25 ans d'innovations organisationnelles portées par la télémédecine : existe-t-il encore des freins à son développement ?

Après avoir abordé le difficile chemin de l'innovation organisationnelle en télésanté chez les médecins libéraux (https://telemedaction.org/423570493/innovation-organisationnelle), nous poursuivons notre réflexion sur d'autres causes qui pourraient encore freiner l'organisation de parcours de soins hybrides alternant des soins distanciels et des soins présentiels (https://telemedaction.org/422021881/m-decine-hybride-au-21-me-si-cle).

Nous abordons dans ce nouveau billet les éventuels freins de nature juridique, en faisant la distinction entre les obligations (droit dur) et les recommandations (droit souple) dans le domaine de la télésanté.

L'actualité montre qu'il ne suffit pas de promouvoir une solution numérique, même dotée d'IA, pour transformer notre système de santé. Il faut que cette solution réponde à des usages bien identifiés et adoptés par les professionnels de santé. On parle alors d'une organisation professionnelle innovante qui valide l'outil numérique et non l'inverse.

Dans les prédictions de transformation du système de santé qui sont faites aujourd'hui à travers les médias, on oublie de parler du chainon manquant, l'organisation professionnelle innovante, à l'origine de l'échec de nombreux projets  (https://telemedaction.org/422021881/447931078). L'organisation innovante doit être choisie par les professionnels de santé pour répondre à un besoin. La solution numérique accompagne l'organisation innovante. Il y a beaucoup d'appelés parmi les solutions numériques, mais peu d'élus !

Dans ce billet, nous rappelons les principales organisations de télésanté, mises en place en France, depuis un quart de siècle et dont la pérennité a contribué à changer certains parcours de soins traditionnels qui prévalaient au 20ème siècle. Ont-elles réussi en respectant strictement les obligations de nature juridique (droit dur) ou se sont-elles développées en s'adaptant à leur environnement spécifique, tout en respectant des recommandations de bonnes pratiques de la télémédecine (droit souple) ?


INTRODUCTION


La période où la pratique de la télémédecine en France n'était pas encore légale

L'application du droit médical et de l'éthique aux organisation professionnelles innovantes au sein de l'hôpital public français date du début du 21ème siècle. L'innovation organisationnelle permise par le numérique en santé, illustrée par la télémédecine, séduisit de nombreux médecins hospitaliers en France et dans le monde à partir des années 2000.

C'est ainsi qu'en France, on vit apparaître en Bretagne la téléexpertise (en néphrologie) avec le médecin généraliste de ville à partir de 1998 pour améliorer le parcours des patients insuffisants rénaux, ainsi que la télésurveillance médicale des patients traités par hémodialyse chronique dans des structures dites "hors du centre" (télédialyse) à partir de 2001. Ces structures (Unités de Dialyse Médicalisés) étaient proches du domicile des patients. Les objectifs de cette innovation organisationnelle des soins néphrologiques était, d'une part d'éviter l'encombrement des services hospitaliers par des consultations néphrologiques "évitables" grâce à la téléexpertise avec le médecin traitant, d'autre part, d'améliorer la vie sociale des patients insuffisants rénaux chroniques traités par hémodialyse chronique, lesquels subissaient des contraintes importantes en venant trois fois par semaine se traiter dans le centre hospitalier, distant pour certains d'une centaine de kilomètres (https://telemedaction.org/432098221/432585208).

Fait intéressant qui éclaire l'objet de ce billet : après la promulgation de la loi définissant la télémédecine (droit dur ou Hard Law), la Haute autorité de la santé (HAS) publia en janvier 2010 des recommandations sur les bonnes pratiques de la télédialyse (droit souple ou Soft Law) qui facilitèrent son développement en France (https://affairesjuridiques.aphp.fr/textes/synthese-et-recommandations-de-la-haute-autorite-de-sante-relatives-aux-conditions-de-mise-en-oeuvre-de-la-telemedecine-en-unite-de-dialyse-medicalisee-has-telemedecine-unite-de-d/).


La pratique de la télémédecine n'était pas encore légale lorsque la région Bretagne et la région Lorraine commencèrent en 2001 à pratiquer la télé néphrologie, comme elle ne l'était pas non plus en Midi-Pyrénées au début des années 90 lorsque le Pr Louis Lareng, anesthésiste-réanimateur, initia la télémédecine pour la première fois en France en utilisant des téléexpertises entre les médecins hospitaliers des hôpitaux périphériques et les médecins hospitaliers spécialistes du CHU de Toulouse, le but de cette pratique distancielle innovante dans les années 90 étant d'éviter des transferts "évitables" au CHU. Cette pratique fut couronnée de succès puisque 48% des transferts vers le CHU furent évités (https://telemedaction.org/422783742/422886029).

