Ne vaudrait-il pas mieux utiliser le droit souple pour le référentiel HAS de bonnes pratiques et méthodes applicables aux Sociétés de téléconsultation ?

Le référentiel de la Haute autorité de Santé (HAS) sur les bonnes pratiques et méthodes applicables aux sociétés de téléconsultation est soumis à la consultation publique à compter du 25 octobre et jusqu'au 15 novembre 2023 (https://www.has-sante.fr/jcms/p_3470126/fr/teleconsultation-referentiel-de-bonnes-pratiques-professionnelles-applicable-aux-societes-de-teleconsultation).

La consultation publique sert à élaborer des normes. Traditionnellement, elle reposait sur des commissions consultatives institutionnalisées. La consultation ouverte sur internet est considérée aujourd'hui par les gouvernements de l'OCDE comme une modernisation de la concertation des parties (https://www.oecd.org/fr/gov/politique-reglementaire/45268986.pdf).

Dans son rapport du 2 octobre 2013, le Conseil d'Etat recommande de doter les pouvoirs publics d’une doctrine de recours et d’emploi du droit souple pour contribuer à la politique de simplification des normes et à la qualité de la réglementation. Il y intègre explicitement les bonnes pratiques dans le domaine médical (https://www.conseil-etat.fr/actualites/etude-annuelle-2013-le-droit-souple). Le point commun des exemples donnés par le Conseil d'Etat est de ne pas imposer d’obligations précises dans une société complexe et incertaine où la régulation gagne en extension et en force, une fonction appréciée de leurs destinataires. Ils sont les manifestations d’un même phénomène, le droit souple.

En mai 2018, nous défendions sur ce site l'instauration d'un droit souple plutôt qu'un droit des obligations pour accompagner les innovations organisationnelles de la télémédecine (https://telemedaction.org/437100423/427711074). On trouve dans la littérature juridique la définition suivante du droit souple (Soft Law pour les anglosaxons) : un ensemble de règles dont la juridicité est discutée. Ce sont des règles de droit non obligatoires, ce qui est a priori contraire à l'essence du droit.

Dans ce billet, nous faisons une analyse du référentiel HAS de bonnes pratiques et méthodes applicables aux Sociétés de téléconsultation avec un regard juridique en faveur d'un droit souple. Notre réflexion porte uniquement sur la téléconsultation "ponctuelle" à l'initiative du citoyen et non sur la téléconsultation programmée par le médecin traitant avec l'aide des plateformes de rendez-vous.


Organisation pour la mise en oeuvre de la téléconsultation


Dans les outils mis à la disposition des médecins pour réaliser la téléconsultation, on découvre à l'objectif 1.1.1. la phrase suivante : la société de téléconsultation doit mettre à disposition les outils pour consulter et renseigner le dossier patient interne à la société de téléconsultation, s’il existe.

Il n'est pas précisé si la société doit être ou non agréée pour héberger des données de santé à caractère personnel et constituer ainsi un dossier médical interne. La consultation de la liste des hébergeurs agréés (https://esante.gouv.fr/offres-services/hds/liste-des-herbergeurs-agrees), mise à jour le 13 septembre 2023, ne permet pas de répondre à cette question. Il est toutefois possible que la société de téléconsultation qui a un dossier patient interne externalise l'hébergement. Il serait néanmoins utile de le préciser, en particulier pour l'objectif 1.1.2. où la société doit mettre à disposition du médecin utilisateur un système d'information sécurisé. De même, l'existence ou non d'un HDS devrait être précisé dans l'objectif 1.2 consacré à la maîtrise des risques de sécurité numérique.


Le titre de l'objectif 1.4 est ambigu : la société de consultation forme le médecin utilisateur aux pratiques de la téléconsultation. Il s'agirait plutôt d'une formation à la pratique des outils de la téléconsultation comme l'évoque la déclinaison des objectifs de 1.4.1 à 1.4.8. Pour assurer une formation aux pratiques professionnelles de téléconsultation, les sociétés de téléconsultation devraient être habilitées par l'ANDPC comme "organisme de développement professionnel continu" (ODPC). Ce point nous semble important car les objectifs déclinés sont surtout techniques et ne couvrent pas toutes les connaissances (sociologiques, déontologiques, éthiques, juridiques) que doit acquérir un médecin qui pratique la téléconsultation (https://telemedaction.org/422016875/444327463).


Réalisation de la téléconsultation


C'est dans ce chapitre que l'on trouve certains thèmes qui ne nous semblent pas en conformité avec les règles existantes, en particulier déontologiques. La téléconsultation ponctuelle à l'initiative du citoyen, délivrée par les sociétés de téléconsultation avec un médecin le plus souvent inconnu de l'usager, relève d'une organisation différente de celle d'un médecin traitant qui connaît le patient. Elle interroge sur les droits existants des usagers de la santé. Cette forme de téléconsultation nous semble créer des devoirs de la part des usagers envers le médecin salarié de la société de téléconsultation. Nous avons déjà traité cette question sensible et nouvelle dans un précédent billet consacré aux droits et devoirs des patients (https://telemedaction.org/437100423/451157384). Lorsqu'on s'appuie sur certains articles du RGPD (Hard Law), sert-on vraiment l'intérêt du patient ? Citons quelques exemples :


Le droit de l'usager à refuser de donner la localisation de son appel au médecin utilisateur (objectif 2.2.2)

Dans la procédure d'information et de consentement libre et éclairé, l'usager refuse de donner son consentement au recueil ou à la transmission au médecin utilisateur de sa localisation, il est précisé que dans une telle situation la société de téléconsultation ne doit pas refuser la téléconsultation.

