Une revue de la littérature sur les solutions de santé mentale en ligne pour aider les professionnels de santé pendant la Covid-19

La pandémie à la Covid-19, avec ses confinements, a eu des impacts importants sur la santé mentale de nombreuses personnes, n'épargnant pas les enfants, les étudiants et les soignants. Nous rapportons une revue de la littérature médicale sur l'aide psychologique apportée aux professionnels de santé pendant la COVID-19 par diverses solutions numériques. Cette étude a été réalisée par des universitaires du Maroc (Université de Rabat), d'Espagne (Université de Valladolid) et des Emirats Unis.

A Systematic Literature Review on e-Mental Health Solutions to Assist Health Care Workers During COVID-19 Nidal Drissi, Sofia Ouhbi, Gonçalo Marques, Isabel de la Torre Díez, Mounir Ghogho, and Mohammed Abdou Janati Idrissi  

CONTEXTE

Après la première épidémie à Wuhan, en Chine, la COVID-19, une maladie hautement infectieuse, s’est propagée dans toutes les régions du monde. Les données scientifiques ont montré que la COVID-19 se transmet par contact étroit et par gouttelettes. Au milieu de l’année 2020, après les premiers confinements, la maladie avait infecté plus de 6,4 millions de personnes dans le monde et était responsable de près de 400 000 décès. La propagation de la COVID-19 a créé une situation épidémiologique en constante évolution qui a nécessité des mesures de sécurité mondiales.

Le scénario pandémique a entraîné des charges de travail supplémentaires pour les professionnels de santé de  premier recours (PS), qui ont de manière héroïque fourni des soins aux patients atteints de COVID-19. Les PS travaillent de longues  heures et sont exposés à la fatigue et à d’autres facteurs de stress comme la peur de l’infection. La transmission interhumaine de la COVID-19 s’est produite chez les PS. Au début juin 2020, il y avait 69 761 PS qui avaient été infectés aux Etats-Unis, à l'origine de 368 décès.  En Italie, 10 % du nombre total de personnes infectées étaient des PS.

Les PS font face à plusieurs dilemmes éthiques et moraux qui s’ajoutent aux facteurs de stress psychologiques. Les PS ont souvent des préoccupations quant à la façon de trouver un équilibre entre leur devoir éthique de fournir des soins aux patients et leur crainte de contracter la maladie et de la transmettre à leur famille. Ces préoccupations sont encore  alimentées par la disponibilité limitée et la distribution inéquitable de l’équipement de protection individuelle. Les PS ont également du mal à trouver un équilibre entre leur propre santé physique et mentale et l’appel du devoir. Ils  se retrouvent parfois dans des situations où ils pourraient avoir à prendre la décision angoissante de priver les patients critiques qui ont peu de chances de survivre de l’assistance ventilatoire et de l’attribuer à des patients moins critiques avec de meilleures chances de survie.

Les facteurs de stress mentionnés précédemment ont un impact significatif sur la santé mentale des PS. Une méta-analyse de 13 études transversales a indiqué qu’une forte proportion de PS éprouvaient des niveaux  importants d’anxiété, de dépression et d’insomnie en rapport avec la pandémie  COVID-19. En Italie, une étude incluant1 379 PS, a fait état de résultats en matière de santé mentale, notamment des symptômes de stress post-traumatique (TSPT), des dépressions sévères, de l’anxiété, de l’insomnie et du stress. En Allemagne, les médecins ont signalé une prévalence élevée de symptômes dépressifs  et anxieux. Il y a eu plusieurs cas de suicide liés à la COVID-19  chez les PS. Un médecin de niveau universitaire, touché par les scènes dévastatrices de patients COVID-19 dans un hôpital de Manhattan à New York, s’est  suicidé dans son service. La COVID-19 a également eu un impact important chez les infirmiers et infirmières qui passent le plus de temps avec les patients critiques et sont les plus vulnérables aux sentiments suicidaires. En Italie, deux infirmières se sont suicidées : une après avoir été testée positive à la COVID-19 et une autre en attendant les résultats. En Grande-Bretagne, une jeune infirmière s’est suicidée dans le service où elle traitait des patients atteints de la COVID-19.

