Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
A plusieurs reprises sur ce site depuis 2015, nous avons regretté l'absence de programmes de formation aux pratiques de télémédecine, en particulier l'absence d'un DPC dédié pour les médecins libéraux en activité, jusqu'à la publication de l'arrêté du 20 décembre 2018 qui précise à l'orientation 35 le thème suivant : "maitrise de la qualité et de la sécurité des actes de télémédecine " (voir les billets intitulés "TLM/OGDPC" dans la rubrique "Edito de semaine" et "Formation Continue" dans la rubrique "On en parle").
L'auteur de ce billet réalise régulièrement des formations pour le compte d'organismes reconnus par l'ANDPC (ex-OGDPC) pour leur programme conforme au thème défini dans l'arrêté du 20 décembre 2018. L'objectif de ces formations est d'aider les professionnels médicaux de terrain, en particuliers les médecins libéraux, à pratiquer la télémédecine en maitrisant la qualité et la sécurité des actes.
Un an après le lancement du programme DPC, peu de professionnels médicaux ont fait la démarche de se former aux nouvelles pratiques. La réglementation sur le traitement des données de santé à caractère personnel doit faire partie de cette formation puisqu'elle doit être prise en compte dans la mise en oeuvre qualitative et sécuritaire des nouvelles pratiques de télémédecine (voir le billet intitulé "TLC/sécurité" dans la rubrique "le Pratico-pratique").
Un premier constat, fait pratiquement à chaque formation et quel que soit la région de France, est que les participants méconnaissent non seulement les textes de loi et décret sur la télémédecine, mais aussi les diverses recommandations publiées depuis quelques années par le Ministère de la santé, le CNOM, la HAS, la CNIL, la CNAM, etc. sur la télémédecine, la e-santé et les données de santé à caractère personnel. Il y avait donc un réel besoin de les éclairer et de les former.
Mais une question se pose: pourquoi tous ces textes, sensés aider et guider les professionnels de santé dans leur démarche professionnelle innovante, n'atteignent pas ceux à qui ils sont destinés ?
Quelques exemples illustrent la faible implication des professionnels médicaux dans la télémédecine
L'auteur du billet a publié en 2015 un livre en librairie et en e-book sur la "Télémédecine, Enjeux et pratiques" (voir dans la rubrique "Livres et publications"). Ce livre, qui décrit la télémédecine clinique au temps présent, n'a pas eu le succès escompté auprès des professionnels médicaux à qui il était destiné en priorité. Il a surtout été acheté par des professionnels non médicaux et des non-professionnels de santé, le plus souvent des industriels et des start ups de la santé numérique.
Les professionnels de santé qui fréquentent les formations sur la télémédecine n'ont généralement aucune connaissance du sujet au début de leur stage. Ils ne connaissent pas la sémantique, ils ne connaissent pas les textes législatifs et réglementaires, ils ne connaissent pas les recommandations faites par la HAS, le CNOM, la CNIL, l'ANS, etc.
Ils ont en revanche une vision de la télémédecine à travers ce que véhiculent les médias, à savoir les outils utilisés, en particulier pour réaliser une téléconsultation (TLC). Certains en déduisent que le programme national de télémédecine, sensé améliorer l'accès aux soins dans les déserts médicaux, vise en fait à remplacer des médecins par des cabines de téléconsultation. La fréquentation de ces formations par les professionnels médicaux reste faible sur l'année 2019 (à peine 15% des participants sur un dizaine de formations), les pharmaciens et les infirmiers étant les plus nombreux.
Le blog de l'auteur du billet a une fréquentation moyenne chaque semaine de 3200 passages +/-300. Les billets sont diffusés sur twitter (2650 abonnés), Linkedin (5870 abonnés) et Facebook (850 abonnés). L'audience des billets varie selon les thèmes. Lorsqu'il s'agit d'un billet destiné aux professionnels médicaux, l'audience est la plus faible. Alors qu'elle est 2 fois plus élevée lorsqu'il s'agit d'un billet destiné aux pharmaciens et aux infirmiers et 5 fois plus élevée lorsque le billet traite des services commerciaux d'e-santé ou d'IA.
