Comment l'Intelligence Artificielle Médicale va aider les médecins à être plus performants dans leur exercice clinique.

Ce troisième billet poursuit l'analyse du rapport de la National Academy of Medicine américaine (voir les précédents billets intitulés "IAM Académique (1/4) et (2/4)" dans la rubrique "Articles de fond"). Ce billet est consacré à l'impact de l'IAM sur la sécurité et la performance des soins délivrés aux patients par les cliniciens. 

https://nam.edu/artificial-intelligence-special-publication/

Quelles sont aujourd'hui les solutions d'IAM qui peuvent aider les cliniciens à améliorer leur performance ?

Il y a deux  principaux domaines où l'IAM peut contribuer à améliorer la performance des soins cliniques  : (1) l’amélioration et l’optimisation de la prestation de soins, (2) l’amélioration du recueil de l'information en santé, la prise en compte de l'expérience acquise dans l'usage des données de santé et le souhait des professionnels de pouvoir mieux gérer les dossiers de santé élec­troniques (DSE) des patients. Des progrès ont déjà été réalisés dans ces deux domaines au cours des dernières décennies, en grande partie grâce à des applications conçues par des experts de domaines cliniques spécifiques ou grâce au besoin de résoudre certains problèmes diagnostiques et/ou thérapeutiques. L’IAM offre la possibilité aux cliniciens d'améliorer leurs performances médicales.

La gestion des soins peut s'enrichir de données de la vie quotidienne des patients.  

Des données de santé pertinentes et variées peuvent aider à soigner plus efficacement les patients, en particulier ceux atteints de maladies chroniques. La richesse des données recueillies ne peut que progresser dans les prochaines années. Leur volume augmentera avec l’allongement de l’espérance de vie des patients.

Les données de santé contenues dans les DSE ne font qu'effleurer la somme de données qui pourraient être exploitées pour améliorer la qualité et la sécurité des soins délivrés aux patients. Pour accéder à des données plus diversifiées, concernant en particulier le mode de vie des patients, le respect de règles éthiques est nécessaire. Le consentement doit être obtenu préalablement après avoir informé les patients des bénéfices et des risques de cet élargissement du recueil des données à la vie personnelle.

Ainsi, les cliniciens, avec le consentement de leurs patients, peuvent avoir accès aux données générées par les wearables (capteurs portés), les médias sociaux et d’autres données telles que les dépenses de consommation domestique, par exemple la valeur nutritive des achats d'épicerie, etc. Une personne peut être identifiée par de nombreuses données relatives à son mode de vie et sa vie privée. Le traitement de toutes ces données par l’IAM peut avoir un impact important sur l'ensemble du processus de soins, notamment sur la prévention, la détection précoce des risques et des maladies, l'identification des risques/bénéfices vis à vis du diag­nostic, du pronostic et d'un traitement personnalisé.

Quelques domaines où l'IAM contribue à améliorer la performance des soins

Les domaines de la prédiction, de la détection précoce et de l'évaluation des risques chez les personnes  est l'une des applications d'IAM les plus prometteuses. 

Sennaar, K. 2018. Machine learning medical diagnostics—4 current applications. Emerj Artificial Intelligence Research. https://www.emerj.com/ai-sector-overviews/machine-learning-medical-diagnostics-4-current-applications/:   (accessed November 12, 2019).

Dans le domaine du diagnostic, il y a un certain nombre de démonstrations où l'IAM contribue à aider la démarche diagnostique du médecin vis à vis d'une image médicale anormale : la reconnaissance d’un mélanome malin, d’une rétinopathie, de lésions du cartilage au niveau du genou, d’une lésion tissulaire précoce d'origine ischémique, d’un nodule malin au niveau du sein, confirmé ensuite par biopsie. Avec le diagnostic d'une image médicale par IAM, le rôle des radiologues, des dermatologues, des pathologistes et des cardiologues change, mais c'est la combinaison du diagnostic par IAM et de l'analyse du médecin qui permet de réduire les erreurs médicales.

