Que peut apporter la santé numérique, en particulier la télémédecine, dans l'accompagnement et le suivi des personnes atteintes d'obésité ?


L'obésité est une épidémie de santé publique qui s'aggrave et qui reste difficile à contrôler. L'obésité augmente considérablement le risque de maladies cardiovasculaires et représente un fardeau financier important pour tous les systèmes de santé à travers le monde. Les interventions de santé numérique, en particulier de la télémédecine, peuvent-elles offrir des solutions innovantes, efficaces et viables sur le plan économique pour gérer l'obésité ?

C'est à ces questions que des universitaires américains, canadiens et indiens tentent de répondre. Ils viennent de publier une revue de l "état de l'art" de la santé numérique et de la télémédecine dans l'accompagnement et le suivi des patients obèses à partir d'une revue exhaustive de la littérature internationale.

Role of telemedicine in the management of obesity: State-of-the-art review. Shariq K, Siddiqi TJ, Van Spall H, Greene SJ, Fudim M, DeVore AD, Pandey A, Butler J, Khan MS. Obes Rev. 2024 Jun;25(6):e13734. doi: 10.1111/obr.13734. Epub 2024 Mar 26.PMID: 38528833 Review.


CONTEXTE


L'obésité touche plus de 2 milliards de personnes dans le monde, soit le quart de la population mondiale en 2024, et sa prévalence ne cesse d'augmenter.

La prévalence de l'obésité a été multipliée par deux dans plus de 70 pays entre 1980 et 2017. Il a été dit, qu'en raison de la pandémie de COVID-19, l'incidence de l'obésité augmenterait encore davantage dans tous les groupes d'âge.

Les mesures de distanciation sociale qui ont été prises pour entraver la propagation du COVID-19 ont entraîné une réduction de l'exercice physique, une augmentation du comportement sédentaire et une modification des habitudes alimentaires. De plus, les individus étaient plus susceptibles d'acheter et de consommer des aliments transformés et malsains pendant la pandémie que des aliments frais.

Il a été démontré que l'obésité augmente considérablement le risque de diabète sucré de type 2, de plusieurs maladies cardiovasculaires et de l'apnée du sommeil.

A l'échelle mondiale, les coûts des soins médicaux liés à l'obésité s’élevaient, en 2020, à près de 1960 Mds de dollars, soit 2,4 % du PIB mondial. Si les tendances actuelles se maintiennent, on s'attend à ce que d'ici 2035, l'impact économique de l'obésité atteigne 3 % du PIB mondial.

Report: Obesity could cost the world over $4 trillion a year by. 2035. Accessed November 3, 2023. https://www.statnews.com/2023/03/02/obesity-costs-4-trillion-2035/

L'accompagnement des patients obèses n'est pas simple, car les régimes alimentaires rigoureux et les exercices physiques sont difficiles à maintenir dans la durée chez les patients pour de nombreuses raisons. De plus, la pharmacothérapie pour l'obésité est très coûteuse et peut avoir des effets indésirables, allant des nausées, des vomissements et de la diarrhée à des complications neurologiques sévères comme une neuropathie périphérique invalidante.

Les interventions de soins primaires telles que prodiguer des conseils sur le mode de vie sont les approches traditionnelles pour gérer les patients atteints d'obésité.


Dans l'essai PROPEL (Promoting Successful Weight Loss in Primary Care in Louisiana), 18 cliniques ont été réparties au hasard pour fournir aux patients, soit une intervention intensive sur leur mode de vie axée sur la réduction de l'apport calorique et l'augmentation de l'activité physique, soit les soins primaires habituels. Lors du suivi sur 24 mois, les patients ayant subi des modifications intensives de leur mode de vie ont présenté une réduction de poids cliniquement significative.

Katzmarzyk PT, Martin CK, Newton RL, et al. Weight loss in underserved patients—a cluster-randomized trial. N Engl J Med. 2020; 383(10): 909-918. doi:10.1056/NEJMOA2007448/SUPPL_FILE/NEJMOA2007448_DATA-SHARING.PDF.