Quand on fréquente les réunions publiques et les congrès consacrés à la télémédecine et à l'e-santé, on y rencontre souvent les mêmes personnes; des journalistes, des industriels, des startuppers, des institutionnels et peu de professionnels médicaux en activité. Ces derniers préfèrent-ils suivre les ateliers organisés lors des congrès de leur société médicale savante ?
C'est la raison pour laquelle, l'ex-SFT (aujourd'hui SFSD), avait tenté de fédérer les sociétés médicales savantes pour mieux étudier de manière scientifique et transversale, quel que soit la spécialité concernée, le service médical rendu (SMR) aux patients par les différentes applications de la télémédecine. En 2015,17 sociétés médicales savantes, sur la vingtaine qui avait des applications à l'époque, constituaient le conseil d'administration de la SFT.
La SFT avait créé en 2013, à la demande d'un éditeur international, un journal scientifique électronique dédié à la recherche européenne en télémédecine (European Research in Telemedicine). Quatre ans plus tard, en 2017, l'éditeur prenait la décision d'arrêter ce journal au motif que le nombre d'abonnés, en particulier de professionnels médicaux, était insuffisant, alors que l'audience nationale et internationale du journal, mesurée par le nombre d'articles téléchargés, montrait son intérêt, notamment à l'étranger.
Pourquoi les professionnels médicaux n'adhèrent-ils pas aux formations qui leur sont destinées ?
Plusieurs raisons peuvent-être avancées. Elles doivent probablement être cumulées.
Une première raison pourrait-être que le DPC télémédecine défini seulement en décembre 2018 n'a pas eu le temps de prendre son allure de croisière et que l'année 2020 sera son véritable envol. C'est une possibilité. Il y aurait ainsi un "effet paquebot" du lancement officiel du DPC en médecine libérale, comme il semble y en avoir un pour le développement de la téléconsultation selon l'avenant 6 de la Convention médicale (voir le billet intitulé "Téléconsultation An 1" dans la rubrique "On en parle").
Une deuxième raison pourrait-être que les professionnels médicaux sont sensibles à la nature de l'organisme de formation et aux qualifications des formateurs. Après le jugement porté en 2011 sur les formations professionnelles organisées par les laboratoires pharmaceutiques, les médecins ont été accusés d'orienter certaines prescriptions médicamenteuses par conflit d'intérêts. Sommes-nous en train de revivre les mêmes problèmes avec les formations à la télémédecine et à la santé connectée ? Les médecins ne craignent-ils pas d'être confrontés avec les outils numériques, en particulier les IoT, à un nouveau type de conflit d'intérêts ? Certains médecins relatent qu'ils sont de plus en plus sollicités par des fournisseurs de services d'e-santé pour organiser leurs téléconsultations et utiliser les IoT. Ils se demandent ce qu'ils doivent répondre, quels sont les bons critères de choix, etc. Beaucoup de médecins, en particulier de la jeune génération, sont devenus sensibles aux éventuels conflits d'intérêts. (Voir le billet intitulé "conflits d'intérêt" dans la rubrique "Droit de la santé").
Une troisième raison pourrait-être que la pratique de la télémédecine n'est pas dans les "gênes" de la moitié d'un corps médical âgé de plus de 50 ans, qui ont eu leur formation clinique et universitaire au XXème siècle, bien avant l'avènement du numérique au début des années 2000. Ils ont exercé la médecine clinique pendant des dizaines années sans avoir besoin d'outils numériques et de télémédecine. Pourquoi en auraient-ils besoin dix ans avant de partir en retraite ? En revanche, la jeune génération, plus "geek" que leurs ainés, est intéressée. Cependant, elle estime ne pas avoir aujourd'hui le temps professionnel suffisant pour intégrer ces nouvelles pratiques dans leur exercice professionnel, alors que 4 français sur 10 voudraient pouvoir joindre leur médecin traitant par téléconsultation (voir le billet intitulé "Med.traitant/TLM (2) dans la rubrique "le Pratico-pratique").