Ce fut une situation comparable en Franche-Comté lorsque le Pr Thierry Moulin, neurologue vasculaire, lança en 2002 le TéléAVC dans le cadre d'une étude européenne Tempis, en collaboration avec une équipe allemande de Bavière. Le but était de traiter l'accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique par thrombolyse dès sa phase aiguë afin d'améliorer le pronostic fonctionnel et vital des patients à court terme (https://telemedaction.org/422885857/431892210).


Une pratique devenue légale à partir de 2009

La télémédecine aurait pu devenir une pratique légale dès 2004, mais l'absence de décret d'application l’empêcha de se déployer. C'est en juillet 2009 qu'une nouvelle définition plus complète de la télémédecine fut inscrite dans la loi Hôpital Patient Santé Territoire ou HPST (l'article 78). Elle devint réglementaire en octobre 2010 avec le premier décret d'application qui définissait 5 actes : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance, la téléassistance et la régulation médicale par le centre 15 et les conditions de leur mise en oeuvre.

L'innovation organisationnelle permise par la télémédecine fut ainsi facilitée à l'hôpital public. Il suffisait que le directeur de l'établissement, avec l'accord du Conseil d'administration et de la Commission médicale d’Établissement, approuvât l'innovation organisationnelle proposée par les professionnels hospitaliers, la fasse connaître à son assureur en responsabilité civile et que la "tutelle" administrative de l'époque (Agence régionale de l'hospitalisation ou ARH) ne s'y opposât pas.


Ainsi, le droit d'exercer la télémédecine à partir de 2011 fut inscrit au Code de la santé publique (CSP). Cette reconnaissance légale et réglementaire fut une aide indiscutable à sa prospérité en milieu hospitalier.

Ce ne fut pas le cas en milieu ambulatoire de ville puisque la tarification des actes de télémédecine dans le droit commun de la sécurité sociale n'intervint que plus tard, en septembre 2018. Ce fut l'Assureur national qui freina son développement en ville. Les autorités sanitaires et assurantielles mirent alors en place, à partir de 2013, des expérimentations organisationnelles de télémédecine (essentiellement de téléconsultation), financées à titre dérogatoire par les Agences régionales de santé (ARS). Ces expérimentations dont les protocoles étaient très complexes, écrits essentiellement par l'administration, furent un cuisant échec (très peu de téléconsultations et de téléexpertises réalisées en 4 ans d'expérimentation). Ces protocoles, trop complexes, ne parvinrent pas à convaincre les professionnels médicaux libéraux de l'intérêt de cette nouvelle pratique distancielle pour leurs patients.


COMMENT DIFFÉRENCIER LE DROIT DUR DU DROIT SOUPLE ?


Le droit dur crée des droits et des obligations dans le chef de ses destinataires, alors qu'une recommandation, un guide de bonnes pratiques, une charte, un protocole sont des instruments non-contraignants et relèvent du droit souple.

En 2013, le Conseil d’État exprimait sa position sur le droit souple :

Nous avons privilégié une approche empirique en partant de la diversité des instruments (recommandation, guide de bonnes pratiques, charte, directive, protocole…) pour construire une définition.

Celle-ci réunit trois conditions cumulatives : d’abord, comme le droit dur, les instruments de droit souple cherchent à modifier les comportements ; le deuxième critère est l’absence de force contraignante de ces instruments ; le troisième critère est plus subtil. Il permet de distinguer le droit souple du non droit : il s’agit de la structuration de l’instrument qui, par la présentation et l’organisation de son contenu, donne au droit souple une forme juridique (https://www.dalloz-actualite.fr/interview/droit-souple-quelle-efficacite-quelle-legitimite-quelle-normativite#:~:text=Si%2C%20en%202013%2C%20le%20Conseil,sont%20d%C3%A9pourvus%20de%20force%20contraignante.)


QUELLES SONT LES PRINCIPALES OBLIGATIONS (DROIT DUR) POUR LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ QUI PRATIQUENT LA TÉLÉMÉDECINE ET LE TELESOIN ?


