En télémédecine comme en santé connectée, n'est-ce pas le patient lui-même qui doit évaluer le service médical attendu ou rendu ?

Quel est le service médical attendu par les patients en télémédecine ? Quel est le service médical rendu (SMR) par les professionnels de santé qui pratiquent la télémédecine et la santé connectée ? Le 10ème congrès de la Société Française de Télémédecine a abordé ces importantes questions lors d'une table ronde qui s'est tenue le 8 décembre 2017 et dont nous rapportons dans ce billet les principaux échanges.

Certains penseront que parler de SMR en télémédecine est inapproprié puisque cet indicateur est utilisé surtout pour l'évaluation des médicaments avant leur autorisation de mise sur le marché (AMM) et leur remboursement par  l'Assurance maladie obligatoire (AMO). Dans son rapport préalable de septembre 2016 pour la LFSS 2017, la HAS parle de service attendu ou rendu par la télémédecine dans un parcours de soins chez des patients atteints de maladies chroniques.

https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-01/dir1/rapport_experimentations_telemedecine.pdf

La télémédecine n'est pas un médicament mais une organisation et une pratique médicales innovantes utilisant les technologies de l'Information et de la communication (TIC). Cependant, la télémédecine, jusqu'à présent, a suivi le parcours de la reconnaissance d'un SMR ou d'un ASMR (amélioration d'un SMR) avec l'exigence d'apporter aux organismes payeurs les preuves de l'efficacité et de l'utilité de cette organisation innovante par des études coût-efficacité et coût-utilité.

Participaient à cette table ronde un représentant de l'association nationale de patients diabétiques (AFD), un représentant du Conseil national de l'ordre des médecins CNOM, une juriste du droit de la santé, un ancien membre du collège de la HAS expert en évaluation des organisations en santé, un médecin économiste de la santé.

Quel service les personnes malades ou bien portantes attendent de la télémédecine ?

La réponse pourrait relever du bon sens, mais elle peut être cependant différente selon l'adhésion des générations aux nouvelles technologies numériques.

Ainsi une personne âgée touchée par plusieurs maladies chroniques (cumul de 8 maladies chroniques à partir de 85 ans), et qui a connu la médecine du XXème siècle, n'abordera pas les pratiques de la télémédecine comme un citoyen bien portant qui n'a besoin du médecin que pour des affections aiguës, généralement bénignes. La personne âgée accepte la téléconsultation en alternance avec une consultation en face à face, elle ne veut pas de substitution totale à sa relation habituelle avec son médecin. A l'inverse, le jeune adulte de la génération "internet" qui est dans la vie active, quand il a besoin d'un avis médical pour une affection aigue, souhaite obtenir cet avis le plus vite possible. L'usage d'un smartphone pour obtenir une téléconsultation médicale immédiate est une aubaine pour les gens de la génération internet, dite de "l'immédiateté". Et cela ne leur crée aucun état d'âme, la substitution de la consultation programmée par une téléconsultation immédiate leur paraissant relever des solutions nouvelles apportées par le numérique.

On pourrait ainsi résumer l'attente du citoyen vis à vis de la télémédecine de la manière suivante.

Lorsqu'elle est touchée par une ou plusieurs maladies chroniques, la personne âgée attend de la télémédecine des avantages en matière de déplacements aux urgences ou d'hospitalisations évités et d'amélioration de la qualité de vie sociale. Elle souhaite certes être informée sur les nouvelles technologies numériques et participer au choix de certaines d'entre elles, notamment en matière d'objets connectés et d'applis mobiles en santé. Elle ne souhaite pas par contre une totale substitution, car elle reste attachée à la relation humaine directe avec son médecin traitant. Elle sait que sa maladie ne guérira jamais, continuera à s'aggraver et qu'elle sera amenée à se confier davantage à son médecin sur son angoisse et ses souhaits devant l'échéance de la mort. Dans de telles situations, les échanges en face à face n'ont rien à voir avec les échanges à distance par écran interposé.

