Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Nathalie Salles, PU-PH de gériatrie au CHU de Bordeaux, présidente du 10ème Congrès de la SFT qui se tiendra à Paris les 7 et 8 décembre prochain (voir le billet "Congrès SFT 2017" dans la rubrique "On en parle"), vient de publier "Télémédecine en Ehpad, les clés pour se lancer" aux éditions le Coudrier (www.edition-lecoudrier.fr), un livre remarquable tant au plan pédagogique que pour la richesse des informations qui y figurent. Ce livre arrive à point nommé pour favoriser le développement de télémédecine dans les Ehpads après les récentes mesures prises par les pouvoirs publics et la CNAMTS pour favoriser la pratique des téléconsultations en Ehpad par les médecins traitants (voir le billet "TLM en Ehpad (1) dans la rubrique "Le pratico-pratique").
Le lecteur se rendra compte que les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), véritables substituts du domicile, ne ressemblent plus aux maisons de retraite d'il y a 20 ans. Ils sont devenus des lieux de la fin de vie pour des personnes de plus en plus malades et dépendantes, vis à vis desquelles la démarche soignante doit être pertinente, adaptée au niveau d'avancement des pathologies chroniques, et doit garantir le maintien d'une vie personnelle et sociale de qualité au sein de l'institution, en prévenant la survenue des complications évitables, les venues aux urgences et les hospitalisations. La télémédecine peut aider à atteindre ces objectifs.
Des chiffres impressionnants :
1) Fin 2015, la population vivant en Ehpad représentait en France 728 000 personnes. (données de la DREES publiées en juillet 2017). L'âge moyen était de 84,2 ans pour les hommes et de 86,6 ans pour les femmes, la moitié des résidents ayant plus de 87 ans et 5 mois.
2) La polypathologie et la dépendance ont considérablement évolué depuis 20 ans lorsqu'on compare l'état médical des résidents vivant en Ehpad aujourd'hui à celui des résidents de maisons de retraite de l'époque : la part des personnes les plus dépendantes au sens de la grille AGGIR est de 91%, chaque résident d'Ehpad présente en moyenne 8 pathologies chroniques associées à une prise de plus de 6 médicaments. Les pathologies démentielles touchent 52% des résidents, les états dépressifs 39% et les troubles psycho-comportementaux 43%.
3) Un système de soin fortement sollicité par l'évolution du profil des résidents d'Ehpad. L'enquête nationale réalisée en 2015 par l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) révèle que plus d'un résident sur deux est admis au moins une fois à l'hôpital au cours de l'année, que la durée moyenne d'hospitalisation est de près de 3 semaines, que le recours aux urgences hospitalières touche un résident sur quatre chaque année pour des chutes avec traumatisme ou pour des décompensations de maladies chroniques.
4) Les hospitalisations sont iatrogènes pour les personnes âgées : infections nosocomiales, perte d'autonomie en quelques jours, fonte musculaire au bout de 7 jours au lit, etc. L'hôpital aggrave le handicap des personnes âgées.
5) La plupart des hospitalisations seraient évitables ou inappropriées. Plus de 60% des venues aux urgences pourraient être évitées et par voie de conséquence les hospitalisations qui s'en suivent (une fois sur deux).
Vous retrouverez tous ces chiffres et leurs références dans le livre de Nathalie Salles
Le formidable enjeu médical de la télémédecine en Ehpad
Quelles sont les organisations médicales les plus performantes de la télémédecine en Ehpad qui permettraient d'éviter les venues aux urgences et les hospitalisations des résidents ? Il faut le reconnaître, le modèle efficace et efficient se cherche encore et dépend de la ressource médicale locale et du projet médical consensuel construit avec l'ensemble des professionnels de santé de l'établissement et des intervenants extérieurs.
