Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Il est toujours intéressant de se comparer. La France et
l'Allemagne sont des partenaires importants au sein de l'Europe et les politiques sanitaires sont souvent comparées. Cette étude révèle le comportement de nos voisins allemands vis à vis de la santé mobile, c'est à
dire de l'usage du smartphone et des applications de santé. Il existe manifestement une fracture générationnelle dans l'usage de la santé mobile.
Ernsting C, Dombrowski SU, Oedekoven M, O Sullivan JL, Kanzler M, Kuhlmey A, Gellert P. Using Smartphones and Health Apps to Change and Manage Health Behaviors: A Population-Based Survey. J Med Internet Res. 2017 Apr 5;19(4):e101. doi: 10.2196/jmir.6838
OBJECTIFS
Un nombre croissant de personnes utilise leur smartphone pour des sujets de santé. Les applications (applis) de la santé mobile (Mobile Health) ont progressé en nombre et en popularité, offrant de nouvelles opportunités pour modifier les comportements liés à la santé et pour mieux gérer des problèmes chroniques de santé.
Les applis de santé fournissent un accès immédiat à des informations sur la santé, donne des rappels de traitement ou aident à persévérer dans les progrès réalisés lors du suivi d'un régime ou le développement d’une activité physique. Toutefois, les facteurs liés à l’utilisation d’applis de santé avec les smartphones ne sont pas encore bien compris. Cette étude a examiné les associations entre des facteurs démographiques, des facteurs sanitaires comme les maladies chroniques, les comportements individuels vis à vis de la santé et l'utilisation d'applis de santé.
Malgré le développement d’une recherche importante sur les applis de la santé mobile ces dernières années, il n’y a toujours pas de preuves scientifiques démontrant des associations significatives entre l’utilisation d’internet et/ou d’applis de la santé mobile et des facteurs socio-démographiques, médicaux et comportementaux pour améliorer la qualité de vie ou les comportements vis-à-vis de sa propre santé.
Le but de cette étude était d’explorer dans la population allemande
(1) l’étendue de l'utilisation du smartphone et des applis de santé, (2) les aspects socio-démographiques, médicaux et comportementaux liés à l'utilisation du smartphone et des applis de la santé mobile
(3) l'impact de l’utilisation des applis mobiles sur les comportements individuels en matière de santé.
METHODES
Une enquête aléatoire a été réalisée en juillet 2015 dans la population allemande (N = 4144), chez des personnes âgées de 35 ans et plus. Les facteurs socio-démographiques, la présence ou non de maladies chroniques, les comportements vis à vis de la santé, la qualité de vie, la connaissance des facteurs de risque en santé, les visites sur les sites internet et l’utilisation des applis avec smartphone ont été évalués par des questionnaires réalisés au domicile par des intervieweurs professionnels. Pour être incluse dans l'enquête, chaque personne devait résider en allemagne et parler la langue allemande. Après un premier contact par téléphone, un rendez-vous était pris au domicile avec un taux de succès de 55%. 7% des personnes interviewés ont refusé d'aller jusqu'au bout de l'enquête.
Les facteurs socio-démographiques évalués par un sondage standard étaient les suivants : sexe, âge, taille, poids, éducation (International Standard Classification of Education), profession, revenu et langue maternelle. Le revenu mensuel des ménages était pris en compte (après impôt) et classé de la façon suivante : faible < 2100 € ; modéré de 2100 à3600 € ; haut > 3600 euros (1 Euro = 1,1 dollar US au 6 octobre 2016).
Les problèmes chroniques de santé ont été évalués en demandant aux participants : « souffrez-vous d’une ou plusieurs des situations de maladies chroniques suivantes : (1) cardiovasculaire, (2) cancer, (3) respiratoire (4) maladie de l’appareil locomoteur, (5) dépression majeure, (6) douleur chronique, (7) diabète, (8) l’hypertension artérielle et (9) autre problème de santé chronique. » En outre, le BMI a été calculé à l’aide de valeurs autodéclarées : le poids, la taille et l'IMC = poids (en kg) / taille (en mètre carré). Un IMC de 30 kg/m2 ou plus est considéré comme de l'obèsité, conformément à la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L'existence ou non de plusieurs affections chroniques chez une même personne était prise en compte.
Les comportements vis à vis de la santé ont été évalués selon une liste de comportements courants, c’est à dire l'existence ou non d'un tabagisme quotidien, d'une activité physique selon les recommandations OMS (30mn pendant 5 jours), une alimentation équilibrée en fruits et légumes, un régime faible en graisse et l'adhésion aux recommandations du médecin et du pharmacien.
Le rapport de la qualité de vie à la santé
a été évalué par des questions du type « Comment évaluez-vous votre qualité de vie ? » et « comment êtes-vous satisfait de votre santé ? » Toutes les
réponses étaient données sur une échelle de Likert de 5 points. De même les connaissances d'une personne sur les enjeux de santé étaient évaluées, notamment sur la capacité d’un individu
d’acquérir, de comprendre et d'agir à partir d'informations de santé reçues ou trouvées. Par exemple, « sur une échelle allant de très facile à très difficile, préciser la facilité
que vous avez de trouver des informations sur les traitements des maladies qui vous concernent ? » Les réponses étaient classées sur une échelle de Likert de 4 points.
