Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Il est toujours intéressant de connaître l'opinion des citoyens dans une période où le numérique bouscule de nombreuses organisations professionnelles et commerciales. Le système de santé n'échappe pas à ce mouvement.
La population autrichienne vient d'être interrogée via internet sur ce qu'elle pensait de la santé connectée et de la télémédecine. Nous rapportons ici les principaux résultats de cette enquête qui a touché une population adulte jeune âgée de 35 ans en moyenne.
Haluza D, Naszay
M, Stockinger A, Jungwirth D.Prevailing Opinions on Connected Health in
Austria: Results from an Online Survey. Int J Environ Res Public Health. 2016 Aug 11;13(8).
pii: E813. doi: 10.3390/ijerph13080813
CONTEXTE DE L'ETUDE
Le déploiement de la santé connectée et de la télémédecine dépend e leur acceptation dans la population générale et chez les professionnels de santé. Malgré la possibilité d'un accès à internet pour tous les citoyens, les facteurs de la rupture numérique que sont l'âge, le sexe et l'éducation persistent. Ainsi, il est démontré que des facteurs socioéconomiques influencent l'usage du numérique en générale dans la population générale. L'objectif principal de cette étude est d'identifier les tendances actuelles de la population autrichienne vis à vis des nouveautés en matière de santé numérique, en prenant en compte le niveau d'adoption dans différentes couches sociales concernées par ces innovations.
MATERIEL et METHODES
Il s'agit d'une enquête en ligne d'août à octobre 2015. Le logiciel de sondage empéchait la non réponse. Tous les participants ont du répondre à la totalité du questionnaire.La page de couverture du questionnaire rappelait les objectifs de l'étude, laquelle étant validée par un comité d'éthique de l'université de Vienne. L'étude était anonyme.Un minimum de 500 participants était requis pour obtenir une significativité de 0.05. La méthodologie pour constituer l'échantillonage a été la suivante : utilisation de listes de diffusion d'associations professionnelles liées à la santé (phase 1), suivie de la distribution du lien de l'enquête via les médias sociaux (facebook) (phase 2), incitation à participer par des forums en ligne dont la page d’accueil est en allemand (phase 3), envoi de mails de rappel toutes les deux semaines après le courrier électronique d’invitation initiale afin d'inciter davantage à participer à l'enquête (phase 4). Le questionnaire, structuré en allemand, a été construit sur la base de résultats de travaux de recherche antérieurs. Sa compréhension a été validée préalablement par 20 étudiants et employés de l'Université. Les informations personnelles anonymisées recueillies étaient les suivantes : âge, sexe, lieu de vie, niveau de formation scolaire (primaire, secondaire, tertiaire), profession de santé, l'usage de smartphones et de tablettes, présence ou non d'une maladie chronique. La santé connectée a été définie comme l'ensemble des services de santé et d'informations véhiculé par l’Internet et les autres technologies de l'information et de la communication (TIC) dans le domaine de l’informatique médicale, de la santé publique. La télémédecine était définie par les services de la santé tels que la télésurveillance et de téléassistance qui utilisent les TIC pour l’échange d’informations médicales.
Afin d’évaluer l’importance des bénéfices spécifiques à la santé connectée et à la télémédecine, nous avons utilisé la formulation suivante dans le questionnaire: « "l’application de la santé connectée/télémédecine apporte-t'elle certains avantages. Merci de les classer en fonction de leur importance". » Sept choix étaient alors offerts pour identifier ces bénéfices: meilleure qualité de vie, meilleure qualité des soins de santé, meilleur financement des soins de santé, prévention d'un excès de tests diagnostiques, meilleure relation entre médecin et patient, progression des connaissances des patients et accès personnalisé aux services de soins de santé. Pour évaluer l'importance des obstacles au développement de la santé et de la télémédecine, six choix d'obstacles étaient proposés : coûts/financement, sécurité des données, réticence des médecins, réticence des patients, l’augmentation de la charge administrative et le manque de pré-requis techniques. Des méthodes pour évaluer la fiabilité des réponses ont été également utilisées. L'échantillonage retenu de 562 répondants à l'enquête était représentatif du dernier recensement de la population autrichienne.
Les catégories sociologiques étudiées étaient l'âge "digital", le genre (catégorie sexuelle), la profession de santé et le niveau d'éducation.
