La prise en compte d'une organisation professionnelle innovante n'est-elle pas le chainon manquant dans l'offre des services d'e-santé aux professionnels de santé ?

On entend souvent dire que les industriels et les startuppers de l'e-santé ont du mal à percevoir le marché français du numérique en santé, voire européen, et qu'ils cherchent à se développer outre-Atlantique où le marché serait assuré. Nous avons souvent défendu sur ce site la nécessaire co-construction, entre patients, industriels ou startuppers du numérique et professionnels de santé, des services d'e-santé (ou de santé digitale, nouvelle appellation de l'OMS) pour être certain, d'une part que les services proposés répondent bien à des besoins de santé ou de soin, d'autre part que le plus grand nombre de professionnels de santé adopte ce nouveau service dans leurs pratiques. C'est une des conditions, à nos yeux la plus importante, de visibilité d'un "marché" industriel de l'e-santé ou de la santé digitale.(http://www.telemedaction.org/442995819)

Peut-être insatisfaits du marché que représentent les solutions numériques des pratiques de télémédecine et du télésoin (http://www.telemedaction.org/44542479), malgré le "décollage" observé pendant la période Covid-19, mais décollage quand même limité (mois de 7% de la totalité des consultations médicales), les entreprises du numérique en santé semblent aujourd'hui s'engouffrer dans les "digital thérapeutics" (thérapeutiques digitales) qui pourraient, selon elles, être directement vendues aux usagers de la santé ou prescrites par les professionnels de santé.

La définition de la thérapeutique digitale, dans une récente "state of the art" faite par des auteurs américains, était la suivante : une nouvelle  modalité de traitement dans laquelle les systèmes numériques tels que les applications pour smartphones, après avoir été approuvées par la réglementation, sont prescrites pour des interventions thérapeutiques dans le but de traiter des situations médicales".(http://www.telemedaction.org/444061514

L'organisation professionnelle innovante n'est-elle pas aussi essentielle que les outils dans la transformation numérique du système de santé ? N'est-elle pas le "chainon manquant" de nombreuses stratégies de développement qui échouent ? Comment un fournisseur de services d'e-santé ou de santé digitale peut-il créer un pont entre ses légitimes attentes d'une vision commerciale et les non-moins légitimes attentes des professionnels de santé à qui on demande de faire des prescriptions après qu'un service médical rendu (SMR) aux patients ait été démontré sur le plan scientifique ?

Nous souhaitons illustrer dans ce billet quelques succès où manifestement c'est l'organisation professionnelle innovante qui a permis d'obtenir un développement significatif. Nous pensons aussi que de nombreuses études montrant la non-infériorité d'une pratique de télésanté ou de l'usage d'une thérapeutique digitale par rapport aux pratiques et traitements traditionnels pourrait avoir un meilleur impact si l'organisation professionnelle était plus innovante et intégrée au développement de la solution numérique.

La prise en charge d'un AVC ou d'un IM à la phase aiguë est plus performante si l'organisation professionnelle est innovante.

Plus vite sera administré le traitement thrombolytique dans un AVC ischémique ou un infarctus du myocarde (IM) à la phase aigüe, meilleure sera la récupération du déficit neurologique créé par l'ischémie cérébrale ou la récupération du muscle cardiaque sans troubles du rythme mortels ou insuffisance cardiaque chronique séquellaire.

Dans l'AVC à la phase aiguë, grâce à un scanner embarqué dans l'ambulance, les allemands ont réussi à faire l'injection du médicament thrombolytique dans l'heure (Golden hour) qui suit l'apparition des premiers signes de l'AVC avec des résultats cliniques significativement meilleurs que lorsque l'injection est faite plus tard (en moyenne 120 à 130 mn), comme c'est le cas en France. Dans l'organisation allemande, la téléexpertise neuroradiologique est immédiate, à partir de l'ambulance.(http://www.telemedaction.org/423897869)

Dans l'IM à la phase aiguë, la possibilité de faire le médicament thrombolytique après confirmation du diagnostic ECG par téléexpertise cardiologique immédiate donne des résultats significativement meilleurs que la prise en charge traditionnelle d'un IM. C'est l'organisation innovante de la téléexpertise immédiate d'un ECG (associée aux informations cliniques) qui permet d'obtenir ce résultat. (http://www.telemedaction.org/447931015)

