-loire-premier-village-francais-a-installer-une-cabine-de-telemedecine), le maire de Le Favril, commune de 350 habitants en Eure et Loire qui fut la première à avoir une télécabine H4D dans sa mairie, commentait le 9 octobre 2024 sur une chaine régionale de radio la fermeture de sa télécabine en juin 2024. Il dénonçait une "dégradation du service d'assistance technique dans les années qui ont suivi l'installation", ainsi qu'une financiarisation excessive avec " une voracité des opérateurs à la recherche d’une rentabilité optimum pour leurs investisseurs" (https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/eure-et-loir/desert-medical-la-premiere-cabine-de-teleconsultation-en-france-ferme-raisons-et-enjeux-3043444.html).


Les leçons que nous pouvons tirer de cet échec.


S'agit-il d'une erreur d'usage ?

A priori non, puisque de nombreux élus locaux et maires ruraux ont témoigné de la satisfaction de leurs administrés de pouvoir disposer d'une téléconsultation de qualité dans des zones rurales où l'accès à un médecin généraliste de soin primaire était difficile à cause d'un cabinet trop éloigné du domicile, d'un transport difficile à trouver pour s'y rendre et de délais de rendez-vous de plusieurs jours pour des affections aiguës. Le service rendu à la population était indéniable.

De même, installer une télécabine au sein de grandes entreprises permettaient aux salariés d'accéder à une téléconsultation pour une affection aiguë bénigne, cette offre de service en entreprise pouvant avoir un impact positif sur le taux d'absentéisme des salariés. Le service rendu à l'entreprise pouvait être mesuré.

Cependant, les recommandations de la HAS en date du 6 mars 2024 concernant les lieux et conditions d'environnement pour la réalisation d'une téléconsultation ou d'un télésoin (https://www.has-sante.fr/jcms/p_3445779/fr/lieux-et-conditions-d-environnement-pour-la-realisation-d-une-teleconsultation-ou-d-un-telesoin-recommandations) ont pu précipiter le dépôt de bilan de la société H4D.

Que disent ces recommandations qui engagent la responsabilité de l'opérateur (soft-law) :

Le déploiement de toute activité de téléconsultation ou de télésoin doit être conduit de manière à :

  • assurer la qualité, la continuité et la sécurité des soins;
  • favoriser l’accès aux soins, en proposant une offre de soins complémentaire de l’offre de soins en présentiel;
  • préserver l’offre de soins en présentiel;
  • éviter toute dérive commerciale.

En s’appuyant sur ces quatre grandes lignes directrices, la HAS émet trois recommandations spécifiques :

  1. Le lieu d’implantation d’un équipement de téléconsultation ou de télésoin doit garantir l’accessibilité, la qualité et la sécurité des soins.
  2. L’exploitant doit assurer le bon fonctionnement de l’équipement de télésanté.
  3. Une personne responsable de l’équipement de télésanté doit être présente sur place.

Comme cela a été rapporté ci-dessus par le maire de Le Favril, fervent défenseur de la solution H4D en 2019 au nom de l'Association des Maires Ruraux de France (AMRF), la société exploitante avait du mal à assurer la maintenance de toutes les télécabines installées dans les mairies et une personne responsable de l'équipement était rarement présente au niveau de certains sites.


S'agit-il d'un modèle organisationnel et économique qui a failli ?

C'est probablement la principale cause du dépôt de bilan de la start-up à la fin septembre 2024 et c'est le maire de Le Favril qui de nouveau en donne les éléments probants lorsqu'il dénonce après la fermeture de sa télécabine en juin 2024 "une dégradation du service d'assistance technique dans les années qui ont suivi l'installation", et une trop importante financiarisation du service offert aux populations résumée dans le constat fait par l'édile de Le Favril dénonçant un modèle dégradé au détriment de l'intérêt général et la pression des opérateurs à la recherche d'une rentabilité optimale pour les investisseurs, notamment la dizaine d'investisseurs nationaux et internationaux qui a permis en juin 2020 un levée de fonds de 15 millions d'euros en faveur de la start-up. Le maire de Le Favril illustre bien cette financiarisation excessive : "La téléconsultation dans notre commune durait en moyenne 20 minutes contre cinq minutes pour certains consultants à distance".


Conclusions. 


Quelles leçons tirer de cet échec pour l'avenir de la téléconsultation en cabine ou borne ?

Tout d'abord, une solution technologique de grande qualité mais probablement trop ambitieuse qui était interprétée par de nombreux médecins libéraux comme une volonté de "remplacer" un médecin par une télécabine. La téléconsultation ne doit pas remplacer un médecin, mais doit être un moyen, avec d'autres pratiques de télésanté, d'alterner des soins distanciels et des soins présentiels dans un parcours de soins hybride (https://telemedaction.org/422021881/m-decine-hybride-au-21-me-si-cle).

Ensuite, l'organisation du service n'intégrait pas l'assistance d'un professionnel de santé, comme un infirmier ou un pharmacien, nécessaire chez les personnes âgées en situation d'illectronisme dont le nombre était certainement majoritaire en zone rurale. Il aurait fallu installer ces télécabines, non pas dans une mairie, mais dans un cabinet infirmier ou une officine pour assurer l'environnement nécessaire d'un professionnel de santé pour de nombreuses téléconsultations, et également pour assurer l'hygiène de l'intérieur de la télécabine en période d'épidémie virale.

Enfin, le coût très élevé de cette solution technologique conduisait à un modèle économique fondé sur une rentabilité excessive pour pouvoir financer les investisseurs de juin 2020, entraînant in fine ce service médical aux patients dans une dérive commerciale.  La téléconsultation en cabine ou sur borne ne doit pas concurrencer des organisations régionales de télémédecine qui marchent, les ARS ayant désormais la mission de réguler leurs installations au sein des territoires avec l'accord des instances représentatives de la profession médicale.


14 octobre 2024