Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Le Congrès de médecine qui s'est tenu à Bouaké les 8 et 9 décembre 2022 a débattu, entre autres, du programme national de télémédecine que les autorités sanitaires ivoiriennes doivent lancer en 2023. Le retard pris est dû en grande partie à la pandémie Covid-19. Nous avions dans un précédent billet présenté les grandes lignes de ce programme national (https://www.telemedaction.org/439245281/450959438)
Alors que le cadre juridique du programme est fixé depuis la parution du décret de télémédecine en mars 2018, suivi de plusieurs arrêtés publiés en mai 2021 précisant le cadre du déploiement du programme (obligation pour les établissements de santé d'avoir une unité de télémédecine, obligation pour les professionnels de santé de réaliser une téléexpertise entre médecins hospitaliers avant de transférer un patient d'un établissement de santé dans une établissement plus spécialisé), des difficultés demeurent, essentiellement de nature financière et organisationnelle.
La recherche d'un modèle économique pérenne.
Très souvent, dans les pays de l'Afrique subsaharienne, les projets de télémédecine dépendent de financements ponctuels versés par des organismes internationaux, des fondations américaines ou européennes ou des sociétés commerciales chinoises. Ces projets durent le temps du financement extérieur. Ils sont rarement pérennes. La pérennité d'un projet de télémédecine en Afrique ne peut exister que si le modèle économique est adapté à la part du PIB que le pays consacre aux dépenses de santé.
Dans un pays où chaque citoyen contribue financièrement aux soins de santé, l'offre de télémédecine ne peut s'appuyer que sur cette contribution, la part du PIB consacrée à la santé en général dépassant rarement les 300 euros/an/citoyen (10 à 15 fois moins qu'en Europe). La contribution du citoyen à un programme de télémédecine est illustrée par le modèle de la télécardiologie mis en place au CHU de Bouaké, avec l'aide de la Société Ivoirienne de Télémédecine et de l'ONG Wake Up Africa.
A Medico-Socio-Economic Analysis of TeleEKG in Ivory Coast. Diby FK, Adoubi AK, Esse-Diby MA, Gnaba AL, Zadi SZ, Ouattara AEP, N'Guessan KE, Boidy K, Azagoh-Kouadio R, Nanan I, Doumbia M, Kpon R, Ayegnon KG, Meneas CG, Diomande M, Sall F, Koffi MN, Coulibaly A, Ehui EA, Yao KM, Yapo JM, Ehua SF, Yangni-Angate HK, Simon P, Moulin T. Telemed J E Health. 2021 Mar;27(3):286-295. doi: 10.1089/tmj.2020.0075. Epub 2020 Sep 9.PMID: 32907516/
Ce modèle peut être une référence pour la partie du programme national ivoirien appelée "télémédecine haute" qui repose sur la pratique de la téléexpertise entre les établissements de santé ivoiriens, dans le cadre d'un parcours de soins gradué. La téléexpertise cardiologique part de l'analyse d'un ECG (à la charge financière du patient, 6000 FCFA ou 9 euros) complétée de données cliniques transmises au cardiologue qui réalise la téléexpertise. Le volume d'activité en téléexpertise cardiologique contribue à la pérennité du modèle mis en place en 2014. Les recettes générées par le paiement des ECG permettent de répartir les sommes recueillies par tiers, entre l'hôpital requérant, l'hôpital requis et la maintenance de la plateforme numérique. Ce modèle a fait ses preuves et peut être transposé à d'autres activités de téléexpertise spécialisée. La réforme hospitalière du 23 juillet 2019 crée l'autonomie financière des hôpitaux ivoiriens.(http://www.assnat.ci/assembleenationale/IMG/pdf/loi_reforme_hospitaliere.pdf) Dans le décret de télémédecine ivoirien du 28 mars 2018, il est précisé à l'article 19 que des organismes à finalité sanitaire peuvent contribuer à la dotation financière annuelle allouée aux établissements publics. Ces organismes doivent passer des conventions avec l'Etat ivoirien.
Pour le programme de "télémédecine basse", c'est à dire la réalisation de téléconsultations par téléphone mobile ou par internet entre les Centres de santé ruraux (CSR) et les médecins généralistes qui exercent dans les Centres de santé urbains (CRU), le modèle économique repose également sur la recette de la consultation infirmière des CSR (environ 300 FCFA ou 0,5 euros).Un volume d'une dizaine de millions de téléconsultations chaque année peut assurer la pérennité du modèle.
La nécessité d'une formation des professionnels de santé
Le programme national ivoirien de télémédecine nécessite la formation préalable des professionnels de santé impliqués. C'est le rôle des universités et des sociétés médicales savantes d'assurer ces formations. La Société Ivoirienne de Télémédecine, dont une grande partie de ses membres est titulaire d'un DU de télémédecine délivré par l'Université française peut assurer cette formation.