Cette recommandation nous semble contraire aux bonnes pratiques de la téléconsultation précisées dans la Charte de l'Assurance maladie d'avril 2022 (https://telemedaction.org/432098221/452395661), laquelle demande qu'une téléconsultation soit territorialisée afin d'assurer un parcours de soin au sein du territoire si une consultation en présentiel ou une venue aux urgences s'avérait nécessaire au décours de la téléconsultation. Comment le médecin salarié de la société de téléconsultation peut-il assurer cette orientation dans le parcours de soin s'il ne connaît pas la localisation de l'usager ? En réalisant une téléconsultation ponctuelle sans cette information, il aura les plus grandes difficultés en fin de téléconsultation à orienter le patient s'il estime qu'une consultation présentielle est nécessaire.

La Charte précise d'ailleurs que  les sociétés de téléconsultation, dont l'intervention est généralement "extraterritoriale", sont tenues d'orienter prioritairement les patients vers des praticiens pouvant les recevoir en présentiel, dans des délais adaptés, à proximité du domicile.


Le droit de l'usager à refuser la transmission de ses informations et de ses données de santé au médecin (objectif 2.2.2)

La recommandation précise que malgré ce refus de l'usager, la société de téléconsultation ne doit pas refuser la réalisation de la téléconsultation.

Cette recommandation nous semble contraire au décret de télésanté du 3 juin 2021 dont l'article.R6316-3 du Code de la santé publique (CSP) précise que chaque acte de télémédecine est réalisé dans des conditions garantissant....2) l'accès des professionnels de santé aux données de santé du patient nécessaires à la réalisation de l'acte.

Dans l'évaluation de la pertinence de cette téléconsultation (art.R6316-2 du CSP), le médecin peut avoir besoin d'accéder aux données de santé qui figurent dans le dossier interne (s'il existe) ou dans le DMP de l'usager (s'il a activé MES). S'il ne peut avoir accès à ces données personnelles de santé, il peut refuser la téléconsultation au nom de l'article R.4127-47 du CSP qui précise que hors situation d'urgence, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins.

La société de téléconsultation est un opérateurs de soins (https://telemedaction.org/437100423/453459149). Elle ne peut obliger le médecin qu'elle salarie à réaliser cette téléconsultation, au nom de l'article R.4127-5 du CSP qui précise que le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit.

En revanche (dernier paragraphe de l'objectif 2.2.2), l'usager peut s'opposer à la réutilisation de ses données à des finalités secondaires et ce refus ne peut pas être pour le médecin de la société un motif pour ne pas réaliser la téléconsultation.


Le besoin de s'affranchir de la réglementation (droit dur) et de pratiquer un droit souple pour obtenir le meilleur service médical rendu par l'innovation organisationnelle de télémédecine.


Le référentiel de la HAS (en version provisoire jusqu'au 15 novembre) respecte le droit positif, c'est à dire toutes les lois existantes en France, tant pour les droits des patients inscrits dans le CSP (articles L1110-1 à L1110-13) que pour ceux précisés dans le RGPD (notamment aux articles 17 et 21). En appliquant stricto sensu ce droit positif, on arrive à des situations incohérentes et difficiles à accepter dans l'exercice médical de la télémédecine. Un droit souple, c'est à dire l'application de "règles de droit non obligatoires",  comme l'est la Charte des bonnes pratiques de téléconsultation, permettrait au médecin de mieux s'adapter à des situations cliniques organisationnelles de la télémédecine, ce que le droit positif peut difficilement prendre en compte.

Il faut rappeler que l'exercice de la médecine ou de la télémédecine relève d'une obligation de moyens et non de résultats. L'accès aux données personnelles de santé du patient ou de l'usager est un moyen qu'un médecin peut juger nécessaire pour réaliser une téléconsultation de qualité et réduire ainsi le risque d'erreurs médicales (diagnostiques et thérapeutiques). Lorsqu'un usager de la santé demande à un médecin qu'il ne connait pas de lui prodiguer un soin, comme une téléconsultation ponctuelle, cet usager accepte de confier sa santé à ce médecin. Il ne peut alors lui refuser l'accès à ses données personnelles de santé qui permettent au médecin de mieux analyser le contexte et le motif de téléconsultation. Le médecin est tenu au secret professionnel et la raison du refus d'un usager d'accéder à ses données ne peut relever de la protection de ses données personnelles.

Il revient bien évidemment au médecin de créer dans le dialogue singulier un climat de confiance avec l'usager. Il a en particulier le devoir d'expliquer ce que la connaissance des données personnelles de santé lui apporte dans la réalisation de la téléconsultation demandée par l'usager qu'il ne connaît pas. Après cette information donnée par le médecin, il nous semble que l'usager a le devoir de permettre au médecin qui ne le connaît pas l'accès à ses données personnelles de santé qui figurent dans le dossier interne que gère la société de téléconsultation et/ou dans le DMP de MES. Quel médecin accepterait dans une primoconsultation en présentiel que l'usager qu'il ne connaît pas refuse de repondre aux questions sur ses antécédents ?

La société de téléconsultation ne peut obliger un de ses médecins salariés à réaliser une téléconsultation, si ce médecin estime que celle-ci n'est pas pertinente ou que le refus du patient à communiquer sa localisation et/ou ses données personnelles de santé augmentent  le risque d'erreur médicale. On se trouve bien évidemment dans une situation que ne relève pas de l'urgence vitale, laquelle s'affranchirait de toutes les remarques précédentes.

Sans remettre en cause les droits fondamentaux des patients, il nous semble que la téléconsultation "ponctuelle" à l'initiative de l'usager crée un devoir pour cet usager de permettre l'accès à ses données de santé à caractère personnel. Un droit souple devrait s'appliquer aux diverses organisations innovantes de la télémédecine.


31 octobre 2023