A la sortie de la pandémie Covid-19, pouvons-nous faire un état des lieux des pratiques de téléconsultation ? (2)

Dans ce deuxième billet, nous proposons d'étudier l'impact que peuvent avoir les solutions technologiques proposées par les industriels et start ups du numérique en santé sur les différentes formes de téléconsultation. Ces dernières ont été abordées dans le précédent billet (https://telemedaction.org/422021881/t-l-consultation-et-smr). Nous nous interrogeons ici sur l'influence que ces solutions technologiques peuvent avoir sur le service médical rendu (SMR) aux patients ou aux usagers de la santé. Nous verrons ensuite dans un troisième billet, comment le référentiel éthique, élaboré en 2023 par la Délégation du Numérique en Santé (DNS), à l'intention des fournisseurs de solutions technologiques de télésanté, prend en compte les bonnes pratiques de la téléconsultation recommandées par la HAS.


Les différentes solutions technologiques de téléconsultation pour les usagers de la santé et les professionnels médicaux.


Quelles sont en 2023 les solutions technologiques proposées aux usagers de la santé ou aux patients pour accéder à une téléconsultation ponctuelle ?


Ces solutions sont multiples : accès à une plateforme de rendez-vous médicaux, accès direct à une plateforme web à partir d'un ordinateur ou d'une tablette, accès direct à une plateforme à partir d'une borne ou d'une cabine installée dans des lieux publics ou des officines, équipée d'objets connectés pour une téléconsultation "augmentée", etc.

Au début de la pandémie Covid-19, à la mi-mars 2020, le ministère de la Santé (DGOS) avait demandé aux industriels et start-ups de la santé numérique de faire connaître leurs solutions pour réaliser une téléconsultation. Six fonctionnalités étaient répertoriées par les autorités sanitaires pour réaliser une téléconsultation de qualité et sécurisée. Sur les 144 solutions recensées par le ministère à cette époque, seules 5 solutions (3,5%) remplissaient le cahier des charges des six fonctionnalités, assorti d'un niveau de sécurité à 10. (https://telemedaction.org/432098221/445424795).


Les plateformes de rendez-vous médicaux en ligne sont désormais connues du grand public car elles ont contribué pendant la pandémie à l'organisation des rendez-vous de vaccination, ainsi qu'à l'accès à des téléconsultations pendant les confinements. Cette réputation acquise leur profite après la pandémie pour poursuivre une offre de téléconsultation à la demande des usagers.

Les premières plateformes de rendez-vous ont été lancées à partir de 2014. C'est un gain de temps pour les médecins, permettant à leur secrétariat d'être moins submergé par des appels téléphoniques continus. S'appuyant sur un réel succès auprès des professionnels médicaux, ces plateformes étaient prêtes à s'engager dans l'organisation de téléconsultations à partir de septembre 2018. Initialement réservées aux médecins traitants qui voulaient pratiquer avec leurs patients des téléconsultations programmées, elles ont permis pendant la pandémie des téléconsultations avec d'autres médecins que le médecin traitant.

Si avant la pandémie, certaines plateformes remplissaient les conditions d'un téléconsultation programmée dans le parcours de soins, telles que précisées dans l'avenant 6 à la convention médicale nationale (c'est à dire à l'initiative du médecin traitant), force est de reconnaître que pendant la pandémie elles s'en sont affranchies pour permettre l'accès à tout médecin pendant les confinements. Elles continuent en postpandémie à développer cette offre de téléconsultation ponctuelle à l'initiative du citoyen. L'usager qui télé consulte reçoit une information par un CGU (conditions générales d'utilisation) et le consentement "éclairé" est fait par un simple clic sur l'icône "accepter" qui figure à la fin du CGU. Rien ne permet de vérifier que le CGU a bien été lu par la personne avant qu'elle donne ce consentement virtuel. La plupart de ces plateformes sont gérées par des sociétés de téléconsultation qui devront obtenir un agrément du ministre de la Santé pour que les actes de téléconsultation soient remboursés par l'Assurance maladie, comme le prévoit l'article 53 de la LFSS 2023 (https://telemedaction.org/437100423/453459149).


L'accès direct à une plateforme web à partir d'un ordinateur ou d'une tablette a également prospéré pendant la pandémie. Ces plateformes sont gérées par les sociétés de téléconsultation visées par la LFSS 2023. Elles sont regroupées au sein du LET (Les Entreprises de Télémédecine). Outre l'offre pour les soins primaires, construite sur la base d'une "télé-sémiologie"(https://www.unitheque.com/manuel-telesemiologie/s-editions/Livre/648920), elles ont élargi leur offre à une cinquantaine de spécialités médicales, dont celles dites "hors parcours" des soins coordonnés par le médecin traitant (psychiatrie, ophtalmologie, gynécologie, pédiatrie, odontologie). Certaines de ces plateformes ont passé des conventions avec une complémentaire-santé dans le cadre d'une garantie de 6 téléconsultations ponctuelles annuelles pour leurs adhérents. Ces plateformes assurent des vacations médicales  7jours/7 de 6h à minuit (https://www.qare.fr/sante/teleconsultation/comparatif/#comparatif-teleconsultation-quelles-sont-les-differentes-solutio), mais n'ont pas accès au dossier professionnel du patient tenu par le médecin traitant. Cette forme de téléconsultation ponctuelle s'adresse surtout à de jeunes adultes qui n'ont pas (encore) de médecin traitant (https://telemedaction.org/422016875/453185455).