Prevalence of depression, anxiety, and insomnia among healthcare workers during the COVID-19 pandemic: A systematic review and meta-analysis. Pappa S, Ntella V, Giannakas T, Giannakoulis VG, Papoutsi E, Katsaounou P.Brain Behav Immun. 2020 Aug;88:901-907. doi: 10.1016/j.bbi.2020.05.026. Epub 2020 May 8.PMID: 32437915

La COVID-19 a mis à l’épreuve les systèmes de santé dans le monde entier et a accru les problèmes de prestation des soins, ce qui a  entraîné plus de stress et de peur chez les PS. Des interventions sur la santé mentale peuvent surmonter ces problèmes créés par la pandémie. Cet article présente les résultats d’une revue systématique de la littérature médicale sur les publications qui présentent les interventions en santé mentale par voie numérique, développées pour les PS pendant la pandémie de COVID-19. Les résultats de cette étude pourraient aider à  mieux faire connaître les solutions existantes pour les PS afin de les aider à surmonter les agressions en santé mentale liées à la pandémie.

METHODOLOGIE

L’objectif de cette étude est de répondre à la question suivante : quelles sont les interventions numériques en santé mentale aujourd'hui disponibles, rapportées dans la littérature médicale, qui ont été élaborées pour accompagner les PS pendant la pandémie de COVID-19 ?

L'étude a suivi la méthode du PRISMA statement (Preferred Reporting Items for Systematic reviews and Meta-Analyses). Le processus de recherche a commencé le 12 mai 2020 en consultant les sources suivantes : Bibliothèque numérique IEEE, Bibliothèque numérique ACM, ScienceDirect, Scopus et PubMed.

Après l’application des chaînes de recherche, les publications suivantes ont été exclues: études publiées avant 2020 et publications qui n’incluent pas d’interventions numériques en santé mentale pour les PS. Onze publications ont été sélectionnées.

RESULTATS

Un groupe de professionnels de la santé mentale sinophones des États-Unis, du Canada et  de l’Australie a formé une équipe  pour fournir  un soutien  psychologique en ligne de type peer-to-peer aux PS de Wuhan  en utilisant la plateforme de médias sociaux WeChat. L’équipe comprenait  45  professionnels de la santé mentale de différentes  disciplines. Le projet a débuté  le 24 janvier  2020, le lendemain du confinement de Wuhan.  Le  projet offrait un soutien à la fois collectif et  individuel.  Le programme a pu aider 300 PS de Wuhan. Les premiers résultats publiés suggèrent que l’intervention à distance fut bénéfique, aux dires des PS eux-mêmes  WeChat a  également été utilisé à partir du 15 février 2020 par la Société chinoise d’anesthésiologie et l’Association chinoise des anesthésiologistes, pour fournir gratuitement des conseils de santé mentale aux médecins anesthésistes.  Le programme était en mesure de fournir des téléconsultations à plus de 200 PS par jour.

Une plate-forme de médias sociaux a été créée  pour les étudiants  de l’école de  médecine de Shiraz  en Iran. L’initiative fut lancée pour la première fois en 2015 et a été utilisée pendant la pandémie de COVID-19 pour aider les étudiants en médecine à faire face à la situation de confinement. Les étudiants vivaient une pause involontaire  dans  leurs études, et certains  d’entre eux collaboraient  avec les PS pour fournir les soins nécessaires aux patients atteints de la COVID-19. Par conséquent, ils étaient exposés à de nombreux problèmes mentaux et émotionnels.  La plateforme a mis en œuvre une méthode de télé-mentorat assurée par les pairs, des étudiants en médecine seniors, afin d’aider les plus jeunes à faire face à l’anxiété et au stress apportés par la pandémie. Les  étudiants seniors, sous la supervision de membres experts du corps professoral, ont fourni des solutions appropriées  aux problèmes psychologiques et ont aidé les étudiants  juniors  à  gérer  leurs  émotions et leur stress. Au total, 371 étudiants juniors ont utilisé la plateforme. 71 % des  étudiants ont déclaré que la plateforme avait eu un impact significatif pour les aider à s’adapter plus rapidement aux conditions de la pandémie.