Des modèles de régression logistique binaire mesuraient la relation entre le catégorique sociale et les variables indépendantes en estimant le degré de probabilités (Mann-Whitney U tests).
PRINCIPAUX RESULTATS
Concernant l'usage de la santé connectée, des bénéfices étaient associés de façon statistiquement significative, d'une part, dans le groupe d'âge "digital", à la prévention d'un excès de tests diagnostics (0.001) et à une meilleure qualité de vie (0.001) et d'autre part, dans le groupe des professions de santé, à seulement la prévention d'excès de tests diagnostics (0.008). Le niveau d'éducation était associé significativement à un accès personnalisé aux services de santé (0.049), à une meilleure qualité de vie (0.041) et à une meilleure relation entre médecin et patient (0.004). Des obstacles étaient associés d'une part, dans le groupe d'âge "digital", à la réticence des médecins (0.039) et au manque de pré-requis techniques (0.040), ces mêmes obstacles étant aussi associés significativement au genre (0.003 et 0.001, respectivement).
Concernant l'usage de la télémédecine, des bénéfices étaient associés de façon statistiquement significative, d'une part, dans le groupe d'âge "digital", à l'accès personnalisé aux services de santé (0.017), à une meilleure qualité de vie (0.001), à une progression des connaissances pour les patients (0.002) et à une prévention d'excès de tests diagnostics (0.001), d'autre part, étaient associés au genre l'accès personnalisé aux services de santé (0.001), une meilleure qualité de vie (0.006), un meilleur financement des soins de santé (0.019), était associée à la profession de santé une progression des connaissance pour les patients (0.036), enfin, étaients associés au niveau éducatif l'accès personnalisé aux services de santé (0.015) et une meilleure qualité de vie (0.037). Des obstacles étaient associés dans le groupe d'âge digital à la sécurité des données personnelles (0.004), et selon le genre étaient associés la réticence des médecins (0.012), le manque de pré-requis techniques (0.001), l'augmentation de la charge administrative (0.047). Aucun obstacle n'était identifié chez les professionnels de santé et selon le niveau éducatif.
CONCLUSIONS
Cette étude fournit des connaissances sur la santé connectée et la télémédecine qui manquaient jusqu'à présent et qui devraient être prises en compte dans tout projet de développement et de choix de stratégie nationale. Dans l’ensemble, les participants à cette étude sont prudents dans leur réponse sur la fiabilité des renseignements données par la santé connectée, qu'ils considèrent surtout comme une opportunité d’échanges de données et qu’il serait souhaitable d’utiliser à l'avenir à travers des applications mobiles de santé. En outre, les participants à cette étude perçoivent leurs connaissances en santé connectée et en télémédecine comme perfectibles. Enfin, cette étude montre qu'il existe une certaine "fracture" numérique entre les catégories socio-professionnelles qu'il importe de prendre en compte dans tout développement.
COMMENTAIRES
Faire un court billet d'une étude scientifique aussi dense relève du risque d'être incomplet. Le lecteur intéressé pourra accéder à la totalité de l'étude et y trouver d'autres résultats intéressants. Une telle étude scientifique a plus de poids que les sondages auxquels nous sommes habitués. Elle montre tous les facteurs de la "fracture" numérique qu'il importe de prendre en compte lorsqu'on souhaite développer la santé connectée et la télémédecine dans un pays. Il est frappant de constater que le bénéfice le plus souvent avancé par la population autrichienne, tant pour la santé connectée que pour la télémédecine, est la perception d'une meilleure qualité de vie grâce à ces innovations organisationnelles. Il est tout aussi frappant de constater que le principal obstacle est la réticence du corps médical vécue par les patients.
Les leçons qu'on peut en tirer à cette période où une forte pression est faite en France pour généraliser les pratiques de la santé connectée et de la télémédecine (voir le billet récent "le souffle de la FHF") est que le citoyen, quelque soit le pays, perçoit l'intérêt de ces innovations numériques en santé d'abord pour améliorer sa qualité de vie. La contre-partie est la formation des professionnels de santé à ces nouvelles pratiques professionnelles pour lever leurs réticences. C'est un voeu que nous formulons régulièrement sur ce site.(voir le billet "que fait donc la fac")