Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Il ne s'agit pas de faire en quelques lignes l'exhaustivité des risques déontologiques et juridiques de la téléconsultation médicale, mais de rappeler simplement les risques les plus fréquents et prévisibles lors d'une consultation médicale présentielle, et qui peuvent être rencontrés également lors d'une téléconsultation.
Une téléconsultation (TLC) doit avoir la même qualité humaine qu'une consultation médicale puisqu'elle reproduit à distance la consultation présentielle, à l'exception de l'examen physique. Il y a la possibilité aujourd'hui de mesurer ou d'obtenir à distance certains indicateurs corporels comme le poids, la tension artérielle, le rythme cardiaque, la température, etc... ou de visualiser un tympan, une gorge, une peau, etc... grâce à l'usage d'objets connectés construits de plus en plus avec des algorithmes de l'IA, ce qui renforce leur niveau de sensibilité et de spécificité.
La pratique d'une consultation médicale doit respecter le code de déontologie médicale, dont les articles font partie du Code de la santé publique (CSP) dans la partie réglementaire (articles R.4127-1 à R.4127-112). Il en est de même pour la TLC, puisque cette pratique à distance n'est au XXIème siècle qu'une forme d'exercice de la médecine et que les conditions de mise en oeuvre, décrites dans les décrets du 19 octobre 2010 et du 14 septembre 2018, sont également retranscrites dans le CSP à la partie réglementaire (articles R.6316-1 à R.6316-4, R.6316-9 et R.6316-10) (voir le billet intitulé "Téléconsultation (3)" dans la rubrique "Le Pratico-pratique").
Ainsi, les risques déontologiques de la TLC sont ceux de toute consultation médicale, associés à ceux de la technologie utilisée pour la réaliser et qui peut générer ses propres risques.
Enfin, si les médecins ont l'obligation légale d'informer les patients sur les bénéfices et les risques prévisibles de tout acte médical, intégrant pour la TLC l'information sur les bénéfices et les risques de la technologie utilisée, il est aussi important de prendre en compte les recommandations exprimées par les patients eux-mêmes vis à vis de la e-santé et de la télémédecine, à travers leurs représentants (CISS et autres), comme le rappelle l'image qui illustre ce billet.
Le risque de violation du secret médical constitue le principal risque juridique lors d'un acte médical, quel qu'il soit, et bien évidemment lors d'une TLC, l'usage des technologies de l'information et de la communication (TIC) pouvant aggraver ce risque par rapport à une consultation présentielle. L'article 226-13 du code pénal dispose que : "la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende".
Quels sont les risques d'enfreindre les obligations de la déontologie médicale au cours d'une TLC ?
Conseiller ordinal départemental, l'auteur de ce billet connaît les insatisfactions des citoyens vis à vis de l'exercice médical. Si la plupart des signalements adressés par les patients à l'ordre départemental sont traités par un rappel au confrère mis en cause de ses obligations déontologiques, d'autres relèvent d'une plainte des patients qui, en l'absence de conciliation entre les parties, est transmise à l'instance disciplinaire régionale qui peut prononcer un blâme, voire une interdiction temporaire ou définitive d'exercer la médecine.
Dans l'exercice médical habituel, sans télémédecine, la plupart des signalements et des plaintes adressés au Conseil départemental de l'Ordre des médecins (CDOM) concernent le non-respect par le médecin de ses devoirs envers les patients, qu'il s'agisse du non recours du médecin traitant à un tiers compétent pour assurer des soins fondés sur les données acquises de la science (art.R.4127-32 et R.4127-33), d'une conduite insuffisante dans l'élaboration d'un diagnostic (art.4127-33), d'un défaut d'information sur les bénéfices et les risques d'une investigation ou d'un soin (art. R.4127-5), avec comme corollaire l'absence de consentement (art.R.4127-36), de certificats qui s'immiscent, sans raisons professionnelles, dans les affaires de famille ou dans la vie privée des patients (art.R.4127-51), etc.
Les mêmes déviances déontologiques peuvent exister avec la télémédecine. Bien qu'il n'existe pas encore de jurisprudence ordinale sur des insatisfactions ou des plaintes en rapport avec la pratique de la TLC, il est toutefois possible d'en souligner certains risques. Nous nous limiterons aux risques technologiques qui nous paraissent les plus prévisibles.
La non-information sur la technologie choisie par le médecin traitant pour réaliser une TLC avec comme corollaire l'absence de consentement à cette technologie pourrait conduire à un reproche fait au médecin par le patient (art.R.4127-35 et R.4127-36) au motif que la TLC s'est révélée de mauvaise qualité à cause d'une technologie insuffisante, notamment lorsque le réseau numérique chez le patient n'est pas compatible avec la réalisation d'une bonne TLC. Le signalement au CDOM pourrait aller jusqu'à la plainte si cette mauvaise TLC était à l'origine d'un préjudice pour le patient.