Le département chinois de psychiatrie du deuxième hôpital Xiangya de l’Université centrale du Sud, le Centre psychiatrique du Hunan et le Centre national chinois de médecine clinique des maladies psychologiques et mentales ont fourni  un plan d’intervention  psychologique détaillé, qui comprenait des cours en ligne pour guider le personnel médical dans la gestion des problèmes psychologiques courants, et une équipe d’assistance  psychologique qui offrait  des conseils téléphoniques, des conseils en ligne et des conseils par vidéo. De plus, un inventaire de dépistage en ligne a également  été  élaboré pour aider le personnel médical de premier recours  à  reconnaître  ses  problèmes mentaux. Cependant, cette intervention a d’abord été accueillie avec réticence par les PS eux-mêmes. Après enquête, l’intervention a été repensée  pour inclure la mise à disposition d’une aire de repos, des soins pour les besoins physiques de base tels que la nourriture, une formation sur les soins aux patients COVID-19, des informations sur les mesures de protection, des activités de loisirs et des visites périodiques à l’aire  de repos par un conseiller. Les résultats ont montré une amélioration du taux de satisfaction des PS à l’égard de l’intervention.  Les résultats de cette initiative soulignent la nécessité d’une analyse continue de la rétroaction et de la modification de ces interventions, si elles ne sont pas bénéfiques pour les PS. Le comité de santé du Sichuan, en Chine, a également fourni des services de santé mentale aux PS de la région. Outre le conseil en ligne et par téléphone, ils ont adopté d’autres interventions psychologiques innovantes, notamment  de courtes  vidéos et des jeux en ligne.

Aux États-Unis, le Mount Sinaï Health System (MSHS) a identifié trois domaines essentiels pour promouvoir et maintenir le bien-être des professionnels du MSHS pendant la pandémie. L’un d’eux consistait à élaborer un éventail solide d’options de soutien psychosocial et en santé mentale facilement accessibles. En plus du soutien en santé mentale, MSHS a fourni d’autres ressources, y compris des solutions virtuelles, telles que des groupes de soutien virtuels animés par des travailleurs sociaux et  des psychologues, la pleine conscience virtuelle et le yoga, ainsi que des lignes d’assistance téléphonique de soutien. Les applications mobiles de santé mentale ont également été suggérées  comme  des  outils pouvant fournir un soutien d’une manière plus informelle. Le PTSD Coach, une application mobile développée par les États-Unis (Department of Veteran Affairs, National Center for PTSD) pour les anciens combattants, a été jugée également efficace chez les PS américains. Cette application est basée sur la thérapie cognitivo-comportementale. L’application aide à  gérer les problèmes psychologiques dont les PS pourraient souffrir,  tels que le stress, la colère, l’anxiété, le désespoir et  les problèmes de sommeil.   

En Malaisie, l’University Malaysia Sabah (UMS) a modifié son manuel d’interventions psychologiques (UBPI) pour l’adapter spécifiquement à la pandémie de COVID-19, et a été nommé  UC-19. Le manuel psychologique UC-19 contient  une variété  de psychothérapies et a été livré en deux approches. La première  concerne la santé mentale au travail dans la COVID-19, ciblant les PS,  en particulier ceux de premier recours pour la COVID-19, ainsi que le grand public. Le manuel a ensuite été partagé avec divers centres et publié en ligne sur un site Web pour augmenter sa diffusion. La deuxième approche consiste à passer par un portail Web appelé COVIDCare, disponible pour le public et les PS. L’initiative a également fourni des lignes d’assistance téléphonique pour délivrer les soins en santé mentale. Les techniques psychologiques présentées dans le manuel UC-19  ont été évaluées dans un essai incluant des infirmiers et infirmières de l’UMS travaillant sur la ligne de front COVID-19, lesquels ont rapporté des commentaires positifs. L’approche qui mettait en ligne le manuel UC-19 a également reçu des commentaires positifs de la part des utilisateurs de la plateforme.