Une quatrième raison pourrait-être le silence universitaire "assourdissant" après que la télémédecine a été lancée en France en 2010 par les pouvoirs publics. Nous l'avons dénoncé à plusieurs reprises sur ce site (voir le billet intitulé " Sondages sur la TLC" dans la rubrique "Edito de semaine"). Il aura fallu attendre l'année universitaire 2019-2020 pour voir figurer une formation universitaire à la télémédecine et à la santé connectée dans les 2ème et 3ème cycle des études médicales.
Une cinquième raison pourrait-être l'image d'un "trop plein" de textes à lire pour être correctement informé sur la télémédecine, la sécurité des données de santé, les IoT, l'IA, etc. Quel médecin en activité a le temps de lire toutes ces excellentes monographies et les livres blancs du CNOM, de la HAS, de la CNIL, de l'ANS, du Ministère de la santé et d'autres institutions. Tous ces ouvrages de grande qualité intellectuelle sont souvent peu "pratico-pratiques" et ils ne sont pas lus par les acteurs de santé auxquels ils sont destinés. "Peut-on faire de la télémédecine sans connaître tous ces textes" ? C'est la question souvent posée lors des formations.
Une sixième et dernière raison pourrait-être que les médecins qui font déjà de la téléconsultation considèrent qu'ils n'ont pas besoin d'être formés. Les 80 000 téléconsultations réalisées entre le 1er janvier et le 31 octobre 2019 concerneraient environ 7000 médecins libéraux et hospitaliers selon l'Assurance maladie. Combien appliquent réellement les recommandations de la HAS, du CNOM et de l'ANS pour une pratique de qualité et sécurisée en matière de confidentialité des échanges de données de santé au cours des actes de télémédecine ? Il n'y a pas à ce jour d'évaluation des bonnes pratiques professionnelles.
Quelles pourraient-être alors les nouvelles perspectives d'une formation mieux adaptée aux besoins des professionnels médicaux ?
On ne peut nier que les conditions actuelles de formation DPC offertes aux professionnels médicaux, qu'ils soient libéraux ou salariés hospitaliers, sont loin d'être idéales. A la suite de l'expérience de plusieurs dizaines de formations nous proposons une nouvelle vision de ce que pourrait être une formation aux pratiques de télémédecine. Ces propositions n'engagent que l'auteur du billet.
Tout d'abord, il vaudrait mieux définir les objectifs de ces formations. On ne peut être que surpris de la segmentation des thèmes de formation voulue par l'ANDPC. Par exemple, le programme de formation sur la télémédecine ne doit aborder que "la maîtrise et la qualité des actes de télémédecine". Les services de l'e-santé et l'IA font partie d'autres modules de formation DPC. Cette segmentation des thèmes en silo est aberrante et ne correspond pas à la vraie vie des pratiques innovantes en télémédecine.
Par exemple, peut-on parler de l'acte de télésurveillance médicale au domicile sans parler des dispositifs médicaux connectés et des algorithmes qui les pilotent ? Peut-on parler de l'acte de téléconsultation sans aborder les services d'e-santé qui sont proposés aux professionnels médicaux pour réaliser cette pratique, sans aborder la sécurité des échanges de données de santé au regard des contraintes du RGPD ? Etc. L'objectif de ces formations doit être à la fois claire et simple : apprendre aux professionnels médicaux de nouvelles façons d'aborder la médecine au XXIème siècle, pratiques complémentaires de l'exercice habituel, en ayant toujours en perspective le service médical rendu (SMR) aux patients, prouvé scientifiquement.
