.Comment les soins distanciels par télésanté et santé numérique se sont développés en cancérologie au cours de la dernière décennie (2)


Après avoir rapporté dans le précédent billet la partie consacrée au contexte, à la méthodologie et aux résultats de l'étude (https://telemedaction.org/422885857/telesant-8), nous poursuivons dans ce nouveau billet la mise en lumière de ce travail unique réalisé par l'équipe de chercheurs américains des universités de San Francisco en Californie, de Pittsburgh en Pennsylvanie et de Charlottesville en Virginie sur le "state of the art" des nouveaux parcours de soins hybrides en cancérologie, travail publié récemment dans la revue de référence The Lancet Digital Health.

Nous rapportons ici la discussion des auteurs sur les résultats de leur étude.


Digital health and telehealth in cancer care: a scoping review of reviews. Shaffer KM, Turner KL, Siwik C, Gonzalez BD, Upasani R, Glazer JV, Ferguson RJ, Joshua C, Low CA. Lancet Digit Health. 2023 May;5(5):e316-e327. doi: 10.1016/S2589-7500(23)00049-3.PMID: 37100545


DISCUSSION


À notre connaissance, nous avons réalisé la première revue de la littérature sur l’utilisation des interventions de santé numérique et de télésanté dans le parcours de soins des patients atteints de cancers, de leurs soignants et aidants ainsi que des prestataires de soins de santé.

La diffusion de l'usage de la santé numérique et de la télésanté pendant la pandémie de COVID-19 chez les patients atteints de cancer nécessitait une évaluation de l’état de cette nouvelle pratique, afin d’identifier les éventuelles lacunes dans la prestation de soins distanciels chez les patients atteints d'un cancer.

Notre revue de la littérature a révélé un corpus complet et récent d'études sur les interventions de santé numérique et de télésanté dans les parcours de soins du cancer.

Dans l’ensemble, la plupart des études se sont concentrées sur les interventions délivrées aux patients dans les phases de traitement actif et de rémission à l’aide de programmes de santé numérique, d’appels synchrones par téléphone ou par vidéoconférence et d’applications mobiles.


Les conclusions communes tirées des articles de cette revue étaient que les interventions de santé numérique et de télésanté étaient faisables et efficaces, mais que des tests d’efficacité plus robustes et à plus grande échelle restaient nécessaire.
Néanmoins, notre étude a identifié plusieurs lacunes majeures dans la littérature consacrée à la santé numérique et à la télésanté dans les parcours de soins des patients atteints de cancer.

Plus précisément, il existe des potentiels d’amélioration en ayant de meilleures connaissances sur les populations concernées, sur les modalités d'interventions par santé numérique et télésanté, sur les modèles d’examen clinique à distance et sur les résultats de la mise en œuvre des interventions.

Les études qui combleront ces lacunes pourront contribuer à améliorer les soins distanciels délivrés par la santé numérique et la télésanté à tous les patients atteints de cancer, en précisant notamment l’étendue de la recherche primaire et l’efficacité potentielle des interventions pour soigner le cancer dans le vaste champ des soins distanciels.


Opportunités dans le choix des populations.

La plupart des études incluses dans cette revue portaient sur les interventions en santé numérique et en télésanté chez les personnes à risque de cancer (c.-à-d. prévention du cancer), celles qui recevaient un traitement actifs (c.-à-d. les patients) ou celles qui se sont rétablies du cancer (c.-à-d. les survivants). Cependant, plusieurs sous-populations manquent dans les études examinées.


L'absence d'études dans les populations âgées atteintes de cancer.

Par exemple, aucune des études retenues dans notre travail ne s'est concentrée sur les patients âgés atteints de cancer, ce qui constitue une lacune considérable étant donné que plus de la moitié des personnes ayant un diagnostic de cancer sont âgées de 65 ans ou plus.

Bien que l'on suppose souvent que les interventions en santé numérique ou en télésanté ne conviennent pas aux personnes âgées, ce type de soins est pourtant très prometteur pour soutenir un vieillissement en situation d'autonomie.