C'est là que l'appli publique Mon Espace Santé (MES) prend aujourd'hui tout son sens. Le compte rendu de l'acte de téléconsultation ponctuelle peut être déposé dans le DMP de MES pour que le médecin traitant en prenne connaissance. Pour les patients qui n'ont plus de médecin traitant et qui sont atteints de maladies chroniques (en ALD), la synthèse du profil médical fourni par MES permet au médecin qui réalise la téléconsultation de mieux connaitre les antécédents du patient et ses traitements (https://telemedaction.org/423570493/mes-santuaire-de-la-t-l-sant).


L'accès à une plateforme peut également se faire à partir d'une borne ou d'une cabine équipée d'objets connectés pour réaliser une téléconsultation "augmentée". Ces équipements sont conçus pour être utilisés par l'usager en toute autonomie. Cependant ces bornes ou cabines, installées dans des lieux publics, excluent les patients âgés touchés d'illectronisme. A l'inverse, lorsqu'elles sont installées dans les officines, au sein d'une salle dédiée où la confidentialité est assurée, le pharmacien peut assister l'usager touché d'illectronisme (https://telemedaction.org/432098221/441345936). Lorsque le médecin qui réalise cette téléconsultation ponctuelle ne connaît pas le patient, il peut lui demander l'autorisation d'accéder à MES pour obtenir la synthèse de son profil médical.


Quelles sont les solutions technologiques proposées aux professionnels médicaux pour organiser une téléconsultation programmée ?


Les plateformes de rendez-vous médicaux en ligne. Certaines proposent aux médecins traitants et de spécialités de faire apparaître sur leur agenda de rendez-vous des plages dédiées à des téléconsultations réservées à leur patientèle. Ainsi, le patient, avec l'accord préalable de son médecin, s'inscrit à une téléconsultation programmée.


Certaines plateformes web sont exclusivement dédiées à la téléconsultation programmée par le médecin traitant. La téléconsultation programmée peut se réaliser avec un usager capable de naviguer seul sur le web à son domicile ou dans un autre lieu, ou avec l'aide d'un pharmacien qui l'organise dans son officine et qui assiste le patient pendant la téléconsultation en utilisant, si nécessaire, des objets connectés, ou avec un(e) infirmier(e) libéral(e) qui l'organise au domicile du patient ou dans son cabinet professionnel et qui assiste le patient pendant la téléconsultation avec des objets connectés, si nécessaire. Ces solutions technologiques permettent la téléconsultation programmée et assistée qui se développe à nouveau, après avoir été très peu pratiquée pendant la pandémie (https://telemedaction.org/432098221/453327732).


Les logiciels Saas de téléconsultation. Ces logiciels (Software as a service) devaient représenter en 2018 la solution technologique idéale pour permettre à chaque médecin traitant d'organiser lui-même les téléconsultations programmées qu'il jugeait pertinentes pour sa patientèle. Les freins qui ont empêché le développement de ces logiciels en médecine de soins primaires sont aujourd'hui connus : un manque d'interopérabilité avec les logiciels métiers des professionnels médicaux, en particulier avec les dossiers patients informatisés (DPI) et le DMP pour accéder aux données de santé nécessaires à la réalisation d'une téléconsultation. L'accès aux données de santé personnelles pendant la téléconsultation est à la fois une obligation réglementaire (décret de télémédecine) et une recommandation de la HAS en mai 2019. Les avenants 6 et 9 à la convention nationale médicale n'ont fait que reprendre le cadre réglementaire. Ce problème d'interopérabilité doit être résolu d'ici la fin 2023 grâce aux 2 milliards d'euros accordés par le Ségur de la santé (https://telemedaction.org/422016875/445048919)(https://telemedaction.org/422021881/449536030). De plus, le problème de l'illectronisme des personnes âgées, souvent atteintes de maladies chroniques, a été sous-estimé dans ces différents avenants (https://telemedaction.org/422016875/450497110). Les mêmes difficultés ont été rencontrées par les GRADeS qui proposaient aux professionnels médicaux de leur région des logiciels Saas de téléconsultation programmée dont ils assuraient la maintenance technologique.


Toutes ces solutions technologiques fournissent-elles le même SMR aux patients ou aux usagers de la santé ?


Le SMR aux patients par un médicament est-il transposable à une organisation de soins qui repose sur l'usage d'une technologie numérique ?


La téléconsultation programmée organisée par le médecin traitant, en alternance avec des consultations en présentiel, est la pratique de téléconsultation recommandée par la HAS, reprise dans l'avenant 9 de la convention nationale des médecins et dans la charte des bonnes pratiques de la téléconsultation (https://telemedaction.org/437100423/450710673)(https://telemedaction.org/432098221/452395661)(https://telemedaction.org/432098221/452419586). Pour le CNOM, il fallait sortir du "mésusage" de la téléconsultation (https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/rapport/10ax7i9/cnom_mesusage_de_la_telemedecine.pdf).


