Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Après avoir lancé ce sujet par une communication sur la télé-réadaptation fonctionnelle dans le post-AVC (voir sur ce site le billet "Télémédecine (33) dans la rubrique "Revue et publications), nous abordons dans ce nouveau billet une approche plus large de mise en oeuvre de la réadaptation fonctionnelle à distance, au domicile en particulier, en se référant à plusieurs publications récentes touchant à la télé-réadaptation fonctionnelle cardiaque, la télé-réadaptation respiratoire chez les patients atteints de maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC), ainsi que la télé-réadaptation fonctionnelle après chirurgie ambulatoire orthopédique. La plupart des études publiées montrent la non-infériorité de la télé-réadaptation au domicile par rapport à la réadaptation en centre.
Ce sujet suscite indiscutablement un intérêt récent et un débat en France puisque la réadaptation fonctionnelle implique des professions d'auxilliaires médicaux, telles que les masseurs kinésithérapeutes et les orthophonistes (pour le post-AVC), qui ont désormais la possibilité légale d'exercer leur métier à distance par télésoin (voir les billets sur "Télésoin Pharma" et Télésoin infirmier" dans la rubrique "On en parle" et le billet "Télésoin/TLM" dans la rubrique "Droit de la santé").
La télé-réadaptation fonctionnelle pour les patients bénéficiant d'une chirurgie ambulatoire
L'exemple de l'arthroplastie totale de hanche en ambulatoire
Nelson M, Bourke M, Crossley K, Russell T. Telerehabilitation is non-inferior to usual care following total hip replacement - a randomized controlled non-inferiority trial. Physiotherapy. 2019 Jun 25;107:19-27. doi: 10.1016/j.physio.2019.06.006
L'étude, conduite à l'hôpital QEII Jubilee de Brisbane en Australie, visait à déterminer si les soins ambulatoires de physiothérapie par télé réadaptation fonctionnelle étaient aussi efficaces que les soins de physiothérapie en présentiel (centre) après une arthroplastie totale de la hanche. Soixante-dix patients ayant subi cette intervention en chirurgie ambulatoire étaient recrutés. Cette étude de non-infériorité était contrôlée, randomisée, en simple aveugle.
Un groupe témoin (n=35; âge moyen 67 ans; 60% de femmes) qui recevait une physiothérapie ambulatoire en présentiel et un programme d'exercices à domicile était comparée à un groupe d'intervention ( n=35; âge moyen 62 ans; 66% de femmes) qui recevait une télé réadaptation à domicile et un programme d'exercices à l'aide d'une application iPad. Le principal objectif était d’évaluer la qualité de vie liée à l'incapacité de la hanche avec un score mesuré six semaines après l'opération. Les objectifs secondaires comprenaient l’évaluation de la force musculaire et de l’équilibre, la satisfaction autodéclarée et la compliance au programme d'exercices à domicile.
Aucune différence entre les deux groupes n'était retrouvée, tant pour la qualité de vie due au handicap de la hanche ( p = 0,970) que pour la force, l'équilibre et la satisfaction autodéclarée. La satisfaction globale était élevée dans les deux groupes.
La conclusion des auteurs était que les programmes de télé réadaptation fonctionnelle à domicile peuvent être dispensés aux patients après une arthroplastie totale de la hanche. La technologie était facilement accessible tout en maintenant un niveau de satisfaction élevé. Plus important encore, les patients de télé réadaptation fonctionnelle obtiennent des résultats physiques et fonctionnels non inférieurs à ceux qui reçoivent des programmes de réadaptation en présentiel.
Comme la réadaptation fonctionnelle après chirurgie orthopédique ambulatoire est réalisée par une équipe pluridisciplinaire associant médecin rééducateur et masseur kinésithérapeute, ces professionnels de santé peuvent pratiquer cette réadaptation par télémédecine et par télésoin dans le cadre d'un programme adapté aux profils des patients. Il ne s'agit pas de substituer la télé-réadaptation à l'exercice en présentiel pour tous les patients, mais de considérer cette solution organisationnelle comme un nouveau moyen venant compléter la prise en charge en présentiel.
La télé-réadaptation respiratoire pour les patients atteints de maladies respiratoires chroniques
L'exemple des patients atteints de maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC)
Vasilopoulou M, Papaioannou AI, Kaltsakas G, Louvaris Z, Chynkiamis N, Spetsioti S, Kortianou E. Genimata SA, Palamidas A, Kostikas K, Koulouris NG, Vogiatzis I. Home-based maintenance tele-rehabilitation reduces the risk for acute exacerbations of COPD, hospitalisations and emergency department visits. Eur Respir J. 2017 May 25;49(5). pii: 1602129. doi: 10.1183/13993003.02129-2016. Print 2017 May.