Respecter les droits des patients

Dans toute pratique médicale ou de soin, qu'elle soit présentielle ou en distancielle, le professionnel de santé doit respecter les droits des patients : toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé...(art. L.1111-2 du CSP) et aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment (art. L.1111-4 du CSP).

Les droits des patients sont également rappelés dans la plupart des Codes de déontologie des métiers de la santé, en particulier pour les médecins aux art.R.4127-35 et R.4127-36 du CSP : Le patient doit formuler son consentement après avoir reçu de la part du médecin, une information claire, compréhensible, adaptée à ses capacités de comprendre la nature des actes et prescriptions proposés, leur intérêt pour sa santé et les conséquences néfastes en cas de refus (article R. 4127-35).


Respecter la confidentialité des données personnelles de santé.

Un droit fondamental.

Le respect de la vie privée et familiale, de l’intimité, est un droit fondamental et autonome, protégé par le droit national et international

(Article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; article 9 du code civil ; article L311-3 du code de l’action sociale et des familles (CASF) ; article 1110-4 du code de la santé publique (CSP))

Il concerne aussi le droit à la confidentialité des informations à caractère personnel. La loi française du 6 janvier 1978 modifiée, relative à l’informatique aux fichiers et aux libertés pose ces obligations.

Le recueil d’informations doit rester strictement limité à ce qui est lié à la spécificité de la mission, à la demande exprimée par la personne ou à un besoin prioritaire de protection.

Les lois du 2 janvier 2002 et du 28 décembre 2015 (art. L311-3 du CASF) précisent ainsi que l'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge au sein d'établissements de santé et de services sociaux et médico-sociaux.

La loi du 26 janvier 2016 (art. L1110-4 du CSP) rappelle de même que toute personne prise en charge par un établissement ou service social et médico-social a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.


La protection des données personnelles dans les pratiques distancielles de télésanté.

La CNIL a publié en septembre 2018 une note intitulée : télémédecine, comment protéger les données des patients ? (https://www.cnil.fr/fr/telemedecine-comment-proteger-les-donnees-des-patients).

Dans cette note, la CNIL rappelle que le cadre juridique de la télémédecine est pluriel avec, d'une part des dispositions spécifiques à la télémédecine dans les articles L. 6316-1 et R. 6316-1 et suivants du CSP consacrées aux conditions de mise en œuvre et d’organisation de l’activité de télémédecine, d'autre part, des dispositions du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), rappelant que le traitement des données résultant d’une activité de télémédecine est susceptible d’engendrer un risque élevé pour les droits et les libertés des personnes physiques, que le responsable du traitement doit effectuer préalablement une analyse de l’impact des opérations de traitement envisagées sur la protection des données à caractère personnel.

Chaque professionnel de santé a ainsi l'obligation de protéger les données personnelles de ses patients en utilisant des outils numériques sécurisés (https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F24270).

Les règles de partage des données personnelles de santé sont également précisées par le RGPD (https://telemedaction.org/437100423/442230230)(https://telemedaction.org/437100423/448216019).


Garantir la pertinence des pratiques de télémédecine et de télésoin

Le décret n°2021-707 du 3 juin 2021 relatif à la télésanté introduit une nouvelle obligation : l'acte de télésanté doit être pertinent, c'est à dire qu'il doit être pratiqué au regard de la situation clinique du patient. La HAS, avant 2021, en avait fait une simple recommandation dans ses publications de mai 2019 sur les bonnes pratiques de la téléconsultation et de la téléexpertise (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-07/fiche_memo_teleconsultation_et_teleexpertise_mise_en_oeuvre.pdf) et de juin 2021 sur les bonnes pratiques du télésoin (https://www.has-sante.fr/jcms/p_3261198/fr/telesoin-les-bonnes-pratiques). La pertinence des actes de télémédecine et de télésoin  est devenue une obligation dans le décret relatif à la télésanté et engage la responsabilité pleine et entière du professionnel de santé qui réalise ces actes.


Chaque métier de la santé doit respecter son code de déontologie et/ou les grands principes de l'éthique.

Certains métiers en santé disposent d'un code de déontologie (chirurgien-dentiste, pédicure-podologue, infirmier, sage-femme, médecin, masseur-kinésithérapeute). A ce jour, l'exercice de la télésanté et la pratique professionnelle en présentiel  relèvent du même code de déontologie pour ces différents métiers de la santé.


COMMENT ONT ÉVOLUÉ LES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES INNOVANTES EN TÉLÉMÉDECINE AU COURS DES 25 DERNIÈRES ANNÉES ?