Ces deux exemples concernent des pathologies aiguës dont le pronostic vital est immédiatement engagé. Il y a de nombreuses situations cliniques où la téléexpertise synchrone ou immédiate spécialisée peut réduire les pertes de chances à court ou à moyen terme parce que la continuité des soins, coordonnée par le médecin traitant, n'est pas interrompue comme cela se passe dans les pratiques traditionnelles où le délai de rendez-vous en présentiel auprès du spécialiste est beaucoup trop long.(http://www.telemedaction.org/page:34C9BEC2-2761-4F45-8DA9-A8EEFC649738"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">La téléexpertise immédiate nécessite des organisations professionnelles innovantes, en réseau aussi bien dans le secteur libéral que dans le secteur hospitalier. Elles peuvent se rapprocher de la permanence des soins spécialisés à l'hôpital, comme celle préconisée par les autorités sanitaires pour assister les patients atteints de la Covid-19.(http://www.telemedaction.org/447769818)

Ces organisations professionnelles innovantes de téléexpertise immédiate nécessitent de co-construire avec les industriels et les startuppers des solutions numériques agiles et ergonomiques. Ces nouveaux outils de téléexpertise immédiate doivent en particulier s'adapter à l'organisation voulue par les professionnels de santé et non l'inverse. (http://www.telemedaction.org/447897302)

Les thérapeutiques digitales qui réussissent sont celles qui ont intégrées des organisations professionnelles innovantes.

Comment évoluent les organisations professionnelles lorsque le patient devient acteur de sa propre surveillance ?

Prenons l'exemple du patient diabétique insulinorequérant qui utilise l'application Diabeo pour mieux ajuster la dose d'insuline et ainsi mieux contrôler la glycémie. Est-ce que l'application mobile qui réalise un coaching est suffisante pour avoir l'impact thérapeutique souhaitée sur le maintien de l'HbA1c en dessous de 8% ? Une première étude contrôlée publiée en 2011 semblait le démontrer avec une efficacité spectaculaire et significative à 6 mois. 

The Diabeo software enabling individualized insulin dose adjustments combined with telemedicine support improves HbA1c in poorly controlled type 1 diabetic patients: a 6-month, randomized, open-label, parallel-group, multicenter trial (TeleDiab 1 Study). Charpentier G, Benhamou PY, Dardari D, Clergeot A, Franc S, Schaepelynck-Belicar P, Catargi B, Melki V, Chaillous L, Farret A, Bosson JL, Penfornis A; TeleDiab Study Group.Diabetes Care. 2011 Mar;34(3):533-9. doi: 10.2337/dc10-1259. Epub 2011 Jan 25.PMID: 21266648

Une seconde étude contrôlée et randomisée sur une plus longue durée (2 ans) vient d'apporter un nouvel éclairage. C'est l'usage de Diabeo avec un accompagnement thérapeutique par infirmier ou infirmière formée à la diabétologie et ayant une délégation de taches (selon l'article 51 de la loi HPST) qui donne l'impact le plus significatif sur le contrôle de la glycémie. Si l'usage du système Diabeo, au moins une fois par jour sur une période de 12 mois, donne également un impact significatif par rapport à la population contrôle traitée sans l'usage de l'application, c'est l'association de Diabeo et d'un accompagnement thérapeutique par un infirmier ou une infirmière qui a l'impact le plus significatif.

Ainsi, cette thérapeutique digitale serait plus performante en étant associée à des interventions par télésoin infirmier à la condition que l'infirmier ou l'infirmière soit formé(e) préalablement. On voit ainsi l'intérêt du profil professionnel d'un(e) IPA formé(e) au télésuivi des maladies chroniques stabilisées.(http://www.telemedaction.org/443339538) Les IPA auront le souci de créer des coordinations interprofessionnelles nouvelles avec des organisations innovantes.

DIABEO System Combining a Mobile App Software With and Without Telemonitoring Versus Standard Care: A Randomized Controlled Trial in Diabetic Patients Poorly Controlled with a Basal-Bolus Insulin Regimen. Franc S, Hanaire H, Benhamou PY, Schaepelynck P, Catargi B, Farret A, Fontaine P, Guerci B, Reznik Y, Jeandidier N, Penfornis A, Borot S, Chaillous L, Serusclat P, Kherbachi Y, d'Orsay G, Detournay B, Simon P, Charpentier G. Diabetes Technol Ther. 2020 Oct 14. doi: 10.1089/dia.2020.0021. Online ahead of print.PMID: 32407148.