Dans l'essai POWER-UP (Practice-based Opportunities for Weight Reduction trial de l'Université de Pennsylvanie), 390 patients obèses ont été recrutés. Cet essai a montré qu'un meilleur conseil sur les moyens de perdre du poids entraînait une perte cliniquement significative chez un tiers des patients de la cohorte étudiée.

Wadden TA, Volger S, Sarwer DB, et al. A two-year randomized trial of obesity treatment in primary care practice. N Engl J Med. 2011; 365(21): 1969-1979. doi:10.1056/NEJMOA1109220/SUPPL_FILE/NEJMOA1109220_DISCLOSURES.PDF


Une solution innovante dans la prise en charge des patients obèses consisterait à réaliser les interventions d'accompagnement et de suivi à distance à l'aide de la santé numérique et de la télémédecine. Ces interventions se caractérisent par la fourniture de soins de santé par voie électronique par le biais de diverses modalités telles que les applications de la santé mobile, les appareils portables et les dossiers médicaux électroniques.

Soobiah C, Cooper M, Kishimoto V, et al. Identifying optimal frameworks to implement or evaluate digital health interventions: a scoping review protocol. BMJ Open. 2020; 10(8):e037643. doi:10.1136/BMJOPEN-2020-037643.


Notre revue se concentrera essentiellement sur les pratiques de télémédecine, une branche importante et croissante des interventions en santé numérique. La télémédecine permet aux professionnels de santé de conseiller les patients obèses par le biais de téléconsultations et de surveillance à distance des données personnelles de santé. Les dernières avancées en matière de télémédecine permettent aux professionnels de santé de l'utiliser pour la perte de poids, en fournissant des soins distanciels efficaces et abordables sur le plan financier.

Cependant, les données actuelles sur son efficacité dans la réduction du poids ont donné lieu à des résultats contradictoires. Dans une étude récente portant sur 25 essais comparant la télémédecine et les soins traditionnels pour la perte de poids, des différences significatives ont été observées entre les deux groupes. En revanche, une vaste étude de cohorte n'a révélé aucune différence dans l'effet de la santé numérique et de la télémédecine sur la perte de poids chez les patients diabétiques pris en charge de cette manière.

Tchang BG, Morrison C, Kim JT, et al. Weight loss outcomes with telemedicine during COVID-19. Front Endocrinol (Lausanne). 2022; 13: 1. doi:10.3389/FENDO.2022.793290/FULL


Dans cette revue consacrée à l'"état de l'art" de cette question, nous discuterons des données probantes disponibles lors de divers essais de télémédecine dans l'accompagnement et le suivi des patients atteints d'obésité.  Nous passerons en revue les défis et les obstacles actuels à la télémédecine et nous décrirons les orientations futures pour optimiser la prise en charge des patients obèses à l'aide de la télémédecine.


INTERVENTIONS DE SANTÉ NUMÉRIQUE.


Les interventions de santé numérique (ISN) sont un terme générique qui englobe toutes les formes de technologie numérique.

Ces ISN aident les prestataires de soins de santé et les patients à faire un diagnostic, à surveiller leur maladie et à gérer ainsi diverses situations médicales, dont fait partie l'obésité.

Ces ISN comprennent de multiples modalités allant des services de messagerie fournissant des alertes en santé, aux applications d'algorithmes de l'IA pour aider les professionnels de santé dans leur exercice, et aux bases de données électroniques sur les soins délivrés.

En 2018, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié une classification des ISN.

Classification of digital health interventions v1.0. Accessed October 8, 2023. https://www.who.int/publications/i/item/WHO-RHR-18.06

Cette classification vise à distinguer les différentes modalités d' ISN et à décrire comment chacune d'entre elles peut répondre aux besoins existants en matière de soins de santé.

Les ISN sont classées par l'OMS en quatre catégories selon l'utilisateur principal :

(1) Les usagers de la santé. Les interventions chez les usagers peuvent inclure des alertes de santé, des conseils en groupes de pairs et l'autosurveillance.