Au Canada,  l’Association médicale canadienne a lancé le Programme provincial de santé des médecins.  Ce programme  comprend des lignes directrices précises pour chaque province du Canada. Ces programmes comprennent le télésoin et les soins pour les PS et leurs familles. La Société canadienne de psychologie a également  invité  tous les praticiens en psychologie inscrits à se porter volontaires pour fournir des services psychologiques aux PS de premier recours. De plus, ils ont fourni une liste de professionnels de la santé mentale en mesure de fournir des consultations de télépsychiatrie aux PS.

Au Royaume-Uni, une trousse d’apprentissage numérique fondée sur des données probantes, sur le bien-être psychologique des PS, a été créée par des membres de l’Université de Nottingham et du National Institute for Health Research. Le dossier électronique fournissait du contenu éducatif aux PS du Royaume-Uni, ainsi qu’aux universitaires et aux étudiants en soins de santé. Il comprenait des sections fournissant du contenu sur l’impact psychologique de la COVID-19, des suggestions sur les mesures que les chefs d’équipe peuvent prendre  pour créer des espaces de travail  psychologiquement  sûrs pour le personnel, de l’information sur l’importance des méthodes de communication et de soutien social, ainsi que des méthodes d’auto-soins. Le package numérique comprenait également des conseils d’experts en bien-être mental  ainsi  que  de  ceux qui  ont  eu des  expériences directes de pandémie. Le  système proposé a été consulté 17 633 fois pendant les 7 premiers jours de son lancement. Les utilisateurs ne se limitaient pas aux PS du Royaume-Uni, mais incluaient des PS d’autres régions telles que les États-Unis, l’Europe et la Chine, ce qui était un indicateur  de  son applicabilité large. La trousse numérique  a donné des résultats positifs en matière de qualité et de convivialité. Elle s’est avérée très utile pour les PS.

RESUME et CONCLUSIONS

Les interventions en santé mentale "en ligne" comprenaient des plateformes de médias sociaux, du contenu d’apprentissage en ligne, des ressources en ligne et des applications mobiles. Seulement 27 % des études comprenaient une évaluation, le plus souvent  empirique, des interventions déclarées, 55 % énuméraient les défis et les limites liés à l’adoption des interventions numériques.  Et 45 %  ont présenté des interventions élaborées en Chine pour les PS. Dans l’ensemble,  les commentaires sur les interventions identifiées ont été positifs, mais un manque d’évaluation scientifique (service médical rendu ou SMR) était identifié, en particulier en ce qui concerne les preuves qualitatives.

COMMENTAIRES. Cette étude, sur la base d'une revue de 11 publications faites en 2020, dresse un panorama international assez complet des interventions en santé mentale engagées auprès des professionnels de santé qui étaient en première ligne pendant la pandémie COVID-19. L'impact positif est démontré dans un quart des études. Il manque pour la majorité une approche scientifique du service médical rendu.

La France n'est pas créditée de publications sur ce sujet pendant l'année 2020. Cependant, le ministère de la santé a publié régulièrement des fiches de soutien psychologique aux soignants: (https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/qualite_de_vie_au_travail_et_covid_19.pdf) (https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/covid-19_fiche_soutien_psychologique-2.pdf) ainsi qu'une étude sur les cas de burn-out observés pendant la pandémie. (https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/soins848_philosophie-a-lhopital-1.pdf)

On ignore pour l'instant l'impact que ces interventions du ministère de la santé ont eu sur la santé mentale des soignants français confrontés en première ligne à l'épidémie.

25 juin 2021 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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