Autre exemple, celui du télésuivi des patients en rémission d'un cancer. L'objectif de l'application sur smartphone est de faire participer le patient en rémission de sa maladie à sa propre surveillance. Il saisit chaque semaine dans l'application des données correspondant aux réponses qu'il doit apporter à un questionnaire pré-élaboré par l'oncologue. Les données sont ensuite traitées par un algorithme qui repère les premiers signes de la rechute éventuelle, ce qui permet de reprendre plus vite une action thérapeutique.

L'organisation innovante du télésuivi d'un patient en rémission d'un cancer avec l'application Moovcare donne de meilleurs résultats sur le pronostic du cancer bronchopulmonaire que le suivi traditionnel. Là encore, l'accompagnement thérapeutique a un rôle à jouer. Certes, des patients parfaitement autonomes et sensibilisés aux évolutions actuelles du numérique peuvent être les acteurs de leur propre suivi avec l'application Moovcare, mais il faut bien admettre que si ce mode de télésuivi devait s'appliquer à tous les patients en rémission d'un cancer, quel que soit l'âge, un accompagnement thérapeutique par télésoin infirmier (IPA spécialisée en oncologie) serait utile pour obtenir les meilleurs résultats possibles.

Two-Year Survival Comparing Web-Based Symptom Monitoring vs Routine Surveillance Following Treatment for Lung Cancer. Denis F, Basch E, Septans AL, Bennouna J, Urban T, Dueck AC, Letellier C.JAMA. 2019 Jan 22;321(3):306-307. doi: 10.1001/jama.2018.18085.PMID: 30667494

Fait commun aux deux exemples, le concept de thérapeutique digitale a été construit par deux médecins qui ont ensuite collaboré avec l'ingénieur qui a réalisé l'outil du concept. S'il y a eu succès, c'est bien parce qu'il y a eu co-construction de l'outil entre le médecin et l'industriel. On peut regretter d'ailleurs que dans les communications faites par le milieu industriel on oublie de rappeler qui a été à l'origine du "digital thérapeutic". Beaucoup d'applications qui ont l'ambition de devenir des "digital therapeutics" échouent parce qu'il n'y a pas eu cette co-construction. 

Il existe d'autres exemples à la fois de co-construction des outils et de mise en place d'organisations professionnelles innovantes.

Par exemple, le télésuivi des patients porteurs d'une prothèse cardiaque connectée n'aurait pu se développer si les cardiologues n'avaient pas d'une part co-construit la solution avec l'industriel, d'autre part confié ce télésuivi à des infirmiers ou infirmières formés à la cardiologie, grâce à des organisations innovantes qui ont pu se mettre en place dans les principaux centres hospitaliers. La même réflexion peut être faite pour le télésuivi des patients en insuffisance cardiaque, en insuffisance rénale dialysée ou transplantée ou en insuffisance respiratoire. Lors de l'évaluation du programme ETAPES, l'impact de l'accompagnement thérapeutique sera particulièrement attendu. Cet accompagnement thérapeutique est probablement une des futures applications du télésoin infirmier dans les programmes de télésurveillance médicale au domicile.

En résumé, les industriels du numérique en santé ont raison de rechercher une vision sur le moyen et long terme du marché des "digital thérapeutics" et des pratiques de télésanté. C'est leur métier. Qu'ils sachent cependant qu'un tel développement ne peut se faire sans une co-construction de l'outil avec les professionnels de santé. Il faut également intégrer que l'usage des thérapeutiques digitales chez les patients atteints de maladies chroniques nécessitera souvent un accompagnement thérapeutique, comme la téléconsultation nécessite très souvent l'assistance d'un professionnel de santé. On voit apparaître les futurs champs d'application du télésoin infirmier, lequel devra s'appuyer sur des organisations professionnelles innovantes.

19 décembre 2020

Aux quelques 5000 lecteurs qui consultent ce blog chaque semaine, je souhaite de belles et joyeuses fêtes de fin d'année malgré le contexte sanitaire difficile. Rendez-vous au 5 janvier 2021 pour continuer ces échanges sur la transformation de notre système de santé.

Commentaires

Dr Marie Pierre Faure

24.12.2020 16:19

Très intéressant , à voir comment explorer des piste se collaboration ensemble ?

Pierre Simon

07.01.2021 09:14

Merci de ce commentaire, je reste bien évidemment à votre écoute.

Cousin

22.12.2020 09:55

Merci pour vos synthèses hebdomadaires bonnes fêtes de fin d'année

Pierre Simon

07.01.2021 09:14

Merci de votre commentaire

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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