Les organisations professionnelles innovantes en ville, initiées par l'administration, ont subi de nombreux échecs.

Nous avons précédemment rappelé l'expérimentation de télémédecine (téléconsultation, téléexpertise) en médecine ambulatoire de ville, conduite entre 2014 et 2017, votée par le Parlement dans la LFSS de 2014 (article 36). Cette expérimentation fut un cuisant échec. Le rapport présenté devant le Parlement en novembre 2017 ne comportait que 376 actes, 303 téléconsultations et 73 téléexpertises, dont 86% furent réalisés dans les Ehpads (https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_au_parlement_vf.pdf). La HAS déclara au Parlement qu'il lui était impossible d'évaluer cette expérimentation.


Dénoncée par la Cour des Comptes en septembre 2017 comme "une action publique dispersée aux résultats modestes" (https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-09/20170920-rapport-securite-sociale-2017-telemedecine.pdf), les expérimentations de télémédecine en médecine de ville (téléconsultation, téléexpertise) furent stoppées. La télémédecine entra alors dans le droit commun de la sécurité sociale lors de la LFSS 2018, avec une mise en application le 15 septembre 2018 pour la téléconsultation) et le 11 février 2019 pour la téléexpertise.


L'encadrement administratif strict des pratiques de téléconsultation et de téléexpertise dans l'avenant 6 à la Convention nationale médicale fut un frein au développement de la télémédecine en ville. En 2019, seulement 60 000 téléconsultations sur les 500 000 prévues par l'Assurance maladie et moins de 1000 téléexpertises furent remboursées par l'Assurance maladie, malgré les recommandations de bonnes pratiques émises par la HAS en mai 2019. Une correction de cet avenant fut apportée après la pandémie dans l'avenant 9, en particulier pour simplifier la pratique de la téléexpertise.

Le lecteur intéressé pourra approfondir ses connaissances sur cette période en se référant à plusieurs billets publiés sur ce blog : (https://telemedaction.org/422016875/443481923)(https://telemedaction.org/422016875/443565029)(https://telemedaction.org/422016875/438399162).


Des pratiques libérées de toute contrainte administrative pendant la pandémie Covid-19.

Si cette période de pandémie, encadrée en France par une loi d'urgence sanitaire de mars 2020, a permis à de nombreux pays de découvrir les soins distanciels par télésanté, les pratiques professionnelles pouvaient parfois être déviantes (notamment pour la téléconsultation) (https://telemedaction.org/423570493/un-coup-de-gueule-salutaire)(https://telemedaction.org/423570493/le-far-west-de-la-t-l-consultation) et ne respecter ni les obligations fondamentales rappelées précédemment, ni les recommandations de bonnes pratiques de la HAS, ce qui conduisit l'agence, en décembre 2022, à demander aux professionnels médicaux qui pratiquaient la téléconsultation de redoubler de vigilance (https://www.has-sante.fr/jcms/p_3394347/fr/flash-securite-patient-teleconsultation-a-distance-redoubler-de-vigilance).

Il n'en demeure pas moins vrai que cette période de pandémie fut vécue par les professionnels de santé comme une période d'innovation organisationnelle, sans contrainte administrative. Rappelons les succès immédiats de la télésurveillance des patients à domicile avec l'appli CoviDom qui bénéficia à près d'un million de patients en quelques mois, la remarquable efficacité de l'appli Tracking Covid qui permit aux citoyens d'avoir des statistiques journalières, nationales et internationales, de connaître les lieux de dépistage proche de leur domicile, d'être formés aux signes de l'infection virale et aux méthodes de prévention, etc. Ces deux applis furent créées en quelques semaines par des professionnels de la santé numérique et ont apporté un réel service à la population. Des réalisations de ce genre furent constatées dans de nombreux pays.


Les organisations professionnelles innovantes de télémédecine mises en place à l'initiative des professionnels de santé ont eu plus de réussite que celles initiées par l'administration.

Le succès des organisations innovantes à l'hôpital public.

