Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Depuis le 2ème trimestre 2022, en application du décret du 3 juin 2021 portant sur la télésanté, le cadre de la téléexpertise a été élargi puisqu’il permet à tout professionnel de santé, dit « professionnel de santé requérant », de solliciter l’avis d’un professionnel médical, dit « requis », en raison de sa formation ou de sa compétence particulière, sur la base d’informations ou d’éléments médicaux liés à la prise en charge d’un patient, et ce, hors de la présence de ce dernier.
Il faut saluer cette évolution de la télésanté voulue par le législateur au décours de la pandémie Covid-19 dont un des but principaux est de renforcer les parcours de santé hybrides de patients atteints de maladies chroniques, principale activité soignante au 21ème siècle dans la plupart des pays développés où l'espérance de vie ne cesse de progresser.
LES OBJECTIFS DE LA TÉLÉEXPERTISE.
Nul ne peut contester que si l'accès à un médecin de 1er recours est difficile dans certains territoires, l'accès à un médecin spécialiste de 2d recours est encore plus difficile, notamment en dehors des grandes métropoles. La téléexpertise vise à améliorer cette situation en permettant à tout professionnel de santé qui a en charge un patient de solliciter l'avis d'un médecin expert du second recours. On peut donc résumer les objectifs de la téléexpertise de la manière suivante :
Améliorer l’accès des patients, notamment ceux atteints de maladies chroniques, aux soins de second recours, en particulier lorsque les patients vivent dans des zones désertifiées en médecins spécialistes. C'est le principe éthique de justice qui est posé. Citons par exemple les habitants de villes comme Nevers (Nièvre) ou Argentan (Orne) qui doivent faire parfois une centaine de kilomètres pour se rendre en consultation présentielle chez un médecin spécialiste. Le médecin traitant mais également un pharmacien d'officine ou une infirmière libérale peuvent réaliser, avec le consentement du patient, une téléexpertise avec le médecin spécialiste qui jugera si son motif permet d'éviter une consultation présentielle.
Permettre la continuité des soins chez les patients atteints d'affections chroniques, en alternant les soins distanciels et les soins présentiels de façon personnalisée. La téléexpertise fait partie des pratiques combinées de télésanté avec la téléconsultation et la télésurveillance médicale. Pour toute pratique distancielle, le patient doit être informé des bénéfices et des risques d’un parcours hybride personnalisé auquel il donne un consentement éclairé. C'est une obligation légale.
Réduire les pertes de chance lorsque les délais de la consultation présentielle sont trop éloignés. La téléexpertise peut suppléer à cette consultation présentielle si le patient l'accepte après avoir reçu l'information sur les bénéfices de cette téléexpertise supplétive. Il existe aujourd'hui de nombreuses situations où les délais trop éloignés de prise en charge des patients en consultation présentielle sont à l'origine de réelles pertes de chance. Le professionnel de santé qui requiert cette téléexpertise auprès du médecin spécialiste contribue à réduire cette perte de chance.
Permettre à tous les professionnels de santé de recueillir rapidement un avis spécialisé quand ils estiment que leur compétence est insuffisante pour intervenir dans certaines séquences de soins du parcours de santé. C'est une obligation déontologique rappelée à l'article R.4127-32 du code de la santé publique (CSP).
Pendant plusieurs années, la réalisation d'une téléexpertise conforme aux recommandations de la HAS de mai 2019 était jugée difficile par les professionnels de santé eux-mêmes à cause de l'absence de solutions technologiques sécurisées et agiles. Depuis la fin de la pandémie Covid-19, plusieurs plateformes de téléexpertise sont mises à la disposition des professionnels de santé, leur permettant d'atteindre désormais la plupart des objectifs précités, lesquels sont de nature éthique et déontologique.
QUELLES RESPONSABILITES SONT ENGAGÉES PAR LES PROFESSIONNELS LORSQU'ILS PRATIQUENT LA TÉLÉEXPERTISE ?