(2) Les professionnels de santé. Les interventions par ISN chez les professionnels de santé peuvent inclure le suivi longitudinal de l'état de santé des patients, les téléconsultations et la surveillance à distance.

(3) Les gestionnaires de ressources. Les interventions numériques pour les gestionnaires de ressources couvrent la gestion des ressources humaines, la chaîne d'approvisionnement et l'enregistrement les données d'état civil.

(4) Les services de données de santé. Les interventions axées sur les services de données comprennent la collecte de données, le codage et la cartographie de localisation des patients.


LA TÉLÉMÉDECINE


La télémédecine consiste à administrer des soins à distance, sans contact en présentiel.

La télémédecine est divisée en quatre catégories principales.

La première catégorie décrit les modalités permettant de faciliter les échanges entre les usagers de la santé et les professionnels de santé. Les usagers reçoivent des avis médicaux de leurs professionnels de santé, à distance et en temps réel. Les modalités peuvent être les messages, les appels téléphoniques, les lignes d'assistance et les séances de Visio.

La deuxième catégorie implique la surveillance à distance des données de diagnostic ou de santé d'un usager au moyen d'un capteur ou d'un dispositif de surveillance implanté.

La troisième catégorie concerne les modalités de traitement, de stockage et de transmission des données de diagnostic aux professionnels de santé.

La quatrième catégorie concerne la communication entre les professionnels de santé, principalement utilisée pour consulter des spécialistes sur la gestion de certains cas.


La télémédecine, une solution possible pour l'accompagnement et le suivi des patients obèses.

Son intérêt accru peut être attribué à de nombreux facteurs.

La télémédecine permet aux patients de recevoir un traitement à distance.

Pendant la pandémie, de vastes politiques de santé publique telles que la distanciation sociale, l'isolement et la quarantaine ont contraint les professionnels de la santé à modifier l'offre de soins de santé conventionnelle. La plupart des hôpitaux ont suspendu pour une durée indéterminée les consultations en présentiel sans urgence critique.

La télémédecine offre une alternative au soin présentiel et permet aux patients de poursuivre leur traitement.

L'adoption de la télémédecine aux États-Unis a connu un progrès exceptionnel comme dans la plupart des pays touchés par la pandémie, avec une augmentation remarquable de 80 % de son utilisation tout au long de l'année 2020. La télémédecine met les soins médicaux à la disposition des populations isolées, difficiles à atteindre. La télémédecine est également précieuse pour rendre les soins spécialisés accessibles dans le monde entier et réduire ainsi les inégalités de nature géographique. En fournissant des soins aux communautés fragilisées et isolées, la télémédecine peut aider à réduire les inégalités d'accès aux soins de nature raciale, ethnique et socio-économique.

Cela n'est cependant possible que si des mesures sont prises pour garantir l'accessibilité au haut débit numérique et au wifi par les membres de ces communautés.

La télémédecine offre également une solution aux personnes qui ne peuvent pas accéder aux soins en raison de leur mobilité réduite. Les personnes peuvent économiser du temps qui serait autrement consacré aux déplacements et à l'attente de rendez-vous. Une étude récente a montré que les personnes qui avaient un temps de déplacement vers un soin en présentiel de 31 à 45 minutes étaient plus susceptibles d'accepter des téléconsultations.

Rauch VK, Roderka M, McClure AC, et al. Willingness to pay for a telemedicine-delivered healthy lifestyle programme. J Telemed Telecare. 2022; 28(7): 517-523. doi:10.1177/1357633X20943337.

La télémédecine peut permettre d'accéder aux soins sans perturber la journée de travail, ni réduire les revenus professionnels. Kharmats AY, Pilla SJ, Sevick MA. USPSTF recommendations for behavioral counseling in adults with cardiovascular disease risk factors: are we ready? JAMA Netw Open. 2020; 3(11):e2029682. doi:10.1001/JAMANETWORKOPEN.2020.29682.


L'usage de la téléconsultation chez les patients obèses est la pratique la plus développée.