L'adoption des technologies numériques chez les personnes âgées continue de progresser, et les interventions en santé numérique et en télésanté peuvent aider à atténuer les obstacles habituels d'accès aux soins de santé auxquels sont confrontées les personnes âgées, comme la ruralité et la pauvreté. Une étude portant sur des patients atteints d'un cancer uro-oncologique suggère un intérêt similaire pour la surveillance à distance des patients à l'aide des technologies numériques tant chez les patients âgés que chez les patients plus jeunes, les patients âgés se déclarant même prêts à s'engager dans les technologies numériques dans le cadre d'essais cliniques, plus fréquemment que les patients plus jeunes.

Trois revues ont abordé les interventions de télésanté chez les personnes confrontées à un cancer avancé, y compris celles en fin de vie. Il est important de caractériser cet usage et les avantages des interventions de santé numérique et de télésanté dans ces populations, car de nombreux patients atteints d'un cancer en phase terminale et leurs familles préfèreraient que les soins palliatifs soient délivrés au domicile plutôt que dans un établissement de soins de santé.


L'absence d'études chez les aidants familiaux.

Bien que les soins aux familles en deuil soient traditionnellement une composante des soins palliatifs et aient été inclus dans plusieurs des programmes de soins palliatifs par santé numérique et télésanté couverts par cette revue, aucun des articles retenus n'a abordé spécifiquement le deuil des aidants familiaux. Ce résultat reflète l'intérêt limité mis sur les aidants familiaux en cancérologie dans l'ensemble des articles.

Toutefois, des études ont été conduites sur la santé numérique et les soins aux personnes en deuil par télésanté en dehors de l'oncologie. Étant donné que les besoins liés à la santé et les réactions au deuil des soignants et aidants diffèrent selon le contexte de la maladie, il est nécessaire d’explorer la disponibilité, l’efficacité et l’acceptabilité des interventions par santé numérique et télésanté chez les familles en deuil d'un cancer.


Opportunités dans le choix des interventions

Les interventions en santé numérique et en télésanté peuvent avoir des objectifs variés, comme la prise en charge des « soins cliniques à distance, l’éducation des patients et des professionnels de la santé, la santé publique et l’administration de la santé ».

La plupart des études identifiées se sont concentrées non seulement sur les soins distanciels chez les patients atteints d'un cancer, mais aussi sur l’éducation des patients et sur la santé publique (c’est-à-dire les interventions de prévention du cancer), et avec moins d’attention à l’éducation des professionnels et à l’administration de la santé.

Les services de télésanté synchrones pour les soins distanciels ont été les plus souvent étudiés, en partie en raison d’un historique de remboursement avant (et élargi pendant) la pandémie de COVID-19.


L'importance des politiques de remboursement des professionnels.

Dans l’exemple des États et territoires américains, les services de télésanté avant la pandémie étaient remboursés par le gouvernement et les payeurs d’assurance-maladie privés, bien que généralement avec des exigences telles que les patients devaient avoir déjà reçu des services dans un établissement de soins de santé agréé. Ces exigences ont été largement abandonnées pendant la pandémie de COVID-19, et les politiques de remboursement continuent d’évoluer. Le suivi des changements de politique de remboursement des professionnels sera crucial pour optimiser à l'avenir l’utilisation et la diffusion des services de télésanté.


L'impact sur les collaborations professionnelles.

Cinq revues ont abordé les pratiques de santé numérique et de télésanté pour encourager la collaboration interdisciplinaire et la formation continue des prestataires de soins en oncologie, avec comme but ultime l'amélioration des soins oncologiques chez les patients atteints d'un cancer. Cependant, aucune revue n’a abordé les outils pour améliorer le bien-être des professionnels de santé en oncologie. Étant donné le lourd tribut que la pandémie de COVID-19 a fait payer aux professionnels de santé, il existe une opportunité à mettre en place des interventions viables en matière de santé numérique et de télésanté afin d'atténuer les effets négatifs sur la santé du travail intense dans les situations de pandémie.