Tout professionnel de santé peut désormais requérir un avis d’expert médical lorsqu'il estime que sa compétence est insuffisante dans une séquence de soins et qu'il doit assurer la continuité des soins à ses patients. Une jurisprudence du 21 mai 2010 rappelle que l’expert médical a la responsabilité pleine et entière de l’avis qu’il donne lorsqu'il estime avoir la complétude des informations sur le patient pour lequel le professionnel de santé requiert son avis. Dans ses recommandations de mai 2019, la HAS reprend les conclusions de cette jurisprudence en précisant que "le professionnel médical requis juge de la complétude des données et décide ou non de la réalisation de la téléexpertise". En cas de non-complétude des données, le professionnel médical requis doit refuser cette téléexpertise. Non seulement le professionnel médical requis doit juger la pertinence du motif de téléexpertise (décret du 3 juin 2021), mais également la complétude des informations transmises qui lui permettront de faire à distance le diagnostic nécessaire à cette expertise. Il a donc la responsabilité pleine et entière de l'avis qu'il donne au professionnel requérant et de la prescription éventuelle qu'il est amené à faire au patient par l'intermédiaire du professionnel requérant auquel il la transmet. (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-07/fiche_memo_teleconsultation_et_teleexpertise_mise_en_oeuvre.pdf)
Le professionnel requérant a la responsabilité de la pertinence de sa demande et de la transmission à l’expert requis des informations nécessaires à cette téléexpertise, mais c’est à l’expert requis de lui demander les compléments s’il estime que les premières informations données sont insuffisantes pour son expertise. C'est ce que dit la jurisprudence de mai 2010, également reprise par la HAS dans ses recommandations de mai 2019 : si le professionnel requérant est dans l'impossibilité de transmettre au professionnel médical requis les informations complémentaires pour atteindre la "complétude" des données nécessaires à la téléexpertise, celle-ci n'est pas réalisable et l'information de non-réalisation de la téléexpertise doit être tracée dans le dossier du patient, le professionnel requérant proposant alors au patient une prise en charge adaptée. Le professionnel requérant doit informer le médecin traitant du patient, le cas échéant. Lorsque la téléexpertise est réalisée, il doit transmettre le compte rendu du médecin expert au médecin traitant qui le mettra dans le DPI du patient, et le déposer dans le DMP de MES du patient (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-07/fiche_memo_teleconsultation_et_teleexpertise_mise_en_oeuvre.pdf).
Au cas où un préjudice est porté à un patient par le résultat d'une téléexpertise, la responsabilité du professionnel médical requis est engagée, ainsi que celle du professionnel requérant de manière « in solidum ». C'est du moins ce que suggère la seule jurisprudence actuelle sur la téléexpertise (en imagerie médicale), prononcée par le Tribunal Administratif de Dijon du 21 mai 2010, lequel a condamné « in solidum » les deux établissements publics de santé concernés, le requérant et le requis (https://affairesjuridiques.aphp.fr/textes/tribunal-administratif-de-grenoble-21-mai-2010-n-0600648-responsabilite-hopital-tele-expertise/).
UNE PRATIQUE DISTANCIELLE EN PLEIN DÉVELOPPEMENT DEPUIS LE DÉCRET DU 3 JUIN 2O21.
Nous avons édité sur ce site cinq billets sur la téléexpertise depuis 2016.
Une prédiction en train de se réaliser
Dans les deux premiers billets de novembre et décembre 2016, nous faisions la prédiction que la téléexpertise serait l'acte de télémédecine le plus important pour structurer les nouvelles organisations professionnelles au 21ème siècle", "qu'elle créerait de nouveaux rapports entre les médecins spécialistes hospitaliers et les médecins de ville", "qu'elle contribuerait à améliorer le service médical rendu (SMR) aux patients" (https://telemedaction.org/432098221/425930563)(https://telemedaction.org/432098221/432105046).
Cette prédiction devient réalité depuis la fin de la pandémie Codid-19. En 2024, la téléexpertise entre les médecins spécialistes hospitaliers requis par les médecins traitants de ville est en passe de devenir l'activité de téléexpertise la plus importante, laquelle pouvant dépasser à moyen terme les activités de téléconsultation et de télésoin (https://telemedaction.org/think-tank/etat-des-lieux-de-la-t-l-expertise)(https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-du-20-juin).
Le rapide développement de cet acte distanciel depuis la fin de la pandémie est en grande partie dû à l'offre commerciale de plateformes de téléexpertise respectant, d'une part les différents avenants conventionnels (en particulier 6 et 9 de la convention médicale) signés avec l'Assurance maladie par les représentants des médecins libéraux et, d'autre part, les attentes des professionnels médicaux en matière d'agilité, de qualité et de sécurité des échanges entre les professionnels.