La gestion du poids par les moyens de la télémédecine utilise des outils tels que des séances de conseil en groupe ou individuelles qui aident les patients à contrôler leurs portions alimentaires, à augmenter leur exercice physique et maintenir ainsi la perte de poids prévue.

Ufholz K, Bhargava D. A review of telemedicine interventions for weight loss. Curr Cardiovasc Risk Rep. 2021; 15(9): 17. doi:10.1007/S12170-021-00680-W.

La majorité des études conduites pour estimer l'efficacité des moyens de télémédecine chez les patients en état d'obésité ont eu recours à la téléconsultation.

Ces études impliquent une communication individuelle ou en groupe entre les professionnels de santé et les patients par le biais d'appels vidéo, d'appels téléphoniques ou de messages texte. Les appels téléphoniques sont un mode très populaire de la téléconsultation aux États-Unis.

Dans une première étude, les participants ont reçu 12 séances de groupe d'une heure en présentiel, suivies d'un appel téléphonique ou d'un simple message. Les participants du groupe avec appel téléphonique ont eu une perte de poids moyenne (IC à 95 %) significativement plus élevée (-6,6 kg [-7,5, -5,8]) que celle du groupe avec simple message (-5,1 kg [-7,2, -3,0]) ; p = 0,01.

Venditti EM, Marcus MD, Miller RG, Arena VC, Greenspan SL, Rockette-Wagner B. Group lifestyle phone maintenance for weight, health, and physical function in adults aged 65–80 years: a randomized clinical trial. J Gerontol Ser a Biol Sci Med Sci. 2021; 76(2): 352-360. doi:10.1093/GERONA/GLAA229.

Dans une autre étude, les patients ont été randomisés pour recevoir soit des conseils téléphoniques individuels, soit des conseils téléphoniques en groupe, soit un programme éducatif par courrier électronique. L'objectif était d'évaluer la variation moyenne du poids entre le départ et le suivi à 22 mois. Les participants du groupe témoin qui reçurent un courrier électronique ont eu une prise de poids la plus élevée (gain de poids moyen, 4,1 kg) lors du suivi, ceux qui ont reçu un conseil téléphonique en groupe ont eu un gain de poids moyen de 2,8 kg. Le gain de poids la plus faible fut observée chez les patients qui avaient reçu un conseil téléphonique individuel (gain de poids moyen, 2,3 kg). Cette étude montre l'accompagnement périodique par un conseil téléphonique individuel permet d'obtenir un meilleur contrôle de la prise de poids.

Perri MG, Shankar MN, Daniels MJ, et al. Effect of telehealth extended Care for Maintenance of weight loss in rural US communities: a randomized clinical trial. JAMA Netw Open. 2020; 3(6):e206764. doi:10.1001/JAMANETWORKOPEN.2020.6764.

Notre revue totalise 20 essais cliniques qui ont évalué l'effet d'un seul type d'intervention de télémédecine (téléconsultation le plus souvent) sur le changement de poids chez les patients obèses. Aucune restriction n'a été imposée en termes de temps, de conception du process et de langue.


L'usage de textes par messagerie est une autre forme d'accompagnement des patients obèses.

Dans un essai contrôlé, 340 patients obèses ont été randomisés pour recevoir soit une intervention de coaching numérique via un outil en ligne appelé LIVA, soit des soins habituels d'un professionnel de santé. L'intervention de coaching numérique a été précédé d'un premier entretien de motivation en présentiel  d'une durée d'une heure. Ensuite un coaching numérique a été mis en place utilisant des techniques visant le changement de comportements. Ce coaching numérique était un suivi individuel. Lors du suivi à 12 mois, les patients du groupe intervention ont présenté une réduction significative du poids corporel par rapport au groupe témoin (-4,5 kg contre -1,5 kg) avec une diminution de l'indice de masse corporelle (IMC) (-1,5 kg/m2 contre -0,5 kg/m2).

Hesseldal L, Christensen JR, Olesen TB, et al. Long-term weight loss in a primary care–anchored eHealth lifestyle coaching program: randomized controlled trial. J Med Internet Res. 2022; 24(9):e39741. doi:10.2196/39741.