Quinze ans après le lancement de la télémédecine en France, ce sont les organisations professionnelles innovantes mises en place par les praticiens hospitaliers depuis le début des années 2000 qui ont eu le plus de succès et dont la plupart sont devenues pérennes. On peut citer la télésurveillance des patients dialysés ou télé-dialyse (après l'organisation pionnière du CH de Saint Brieuc, l'extension du modèle aux ESPICs des Pays de Loire, de Lorraine, des Hauts de France, de Rhône-Alpes, à l'outre-mer, etc.), le télé-AVC à sa phase aiguë (après l'organisation pionnière du CHU de Besançon, l'extension du modèle organisationnel dans la plupart des CHU régionaux à l'initiative des services de neurologie vasculaire), le dépistage de la rétinopathie diabétique (l'expérience pionnière OPHDIAT de l'hôpital Lariboisière à Paris, modèle qui s'est développé ensuite dans plusieurs régions françaises),  la télésurveillance des patients en insuffisance cardiaque chronique (après l'organisation pionnière du CHU de Caen (SCAD), l'extension du modèle à plusieurs CHU et CHG), la télésurveillance cardiologique des patients porteurs de DECI (après les organisations pionnières des CHU de Lille et de Bordeaux, l'extension des modèles à la plupart des CHU et CHG français), la télésurveillance des patients diabétiques (après l'expérience pionnière du CH Sud-Francilien, son déploiement dans le secteur libéral fut plus difficile, car il dépendait du financement accordé par l'Assurance maladie),  la téléexpertise entre spécialistes hospitaliers et médecins traitants de ville (à l'initiative de nombreux établissements hospitaliers depuis la fin de la pandémie) est en plein développement.

Cette liste n'est pas exhaustive. Les facteurs communs à la plupart de ces réussites organisationnelles sont connus : le leadership de praticiens hospitaliers, la participation des associations de patients, la simplicité administrative dans la mise en œuvre à partir de l'hôpital public (voir plus haut), la facilité des financements dans le budget hospitalier (T2A) qui ne dépendait pas directement du budget de l'Assurance maladie, la collaboration avec les industriels du numérique, etc.

Si la plupart de ces organisations innovantes, à l'initiative des professionnelles de santé hospitaliers, ont respecté les obligations (citées ci-dessus), les organisations professionnelles n'étaient pas toujours uniformes et devaient s'adapter aux personnes, à leur environnement et aux situations locales spécifiques, les recommandations de la HAS ou les guidelines ou les protocoles publiés par les sociétés médicales savantes concernés ont été les instruments essentiels du droit souple.


Les organisations innovantes de télésanté initiées par l'administration furent souvent plus contraignantes.

Il y a eu indiscutablement des réussites en médecine de ville, notamment chez les cardiologues libéraux qui ont mis en place avec l'aide des ARS des organisations innovantes en collaboration avec les médecins traitants, comme celle permettant la télésurveillance des patients atteints d'hypertension artérielle (Protocole de prise en charge de l'hypertension artérielle en télésurveillance: résultats sur 300 patients en médecine de ville P Dary European Research in Telemedicine/ La Recherche européenne en Télémédecine, 2014) et/ou des patients atteints d'une insuffisance cardiaque chronique, à l'initiative des cardiologues de ville (https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-28-mars)((https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-du-30-janvier-2025). La téléexpertise ophtalmologique à Mayotte et la télédialyse à Saint-Pierre et Miquelon font également partie de ces réussites grâce à des contraintes administratives adaptées aux besoins des populations (https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-du-7-octobre-2024).

Le programme ÉTAPES (2018-2024) censé expérimenter le modèle économique de la télésurveillance médicale de cinq maladies chroniques (insuffisance cardiaque chronique, troubles du rythme cardiaque contrôlés par DECI, diabète type 1 et 2, insuffisance rénale traitée par dialyse ou transplantation, insuffisance respiratoire appareillée au domicile) eut un succès mitigé, non évalué à ce jour, dont 80% des patients inclus dans le programme étaient suivis pour une maladie cardiaque (troubles du rythme, insuffisance cardiaque).

Dans l'expérience appelée "Domoplaies" de la télésurveillance des plaies chroniques et complexes avec les IDEL, au domicile ou chez les résidents d'Ehpad, le modèle organisationnel impulsé dès 2010 par des professionnels des CHU de Caen et de Montpellier, mettra près de 15 ans à être opérationnel en médecine de ville. C'est le réseau CICAT d'Occitanie qui y parviendra, après avoir expérimenté le modèle économique dans un art 51 de la LFSS 2018. Il aura fallu 4 années d'expérimentation pour qu'un forfait de soins soit défini et in fine accepté par l'Assurance maladie (https://www.ticsante.com/Story?id=7563).