Nous avions souligné dans un billet du 12 Juin 2020 l'émergence de ces solutions technologiques permises par la transformation numérique de notre système de santé, laquelle allait permettre à la téléexpertise de décoller, notamment au sein des structures hospitalières (billet du 8 septembre 2023).
Ce que pensent aujourd'hui les autorités sanitaires de la téléexpertise
Nous rapportons ici la présentation que fait le ministère de la Santé de la téléexpertise sur son site web dans une mise à jour du 9 août 2024 (https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/telesante-pour-l-acces-de-tous-a-des-soins-a-distance/article/la-teleexpertise#)
Qu'est-ce que la téléexpertise ?
La téléexpertise permet à un professionnel de santé de solliciter, à distance par messagerie ou tout autre outil sécurisé, l’avis d’un ou plusieurs professionnels de santé médicaux face à une situation médicale donnée (lecture de diagnostic, analyses, avis sur un traitement…). La question posée et la réponse apportée, hors présence du patient, n’interviennent pas forcément de manière simultanée.
Pour quels patients ?
Toutes les situations médicales sont susceptibles d’être concernées par la téléexpertise. Le patient n’a pas à être connu par le médecin requis. Il doit simplement être informé des conditions de réalisation de la téléexpertise et avoir donné son consentement préalable à la réalisation de l’acte.
Depuis le 2èmetrimestre 2022 la téléexpertise est généralisée à tous les patients. Tous les professionnels de santé peuvent solliciter l’avis d’un médecin (décret du 3 juin 2021 relatif à la télésanté) ou d’une sage-femme (avenant 5 à la convention nationale des sage-femmes) dans le cadre d’un acte de téléexpertise, en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières sur la base des informations médicales liées à la prise en charge d’un patient.
Quelles sont les conditions de remboursement par l'Assurance maladie ?
La téléexpertise n’est pas facturée au patient concerné. Elle fait l’objet d’une facturation directement auprès de l’Assurance maladie par les professionnels de santé qui y recourent, à la fois par le professionnel qui demande un avis (à ce jour uniquement médecins, sage-femmes, orthophonistes et orthoptistes), et par le médecin ou la sage-femme qui le donne.
Désormais, depuis le mois de mars 2022, la téléexpertise est prise en charge pour tous les patients : toutes les situations médicales sont en effet susceptibles d’être concernées par la téléexpertise. La pertinence du recours à la téléexpertise est appréciée par le professionnel de santé requérant. Le patient, s’il n’a pas à être connu par le médecin dont l’avis est sollicité, doit néanmoins être informé des conditions de réalisation de la téléexpertise et avoir donné son consentement préalable à la réalisation de l’acte.
Quelles garanties de qualité et de sécurité ?
La téléexpertise, comme toute activité médicale, doit être réalisée dans des conditions qui garantissent la qualité et la sécurité des soins.
Mais elle doit également respecter des exigences spécifiques :
UNE PRESCRIPTION FAITE LORS D'UNE TÉLÉEXPERTISE PAR LE PROFESSIONNEL MÉDICAL REQUIS EST-ELLE POSSIBLE ?
Alors que la téléexpertise sollicitée par un professionnel médical (médecin, sage-femme) auprès d'un autre professionnel médical ayant des compétences particulières (généralement un médecin spécialiste) ne suscite aucun débat particulier, notamment sur la prescription éventuelle de médicaments faite par le médecin requis (médicaments relevant de la seule prescription d'un spécialiste comme les médicaments antirejet d'une greffe ou les médicaments d'une chimiothérapie spécifique d'un cancer), la possibilité donnée aujourd'hui à un professionnel non-médical de solliciter l'avis d'un professionnel médical est à l'origine d'un débat porté par plusieurs syndicats médicaux libéraux qui voient dans la demande d'une prescription par un professionnel non-médical la possibilité d'un exercice illégal de la médecine.