Lorsque la personne est bien portante, mais touchée par une affection aiguë le plus souvent bénigne et par définition guérissable, elle souhaite recueillir immédiatement un avis médical et des conseils sur la conduite à suivre, voire sur l'automédication qu'elle peut assumer. Elle pense qu'une téléconsultation par téléphone ou par videotransmission à partir de son smartphone est suffisante pour atteindre cet objectif, d'autant que l'accessibilité à un médecin traitant (si elle en a un !) en consultation programmée peut demander plusieurs jours. Si elle n'a pas de médecin traitant, elle aura les pires difficultés à trouver un médecin généraliste disponible. Cette facilité qui lui est offerte par les plateformes de téléconseil médical ou de téléconsultation lui permet, selon elle, de ne pas se rendre aux urgences hospitalières pour y être examinée. La perspective d'attendre plusieurs heures avant de rencontrer le médecin urgentiste amplifie le besoin d'une telle pratique.

La demande en télémédecine n'est donc pas la même selon la génération des personnes concernées et l'existence ou non d'une maladie chronique.

Il serait donc inapproprié d'apporter la même réponse à ces différentes attentes. Les syndicats médicaux signataires de la convention avec l'assurance maladie vont devoir faire des choix en 2018 pour définir le périmètre de financement des actes de télémédecine : soit ils privilégient l'usage de la télémédecine chez les patients atteints de maladies chroniques (ceux qui sont en ALD) dans le but d'améliorer leurs parcours de soin, soit ils ouvrent les pratiques de télémédecine pour l'ensemble des citoyens français.

Dans les deux situations, il faudra protéger le parcours de soin primaire, c'est à dire assurer un retour d'information au médecin traitant, en utilisant notamment le DMP, lorsque la téléconsultation se fera auprès d'une plateforme privée.

Laisser l'ubérisation actuelle se développer, ce serait prendre le risque d'affaiblir la mission de coordination des soins du médecin généraliste traitant (médecin de famille dans de nombreux pays), telle qu'elle fut définie dans la loi HPST de juillet 2009, et donc d'intéresser de moins en moins les jeunes générations de médecin à cette mission de soin primaire, pourtant essentielle.

Le médecin a t'il un cadre déontologique et juridique auquel se référer pour apporter aux patients un service médical par télémédecine ?

A cette question, les réponses apportées par les experts en déontologie médicale et en droit de la santé se complètent.

Le représentant du CNOM rappelle les articles du Code de la santé publique (CSP) consacrés aux devoirs des médecins envers les patients. Ces articles s'appliquent naturellement aux pratiques de la télémédecine. Par exemple, pour la téléexpertise et la téléconsultation, deux articles du  CSP (R.4127-32 et R.4127-33) rappellent aux médecins le devoir de recourir à l'aide de tiers compétents pour assurer au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science et de recourir pour élaborer un diagnostic  aux méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés.

C'est sur le fondement de ces articles du CSP que le juge de cassation (C 1ère Civ.27 nov.2008), dans une affaire touchant un médecin urgentiste, rappelle l'obligation faite au médecin de faire appel à un tiers compétent en cas de doute diagnostic.

Cette jurisprudence peut légitimer les nouveaux moyens de la télémédecine au service des patients pris en charge dans les filières de soins des GHT. Les GHT vont développer, entre les établissements périphériques et l'établissement support où exercent les médecins spécialistes, une organisation permettant aux médecins urgentistes ou médecins polyvalents des établissements périphériques de recourir par téléexpertise ou téléconsultation, quand cela est nécessaire, aux avis des médecins spécialistes de l"établissement support afin d'assurer aux patients du territoire relevant du GHT le meilleur soin au bon endroit et au meilleur coût dans un parcours de santé gradué. L'organisation de la filière territoriale en neurologie, intégrant le télé-AVC, est un bon modèle organisationnel pour les autres filières spécialisées.

Deux autres articles du CSP (R.4127-35 et R.4127-36) rappellent aux médecins l'obligation d'informer un patient sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose, et de procéder à ce que cette information soit loyale, claire et appropriée, expliquant au patient les bénéfices apportés et les risques encourus. C'est sur la base de cette information préalable que le consentement de la personne examinée est recherché. Pour que ce consentement soit valable, il faut que le patient soit en état d'exprimer sa volonté vis à vis des investigations ou des traitements qui lui sont proposés. Il peut les refuser et le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences.

Les mêmes règles déontologiques s'appliquent en télémédecine, comme le rappelle le décret du 19 octobre 2010. L'information doit aussi porter sur le moyen de télémédecine utilisé en téléconsultation, en téléexpertise ou en télésurveillance au domicile. Dans la téléconsultation programmée, ces règles sont respectées, alors que dans la téléconsultation immédiate (hors urgence), elles le sont moins, l'organisateur de la plateforme n'ayant pas le moyen de vérifier que l'information générale a bien été lue par l'appelant.