Une autre expérimentation art.51, caractérisée par une organisation innovante (équipe mobile de télémédecine) assurant des téléconsultations assistées par des IDEL avec le médecin traitant ou un médecin spécialiste chez les résidents d'Ehpad, a été jugé in fine non efficiente par l'Assurance maladie, malgré l'indiscutable service rendu aux patients reconnu par tous les acteurs de santé des Ehpads concernés (https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-du-30-mai).

L'expérimentation sur la télésurveillance médicale du diabète gestationnel, lancée en 2019, a été prolongée deux fois pour démontrer les économies générées par cette nouvelle organisation.

Si la plupart des articles 51 sont à l'initiative de professionnels médicaux de ville, voire d'établissements, leur succès ou leur échec est dépendant du bilan économique à court terme (3 ans) et non du service médical rendu à la population. C'est la démonstration formelle d'économies de santé par rapport à la prise en charge habituelle qui conduit à sa transposition dans le droit commun de la sécurité sociale. Cette preuve débouche généralement sur un forfait de soins. Il y a eu indiscutablement un engouement pour les expérimentations art.51 depuis 2018, malgré les longs délais d'instruction des projets. Sur les 155 expérimentations retenues depuis 2019, 25 sont terminées et devraient être transposées dans le droit commun de la sécurité sociale (LFSS 2025). Certaines concernent la télésanté (https://www.aefinfo.fr/depeche/722175-article-51-25-innovations-sont-en-cours-de-transposition-dans-le-droit-commun-selon-le-rapport-aux-parlementaires#:~:text=En%20tout%2C%20ce%20sont%20155,commun%20qui%20reste%20%C3%A0%20construire.).

On peut illustrer la complexité administrative de cette transposition dans le droit commun par l'avis défavorable "surprise" du comité technique de l'art.51 (DGOS/CNAM) sur le "paiement à l'épisode de soins", avis publié en juillet 2024 (https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/20240729_avis_ctis_fin_xp_eds.pdf).

Quant aux plateformes de téléconsultation ponctuelle, non reconnues d'intérêt public par l'Assurance maladie en septembre 2018, le service qu'elles ont rendu pendant la pandémie fut reconnu par les pouvoirs publics et la poursuite du financement de leur activité par l'Assurance maladie a été actée dans la LFSS 2023 sur la base d'un agrément préalable donné par le ministre de la  Santé et de la Sécurité sociale (https://telemedaction.org/437100423/r-f-rentiel-has-pour-les-soci-t-s-de-t-l-consultation). La réalisation du cahier des charges défini par l'administration demeure complexe.


CONCLUSIONS


Existe-t-il encore des freins au développement de la télémédecine en France ?

On peut répondre non pour les établissements de santé qui trouvent dans ces organisations innovantes des sources d'économies, notamment grâce à une meilleure maitrise des hospitalisations par le dialogue instauré en téléexpertise avec les médecins traitants, ainsi que dans la maitrise des filières de soins au sein d'un GHT, entre les hôpitaux périphériques et l'hôpital support (https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-du-20-juin). 30 ans après la première démonstration qu'en avait faite en Midi-Pyrénées le Pr Louis Lareng, l'intérêt de la téléexpertise à l'initiative des établissements de santé est de nouveau démontré.


La réponse à la question est plus incertaine pour les organisations de télésanté en médecine de ville où certains professionnels médicaux libéraux voient dans ces organisations innovantes, souvent pluriprofessionnelles et associées à des délégations, des menaces pour leur exercice traditionnel. Il faut saluer cependant l'engouement des professionnels de ville pour les expérimentations art.51 de la LFSS 2018 (près de 1500 projets déposés en 5 ans), témoignant de leur volonté d'innover dans leurs organisations et le service apporté aux patients. Moins de 15% de ces projets concernaient la télésanté. Toutefois, la sélection administrative est très sévère puisque seulement 25 projets sont parvenus au bout de 5 ans à être transposables dans le droit commun de la sécurité sociale, dont 3 projets de télésanté.


Comme le rappelle le Conseil d'Etat, les instruments juridiques qui accompagnent l'innovation organisationnelle par télésanté cherchent en premier lieu à accompagner le changement des comportements professionnels sans créer de contraintes chez les acteurs. C'est le but du droit souple, c'est à dire des recommandations, des guidelines des sociétés savantes, des chartes éthiques, etc. On peut constater que ce droit souple s'est révélé plus efficace en milieu hospitalier qu'en médecine de ville, cette dernière devant supporter en plus les contraintes financières imposées par l'Assurance maladie.


11 février 2025