Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Notre système de santé est en pleine transformation avec la montée en puissance des maladies chroniques dues au vieillissement et à l'allongement de l'espérance de vie. En France, la transition épidémiologique, c'est à dire lorsque le nombre de patients atteints de maladies chroniques devient supérieur à celui des patients atteints de maladies aiguës, est intervenue dans le milieu des années 80.
L'allongement de l'espérance de vie concerne désormais tous les continents comme l'illustre l'image de ce billet. La population âgée de 65 ans et plus doublera, voire triplera, entre 2000 et 2050 sur tous les continents. Avec plus d'un milliard de personnes âgées de 65 ans et plus en 2050, les systèmes de santé mis en place au XXème siècle pour répondre aux maladies aiguës ne sont plus adaptés au XXIème siècle à la demande de soins, croissante et continue, de patients âgés, la plupart cumulant plusieurs maladies chroniques (voir les billets intitulés "TLM en EHPAD (1) et (2)" dans la rubrique "Le pratico-pratique").
Nous sommes en 2020, presqu'"au milieu du gué", et les conséquences de cette évolution démographique sur les systèmes de santé commencent à être fortement ressenties dans de nombreux pays. La France, championne de l'hospitalocentrisme au XXème siècle, n'échappe pas à cette évolution et la crise sanitaire actuelle en témoigne.
La crise sanitaire française est bien installée et devrait durer tant que les mesures prises par la loi Ma santé 2022 n'auront pas eu les effets escomptés (voir plus loin). Cette crise s'exprime depuis quelques années aux urgences hospitalières qui sont de plus en plus débordées, et depuis quelques mois à l'ensemble de l'hôpital public qui se plaint de manquer de lits et de moyens humains, et où certains chefs de service démissionnent, des infirmier(e)s et des aides-soignants crient leur mal-être, des internes qui sont angoissés et soumis à des risques psycho-sociaux, etc. Mais cette crise s'exprime également en ville à travers les départs en retraite des papy-boomeurs non remplacés, le développement de zones en sous-densité médicale, la forte diminution du temps médical consacré aux soins primaires par la nouvelle génération de médecins de plus en plus féminine, l'indisponibilité des médecins qui s'estiment saturés dans leur activité et qui refusent de prendre de nouveaux patients, etc.
Tous ces faits defraient quasi quotidiennement la chronique des médias depuis plusieurs mois. Ils montrent que notre système de santé est bien impacté par cette évolution démographique de la demande de soins, annoncée dès le début des années 2000. Certains syndicats et fédérations hospitaliers demandent de renforcer les moyens de l'hôpital public en lui attribuant une enveloppe supplémentaire de 10 à 20 milliards d'euros pour que l'hôpital puisse faire face à ce tsunami sanitaire par la réouverture de lits hospitaliers fermés et le recrutement de nouveaux soignants. Ce ne sont que de pieux souhaits car l'hôpital public ne parvient plus à recruter de médecins et de soignants depuis quelques années, les postes étant peu attractifs. De nombreux postes médicaux sont vacants, ce qui aggrave les conséquences immédiates de la crise sanitaire.
Pour l'instant, les pouvoirs publics tentent de gérer la crise sur le très court terme en améliorant sensiblement la situation financière des hôpitaux (augmentation de l'ONDAM, reprise d'une partie de la dette hospitalière, arrêt de la fermeture des lits hospitaliers), en attendant que les mesures annoncées dans la loi "Ma santé en 2022", promulguée le 24 juillet 2019, produisent leurs effets.
Pourquoi la relance de l'hospitalocentrisme du XXème siècle ne semble pas être une solution pérenne à la crise actuelle.
La France dispose d'un parc de 7 lits d'hôpital /1000 habitants, comme l'Allemagne, la Lituanie, l'Autriche, la Hongrie, la Bulgarie, la République Tchèque, la Pologne. Tous les autres pays d'Europe ont un nombre inférieur, les pays du Nord (Norvège : 4, Suède : 2, Finlande : 4, Danemark : 3, Royaume-Uni : 3, Pays-Bas : 5) comme les pays du Sud ( Italie : 3, Portugal : 3, Espagne : 3).