L'utilisation d'une plateforme appelée « Noom » a permis d'accompagner des femmes pendant les deux années qui ont suivi un accouchement. Cette plateforme comprenait des messages individuels et des messages de groupe, ainsi que des prescriptions d'exercices physiques quotidiens, du matériel éducatif et un suivi des repas. L'étude a donné des résultats positifs avec une diminution significative de l'IMC [t(112) = 7,33, p < 0,0001] à la semaine 24 pour la majorité des participantes.

Toro-Ramos T, Heaner M, Yang Q, et al. Postpartum weight retention: a retrospective data analysis measuring weight loss and program engagement with a Mobile health program. J Womens Health. 2021; 30(11): 1645-1652. doi:10.1089/JWH.2020.8584/ASSET/IMAGES/LARGE/JWH.2020.8584_FIGURE2.JPEG.

Une autre étude utilisant également des textes par messagerie a également montré une diminution significative de divers paramètres, notamment le poids, l'IMC et le pourcentage de graisse.

Kim Y, Oh B, Shin HY. Effect of mHealth with offline antiobesity treatment in a community-based weight management program: cross-sectional study. JMIR Mhealth Uhealth. 2020; 8(1):e13273. doi:10.2196/13273.


La télésurveillance des données de santé personnelles améliore le suivi des patients

La surveillance à distance des données de santé des patients obèses, qu'elles soient autodéclarées, ou extraites d'appareils portables améliore le suivi de ces patients. Elle est associée à une plus grande adhésion des patients que lorsque les données étaient déclarées sur papier.


Une poignée d'études a étudié l'impact de pratiques combinées de santé numérique et de télémédecine. Toutes les interventions comprenaient un volet de téléconsultation en plus de la surveillance des données de santé.

Dans une étude publiée en 2021, la pratique combinée de téléconsultations téléphoniques et d'une surveillance des données personnelles à distance a été évaluée chez 1550 patients obèses. Sur un suivi de 6 mois, les patients qui ont utilisé les téléconsultations ont eu une perte de poids médiane plus importante par rapport à ceux qui avaient le simple suivi des données sans téléconsultation (4,4 contre 1,5 kg).

D'autres études ont également examiné la perte de poids chez les personnes à risque cardiovasculaire et de cancer du sein. Ces études ont rapporté une perte de poids notable chez les participants qui recevaient les interventions combinées.

Bailly S, Fabre O, Legrand R, et al. The impact of the COVID-19 lockdown on weight loss and body composition in subjects with overweight and obesity participating in a nationwide weight-loss program: impact of a remote consultation follow-up—the CO-RNPC study. Nutrients. 2021; 13(7):2152. doi:10.3390/NU13072152/S1

Un essai pilote, contrôlé et randomisé, publié en 2020, consistait à fournir à tous les patients des conseils pour modifier leur mode de vie et à les mettre en relation avec des professionnels par téléphone et par SMS pendant 52 semaines. Les participants ont été répartis de façon aléatoire en deux groupes. Un premier groupe recevait des conseils de modifications du mode de vie et avait un contact téléphonique avec des professionnels de santé. Dans le deuxième groupe, en plus de tout cela, les professionnels de santé avaient également accès aux données d'autosurveillance des patients. L'étude a montré que la perte de poids totale ne différait pas de manière significative entre les deux groupes qui avaient chacun une intervention combinée de santé numérique et de télémédecine. L'étude montre que l'accès aux données personnelles autosaisies par les patients n'apportait pas d'avantages significatifs.

