Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Au lendemain de la publication du décret de télémédecine du 19 octobre 2010, la ministre de la santé de l'époque, recevant une journaliste du Parisien, expliquait que désormais on pourrait joindre son médecin à distance par un simple "clic" sur le clavier de son ordinateur.
Cette phrase maladroite dans la bouche de la plus haute autorité de notre système de santé, largement commentée et critiquée par les médecins, montrait à quel point les autorités sanitaires étaient à cette époque, et ils le sont toujours, obsédées par la question des "déserts médicaux". L'internet allait, d'un coup de baguette magique, résoudre enfin le problème.
Qu'est-ce qu'une consultation médicale ?
Avant d'aborder les apports du numérique dans la pratique d'une consultation médicale, rappelons les définitions habituelles que l'on trouve dans le dictionnaire Larousse ou le Littré : "examen d'une personne par un médecin généraliste ou spécialiste, généralement effectué dans un cabinet médical". Pour un médecin, la consultation médicale est certainement l'acte le plus emblématique de la profession, avec sa relation humaine particulière et intime, couverte par le secret professionnel, et un exercice intellectuel souvent difficile qui repose à la fois sur des connaissances et de l'expérience.
Le déroulement d'une consultation médicale est assez semblable d'un médecin à l'autre : l'interrogatoire pour connaître le symptôme qui amène la personne à consulter, puis les questions sur le contexte du symptôme (antériorité, localisation du symptôme, présence ou non de fièvre, etc.), l’examen clinique orienté par la plainte du moment, mais comportant également des mesures de nature "préventive" : la prise de la tension artérielle après 5 mn de repos en position assise, le passage sur la balance, l’auscultation du cœur, des poumons, la palpation abdominale, les éventuels gestes de dépistage (palpation des seins, toucher de prostate, etc.). Le médecin note dans le dossier médical les informations qu'il recueille à l'interrogatoire et à l'examen clinique. C'est un dossier médical déjà ouvert lors de précédentes consultations ou un premier dossier médical s'il s'agit d'une primoconsultation. Le médecin donne ensuite son avis sur la cause du problème posé, des conseils pour le résoudre et le plus souvent, mais pas obligatoirement, rédige une ordonnance ou prescrit des examens complémentaires. Cette consultation médicale dure généralement entre 15 et 30 mn, selon le problème à résoudre. Mais une primoconsultation avec un médecin est plus longue, car il a besoin de connaître les antécédents (maladie, famille…).
Les qualités les plus recherchées dans une consultation médicale ont été précisées dans une enquête réalisée par l'Institut Harris en 2011. Les résultats sont intéressants à rappeler. Le citoyen français attend de son médecin qu’il explique bien les choses (42 %), qu’il écoute (30 %), qu’il vous suive dans la durée (15 %), qu’il soit disponible (11 %), qu’il soit ponctuel (2 %). Une bonne consultation médicale doit donc durer un certain temps, aux environ de 20mn.
Cette description de la consultation médicale concerne surtout les maladies aiguës, dites "symptomatiques".
Il existe également des consultations médicales dites "de dépistage", comme les consultations demandées par les organismes sportifs pour pratiquer un sport intense ou les consultations avant de souscrire un emprunt bancaire. Dans ces situations, la consultation médicale doit être approfondie et nécessiter des examens complémentaires.
Depuis une quinzaine d'années l'activité médicale en soin primaire et chez les médecins spécialistes est dominée par le suivi de patients atteints de maladies chroniques, vivant à domicile ou en structures médico-sociales. Lorsqu'il s'agit d'une consultation médicale de suivi d'une maladie chronique, dans le cadre d'un parcours de soin coordonné par le médecin traitant, le protocole de la consultation médicale est souvent simplifié. Le médecin de soin primaire se limite au seul interrogatoire du patient, à la recherche d'éventuelles complications débutantes de la maladie chronique et/ou d'une intolérance aux traitements prerscrits.
Parfois, il ne s'agit que d'un simple renouvellement d'ordonnance par l'intermédiaire du secrétariat du médecin, et on peut légitimement se poser la question de la réalité d'un acte de consultation médicale, comme le soulignait en novembre 2010 l'ancienne ministre de la santé, Elisabeth Hubert, dans son rapport sur la médecine de proximité.
Qu'est ce qu'une téléconsultation médicale ?
C'est une consultation médicale réalisée à distance, grâce aux technologies de l'information et de la communication (TICs).
Le décret de télémédecine du 19 octobre 2010 précise que cette consultation médicale concerne un patient consentant, qui peut être assisté d'un professionnel de santé pour aider le professionnel médical à distance à réaliser, dans de bonnes conditions, cette téléconsultation (par exemple, l'infirmière qui assiste une personne âgée, résidente d'un EHPAD). En cas de téléconsultation psychiatrique, c'est une psychologue qui est autorisée à assister le patient.
Art. R6316-1 1° La téléconsultation, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient. Un professionnel de santé peut être présent auprès du patient et, le cas échéant, assister le professionnel médical au cours de la téléconsultation. Les psychologues mentionnés à l’article 44 de la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d’ordre social peuvent également être présents auprès du patient.
Le décret précise, dans sa section 2, les conditions de mise en oeuvre de tout acte de télémédecine, notamment de la téléconsultation.
Tout patient suivi par téléconsultation doit être informé des bénéfices, mais aussi des limites et risques de cette pratique médicale à distance (notamment à cause de l'absence d'examen physique), pour qu'il puisse donner ensuite un consentement éclairé.