L'apport des technologies numériques émergentes.
Peu d'études ont inclus des interventions avec des technologies émergentes (par exemple, les jeux sérieux et la réalité virtuelle) ou l’intégration avec l’Internet des objets (par exemple, les appareils portables et les haut-parleurs intelligents). Une exception notable a été une étude qui a décrit de manière exhaustive l’utilité et les résultats de l’application de l’Internet des objets aux soins distanciels chez les patients atteints d'un cancer. Compte tenu de l’évolution rapide des solutions techniques de la santé numérique, la mise à jour continue des publications de la littérature sera essentielle pour que le domaine reste à jour et pour identifier les nouvelles opportunités d’amélioration des interventions en santé numérique dans les soins distanciels des patients atteints de cancer.

Il n'y avait également qu'une seule revue axée sur les programmes de santé numérique délivrés sans l'intervention d'aucun personnel en soutien : une étude sur les applications mobiles qui utilisent l'IA pour diagnostiquer le cancer de la peau ou le mélanome à partir d'images de lésions cutanées a conclu que les preuves étaient encore insuffisantes (au moment de l'examen) pour s'appuyer sur l'IA pour assurer tous les diagnostics.


L'usage de technologies numériques en autonomie.

Aucune revue ne s'est spécifiquement concentrée sur des interventions psychologiques, comportementales ou éducatives entièrement autoguidées délivrées sans l'aide d'un professionnel de santé.

Bien qu'il y ait eu des études d'interventions qui pourraient vraisemblablement être entièrement automatisées, les critères d'éligibilité n'exigeaient pas une automatisation complète et l'intégration d'un soutien clinique n'était pas claire. Certains auteurs se sont concentrés sur les interventions autoguidées, mais ont inclus celles avec une facilitation minimale.

Les effets sur la santé publique de l'inclusion de conseils professionnels devraient être soigneusement évalués. Les interventions de santé numérique qui incluent des conseils ont tendance à entraîner de plus grandes améliorations que les interventions en autonomie. À contrario, les interventions entièrement automatisées offrent une plus grande pérennité, une plus grande accessibilité aux soins et une meilleure rentabilité financière. De futurs examens  approfondis sur ce sujet pourraient aider à déterminer les avantages et les coûts de l’inclusion de conseils professionnels pour mieux décider quand un soutien du clinicien est justifié.


Possibilités de revoir les modèles

Environ un cinquième des revues comprenait des méta-analyses, et parmi celles-ci, la plupart comparaient les interventions par santé numérique et télésanté aux soins habituels ou à tout autre type de comparateur. Une seule méta-analyse a comparé la télésanté à la prestation de soins en présentiel. Cette étude unique a conclu que le conseil génétique par télésanté ne différait pas du conseil en présentiel en ce qui concerne les situations de détresse ou sur les connaissances des patients atteints de cancer.

D'autres revues établissant comment les interventions de santé numérique et de télésanté destinées aux soins distanciels se comparent aux interventions en présentiel sur la base de résultats cliniques, pourraient être importantes à prendre en compte pour garantir aux soins distanciels par santé numérique et télésanté un remboursement ou la reconduction du remboursement après l'expiration des politiques d'urgence de santé publique liées au COVID-19.

La comparaison avec les soins en présentiel n'est cependant pas toujours pertinente selon le sujet de recherche. Par exemple, les payeurs veulent savoir s'il est tout aussi rentable de consulter un professionnel en cabinet que par vidéoconférence, alors que les usagers pourraient être plus intéressés par des informations préalables pour choisir entre deux ou plusieurs programmes de santé numérique et de télésanté. Il est important de noter que dans notre revue aucune des études éligibles n’a essayé de comparer entre elles les différentes interventions en matière de santé numérique et de télésanté.

Quelle que soit la question de recherche abordée, environ 30 % des revues identifiées dans notre recherche n’ont pas procédé à une évaluation de la qualité méthodologique des études, ce qui est essentiel pour interpréter les résultats. Ce résultat est cohérent avec une méta-revue antérieure sur la télésanté dans les soins du cancer ce qui identifie la nécessité de garantir une adhésion constante aux lignes directrices PRISMA, autre opportunité d’amélioration de recherches futures dans la littérature.