La méthode d'évaluation du SMR par un médicament est-il transposable à la pratique de la télémédecine ? Cette question mérite d'être discutée. Bien évidemment, la téléconsultation n'est pas une thérapeutique, mais relève d'un acte de soin médical lorsqu'elle répond à un besoin de santé exprimé par un usager ou un patient. Apporter une réponse médicale à ce besoin est un service rendu au patient, fusse-t-il par téléconsultation. Nous avons déjà traité cette question en décembre 2017 (https://telemedaction.org/422021881/422084427), en rappelant qu'il revenait au patient de juger la qualité d'un acte médical, à fortiori lorsque cette prestation se fait à distance par téléconsultation (ou télésoin).Lorsqu'un médecin estime qu'une téléconsultation est pertinente, il engage sa responsabilité vis à vis du patient qui peut évaluer le service rendu.

Depuis la publication de la HAS sur le SMR par une médicament en avril 2013, cette agence s'est positionnée clairement en juin 2021 sur l'intérêt d'évaluer l'ePROM (electronic Patient-Recorded Outcome Measures) dans toutes les études cliniques, y compris dans celles portant sur l'impact des médicaments (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-07/rapport_panorama_proms_prems_2021.pdf). Il s'agit pour le patient ou l'usager de juger la qualité des soins qu'il reçoit. Un usager ou un patient doit pouvoir juger de la qualité d'une téléconsultation. Le SMR par la télémédecine en général, par la téléconsultation en particulier, est partie prenante d'un ePROM.


Quel SMR selon les différentes formes de téléconsultation ?


La demande de téléconsultation ponctuelle et non-programmée à l'initiative du patient ou de l'usager. Nous ne retenons dans cette forme de téléconsultation dite "ponctuelle" et non-programmée que celle qui relève d'un besoin urgent d'avis médical ressenti par le patient ou l'usager, hors urgence vitale qui relève de la régulation par le Samu-centre 15. Cette téléconsultation non-programmée doit être organisée au niveau du territoire de santé où réside l'usager afin de l'orienter, si nécessaire, dans le parcours de soin territorial. C'est le rôle qui est aujourd'hui dévolu à la plateforme SAS (https://telemedaction.org/422021881/t-l-consultation-et-smr).

Répondre à une demande de téléconsultation en soins primaires d'un usager qui réside à plusieurs centaines de kilomètres du médecin qui télé consulte ne peut relever d'un SMR à l'usager. Une telle téléconsultation comporte plus de risques (ne pas pouvoir assurer la continuité des soins si nécessaire) que de bénéfices (avoir eu un médecin, une ordonnance ou un certificat). Cette forme de téléconsultation ponctuelle non-programmée en soins primaires ne peut se réaliser qu'au sein du territoire de santé où réside le patient (https://telemedaction.org/422021881/442659857). Lorsque le motif de la téléconsultation ne conduit pas à orienter l'usager dans le parcours de soins territorial, ce dernier pourrait témoigner d'une satisfaction personnelle en faveur d'un SMR. C'est l'information préalable donné au patient sur les bénéfices et les risques de la téléconsultation (le CGU sur les plateformes) qui doit clairement indiquer ce qui relève d'un SMR et ce qui n'en relève pas. Le médecin qui télé consulte se doit de juger en début de téléconsultation si le motif est pertinent ou non (https://telemedaction.org/432098221/445840641).


La téléconsultation programmée et assistée d'un professionnel de santé. Il existe des méthodes scientifiques pour évaluer le SMR en télémédecine, en particulier la préférence individuelle des patients atteints d'une maladie chronique pour un suivi par téléconsultation programmée en alternance avec des consultations en présentiel. La méthode des choix multiples a été utilisée chez les patients transplantés dans leur suivi par téléconsultation programmée et assistée d'un IPA spécialisé en transplantation. Le choix de la téléconsultation était majoritaire, permettant aux patients les plus éloignés du centre de transplantation de ne plus se déplacer lorsque la greffe était stabilisée (https://telemedaction.org/432098221/444996417).

Depuis la pandémie, de nombreuses études, dont des expérimentations art.51 en France, ont montré un SMR dans l'organisation de téléconsultations programmées, en particulier dans les Ehpads (https://telemedaction.org/422016875/ehpad-et-t-l-consultation) ou dans les zones où l'accès au médecin spécialiste est difficile. C'est le cas de l'accès à l'ophtalmologiste dans les territoires isolés (https://telemedaction.org/445927157/450646742). Dans ces situations de désert médical, le  SMR aux patients isolés se traduit par l'accès à des soins spécialisés qui n'était pas possible à cause de l'isolement des populations.


17 mai 2023

Nous verrons dans le prochain et dernier billet comment le référentiel éthique élaboré par la DNS à l'intention des fournisseurs de solutions de téléconsultation prend en compte les pratiques recommandées par la HAS.