Il est frappant de constater que la population qui accumule le plus grand nombre de maladies chroniques du vieillissement (au moins 8 par résident d'Ehpad comme le rappelle Nathalis Salles) se trouve être aujourd'hui la population la moins bien suivie au plan médical. Il ne faut donc pas s'étonner que cette population sollicite le système des soins hospitaliers plus que la population moins atteinte et mieux suivie par les médecins traitants.
Est-ce que l'organisation régulière d'une téléconsultation programmée avec le médecin traitant permettrait d'agir très en amont de la survenue d'une complication et ainsi de prévenir les hospitalisations ? Les médecins traitants en ont désormais la possibilité s'ils ont la disponibilité. Cela nécessite de leur part de revoir les organisations, les lieux d'exercice regroupé favorisant l'émergence de ces nouvelles organisations au service des Ehpads. Combien vont s'engager dans ces pratiques nouvelles de télémédecine programmées ?
Il est intéressant de rappeler que l'arrêté du 10 juillet 2017 accorde aux établissements, aux MSP, aux centres de santé et aux établissements médico-sociaux des moyens financiers (28 000€/an) pour s'équiper en moyens de télémédecine et en personnels dédiés, à la condition de pouvoir justifier une pratique de 50 téléconsultations/an. Comme le souligne Nathalie Salles dans son livre, ces centres de télémédecine des Ehpads pourraient également être utilisés par la population voisine de l'Ehpad pour des téléconsultations avec le médecin traitant.
Est-ce que l'organisation de téléconsultations non programmées avec le médecin traitant ou avec le médecin urgentiste permettrait d'éviter l'envoi des résidents aux urgences ? Plusieurs projets se sont développés autour de ce thème avec la collaboration des services d'urgences hospitaliers, le médecin urgentiste acceptant de traiter par télémédecine la demande d'une infirmière d'Ehpad pour une hospitalisation éventuelle, notamment lorsque le médecin traitant n'est pas joignable, en particulier les week-end. Il est probablement trop tôt pour juger des résultats de telles pratiques lancées il y a quelques mois. Ces pratiques, à notre avis, ne sont pas dénuées de risques pour le patient et le médecin urgentiste dans la mesure où une situation "aiguë" nécessite le plus souvent l'examen clinique de la personne âgée et donc son transfert aux urgences. Dans une telle situation aiguë, il est difficile à un médecin urgentiste de répondre à l'infirmière que l'état du résident ne nécessite pas la venue aux urgences pour un examen clinique.
Est-ce que l'organisation de téléconsultations/téléexpertises spécialisées régulières et donc programmées chez des patients cumulant de nombreuses maladies chroniques, notamment avec le gériatre dont la prise en charge adaptée d'une personne âgée relève de sa compétence, permettrait de mieux suivre les différentes pathologies chroniques et de pouvoir ainsi prévenir les hospitalisations ? C'est l'expérience décrite dans le livre de Nathalie Salles en référence aux recommandations publiées en 2015 par la HAS et l'ANESM qui préconisent au sein des Ehpads le renforcement des expertises gériatriques, le renforcement des expertises en soins palliatifs, le développement du recours aux services d'hospitalisations à domicile et enfin le développement de la télémédecine pour fournir à l'ensemble des résidents d'Ehpad des soins spécialisés gériatriques, psychiatriques et en soins palliatifs.
D'autres organisations innovantes sont proposées telles que des prestations médicales d'un hôpital virtuel où des téléexpertsises spécialisées de 1er et de 2ème avis sont données en temps réel à la demande du médecin traitant et/ou du médecin coordonnateur d'Ehpad, avec l'usage des outils de la santé connectée pour parfaire l'examen clinique à distance. C'est en quelque sorte un mode de télésurveillance médicale qui ne peut s'appuyer sur les systèmes algorithmiques actuels compte tenu de l'état polypathologique de ces patients. De plus, la participation active et consentie des patients à leur propre surveillance ne peut être obtenue chez plus de la moitié des résidents touchés par des pathologies démentielles.
On le voit, l'organisation médicale la plus performante qui permettra de réduire la venue aux urgences et les hospitalisations n'est pas à ce jour connue. Elle nécessite une approche de recherche clinique. Les résultats ne seront pas connus avant quelques années.