Le nombre de lits d'hôpital/1000 habitants ne parait pas être un critère déterminant pour juger de la qualité d'un système de santé, puisque les 7 pays européens qui figurent parmi les 11 premiers du classement OMS-Bloomberg 2018 (la France est 12ème) ont tous un parc de 4 lits d'hôpital ou moins/1000 habitants (Espagne, Italie, Islande, Suisse, Suède, Norvège, Luxembourg). Comme nous l'avons écrit précédemment, l'OMS considère que l'Espagne, en 2018, a le meilleur système de santé au monde (voir le billet intitulé "Esante/TLM/Afrique" dans la rubrique "TLM sans frontières").
Parmi les 4 autres pays non européens en tête du classement OMS, l'Australie a 3,8 lits d'hôpital/1000 habitants, Israël 3,1, Singapour 2,4. Seul le Japon sort de ces chiffres avec 13,4 lits/1000 hab. Mais ce pays est obligé de développer la robotisation des soins pour pallier le manque d'effectifs humains. Des pays comme la Chine, les Etats-Unis et le Canada ont respectivement un parc de 4, 3 et 3 lits d'hôpital/1000 hab.
Sauf à vouloir faire perdurer l'hospitalocentrisme des soins, on voit bien que la France et d'autres pays européens devraient encore diminuer le nombre de lits hospitaliers s'ils veulent se comparer aux meilleurs systèmes de santé dont certains ont déjà accompli la transformation nécessaire avec succès (Suède, Danemark, Espagne, Royaume-Uni, etc.).
Pourquoi la télésurveillance médicale au domicile des patients âgés et atteints de maladies chroniques est la solution qui doit prospérer au XXIème siècle.
Puisque l'hôpital du XXIème siècle ne peut plus être le centre de soins pour les patients atteints de maladies chroniques du vieillissement, sauf à doubler ou tripler le nombre de lits hospitaliers, tous les pays développés considèrent aujourd'hui que l'effort organisationnel et financier doit porter sur les soins au domicile (le Homespital) grâce à l'usage des pratiques de télémédecine et de télésoin, enrichies des services de l'e-santé, en particulier de l'Intelligence artificielle médicale (IAM). (Voir les différents billets antérieurs consacrés à ce thème ; "IA et Télémédecine", "Syst.santé en 2030" dans la rubrique "Edito de semaine", "Programme ETAPES" dans la rubrique "On en parle", "TLM/IAM/Telesoin" dans la rubrique "Articles de fond", "Télémédecine (26)" dans la rubrique "Revue publications " et les 4 derniers consacrés au rapport de la National Academy of Medicine,"IAM Académique" dans la rubrique "Articles de Fond"). Le nombre de billets déjà consacré aux nouvelles organisations et aux pratiques de soins en ligne au XXIème siècle illustre l'importance de ce sujet. Que faut-il en retenir ?
Le tsunami sanitaire progressera au moins jusqu'en 2050. C'est la raison pour laquelle tous les systèmes de santé à travers le monde doivent se transformer rapidement et s'adapter à cette évolution démographique de la demande de soins.
Le changement de paradigme est clairement décrit dans la loi Ma santé 2022 : l'hôpital de second recours devient le lieu d'explorations médicales pointues et spécialisées à visées diagnostique et thérapeutique avec des durées de séjour très courtes, l'hôpital de proximité devient le lieu de soins de proximité à l'initiative des médecins de ville qui participent à sa gouvernance, le domicile est à la fois le lieu de vie et de soins pour les personnes en bonne santé et les patients atteints de maladies chroniques stabilisées, ces derniers étant surveillés à distance grâce à des prestations de services d'e-santé et de pratiques professionnelles à distance comme la télémédecine et le télésoin.
