Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
La crise Covid-19 aura modifié le timing de lancement du Plan National de Télémédecine (PNT) de la Côte d'Ivoire. Le nouveau planning a été annoncé par les autorités sanitaires ivoiriennes lors du récent colloque organisé à Bouaké par la Société Ivoirienne de Télémédecine les 2 et 3 novembre 2021, dont le Président est le Dr Florent Diby, cardiologue au CHU de Bouaké et président-fondateur de l'ONG Wake Up Africa.(l'image du billet). Nous avions dans un précédent billet, daté de mai 2018, précisé les priorités de santé publique retenues par les autorités sanitaires ivoiriennes. (http://www.telemedaction.org/424743495) La pandémie de la Covid-19 a renforcé le besoin d'une mise en place rapide de la télémédecine sur l'ensemble du territoire ivoirien.
Un cadre juridique finalisé
Après la publication le 28 mars 2018 du décret de télémédecine, dont une grande partie s'inspire du décret français, les juristes du ministère ivoirien de la santé ont écrit plusieurs arrêtés qui ont été publiés en mai 2021.
Un premier arrêté publié le 10 mai 2021 porte création du plan national de télémédecine (PNT). C'est une étape importante après près de 3 années de construction de ce PNT. Il est aujourd'hui officiellement validé par le gouvernement ivoirien.
Un deuxième arrêté publié le même jour porte intégration de la télémédecine dans le paquet minimum d'activité des établissements sanitaires publics. C'est également une étape essentielle. L'arrêté demande à tous les établissements sanitaires publics de la Côte d'Ivoire d'intégrer dans leur activité et leur financement les pratiques de télémédecine. Précision importante donnée à l'article 3 de l'arrêté : le professionnel de santé des établissements de santé de premier contact (ESPC) et des établissements publics hospitaliers (EPH) doit avoir épuisé les possibilités de recours à la télémédecine avant toute référence physique du patient. Autrement dit, avant le transfert d'un patient vers un Etablissement sanitaire hospitalier départemental (ESHD) ou régional (ESHR), le professionnel devra avoir utilisé la téléconsultation ou la téléexpertise vers l'établissement requis avant de confirmer le transfert du patient.
Un troisième arrêté également publié le 10 mai 2021 précise les modalités de demande de création d'un service de télémédecine dans un établissement sanitaire public ou privé. L'article 3 précise les éléments du dossier qui doit être présenté à l'approbation du ministre ivoirien en charge de la santé. On y voit en particulier la description du service de télémédecine et des moyens informatiques qui y sont alloués, ainsi que la liste des professionnels qui exerceront les pratiques de télémédecine.
Un quatrième arrêté, en cours de traitement, précisera la clé de répartition du coût des actes de télémédecine.
Une pyramide sanitaire rénovée par la réforme hospitalière de 2019
La Côte d'Ivoire a promulgé le 23 juillet 2019 la loi n° 2019-678 portant réforme hospitalière. http://www.assnat.ci/assembleenationale/IMG/pdf/loi_reforme_hospitaliere.pdf La nouvelle organisation hospitalière est précisée dans les articles 52 et suivants.
L'article 52 crée une catégorie d’établissement public à caractère sanitaire et social dénommé Établissement Public Hospitalier, en abrégé EPH. L’EPH est une personne morale de droit public dotée de l’autonomie administrative et financière, d’un patrimoine propre ainsi que de moyens de gestion propres et soumise aux contrôles prévus par la présente loi. L'EPH est créé par décret.
L'article 53 : Suivant sa localisation ou ses caractéristiques techniques ou administratives particulières, tout EPH entre dans l’une des catégories suivantes : - Etablissement Public Hospitalier National, en abrégé EPHN, comprenant les Centres Hospitaliers Universitaires et les Instituts Hospitaliers Spécialisés ; - Etablissement Public Hospitalier Régional, en abrégé EPHR, comprenant les Centres Hospitaliers Régionaux ; - Etablissement Public Hospitalier Départemental, en abrégé EPHD, comprenant les Hôpitaux Généraux et les Hôpitaux Spécialisés.
L'article 54 classe les EPH en trois niveaux : 1er, 2ème et 3ème niveau
L'article 55 précise les missions du 1er niveau : l'EPH de 1er niveau a une vocation départementale. Il dispense des prestations médico-chirurgicales et médico-techniques. Les établissements sanitaires de premier contact (ESPC), c'est à dire les centres de santé urbains (CSU) et ruraux (CSR) qui sont dans la zonz de couverture de l'EPH de 1er niveau lui sont rattachés.
L'article 56 précise les missions du 2ème niveau : l'EPH de 2ème niveau à une vocation régionale. Il dispense des prestations médico-chirurgicales et médico-techniques. Il est le deuxième niveau de référence pour les ESPC de la région.
L'article 57 précise les missions du 3ème niveau : l’EPH de 3ème niveau a une vocation qui s’étend sur l’ensemble du territoire national, liée à sa haute spécialisation médico-chirurgicale et médico- technique.