Butryn ML, Martinelli MK, Crane NT, et al. Counselor surveillance of digital self-monitoring data: a pilot randomized controlled trial. Obesity (Silver Spring). 2020; 28(12): 2339-2346. doi:10.1002/OBY.23015

L'utilisation d'une prescription d'exercices physiques personnalisées chez 59 patients en surpoids avec un suivi du rythme cardiaque, l'usage d'une application mobile et l'existence d'une salle de discussion en ligne offrant une supervision active était une autre forme d'interventions combinées. Le groupe témoin a reçu les mêmes facilités, à l'exception d'une supervision active par le biais de la salle de discussion en ligne. Après 12 semaines de suivi, aucune différence dans la perte de poids n'a été observée entre le groupe d'intervention et le groupe témoin (-2,7 contre -2,0 kg). Là encore, l'offre d'une discussion en groupe en ligne n'apportait pas d'avantages par rapport aux pratiques combinées utilisant la santé numérique et la télémédecine.

Hu Y, Zhang Y, Qi XY, et al. Supervised mHeath exercise improves health factors more than self-directed mHealth exercise: a clinical controlled study. Front Public Health. 2022; 10:895474. doi:10.3389/FPUBH.2022.895474.


DISCUSSION


Quelle perspective des soins distanciels dans l'accompagnement des patients obèses ?

Une étude en cours teste plusieurs moyens combinés de santé numérique et de télémédecine en alternance avec des soins présentiels. Il s'agit d'une étude contrôlée et randomisée qui durera 36 mois et dont la publication est attendue en 2026.

Evaluating the Impact of a Culinary Coaching Tele-medicine Program—Full Text View—ClinicalTrials.gov. Accessed October 16, 2022. https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT03823469?term=telemedicine&recrs=abdf&cond=Obesity&draw=2&rank=9

Les études qui ont servi à établir l'"état de l'art" soutiennent que les séances de conseil individualisées par téléconsultation sont plus bénéfiques que le coaching en groupe. De plus, les études de télésurveillance montrent que la surveillance à distance des données de santé par les professionnels de santé augmente l'adhésion des patients au plan de gestion de l'obésité. Enfin, une étude montre que les résultats des interventions de télémédecine sont meilleurs lorsqu'elles sont combinées à d'autres modalités de santé numérique que lorsque ces interventions impliquent une seule intervention.

Schoeppe S, Alley S, Van Lippevelde W, et al. Efficacy of interventions that use apps to improve diet, physical activity and sedentary behaviour: a systematic review. Int J Behav Nutr Phys Act. 2016; 13(1): 127. doi:10.1186/S12966-016-0454-Y.


Quelle serait la périodicité idéale de suivi chez les patients obèses ?

La plupart des études avec des plans de traitement de perte de poids entraînent des réductions allant de 5% à 10% du poids initial. Un tiers à la moitié de ce poids perdu est souvent repris dans l'année qui suit la fin de l'intervention. De tels résultats soulignent la nécessité de maintenir un suivi après la fin de l'intervention afin de maintenir la perte de poids obtenue.

Dans un essai clinique randomisé publié en 2020, les auteurs ont étudié l'effet des soins prolongés, d'une durée allant jusqu'à 22 mois, par le biais de téléconsultations téléphoniques individuels ou de conseils en groupe ou de texte par courrier électronique, chez des adultes ayant un IMC compris entre 30 et 45. Ils ont montré que des conseils réguliers, en particulier par des séances de téléconsultation, ont aidé les patients à conserver une partie significative de cette perte de poids par rapport à un groupe témoin.

Perri MG, Shankar MN, Daniels MJ, et al. Effect of telehealth extended Care for Maintenance of weight loss in rural US communities: a randomized clinical trial. JAMA Netw Open. 2020; 3(6):e206764. doi:10.1001/JAMANETWORKOPEN.2020.6764

De tels résultats sont cohérents avec une méta-analyse qui a regroupé les données de 51 études, laquelle a montré que les interventions par texte de messagerie pendant au moins 6 mois, visant à maintenir un comportement positif en matière de santé, pouvait améliorer les habitudes alimentaires et conduire à une perte de poids (d = 0,24, IC à 95 % 0,16-0,32). Ces habitudes comprenaient également l'abandon du tabac et l'augmentation de l'activité physique.