Il serait tentant de penser que le "moyen de télémédecine", comme par exemple un smartphone utilisé pour la prise et le transfert d'une image de la peau (télédermatologie), puisse être exonéré de cette obligation d'information et de recueil du consentement. Ce serait une erreur fautive. Il existe aujourd'hui des pratiques dérivantes qui ne respectent pas ces articles du CSP.

La jurisprudence (C 1ère Civ. 3 juin 2010) rappelle le devoir légal d'information au patient pour toute démarche médicale et moyen technique utilisé par le médecin. Par exemple, l'absence d'information sur la survenue possible d'un aléas thérapeutique dans un acte chirurgical (impuissance après prostatectomie) a été considérée par le juge de cassation comme une faute médicale d'humanisme justifiant réparation.

Ainsi, la jurisprudence récente en droit de la santé s'appuie de plus en plus sur les articles du code de déontologie inscrits au CSP. Il en sera de même lorsqu'une pratique de télémédecine sera caractérisée comme une faute médicale.

Les organismes d'évaluation médico-économique en télémédecine, comme par exemple la HAS, disposent-elles de méthodes adaptées pour évaluer le service médical rendu par  la télémédecine ?

La HAS en juillet 2013 a proposé un cadre méthodologique pour l’évaluation de l’efficience des projets de télémédecine dans le contexte actuel de déploiement de cette nouvelle forme d’organisation des soins en France. Faisant le constat que très peu d'études dans la littérature internationale apportaient la preuve d'une efficience des organisations de télémédecine, la HAS élaborait un cadre méthodologique dans le but d’améliorer la qualité des évaluations, en particulier, l’homogénéité méthodologique des études, mais aussi, de prendre en compte les spécificités de cette activité qui renvoie à un ensemble de pratiques avec de multiples effets. Si la méthode d’évaluation médico-économique n’est pas spécifique à l’activité de télémédecine, la démarche adoptée dans l’élaboration de ce cadre d’évaluation se voulait pédagogique.  A ce jour, sur la quinzaine d'études françaises en télémédecine de nature médico-économique qui ont suivi ce cadre méthodologique, aucune n'a encore été publiée.

Il est difficile d'évaluer la qualité des organisations de parcours de soins, souvent caractérisées par une coordination pluri-professionnelle complexe, laquelle peut être différente selon le stade d'évolution de la maladie chronique et le niveau d'adhésion du patient.

Une thèse de science soutenue à l'université de Nantes le 20 octobre 2014 par Solène Houdart-Brunet fut consacrée au suivi des patients greffés rénaux par télémédecine. L'étude utilisait les préférences individuelles des patients greffés par la méthode des choix discrets. L'auteur a cherché à mieux connaître les interactions régissant les choix des patients d’accepter ou de refuser un suivi de leur greffe rénale par téléconsultations ou autrement dit, leurs préférences pour ce type de suivi. Par l’appropriation et l’utilisation d’une méthode de révélation des préférences, peu connue en santé, l'auteur a mis en évidence une certaine préférence des patients pour la télémédecine en comparaison aux consultations en face-à-face. Cela fut considéré comme un résultat important donnant pour la première fois le point de vue personnel des patients sur une organisation de télémédecine.

En résumé, peu d'études à ce jour dans la littérature internationale ont réussi à démontrer un service médical rendu par la télémédecine, par les méthodes coût-efficacité ou coût-utilité. Peut-être que l'année 2018 apportera de nouveaux résultats plus probants grâce à l'usage du cadre méthodologique préconisé par la HAS en 2013 ou de la méthode MAST expérimentée en 2011 dans l'étude Renewing Health (voir le billet intitulé "A quoi ça sert" dans la rubrique "Edito de semaine").

L'usage de la télémédecine n'est pas remis en cause par les autorités sanitaires des pays développés malgré ces échecs méthodologiques. Les populations sont de plus en plus imprégnées des technologies numériques. L'évaluation par les patients eux-mêmes (e-patient) de la qualité et de la sécurité des nouvelles pratiques de télémédecine ne pourrait-elle pas devenir la nouvelle référence du service médical attendu ou rendu par télémédecine ?

28 décembre 2017

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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