Qui est le mieux à même d'élaborer le contenu des formations aux pratiques de télémédecine ? L'ANDPC considère que les nouvelles pratiques de télémédecine relèvent du développement professionnel continu. L'argumentaire dans l'arrêté du 20 décembre 2018, au chapitre "innover pour améliorer l'accès aux soins", est le suivant : "portée par des orientations fortes au niveau national, les avancées technologiques et la conscience des gains de qualité, d'efficience et d'accès aux soins que l'on peut attendre de la pratique médicale à distance, la télémédecine connaît un déploiement accéléré, en particulier par l'introduction d'un financement conventionnel. Ce déploiement rend nécessaire une évolution des compétences des professionnels de santé qui ne se limite pas aux aspects techniques mais implique pour les professionnels de s'adapter à de nouvelles formes de relation avec le patient, avec les autres professionnels et de maîtriser les spécificités des actes de télémédecine."
On ne peut bien évidemment qu'être d'accord avec cet argumentaire général, mais il ne donne pas le contenu du programme de formation sur un thème aussi innovant. Aujourd'hui, le contenu de ces formations n'est pas homogène. Il dépend des compétences des formateurs. Il y a de plus un manque de transparence de la part de l'ANDPC sur la méthode qu'elle utilise pour valider les programmes de formation qui lui sont soumis.
Nous pensons que l'homogénéité des formations doit passer par des "guidelines" élaborées par les sociétés médicales savantes et l'Université ( une vraie !) assurant un SMR aux patients, fondé sur les données scientifiques acquises dans ce domaine. C'était l'objectif que s'était donnée la SFT avant 2015 en fédérant le plus grand nombre de sociétés médicales savantes pour travailler sur un socle commun de SMR aux patients par la télémédecine et la santé connectée. Seule l'Université peut garantir, en toute indépendance, des guidelines de qualité conformes aux données acquises de la science. Son rôle est d'autant plus important qu'elle s'engage aujourd'hui à former les futurs médecins à la télémédecine et à la santé connectée. On image mal une formation DPC qui serait différente de la formation universitaire des futurs médecins.
La HAS contribue également à donner des recommandations qui s'appuient sur les données acquises de la science. Elle en a fait en 2018 et 2019 sur la téléconsultation et la téléexpertise.
Qui est le mieux à même d'organiser ces formations DPC ? Si on veut conserver une homogénéité entre la formation délivrée aux étudiants en médecine et celle délivrée aux médecins en activité dans le cadre du DPC, l'organisateur de ces formations devrait être l'Université. C'est elle qui devrait valider les programmes soumis à l'ANDPC. Quelle est la compétence des commissions ad hoc de l'ANDPC pour valider un programme de formation à la télémédecine ? Une proposition serait que l'ANDPC soit l'organe d'enregistrement des formations et de leur financement. L'Université validerait les programmes soumis à l'ANDPC. Cette proposition est d'autant plus légitime que certaines facultés de médecine ont déjà nommé des PUPH en télémédecine en charge de délivrer l'enseignement universitaire.
Qui est le mieux à même d'animer ces formations ? Si la formation des futurs médecins à la télémédecine et à l'usage des services d'e-santé est assurée par des PUPH de télémédecine, on voit mal une formation DPC qui serait assurée par des non-professionnels médicaux, comme c'est le cas aujourd'hui dans certains organismes de formation. Les médecins formateurs doivent avoir une expérience professionnelle des pratiques de télémédecine. Il y en a suffisamment en France pour constituer ce corps de formateurs. Ils devraient être certifiés par la faculté de médecine et non par un organisme non professionnel que reconnaitrait l'ANDPC.
En résumé, cette première année de DPC pour la télémédecine montre le peu d'enthousiasme des professionnels médicaux concernés à suivre ces formations validées par l'ANDPC. Il faut mettre plus de cohérence, de transparence et de compétence dans ces programmes de formation aux pratiques de télémédecine et à l'usage des services de l'e-santé. Seule, l'Université à l'autorité scientifique et éthique de les valider.
4 décembre 2019
Eric Fonta
05.12.2019 08:26
Effectivement Pierre la qualité des intervenants est fondamentale mais va t on les chercher aux bons endroits ?
Pierre Simon
05.12.2019 16:16
Merci du commentaire Eric que je partage..