Armanasco AA, Miller YD, Fjeldsoe BS, Marshall AL. Preventive health behavior change text message interventions: a meta-analysis. Am J Prev Med. 2017; 52(3): 391-402. doi:10.1016/J.AMEPRE.2016.10.042

Selon les directives AHA/ACC/TOS 2013 sur l'obésité, toutes les interventions sur le mode de vie doivent comporter au moins 14 contacts sur une période de 6 mois.

Jensen MD, Ryan DH, Apovian CM, et al. AHA/ACC/TOS guideline for the management of overweight and obesity in adults: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on practice guidelines and the obesity society. J am Coll Cardiol. 2013, 2014; 63(25 PART B): 2985-3023. doi:10.1016/J.JACC.2013.11.004.


CONCLUSION


Avec l'incidence et la prévalence croissantes de l'obésité, les professionnels de santé doivent déployer de nouvelles organisations de soins ainsi que des méthodes innovantes pour combattre et freiner l'obésité. L'un de ces moyens peut être l'utilisation de la santé numérique et de la télémédecine. Les études de cette revue ont examiné diverses formes d'intervention et ont montré des résultats prometteurs lorsque ces interventions étaient combinées. Cependant, les résultats ont été souvent limités à cause de la petite taille des échantillons et un temps de suivi limité. Des efforts sont nécessaires pour améliorer la littératie numérique et résoudre les difficultés technologiques, ainsi que les problèmes de sécurité et de financement liés à l'exercice de la santé numérique et de la télémédecine. Des études futures sont nécessaires pour comparer les diverses stratégies d'interventions combinées, en particulier chez les minorités ethniques et raciales touchées par cette maladie chronique.


COMMENTAIRES. Considérées pendant longtemps en France comme seulement des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires, l'hypertension artérielle qui touche aujourd'hui un adulte sur trois et l'obésité (IMC =/> à 30kg/m2) qui touche près de 20% de la population française en 2023, avec un quasi doublement de sa prévalence en 30 ans, doivent rejoindre les communautés de patients atteints de maladies chroniques. Un patient peut cumuler plusieurs maladies chroniques, comme un patient à la fois diabétique et obèse. L'obésité est une affection chronique car dans la grande majorité des situations, notamment les cas sévères, elle ne peut s'améliorer, voire se stabiliser, sans un accompagnement et un suivi thérapeutique au long cours. Les traitements (chirurgical, pharmacologique) sont réservés aux obésités les plus graves. Par contre, le simple surpoids (IMC 24 à 29 kg/m2) peut être considéré comme un facteur de risque que l'on peut prévenir et guérir. 

L'obésité est devenue la maladies chronique la plus fréquente dans le monde, à l'origine de nombreuses maladies cardiovasculaires et métaboliques, générant des dépenses de santé de plus en plus élevées. S'attacher à son accompagnement et à la prévention des formes graves est devenu une priorité de santé publique. A une période où la demande de soins dépasse largement l'offre dans la plupart des pays, il nous faut créer des organisations professionnelles innovantes qui puissent assurer l'accompagnement et le suivi de ces patients. La seule prise en charge par les médecins de soin primaire et les médecins spécialistes de l'obésité est limitée aux formes les plus sévères. Reposant beaucoup sur l'éducation thérapeutique, le suivi peut être délégué à des professionnels de santé compétents dans ce domaine, comme le sont devenus de nombreux IDEL, IPAL et pharmaciens d'officines qui ont acquis cette compétence.

La transformation numérique de notre système de santé permet aujourd'hui à tous les professionnels de santé de réaliser en équipe des soins distanciels avec les pratiques de la télésanté (téléconsultation, télésoin, téléexpertise, télésurveillance) et l'usage de solutions de la santé numérique (applis d'éducation alimentaire et d'exercice physique, plateformes d'échanges en communauté de patients, etc.).

Comme le montre cette remarquable revue "state of the art" sur l'usage de la santé numérique et de la télémédecine chez les patients atteints d'obésité, ces malades peuvent bénéficier de soins distanciels efficaces utilisant des interventions combinées à la fois de santé numérique et de télésanté, en alternance avec des soins présentiels jugés inévitables.


26 août 2024