Des plaintes pour ce motif auprès des instances ordinales sont en cours d'instruction, se référant, notamment pour les opticiens-lunetiers, à une jurisprudence de la Cour de Cassation du 17 février 1981 (https://www.courdecassation.fr/decision/6079a8c19ba5988459c4ed25) et un arrêté du ministre de la Santé du 6 janvier 1962 qui rappellent que la mesure de la réfraction oculaire est réservée aux seuls ophtalmologistes, alors que la délivrance de lentilles de contacts aux personnes âgées de plus de 16 ans peut se faire sans ordonnance médicale. Enfin le syndicat des ophtalmologistes (Snof) a obtenu le 1er octobre 2024 par la chambre criminelle de la Cour de Cassation le rejet du pourvoi introduit par la société e-Ophta après la décision de la cour d'Appel de Douai (16 juin 2022), validant ainsi ce que le Snof demandait, à savoir que la prise de la tension oculaire, la réalisation d’une topographie cornéenne ou de rétinographies non mydriatiques sont des actes médicaux et que la réalisation de ces actes par un opticien au sein d’un magasin d’optique correspond donc à un exercice illégal de la médecine. Nous traiterons à part cette question de la téléexpertise en ophtalmologie car les questions posées par le Snof pour les opticiens-lunetiers ne sont pas celles d'autres professions non-médicales qui adhèrent à la téléexpertise.
La naissance d'un débat.
Certains estiment qu'une prescription médicale à un patient ne peut se faire qu'au décours d'une consultation présentielle ou d'une téléconsultation. Ce serait la relation médicale directe avec un patient, en présentiel ou à distance à travers un écran, qui justifierait une prescription et non une relation indirecte par l'intermédiaire d'un professionnel de santé non-médical qui requiert une téléexpertise avec le consentement du patient. Les tenants de cette analyse estiment que la demande d'un avis auprès d'un professionnel médical requis par téléexpertise ne peut être l'équivalent d'une consultation ou d'une téléconsultation au cours de laquelle la prescription est directement faite au patient sur la base d'un diagnostic médical qui conclut la consultation ou la téléconsultation.
A la suite d'abus de prescriptions en téléconsultation (les arrêts de travail sans avoir examiné le patient), les autorités sanitaires ont limité le droit de prescription à distance d'un arrêt de travail supérieur à 3 jours aux seuls médecins traitants, lesquels connaissent leurs patients et peuvent donc prescrire un arrêt de travail par téléconsultation sans que cela nécessite préalablement un examen médical en présentiel (https://www.ameli.fr/cotes-d-armor/medecin/actualites/arrets-de-travail-prescrits-en-teleconsultation-ce-qu-il-faut-savoir). Dans le débat syndical actuel, il apparait clairement une confusion entre les abus de certaines plateformes de téléconsultation et d'éventuels abus qui seraient imputées aux plateformes de téléexpertise.
Quels peuvent être les éléments de réponse à ce débat ?
Le droit de prescription pour une professionnel médical (médecin, dentiste, sage-femme) est réglementé
Article R5132-3 du CSP précise que "la prescription de médicaments ou produits destinés à la médecine humaine mentionnés à la présente section est établie, après examen du malade, sur une ordonnance et indique lisiblement"....etc.
Article L5111-1 du CSP donne la définition du médicament à usage humain : "on entend par médicament à usage humain toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou pouvant lui être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier ses fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique.
Sont notamment considérés comme des médicaments les produits diététiques qui renferment dans leur composition des substances chimiques ou biologiques ne constituant pas elles-mêmes des aliments, mais dont la présence confère à ces produits, soit des propriétés spéciales recherchées en thérapeutique diététique, soit des propriétés de repas d'épreuve".
La nature d'une prescription médicale n'est pas limitée aux seuls médicaments. Une prescription médicale peut décliner l'ensemble des actes de soins, thérapeutiques (médicamenteuses ou non), dispositifs médicaux, recommandations et protocoles de soins qui sont adressés à un patient ou à un groupe de personnes. Lorsque la prescription met en jeu un autre membre du corps médical (radiologue, biologiste) ou un membre du corps pharmaceutique (pharmacien d'officine), celui-ci partage la responsabilité de la prescription avec le prescripteur. C'est ainsi qu'un pharmacien d'officine qui partage la responsabilité de la prescription médicale médicamenteuse est autorisé à solliciter le médecin prescripteur (par téléexpertise) lorsque la prescription lui semble erronée au niveau des posologies ou lorsque tel médicament prescrit a généré des effets indésirables.