Le patient qui accepte d'être vu en TLC s'imagine que la qualité de l'échange avec son médecin à travers un écran sera comparable à la qualité de la relation présentielle. A l'heure où les personnes sont habituées à avoir une télévision dotée d'écrans de haute définition, la videotransmission entre le patient et son médecin ne peut être de qualité inférieure. Une TLC de mauvaise qualité humaine à cause d'outils "low cost" qui n'ont pas été construits pour cet usage professionnel pourrait constituer un véritable risque de plainte fondée sur l'art. R.4127-2 du CSP qui rappelle que "le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la personne et de sa dignité...", et sur l'art. R.4127-40 qui rappelle que le médecin doit s'interdire, dans les investigations et interventions qu'il pratique de faire courir au patient un risque injustifié". Or une TLC réalisée dans de mauvaises conditions techniques peut faire courir un risque au patient. Des circonstances aggravantes à la plainte pourraient être retenues par le CDOM contre ce médecin s'il s'avérait qu'il n'a pas utilisé le forfait structure (350 €) donné par la CNAM pour l'achat d'un équipement de qualité.
Le fil rouge pour un médecin qui veut pratiquer la TLC est de faire en sorte que les conditions techniques permettent une qualité de l'échange avec son patient la meilleure possible, c'est à dire équivalente à une consultation présentielle. Si le médecin estime qu'il n'est pas en mesure de l'obtenir, il doit s'abstenir de faire une TLC.
Le risque juridique de violation du secret médical est augmenté lors d'une TLC
Le risque de violation des données de santé à caractère personnel lorsqu'on utilise les TIC doit être l'obsession de tout professionnel de santé. Le RGPD, intégré à la loi française depuis le 25 mai 2018, a renforcé les conditions de protection des données personnelles en santé, jugées "sensibles". Le RGPD s'applique aux pratiques de télémédecine. Nous invitons le lecteur à lire ou relire le billet intitulé "RGPD et TLM" dans la rubrique "Droit de la santé".
Nous vivons dans une société de plus en plus connectée où la protection des données personnelles est soumise à l'obligation d'informer les usagers et à recueillir leur consentement avant qu'elles soient utilisées. Dans un précédent billet, j'ai illustré les conséquences d'un consentement assumé à être géolocalisé dans sa vie privée (voir le billet consacré à "GAFAM et TLM" dans la rubrique "le Pratico-pratique").
En médecine, le secret médical (ou professionnel) s'impose à tout médecin qui ne peut être délié de ce secret que dans les conditions établies par la loi (art. 4127-4 du CSP). Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est à dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris.
Une question simple se pose : existe-il un risque de violation du secret professionnel si un médecin utilise son smartphone personnel pour un usage professionnel épisodique comme une TLC ? Le sujet est très sensible, tant pour les médecins hospitaliers que pour les médecins libéraux, et cette question n'est pas débattue qu'en France (voir un précédent billet consacré à la "Mobile Health" dans la rubrique "Edito de semaine"* du 25 mai 2016). Une table ronde consacrée à ce thème lors de la "Paris Healthcare Week" en mai 2016 avait réuni au côté de professionnels de santé membres de la Société Française de Télémédecine des ingénieurs informaticiens spécialisés dans la santé connectée en institution publique de santé.
La conclusion de cette table ronde en 2016 était que le risque de violation du secret médical était bien réel, notamment lorsqu'on pratique la télé dermatologie ou la télé imagerie en général, en particulier lorsque les photos nominatives sont stockées dans son smartphone au côté des photos personnelles que l'on peut envoyer sur Facebook, Instagram, etc.. Cette conclusion confirmait d'ailleurs l'excellent papier d'une équipe de Boston publiée également en mai 2016 et dont nous avions rendu compte dans notre rubrique "Revue et publications", "Santé connectée (4)".
Peut-on réellement affirmer que ce risque de violation du secret avec un smartphone personnel n'existe plus en 2018 ? Nous ne le pensons pas. Certes, on nous affirme qu'avec le système Web RTC les Visio réalisées avec Skype, WhatsApp et FaceTime sont sécurisées, mais qu'en revanche le transfert de documents de données de santé via ces systèmes ne l'est pas. Il faudrait alors se procurer un smartphone uniquement dédié à l'usage professionnel, comme certains établissements de santé l'ont fait, notamment en France (CH de Valenciennes). Enfin, avec le RGPD, les pays européens sont probablement plus sensibles à la sécurisation des données personnelles de santé que le sont d'autres pays qui n'ont pas encore ce niveau de protection.
En résumé, sans revenir sur les débats des dernières semaines, on ne peut que recommander l'usage d'outils qui garantissent le secret professionnel. Ces outils existent à des coûts raisonnables. En cas de violation caractérisée du secret professionnel au cours d'une TLC, le juge ne manquerait pas de chercher à évaluer si le médecin mis en cause avait recherché un équipement conforme à des référentiels qui assurent la sécurité des données de santé. Dans ce domaine, la CNAM a une responsabilité dans les conseils qu'elle procure aux médecins.
26 septembre 2018