Les auteurs partent du constat que la réadaptation respiratoire reste largement sous-utilisée chez les patients atteints de MPOC. Ils ont cherché à savoir si la télé-réadaptation respiratoire d'entretien à domicile serait aussi efficace que la réadaptation d'entretien en milieu hospitalier et supérieure aux soins habituels, pour réduire le risque d'exacerbations de la MPOC, génératrices d'hospitalisations et de visites aux urgences.
À l'issue d'un premier programme de 2 mois (preuve du concept), cet essai prospectif contrôlé randomisé (entre décembre 2013 et juillet 2015) a comparé 12 mois de télé-réadaptation respiratoire à domicile (n = 47) à 12 mois d'hospitalisation ambulatoire, pour une réhabilitation d'entretien (n = 50) et à 12 mois de soins habituels (n = 50) sans programme de réadaptation
Dans une analyse multivariée au cours du suivi de 12 mois, la télé-réadaptation respiratoire à domicile et celle réalisée en hôpital de jour sont restées des prédicteurs indépendants d'un risque plus faible de 1) la survenue d’exacerbations aiguës de la MPOC (taux d'incidence (TRI) 0,517, IC à 95% 0,389-0,687 et TRI 0,635, IC 95% 0,473-0,853), respectivement, et 2) d’hospitalisations pour exacerbations aiguës de MPOC (TRI 0,189, IC 95% 0,100-0,358 et TRI 0,375, IC 95% 0,207-0,681), respectivement . Cependant, seule la télé-réadaptation d'entretien à domicile et non celle réalisée en hôpital de jour était un prédicteur indépendant des venues aux services d'urgences (IRR 0,116, IC à 95% 0,072–0,185).
La télé-réadaptation respiratoire d'entretien à domicile n’est pas inférieure à la réadaptation d'entretien en hôpital de jour pour réduire le risque d'exacerbations aiguës de la MPOC et d'hospitalisations. En revanche, la télé-réadaptation respiratoire à domicile présente un risque moindre de venue au service d'urgence. La télé-réadaptation respiratoire à domicile constitue une stratégie alternative aussi efficace que la réadaptation respiratoire d’entretien en hôpital de jour.
Là encore, cette solution de prise en charge à distance, non-inférieure à la solution habituelle en centre de réadaptation ou au cabinet de kinésithérapie, est un moyen nouveau qui permet au médecin pneumologue et au masseur kinésithérapeute d'intervenir à distance par télémédecine et télésoin. Le programme de télé réadaptation respiratoire doit bien évidemment être validé préalablement.
La télé-réadaptation cardiaque pour les patients atteints de maladies cardiovasculaires.
Un "State of the Art" récemment publié par les sociétés savantes américaines de cardiologie.
Thomas RJ, Beatty AL, Beckie TM, Brewer LC, Brown TM, Forman DE, Franklin BA, Keteyian SJ, Kitzman DW, Regensteiner JG, Sanderson BK, Whooley MA. Home-Based Cardiac Rehabilitation: A Scientific Statement From the American Association of Cardiovascular and Pulmonary Rehabilitation, the American Heart Association, and the American College of Cardiology. J Am Coll Cardiol. 2019 Jul 9;74(1):133-153. doi: 10.1016/j.jacc.2019.03.008. Epub 2019 May 13.
L' American Heart Association, l' Américan College of Cardiology et l' Américan Association of Cardiovascular and Pulmonary Rehabilitation, ces trois sociétés médicales savantes américaines de cardiologie ont simultanément publié dans leurs journaux scientifiques respectif cet état de l'art de la réadaptation cardiaque, en abordant en particulier le Home-Based Cardiac Rehabilitation (HBCR) que nous traduisons ici comme "télé-réadaptation cardiaque à domicile".
Les auteurs rappellent tout d'abord que la réadaptation cardiaque (CR) est une intervention qui repose sur des preuves scientifiques montrant que l’éducation des patients, la modification de leur comportement en santé et la formation à l’exercice physique contribuent à améliorer les résultats de prévention chez les patients qui présentent une maladie cardio-vasculaire. Il est ainsi démontré que les programmes de CR réduisent les taux de morbidité et de mortalité chez les adultes qui ont une maladie cardiaque ischémique, qui ont eu un arrêt cardiaque ou qui ont subi une chirurgie cardiaque. Cependant les auteurs constatent que la CR est insuffisamment utilisée, concernant seulement une minorité des patients éligibles aux Etats-Unis.