En revanche, les auxiliaires médicaux ne sont pas responsables d'une prescription médicale. En clair, si la prescription de médicaments relève bien de la compétence d'un professionnel médical qui fait généralement l'ordonnance en fin de consultation ou de téléconsultation, lorsque la prescription ne relève pas d'un "médicament à usage humain", cette prescription peut se faire par un médecin expert sollicité à distance par un professionnel non-médical à la condition que la nature de la prescription corresponde au champ de compétence de professionnel de santé requérant. Nous donnons ci-dessous quelques exemples.
La prescription par un professionnel médical requis lors d'une téléexpertise
Comme nous l'avons dit précédemment, l'avis d'expert doit reposer sur la complétude de données nécessaires à établir un diagnostic à distance, lequel doit déboucher sur un compte-rendu à l'intention du patient et du médecin traitant (voir ci-dessus). Les exemples que nous donnons correspondent à l'état de l'art de cette pratique distancielle en 2024 dans le secteur libéral, à la suite des accords conventionnels passés avec l'Assurance maladie.
Depuis le 6 avril 2022, les orthophonistes peuvent avoir recours à la téléexpertise et la facturer à l’Assurance Maladie. La téléexpertise permet à un orthophoniste de solliciter l’avis d’un professionnel médical face à une situation médicale donnée. Les motifs de téléexpertise peuvent être divers dans la limite de 4/an/patient : nécessité de prolonger en présentiel ou par télésoin la rééducation du langage au décours d'un AVC, la rééducation d'un enfant dyslexique, etc. Le médecin neurologue ou le pédiatre requis pourra faire une prescription de nouvelles séances de rééducation du langage. Le parcours de santé est ainsi simplifié, assure la continuité des soins et évite une nouvelle consultation avec les médecins spécialistes dont les délais de rendez-vous peuvent rompre la continuité des soins orthophoniques. De plus, dans le renouvellement de séances de rééducation orthophonique le neurologue ou le pédiatre sollicité connait le patient, ce qui facilite indiscutablement la prescription à distance. (https://www.ameli.fr/cotes-d-armor/orthophoniste/exercice-liberal/telesante/teleexpertise#:~:text=Depuis%20le%206%20avril%202022,%C3%A0%20une%20situation%20m%C3%A9dicale%20donn%C3%A9e.).
Après la parution du décret du 3 juin 2021, le syndicat des orthoptistes (SNAO) s'était réjoui de pouvoir pratiquer des téléexpertises avec les ophtalmologistes (https://www.orthoptiste.pro/informations/actualites-generales/la-teleexpertise-enfin-possible-pour-les-orthoptistes/). Curieusement, dans l'avenant 14 à la Convention nationale des orthoptistes, seules les conditions de recours au télésoin sont décrites (https://www.ameli.fr/sites/default/files/Documents/770067/document/avenant14-orthoptiste.pdf).
Il est vrai que le protocole Muraine mis en place en juin 2018 permet aux orthoptistes de réaliser l'ensemble du bilan visuel au sein d'une structure à distance, puis de télétransmettre les résultats pour interprétation à un ophtalmologiste. C'est un acte de téléexpertise dont le périmètre a été précisé dans un arrêté du 1er mars 2021 (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043261479). Ce qui a été accordé aux orthoptistes ne l'a pas été pour l'instant aux opticiens-lunetiers, malgré le rapport Igas du 14 septembre 2020 sur la filière visuelle qui recommandait l'usage de la téléexpertise pour les opticiens-lunetiers dans le domaine de la réfraction, en précisant non seulement de reconsidérer le potentiel de la filière visuelle avec ses 41 000 opticiens-lunetiers, mais également de répondre aux demandes de formation pour réaliser les bilans visuels dans le but de faire face aux demandes de plus en plus nombreuses de la population (https://igas.gouv.fr/La-filiere-visuelle-modes-d-exercice-pratiques-professionnelles-et-formation).