Bien évidemment, le consentement n'a pas besoin d'être recueilli à chaque téléconsultation lorsque celle-ci fait partie d'un protocole de prise en charge alternant des consultations en face à face et des téléconsultations, protocole pour lequel le patient a donné un consentement initial. Il peut toutefois se rétracter et refuser de continuer à être suivi dans un tel protocole s'il considère que ce mode de prise en charge ne lui apporte pas le service médical attendu ou que la qualité de cette prise en charge est inférieure à celle d'une prise en charge classique en face à face.
L'article R6316-3 demande que, pour tout acte de télémédecine, dont la téléconsultation, l’accès des professionnels de santé aux données médicales du patient nécessaires à la réalisation de l’acte soit assuré par l'organisateur de la télémédecine. En clair, il n'est pas possible de faire une téléconsultation chez un patient atteint d'une maladie chronique si l'on n'a pas accès à son dossier médical. C'est une sécurité de bon sens pour éviter au médecin une erreur médicale, notamment s'il prescrit un médicament ou renouvelle une ordonnance.
Toutes les pratiques de téléconsultation qui se développent aujourd'hui, dont certaines reconnues par la puissance publique (ARS), apportent-elles un réel service médical aux patients ?
La réponse à cette question est aujourd'hui impossible, car d'une part, il existe pour certaines téléconsultations une confusion avec le téléconseil médical personnalisé, d'autre part, certaines pratiques n'ont aujourd'hui aucune référence scientifique médicale dans la littérature.
En 2009, ceux qui ont contribué à la rédaction du décret de télémédecine, ont vu dans la téléconsultation un nouveau moyen de structurer le parcours de soin d'un patient atteint d'une maladie chronique. En clair, suite au rapport d'Elisabeth Hubert (ci-dessus), la téléconsultation était proposée en alternance avec les consultations en face à face pour éviter à certains patients de se déplacer au cabinet de leur médecin traitant, parfois pour un simple renouvellement d'ordonnance.
A l'ère des maladies chroniques, la téléconsultation permet d'avancer dans la construction d'un parcours de soins coordonné par le médecin traitant de soin primaire, comme la téléexpertise permet d'éviter des consultations spécialisées en face à face chez ces mêmes patients atteints de maladies chroniques. (voir le billet sur la téléexpertise dans la rubrique "Pratico-pratique"). Nul ne conteste aujourd'hui que la téléconsultation appliquée au suivi alterné des patients atteints de maladies chroniques, souvent âgés et handicapés, apporte un réel service médical à ces patients en évitant, notamment, des transports coûteux et fatigants. C'est d'ailleurs la seule application retenue dans l'expérimentation de financement de la télémédecine par la Sécurité sociale (art. 36 du LFSS 2014), laquelle s'adresse aux téléconsultations chez les patients en ALD. (voir le billet "C'est déverrouillé" dans la rubrique "Edito de semaine").
Ces téléconsultations programmées, réservées au suivi des patients atteints de maladies chroniques, sont d'excellente qualité
médicale grâce, notamment, à l'accès au dossier médical des patients, procurent de grandes satisfactions aux patients qui s'estiment ainsi mieux suivis, préviennent des complications, des venues aux urgences et des
hospitalisations. Pour ce type d'organisation et de pratique professionnelles nouvelles, le service médical rendu (SMR) aux patients est démontré par de nombreuses études médicales scientifiques et l'impact économique
favorable pourrait être démontré par l'étude française ETAPES qui sera évaluée pour le LFSS 2018. Il faut toutefois rester prudent car l'impact économique pourrait demander plusieurs années de pratiques
et un volume suffisant de téléconsultations.
Que faut-il alors penser des autres modes de
téléconsultations qui ne cessent de se développer ?
L'erreur de communication de la ministre de la santé en 2009 a probablement conforté les projets de médecins "entrepreneurs", passionnés de médecine "geek", qui souhaitent "sortir" la consultation médicale du cabinet traditionnel, utiliser les outils de la santé connectée pour faire la médecine autrement, et créer des plateformes de téléconsultation de type "centre 15".
C'est ainsi que de jeunes start-ups brillantes ont développé le stéthoscope connecté, l'otoscope connecté, l'appareil de mesure de la tension artérielle connecté, l'oxymètre connecté, la pesée connectée, l'examen ORL en visio connecté, la mesure de la masse maigre et graisseuse connectée, etc. dans le but de permettre à tout citoyen, notamment dans les déserts médicaux, de réaliser lui-même, chez lui ou sur son lieu de travail, une consultation médicale, soit seul en cabine "dédiée", installée en mairie ou chez les pompiers, soit avec l'aide d'une infirmière en EHPAD, soit avec l'aide du pharmacien en pharmacie d'officine, toutes les données de l'examen clinique "connecté" étant adressées par réseau numérique sécurisé à une plateforme médicale en temps réel. Le médecin de la plateforme interprète immédiatement ces données et peut faire une prescription médicale en retour.
Tout en saluant la performance technologique, il est difficile aujourd'hui d'évaluer le service médical rendu par de telles pratiques.
Les références scientifiques sont rares, voire inexistantes dans la littérature médicale. La fiabilité et la sécurité (confidentialité des données de santé) de tous ces objets connectés
ne sont pas encore connues. Elles sont à évaluer.
La question posée est donc de savoir si la puissance publique, au motif que la pratique serait conforme au texte du décret de télémédecine de 2010, définissant la téléconsultation, peut reconnaître une pratique nouvelle en dehors de toute preuve de SMR aux patients ?
Il existe aujourd'hui de nombreuses pratiques de téléconsultations, plus ou moins autorisées par les ARS, qui sont très éloignées du "gold standard" qu'est la consultation médicale classique, et qui ne sont en fait le plus souvent que du téléconseil médical personnalisé.
Nous reviendrons dans un prochain billet sur ce qu'est le téléconseil médical personnalisé.