A la suite de ce constat, les auteurs pensent que de nouvelles stratégies de prise en charge en réadaptation cardiaque doivent être mises en place rapidement afin qu’un nombre plus important de patients atteints de maladies cardiovasculaires puisse bénéficier d'une réadaptation cardiaque. Une stratégie d’avenir, selon eux, serait la télé-réadaptation cardiaque à domicile (Home-based cardiac rehabilitation ou HBCR). Contrairement à l’offre de réadaptation dans un centre, généralement implanté dans un établissement de santé avec des professionnels qui interviennent en présentiel, l’HBCR s’appuie sur le principe du coaching à distance avec une supervision indirecte des exercices de rééducation cardiaque prescrits.
Bien que l’HBCR ait été déployé avec succès au Royaume-Uni, au Canada et dans d’autres pays européens ou du Moyen-Orient, la plupart des établissements de soins aux États-Unis ont peu ou pas du tout d’expérience de tels programmes de télé-réadaptation cardiaque à domicile. Les sociétés savantes américaines de cardiologie partenaires dans ce travail souhaitent clarifier les composants de base du HBCR, son efficacité réelle, ses bénéfices et ses risques, ainsi que les lacunes actuelles en matière de preuves scientifiques sur la non-infériorité du HBCR par rapport par rapport à la réadaptation cardiaque en centre.
Les 24 essais contrôlés et randomisés retenus par les auteurs du rapport remontent aux dix dernières années. Ils sont considérés comme apportant des preuves de niveau moyen ou faible en faveur de la non-infériorité de l’HBCR par rapport à la réadaptation cardiaque. Plusieurs raisons sont invoquées, parmi lesquelles des délais d’étude de 3 à 12 mois non comparables, des profils de patients atteints de maladies cardiovasculaires non homogènes, en particulier chez ceux atteints d'une maladie coronaire.
Et de conclure que si le HBCR semble prometteur pour élargir les indication de la réadaptation cardiaque à un plus grand nombre de patients, d’autres essais sont cependant nécessaires pour clarifier, renforcer et étendre la base des données probantes sur ce mode de prise en charge à des sous-groupes de patients : les personnes âgées, les femmes souvent sous-représentées dans les essais précédents, ainsi que d’autres sous-groupes de patients à risque cardiovasculaire élevé et généralement sous-étudiés. En attendant, le groupe d’expert de ces trois sociétés savantes américaines concluent que le HBCR peut être une option raisonnable pour les patients cliniquement stables, à risque cardiovasculaire faible ou modéré, qui sont éligibles à la réadaptation cardiaque en centre, mais qui ne peuvent pas y être pris par manque de place dans ces centres.
La position des cardiologues français à travers le GERS (Groupe Exercice Réadaptation Sport et Prévention) de la Société Française de Cardiologie.
Le GERS souligne intérêt de vérifier sur le terrain la faisabilité d’une télé-réadaptation cardiaque « hors-les-murs », destinée aux patients coronariens à faible risque (selon le RARE score). En l’état actuel des moyens en France, 70% des patients coronariens éligibles à une procédure de réadaptation cardiaque n’en bénéficieront pas en raison du manque de place en centre spécialisé, qu’il s’agisse d’une procédure en hospitalisation ou en ambulatoire. Et c’est particulièrement vrai pour les coronariens à faible risque de complication lors du réentrainement. Or, on sait que si le risque de complication à court terme n’est pas élevé, le pronostic cardiovasculaire à moyen et long terme est mauvais avec un fort risque de récidive d’accident cardiovasculaire chez les patients athéromateux, en l'absence de réadaptation cardiaque.
La réadaptation cardiaque a démontré son efficacité en termes de réduction de morbi-mortalité dans l’athérome coronaire en complément d’un traitement médical optimal. L’objectif est donc de développer la télé-réadaptation cardiaque dans cette population. L'intérêt médico-économique est évident car la télé-réadaptation cardiaque est d'un coût moindre à efficacité égale à réadaptation cardiaque en centre. Plusieurs expérimentations françaises sont en cours dans le cadre de l'article 51 de la LFSS 2018. Ces études intègrent des pratiques de télémédecine et de télésoin.
22 février 2020