Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Le transhumanisme est défini comme un mouvement culturel et intellectuel international prônant l'usage des sciences et des techniques afin d'améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Le transhumanisme considère que certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort subie comme inutiles et indésirables.
Dans son dernier livre, le philosophe Luc Ferry pense que nous allons passer de la médecine thérapeutique classique, c'est à dire celle qui soigne et répare, à une autre médecine, celle qui augmente le potentiel humain. En quelque sorte, passer de la médecine clinique qui s'appuie aujourd'hui sur des données scientifiques médicales du "savoir soigner" à une technomédecine dont le premier but serait de corriger la loterie génétique afin d'augmenter la longévité humaine de plusieurs centaines d'années (voir le précédent billet sur la médecine 5P à l'onglet "Edito de semaine"). Passer du hasard génétique aveugle au choix génétique éclairé pour prévenir les handicaps et les maladies dans le but de devenir un "homme augmenté" en quête d'immortalité. Ce serait l'objectif de Google et des autres géants du numérique qui ont décidé de consacrer des milliards de dollars à la cause du transhumanisme. Luc Ferry prend la précaution de dire que rien n'est encore réalisé, que ce sera la médecine des années 2040-2050, et qu'il y aura besoin d'une régulation à l'échelon européen ou mondial. Force est de reconnaitre que ce mouvement utilitariste d'inspiration anglosaxonne (Silicon Valley) peut heurter les personnes pour qui la fin, fut-elle celle du bien-être collectif, ne peut pas toujours justifier les moyens, notamment en matière de manipulation génétique. Le débat éthique sur le transhumanisme ne fait que commencer et la promesse d'une immortalité chrétienne en fait partie.
Mais il ne faudrait pas oublier que près de 2 milliards de personnes dans le monde n'ont pas accès aux soins les plus élémentaires, que la mortalité infantile avant l'âge d'un an est encore 6 à 10 fois plus élevée en Afrique et dans certaines régions d'Asie que dans les pays développés, que 800 millions de personnes souffrent de malnutrition dans le monde et qu'elle provoque la mort chaque année de 3,1 millions d'enfants de moins de 5 ans (Lancet 2010).
Autrement dit, les priorités actuelles en matière de santé publique sont bien d'améliorer l'accès aux soins au plus grand nombre, même dans nos pays développés, d'offrir des soins de qualité à tous les citoyens du monde atteints de malnutrition et de maladie, en particulier ceux touchés par des maladies chroniques du vieillissement. Et les innovations numériques actuelles pour y parvenir rapidement sont bien la télémédecine et la santé connectée.
Ces deux innovations d'aujourd'hui, enrichies déjà par l'intelligence artificielle, fut elle encore trop faible, peuvent améliorer de façon significative la qualité et la sécurité des soins de nos concitoyens malades. C'est la télémédecine clinique pour améliorer l'accès aux soins, la santé connectée pour améliorer le bien-être et prévenir certaines maladies, la technomédecine déjà débutante pour réparer l'homme amputé (les membres bioniques) , l'homme paraplégique (les exosquelettes intelligents) ou l'homme sur le point de perdre un organe vital (coeur, poumon ou rein artificiel).
On peut penser que les milliards de Bill Gates, consacrés à sa fondation humanitaire créée en 2007 pour lutter contre la mortalité infantile et la malnutrition, sont plus utiles aujourd'hui que les milliards de Google consacrés à la recherche pour un homme augmenté. Certes, la recherche pour prévenir des maladies génétiques incurables est légitime et doit être soutenue. Elle pourrait à terme bénéficier à tous les citoyens du monde. Mais dépenser des milliards pour permettre à certains de vivre jusqu'à 300 ans alors que d'autres ne vivront pas au delà de 50 ans pose une réelle question éthique.
Il nous faut d'abord gérer les priorités de santé publique et faire en sorte que l'accès aux soins soit universel le plus vite possible.