La télémédecine structure le parcours de soins entre les différents niveaux d'EPH
Le plan national ivoirien de télémédecine (PNT) a pour ambition d'instaurer une culture de communication entre les professionnels de santé exerçant dans les différents niveaux de la pyramide sanitaire. Il est désormais demandé aux professionnels de santé exerçant dans les ESPC et les EPH d'utiliser les pratiques de télémédecine avant de transférer un patient dans un établissement sanitaire de niveau supérieur.
La télémédecine "basse" a pour objectif principal d'instaurer une communication régulière entre les CSR, dépourvus de médecins, et les CSU et/ou EPH de 1er niveau où se trouvent les médecins généralistes. Alors que le citoyen ivoirien, en particulier vivant dans les zones rurales, ne voit un médecin qu'une fois tous les 3 ans en moyenne, les autorités sanitaires veulent que chaque ivoirien ait au moins une consultation médicale ou une téléconsultation chaque année.
En favorisant cette communication régulière des usagers des CSR avec le corps médical des CSU et EPH de 1er niveau par téléconsultation, les autorités sanitaires ivoiriennes espèrent améliorer la santé de la mère et des enfants à la naissance. On rappelle qu'en 2019, la mortalité maternelle à la naissance était en Côte d'Ivoire de 614/100 000 naissances vivantes (10/100 000 en France) et la mortalité infantile, dans la 1ère année de vie, de 60,6/1000 naissances vivantes (3,6/1000 en France). De même, la mortalité précoce (15-60 ans) est de 395/1000 habitants (71/1000 en France), dont les principales causes sont infectieuses (paludisme, VIH, tuberculose, etc.)
Ce programme vise également à améliorer la prise en charge dans les ESPC des maladies respiratoires et diarrhéiques, des maladies cardiovasculaires et métaboliques (HTA, diabète) etc. Il est ainsi démontré en Côte d'Ivoire que la consultation assurée par les infirmiers et infirmières dans les CSR n'est pas suffisante pour améliorer les indicateurs sanitaires.
La télémédecine haute vise à améliorer l'accessibilité des citoyens ivoiriens aux soins spécialisés. Il s'agit de favoriser, essentiellement par téléexpertise, la communication des professionnels de santé exerçant dans les EPH de 1er et 2ème niveau avec les professionnels de santé spécialistes exerçant dans les EPH de 3ème niveau (CHU et autres EPH nationaux). Là encore, comme le rappelle l'arrêté du 10 mai 2021, les moyens de télémédecine devront être utilisés avant tout transfert d'un patient vers un EPH de niveau supérieur.
Il existe en Côte d'Ivoire un modèle abouti de télémédecine haute en cardiologie : le télé-ECG a été lancé par le service de cardiologie du CHU de Bouaké en 2014. Nous avons déjà présenté à plusieurs reprises ce modèle organisationnel dans nos précédents billets de 2017 (http://www.telemedaction.org/434845700) et de 2018 (http://www.telemedaction.org/424743495).
C'est un modèle qui commence à être reproduit dans d'autres spécialités comme la diabétologie, la dermatologie, l'infectiologie, la neurologie, l'oncologie, la néphrologie.
Une infrastructure numérique qui doit s'améliorer pour réussir ce PNT.
Le réseau numérique dans les EPH de Côte d'Ivoire n'est pas suffisamment développé. Il y a pourtant une volonté affichée des pouvoirs publics ivoiriens pour améliorer la pénétration d'internet avec la 3G/4G. Le taux de pénétration en 2021 atteindrait 65% de la population ivoirienne selon une récente déclaration du ministre ivoirien des télécommunications. L'obligation qu'ont désormais les EPH de développer des services de télémédecine, grâce à leur autonomie financière, devrait favoriser l'équipement numérique au sein de tous les EPH.
En attendant cette amélioration, la télémédecine basse reposera surtout sur les outils de la santé mobile (M-Health). La téléphonie mobile est bien développée en Côte d'Ivoire. La télémédecine haute devrait bénéficier de plateformes numériques performantes reposant sur un modèle économique pérenne.
En résumé, la Côte d'Ivoire sera le premier pays de l'Afrique subsaharienne à mettre en place un plan national de télémédecine. La crise Covid-19 aura contribué à mieux structurer les cas d'usage de la télémédecine entre les établissements de santé, comme la nécessité d'utiliser la télémédecine avant de transférer un patient dans un établissement de niveau supérieur.
Comme le souligne un récent article d'une équipe médicale du Nigéria : "la télémédecine est encore insuffisamment pratiquée dans les pays africains par rapport à d’autres pays du monde. Nous réitérons la nécessité d’étendre les systèmes de télémédecine en Afrique pour atteindre le double objectif de prévention de la COVID-19 et de fourniture de soins de qualité aux populations".
Telemedicine: an imperative concept during COVID-19 pandemic in Africa.David KB, Solomon JK, Yunusa I, Lawal BK, Marshal CS, Okereke M, Ozuluoha CC.Pan Afr Med J. 2020 Aug 3;35 (Suppl 2):129. doi: 10.11604/pamj.supp.2020.35.25281. eCollection 2020.PMID: 33282084
5 novembre 2021