L'utilisation de l’Internet a été évaluée en demandant aux participants : « Utilisez-vous Internet pour obtenir des informations sur les conditions de politique sanitaire ou d’autres problèmes liés à la santé ? » (codé 1 = présent, 0 = absent).
L'utilisation d'un smartphone a été évaluée en demandant aux participants : « possédez-vous un smartphone compatible avec Internet ? » (codé 1 = présent, 0 = absent).
L'tilisation des applis en santé et le suivi des comportements ciblés par les applis ont été mesurés en demandant aux participants : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous utilisé les applis de votre smartphone pour améliorer un des comportements suivants ? : (1) arrêter de fumer (2) avoir une activité physique régulière, (3) maintenir une alimentation équilibrée, (4) réduire votre poids, (5) prendre des médicaments régulièrement, (6) améliorer le contrôle de la pression artérielle, (7) améliorer le contrôle glycémique, et (8) je n’utilise pas les applis de mon smartphone pour améliorer mes comportements en santé. » Les personnes qui ont choisi un ou plusieurs de ces comportements ont été classés comme utilisateurs d'applis de santé (codé 1 = présent) et les personnes qui ont choisi la réponse « je n’utilise pas les applis de mon smartphone pour améliorer mes comportements » ont été classés comme non-utilisateurs.
L'analyse statistique a été celle des modèles de régression logistique binaire.
RESULTATS
61,25 % (2538/4144) des allemands participant à l'enquête utilisaient un smartphone. Par rapport aux non-utilisateurs, les utilisateurs de smartphones étaient plus jeunes, faisaient plus de recherches sur Internet, étaient plus susceptibles de travailler à temps plein et de détenir un diplôme universitaire, participaient plus à une activité physique, suivaient moins de régime alimentaire faible en graisses et avaient une meilleure qualité de vie, un connaissance plus élevée des indicateurs et des informations liés à la santé.
Parmi les utilisateurs de smartphones, 20,53 % (521/2538) utilisaient des applis de santé. Les utilisateurs d’applis de santé étaient plus jeunes, moins susceptibles d’utiliser uniquement la langue allemande, faisaient davantage de recherches sur Internet, étaient plus susceptibles de déclarer des problèmes de santé chroniques, étaient plus engagés dans une activité physique, dans un régime faible en graisse et étaient plus connaisseurs des sujets de santé que les utilisateurs de smartphone sans applis de santé.
Les applis de santé les plus utilisées étaient centrées sur la cessation du tabagisme (232/521, 44,5 %), sur une alimentation saine et équilibrée (201/521, 38,6 %) et sur la perte de poids (121/521, 23,2 %). Les caractéristiques des applis les plus communéments utilisées avaient des objectifs à atteindre (264/521, 50,7 %), un système de rappel (188/521, 36,1 %), des incitations à la motivation (179/521 34,4 %) et fournissaient des informations de santé (175/521, 33,6 %). Des associations significatives ont été trouvées entre la planification d'une activité physique et un comportement de santé, entre les commentaires des personnes et le suivi de l’activité physique, ainsi qu’entre les commentaires des personnes et l'adhésion aux conseils des médecins et des pharmaciens.
CONCLUSIONS
Bien qu’il y avait beaucoup d’utilisateurs de smartphone et d'applis de santé, une proportion importante de la population allemande n’était pas engagée dans les solutions de la santé mobile. Les résultats suggèrent d'importantes disparités dans l'usage de la santé mobile liées aux générations (moins d'impact chez les personnes âgées), aux conditions socioéconomiques (plus d'utilisateurs chez les diplomés et les professions aisées), liées à l’usage des langues (plus d'utilisateurs chez les multilinguistes) et aux conditions de santé (moins d'utilisateurs ches les personnes atteintes de maladies chroniques). L'usage des applis de santé peut refléter la motivation de l’utilisateur à vouloir modifier ou maintenir des comportements préventifs ou vertueux vis à vis de sa santé. Les chercheurs et les développeurs d’applis de santé devraient davantage tenir compte des besoins des personnes âgées, des personnes avec une culture en santé faible et touchées par des maladies chroniques.
COMMENTAIRES Cette étude est intéressante, car elle montre que les solutions de la santé mobile dans un pays développé comme l'Allemagne ne touchent qu'environ 10% de la population générale et en grande partie des jeunes qui pratiquent la prévention primaire. Les personnes âgées qui sont atteintes de maladies chroniques sont peu concernées par les outils de la santé mobile, notamment pour développer des actions de prévention secondaire et tertiaire. Les auteurs de l'article ont raison de rappeler aux chercheurs et aux développeurs d'applis que la santé mobile pourrait également bénéficier aux personnes âgées atteintes de maladies chroniques et aux personnes qui ont une faible culture en santé. Evaluer l'impact (éventuel) de la santé mobile en prevention primaire demandera plusieurs dizaines d'années, alors que l'impact peut être plus rapidement évalué en prévention secondaire et tertiaire. Le modèle économique du marché des applis permet-il de développer la santé mobile dans les populations qui en ont le plus besoin ? C'est la question subsidiaire que pose cet excellent article.