Selon le président du Snof, la délivrance d’une ordonnance médicale est une proposition thérapeutique. Celle-ci est la conclusion de l’analyse médicale d’un examen clinique complété ou non par des examens complémentaires. Une ordonnance de prescription optique est également la conclusion médicale d’examens qui ont permis d’éliminer de nombreuses pathologies oculaires pouvant entraîner une modification de la réfraction (cataracte, décompensation d’un diabète, kératocône, pathologies rétiniennes…). Cette définition d'une prescription médicale nous semble être celle d'un syndicat qui défend plus les intérêts financiers des ophtalmologues libéraux (qui seraient menacés par une collaboration intelligente avec les opticiens-lunetiers sur la réfraction) que l'intérêt général des patients confrontés aux difficultés d'accès à la santé visuelle. Cette position n'est d'ailleurs pas partagée par tous les ophtalmologistes, notamment par ceux qui ont démontré un réel SMR à une population isolée par une téléexpertise ophtalmologique rigoureuse et de qualité (https://telemedaction.org/think-tank/etat-des-lieux-de-la-t-l-ophtalmologie)(https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-du-7-octobre-2024).
L'avenant 9 à la convention nationale infirmier du 11 avril 2024 vient préciser les conditions de prise en charge de la téléexpertise pour les infirmiers. Le recours à la téléexpertise est apprécié au cas par cas par l’infirmier requérant. Il n’est pas soumis à une prescription médicale. L’opportunité de la réalisation de la téléexpertise relève de la responsabilité du professionnel médical requis.
Quel est le rôle de l’infirmier requérant dans la téléexpertise ?
La prise en compte du contexte clinique est indispensable à toute téléexpertise. L’infirmier peut requérir le professionnel médical sur une question circonscrite ou sur l’exposition d’une situation complexe et l’analyse d’au moins un ou plusieurs types de documents transmis en appui. Lorsqu’un infirmier en pratique avancée recourt à la téléexpertise, il ne peut requérir une téléexpertise auprès du médecin lui ayant orienté le patient.
Pour quels patients ?
L’ensemble des patients peut bénéficier d’une téléexpertise. Les informations concernant les conditions de réalisation de la téléexpertise doivent avoir été transmises au patient ou son représentant légal. Le consentement du patient (ou de son représentant légal) doit avoir été obtenu.
L'arrêté du 23 août 2023 portant approbation de l'avenant 7 à la convention nationale des masseurs-kinésithérapeutes (MKT) précisent que les MKT peuvent avoir recours à la téléexpertise et la facturer à l'Assurance maladie. (https://www.ameli.fr/cotes-d-armor/masseur-kinesitherapeute/exercice-liberal/telesanteteleexpertise#:~:text=Les%20masseurs%2Dkin%C3%A9sith%C3%A9rapeutes%20peuvent%20avoir,face%20%C3%A0%20une%20situation%20donn%C3%A9e.)
Quel est le rôle du MKT ?
Le recours à la téléexpertise est apprécié au cas par cas par le masseur-kinésithérapeute requérant. L'opportunité de sa réalisation relève de la responsabilité du professionnel médical requis. La téléexpertise doit être réalisée dans des conditions permettant de garantir à la fois la confidentialité des échanges entre le masseur-kinésithérapeute requérant et le professionnel médical requis ainsi que la sécurisation des données transmises. L'acte de téléexpertise doit faire l'objet d'un compte-rendu établi par le professionnel médical requis qu'il archive dans son propre dossier patient et qui doit être transmis au professionnel de santé requérant ayant sollicité l'acte. Le compte-rendu est intégré dans Mon Espace santé du patient lorsqu'il est ouvert.
Pour quels patients ?
Tous les patients peuvent bénéficier de téléexpertise. Ils doivent être informés sur les conditions de réalisation de la téléexpertise et avoir donné leur consentement après avoir reçu ces informations.
CONCLUSIONS
Si la rémunération de la téléexpertise par l'Assurance maladie est actuellement limitée aux médecins, sage-femmes, orthophonistes, orthoptistes, IDEL, IPA et masseurs-kinésithérapeutes, d'autres professions non-médicales sont en négociations conventionnelles avec l'Assurance maladie, notamment les opticiens-lunetiers et les audioprothésistes. Il serait funeste pour cette pratique distancielle de télésanté, qui est en train de structurer les nouvelles organisations professionnelles de la médecine du 21ème siècle dans le but d'améliorer l'accès aux soins et leur continuité, que son développement soit empêché par une décision du Parlement dans la future LFSS 2025 sur la base d'arguments discutables et douteux. Il revient aux sociétés médicales savantes, à travers leur conseil national professionnel (CNP) et en collaboration avec la HAS, de faire évoluer ces nouvelles pratiques et organisations professionnelles si cela s'avère nécessaire.
30 décembre 2024