Nous disposons aujourd'hui de toutes les solutions technologiques et ressources financières nécessaires à ce changement de paradigme. La plupart des pays font des efforts financiers importants pour que les réseaux numériques soient du très haut débit (THD), permettant ainsi des soins à distance de grande qualité. Les industries de la santé numérique développent des prestations de services d'e-santé au domicile, de plus en plus souvent équipées d'IAM, dont la fiabilité et la sécurité sont jugées par des organismes publics "ad hoc" (FDA aux Etats-Unis, HAS, ANSM en France, NHS au Royaume-Uni, etc.) qui autorisent leur mise sur le marché et éventuellement leur remboursement en France par l'Assurance maladie et/ou les complémentaires santé. Les systèmes d'information en santé sont de mieux en mieux maitrisés et accessibles désormais aux patients (DMP), ainsi qu'aux professionnels de santé pour assurer des soins coordonnés. Les pouvoirs publics ont aujourd'hui une politique volontariste pour que les données de santé à caractère personnel soient traitées à grande échelle, en conformité avec le RGPD (voir le billet intitulé "RGPD et TLC" dans la rubrique "Droit de la santé"), pour servir la recherche médicale et le pilotage du système de santé.
Le financement en France des pratiques de télémédecine est assuré depuis 2018 et 2019 tant dans le secteur ambulatoire (avenants 6 de la Convention médicale et de la Convention infirmier) que dans le secteur hospitalier (https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide_facturation_tlm_en_etablissement_de_sante.pdf). Le financement des pratiques de télésoin (phamaceutique et infirmier) interviendra en 2020 (voir les billets consacrés au "Télésoin pharma" et au "Télésoin infirmier" dans la rubrique "On en parle")
Tous les acteurs de soins peuvent désormais se former aux nouvelles pratiques professionnelles à distance (télémédecine et télésoin) et à l'usage des services de l'e-santé (voir le billet intitulé "E-santé/Télésanté" dans la rubrique "Droit de la santé"). Ceux qui sont en activité peuvent bénéficier de formations DPC, ceux qui sont en cours de formation académique auront dans leur cursus universitaire des modules consacrés aux nouvelles pratiques professionnelles et aux services d'e-santé (à partir de septembre 2020). Les acteurs de soins peuvent déjà s'impliquer dans le programme expérimental de financement ETAPES pour se former à la télésurveillance des maladies chroniques au domicile (voir le billet "Programme ETAPES" dans la rubrique "On en parle"), financement qui devrait passer dans le droit commun de la Sécurité sociale en 2022.
La loi Ma santé 2022 va-t-elle permettre d'adapter rapidement le système de santé français aux évolutions démographiques de la demande de soins ?
Des facilités financières ont été octroyées aux hôpitaux publics en 2020 (progression de l'ONDAM de 2,7% au lieu de de 2,2%, reprise par l'Etat d'une partie de la dette hospitalière, revalorisation de certains métiers soignants). Elles doivent aider les hôpitaux dans cette période de changement à mieux assurer le virage ambulatoire de l'hôpital, à réaliser la transformation numérique du système de soins et non à pérenniser une stratégie d'hospitalocentrisme du XXème siècle.
Les hôpitaux doivent s'équiper rapidement de moyens technologies numériques pour faciliter la mise en place de projets médicaux de territoire au sein des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et utiliser les pratiques de télémédecine et de télésoin, ainsi que les services de l'e-santé et de l'IAM, pour rationaliser le parcours de soins des patients entre les différents établissements du GHT (voir les billets "le souffle GHT" dans la rubrique "L'Edito de semaine", "GHT et TLM" dans la rubrique "On en parle" et " TLM financée et GHT" dans la rubrique "le pratico-pratique"). Le programme HOP'EN (hôpital numérique ouvert sur son environnement) est l'action 19 du programme "Accétérer le virage numérique" présenté par la Ministre de la santé le 25 avril 2019. L'évolution des systèmes d'information hospitaliers est soutenue par ce programme.
Une organisation pluriprofessionnelle des soins au sein d'un territoire de santé. La loi a créé les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Trois missions prioritaires leur sont attribuées dans l'accord conventionnel du 20 juin 2019 : l'amélioration de l'accès aux soins, l'organisation du parcours des patients et le développement de la prévention au sein du territoire (voir le billet "CPTS/TLM/Télésoin" dans la rubrique "le Pratico-pratique").