Le formidable enjeu économique de la télémédecine en Ehpad
Quelques chiffres peuvent illustrer cet enjeu économique.
Comme l'a révélé l'ANESM en 2015, plus d'un résident d'Ehpad sur deux est hospitalisé chaque année, cela représentant environ 400 000 personnes. La même enquête de l'ANESM précise que la durée moyenne de séjour (DMS) est de 21 jours. En 2017, le tarif d'une journée d'hospitalisation en médecine est de 1113 €, et de 2295 € dans un service spécialisé. Si tous les résidents d'Ehpad sont hospitalisés en médecine, et non en services spécialisés (ce qui ne peut être exclu...), le coût moyen d'un séjour est de 23 373 €. Soit pour les 400 000, une dépense assumée par l'Assurance maladie obligatoire (AMO) d'au moins 9,350 milliards/an, ce qui représente environ 13% de l'ONDAM hospitalier. A cela s'ajoute les quelque 100 000 résidents qui viennent chaque année aux urgences sans être hospitalisés. Le coût moyen d'un passage aux urgences évalué par la Cour des comptes en 2007 est de 250 à 400 €, variable selon les régions. On peut donc évaluer cette dépense supplémentaire à 30 millions d'euros.
L'organisation médicale structurée par la télémédecine qui permettrait de réduire de 50% le nombre annuel d'hospitalisations des résidents d'Ehpad ou de diminuer de moitié la DMS permettrait de réduire la dépense pour l'AMO de près de 5 milliards d'euros/an.
Ces chiffres illustrent le formidable enjeu économique d'une organisation médicale de télémédecine en Ehpad qui permettrait de réduire les hospitalisations, leur durée et la venue aux urgences.
En résumé, l'intérêt du développement de la télémédecine en Ehpad est évident tant au plan médical pour améliorer la prise en charge de ces personnes très malades et handicapées qui sollicitent fortement le système de soins hospitaliers, qu'au plan économique pour l'Assurance maladie qui peut diminuer les dépenses liées à des hospitalisations évitables.
On ne peut que recommander de lire le livre de Nathalie Salles qui décrit parfaitement les clés pour se lancer dans une pratique de télémédecine en Ehpad.
Il faut que les hôpitaux publics préparent cette évolution qui les conduira à moyen terme à une diminution de leurs recettes et à la fermeture de lits.
16 novembre 2017
Louis Rouxel
18.11.2017 09:12
Concernant le passage sur l'urgence, il me semble important de bien dissocier deux pratiques :
Pierre Simon
18.11.2017 09:19
Merci du commentaire. Comme vous le dites très justement une formation des paramédicaux requérants aux motifs d'appels devrait permettre d'agir bien en amont des urgences.
Louis Rouxel
18.11.2017 09:12
- la régulation du SAMU Centre 15 : estimation de la gravité, adaptation des moyens et orientation dans la bonne filière (Infarctus, AVC, plaie …) qui est indiscutablement améliorée par les outils de
Louis Rouxel
18.11.2017 09:12
- et d’éventuelles téléconsultations non programmées, dans un contexte d’urgence, dont l’efficacité sur les hospitalisations évitables reste encore à évaluer.
Louis Rouxel
18.11.2017 09:11
Il faudra probablement mieux définir les motifs d’appels envisageables et ceux qui ne le seront pas, mais aussi former les paramédicaux requérants comme de véritable assistants de télémédecine d'urge
Bismuth serge
18.11.2017 01:14
En dehors de l’enjeu économique la télémédecine en ehpad que je pratique depuis 2000, améliore la compétence de l’équipe soignante, la valorise et permet une prise en charge globale et contextualisée
Pierre Simon
18.11.2017 08:15
Merci de ce témoignage d'expérience qui montre l'impact de la TLM sur la compétence des équipes d'Ehpad. A publier dans la revue European Research for Telemedicine !