Évaluation des impacts économiques de la santé numérique et de la télésanté dans le cancer

Deux revues sur cinq ont fait état de résultats économiques liés à la mise en œuvre des interventions de santé numérique et de télésanté. Il est particulièrement intéressant de noter que, comme le remboursement et la couverture de ces services restent en constante évolution, seules huit articles ont directement abordé les résultats économiques, trois d'entre elles discutant spécifiquement de ces résultats dans une section dédiée. Dans l'ensemble, la proportion d'études incluant les résultats économiques en matière de santé variait de 0 % (0/8) à 31 % (6/19) des études incluses, les résultats incluant les coûts directs, la minimisation des coûts et le rapport coût-efficacité (par exemple, sur les années de vie ajustées à la qualité).

Comme pour les résultats en matière de mortalité et d'utilisation des soins de santé, des données plus approfondies sur les divers effets économiques des interventions par santé numérique et télésanté seront utiles aux décideurs et payeurs lorsqu'ils envisageront la couverture financière et la mise en œuvre de ces interventions.

La plupart des données sur les résultats économiques de la mise en œuvre proviennent d’études de recherche en phase précoce. Peu d’études se sont concentrées sur la mise en œuvre d’interventions dans les soins de routine.

Avec l’évolution vers des soins distanciels, précipitée par la pandémie de COVID-19, il y aurait des opportunités d’examiner les études axées sur l’utilisation des pratiques de santé numérique et de télésanté dans les soins standard, et d’éventuelles opportunités de décrire les résultats économiques de mise en œuvre à moyen et à long terme.

Le domaine des interventions de santé numérique et de télésanté liées au cancer a encore du mal à mettre en œuvre des études de routine  étant donné que la plupart des revues au cours des dix dernières années  ont souvent conclu que les résultats étaient préliminaires et que des études plus robustes et à plus grande échelle étaient nécessaires.


CONCLUSIONS


Dans cette première étude exhaustive de la littérature sur les interventions en santé numérique et en télésanté dans le parcours de soins du cancer, nous avons fait un étant des lieux sur la littérature existante et identifié plusieurs lacunes : une absence d'études dans la littérature sur les soins distanciels aux personnes âgées atteintes de cancer, sur les familles endeuillées, sur le bien-être des prestataires de soins en oncologie et sur les résultats économiques de mise en œuvre à moyen et long terme.

Il y a peu de comparaisons méta-analytiques avec les soins traditionnels en présentiel ou entre plusieurs programmes de santé numérique et de télésanté. Établir l'état de la science dans ces domaines avec des études de haute qualité pourrait aider à guider l'innovation dans la prestation de soins distanciels, en particulier chez les personnes âgées et les familles endeuillées, et soutenir l'intégration et la pérennité de ces interventions dans la pratique habituelle en oncologie. Ce travail soutient la croissance continue des études sur les interventions en santé numérique et en télésanté pour réduire le risque de cancer et améliorer les soins chez les patients atteints de cette maladie.


COMMENTAIRES. Ce travail remarquable a respecté la démarche scientifique : faire un état des lieux le plus objectif possible des soins distanciels en cancérologie et souligner les lacunes actuelles pour qu'elles soient comblées ou corrigées dans de futures études plus robustes sur le plan de la méthodologie et de l'analyse statistique des résultats. Une des lacunes importante est aussi la quasi-absence d'études chez les personnes âgées qui sont les plus exposées à la survenue d'un cancer. Les auteurs américains font preuve d'optimisme en affirmant que les personnes âgées sont prêtes à adhérer dans ces nouveaux parcours. Ils sont également fidèles la culture anglo-saxonne d'évaluer l'impact économique d'une innovation technologique et organisationnelle en santé. C'est la grande faiblesse des pays où l'accès aux soins est quasi gratuit, conduisant parfois à des dépenses injustifiées pour la solidarité nationale. A une époque où les comptes de notre Assurance nationale sont dans le rouge, les professionnels de santé et les usagers de la santé français devraient réfléchir à des organisations plus efficientes comme peut l'être l'usage de la médecine hybride alternant des soins distanciels et des soins présentiels inévitables (https://telemedaction.org/423570493/economies-et-tlm)(https://telemedaction.org/422021881/consultations-pr-sentielles-vitables)((https://telemedaction.org/422021881/consultations-pr-sentielles-vitables-2).


19 décembre 2024


Le blog reprendra ses publications à partir du 6 janvier 2025. Joyeuses fêtes à tous nos lecteurs !