L'organisation des soins primaires, tant ambulatoire qu'hospitalière (établissements de proximité), doit être au plus proche des citoyens, c'est à dire au niveau d'un territoire de santé. Plusieurs CPTS peuvent exister au sein d'un même territoire. Le niveau de financement de la structure dépend de la taille de la population desservie. Les CPTS s'appuient en particulier sur les modes d'exercice regroupé (MPS, Centres de santé, Pôles de santé) et collaborent avec les établissements de santé de proximité.
Les CPTS ne font pas encore l'unanimité parmi les professionnels de santé, mais une partie, surtout les paramédicaux, y adhère. Les médecins libéraux auraient tort de ne pas y participer. Près de 200 CPTS ont déjà été créées en quelques mois et plus de 800 sont en gestation. L'impact des CPTS sera jugé sur leur capacité à améliorer l'accès aux soins au sein du territoire de santé, en utilisant si nécessaire la télémédecine et le télésoin pour les soins non programmés, ainsi que l'organisation des parcours de patients au sein du territoire, en particulier pour les patients atteints de maladies chroniques. Elles doivent contribuer à trouver un médecin traitant pour les personnes qui en sont dépourvues. Elles développent également des actions de prévention.
Le temps médical disponible pour les consultations en soin primaire est amélioré. La loi a créé 4000 postes d' assistants médicaux qui doivent permettre aux médecins généralistes en exercice regroupé d'augmenter sensiblement le nombre de consultations médicales programmées. Sur une base habituelle de 3 à 4 consultations par heure, l'assistant médical peut permettre au médecin d'en réaliser une supplémentaire chaque heure, soit 6 à 7 / jour. Ce qui a fait dire à la Ministre de la santé que les assistants médicaux pouvaient créer rapidement 800 000 consultations supplémentaires dès 2020.
En attendant une augmentation significative du nombre de médecins à l'horizon 2028 grâce à la suppression du numérus clausus à l'entrée en faculté de médecine dès 2020. Depuis 10 ans, ce numérus a progressé ce qui explique l'augmentation sensible et régulière du nombre de médecins diplômés depuis trois ans. Cependant, cette augmentation ne profite pas aux zones en sous-densité médicale. Les jeunes médecins préfèrent s'installer à proximité des villes universitaires (rapport du CNOM sur la démographie médicale de 2017).
Le paradoxe actuel est une augmentation de la densité médicale à proximité des villes universitaires et l'aggravation de la sous-densité médicale dans les zones rurales. Depuis 10 ans, les mesures incitatives financières pour faciliter l'installation des jeunes médecins en zone de sous-densité n'ont pas eu d'effet décisif. Le salariat au sein de Centres de santé créés par les Collectivités territoriales semble avoir plus de succès.
La demande de soins va être mieux filtrée et orientée grâce à la mise en place rapide d'une plateforme devant améliorer l'accès aux soins (Service d'Accès aux Soins ou SAS). Ce premier filtrage doit permettre de rationaliser le parcours d'une demande d'un patient, comme cela existe déjà dans d'autres pays (Suède, Suisse, Danemark, Royaume-Uni) avec une collaboration renforcée des pharmacies d'officine, en particulier pour organiser des téléconsultations au plus proche du domicile du patient.
De nouvelles compétences infirmières sont créées (infirmiers en pratiques avancées ou IPA) pour mieux prendre en charge les maladies chroniques en générale, l'insuffisance rénale chronique, le cancer et la santé mentale en particulier (voir les billets "IPA et TLM" dans la rubrique "On en parle", "IPA et télésoin" dans la rubrique "Droit de la santé" et "Télémédecine (23)" dans la rubrique "Revue et publications"). Les formations d'IPA seront intensifiées avec 5000 diplômés/an.
En résumé, tous les acteurs de santé peuvent et doivent désormais se mobiliser pour accélérer la transformation du système de santé. Il n'y a pas d'autres choix car le "tsunami sanitaire" annoncé dès le début des années 2000 est bien présent aujourd'hui en 2020. Il ne fera que progresser d'ici 2050. Il n'y a qu'une seule cause : le développement des maladies chroniques dû à l'allongement de l'espérance de vie. Il faut que les citoyens âgés puissent vivre "en bonne santé" à leur domicile avec des maladies chroniques stabilisées grâce au "Home-spital" et à la télésanté (télémédecine et télésoin).
23 janvier 2020