Les académiciens américains pensent que l'idée avancée par certains que la technologie de lecture automatique des images médicales par l'IAM remplacerait à terme le médecin est improbable.  L'IAM aidera le médecin à faire le tri entre ce qui est simple et ce qui est complexe, permettant alors au médecin de se consacrer uniquement aux cas complexes.  

De même pour les histopathologistes, l'IAM permet à cette profession d'être plus performante dans le classement des lésions cancéreuses, dans la reconnaissance rapide de micro-organismes (virus, bactéries) dans les liquides biologiques grâce aux techniques de séquençage amplifiées par l'IAM.

Dans le domaine de la chirurgie, l'IAM devient de plus en plus importante pour la prise de décision. Il  apporte diverses sources d'infor­mation utiles à la décision du chirurgien, comme les facteurs de risque du patient, l'information précise sur son anatomie,  l'histoire naturelle de sa maladie, les bénéfices et les risques de l’acte chirurgical, ainsi que le coût engagé. Le traitement de toutes ces données par l'IAM aide les médecins et les patients à faire les meilleures prédictions possibles sur les conséquences positives ou négatives d’un acte chirurgical. Par exemple, un modèle d'apprentissage profond (Deep Learning)  a été employé pour prévoir quelles personnes atteintes d'épilepsie résistante au traitement médical pouvaient bénéficier de la neurochirurgie.

Gleichgerrcht E, Munsell B, Bhatia S, Vandergrift WA 3rd, Rorden C, McDonald C, Edwards J, Kuzniecky R, Bonilha L. Deep learning applied to whole-brain connectome to determine seizure control after epilepsy surgery. Epilepsia. 2018 Sep;59(9):1643-1654. doi: 10.1111/epi.14528. Epub 2018 Aug 10.

Des plateformes d'IAM commencent à voir le jour pour aider l'équipe chirurgicale en salle d'opération, réduisant ainsi le risque opératoire et rendant l’acte chirurgical plus sûr.

Newmarker, C. 2018. Digital surgery touts artificial intelligence for the operating room. Medical Design & Outsourcing. https://www.medicaldesignandoutsourcing.com/digital-surgery-touts-artificial-intelligence-for-the-operating-room/: (accessed November 12, 2019).

L'IAM peut aussi être appliquée aux techniques opératoires. La chirurgie robotique télécommandée améliore la sécurité des interventions où les cliniciens sont exposés à des doses élevées de rayonnement ionisant. Le robot chirurgical rend possible la chirurgie dans des endroits du corps humain moins accessibles aux mains du chirurgien. Avec le développement et l'amélioration de la chirurgie robotique autonome, les chirurgiens  deviennent des superviseurs des mouvements des robots.

Dans le domaine des traitements personnalisés, l’IAM permet une médecine de plus en plus précise. Les cliniciens peuvent ainsi adapter le traitement médical aux caractéristiques physiologiques de chaque patient. Par exemple, ils peuvent personnaliser le dosage d’une chimiothérapie, mesurer la réponse des patients au traitement afin de planifier le futur dosage. L'IAM est aussi utilisée dans l’identification et l’analyse d’un polype digestif. C'est une aide à la décision clinique et à l'élaboration des meilleurs intervalles de surveillance par coloscopie.  

Poon H., C. Quirk, K. Toutanova, and S. Wen-tau Yih. 2018. AI for precision medicine. Project Hanover. https://hanover.azurewebsites.net/#machineReading (accessed November 12, 2019).

Lorsque les pratiques cliniques varient et qu'elles ne reposent pas sur une vue uniforme basée sur des preuves scientifiques (Evidence based medicine), les technologies de l’IAM peuvent traiter des données rétrospectives provenant d'autres patients et prédire chez un nouveau patient les réponses à différentes combinaisons thérapeutiques. Ce type d'outil peut aider à sélectionner un traitement immé­diat et également fournir de nouvelles connaissances pour de futures pratiques.

Au fur et à mesure que l'analyse du génome d’un individu par l’IAM sera intégrée au diagnostic et à la planification du traitement, des progrès indiscutables seront réalisés. Toutefois, pour avoir un réel impact sur les soins usuels, l’ensemble des données génétiques doivent mieux représenter la diversité des populations concernées.

Hindorff, L. A., V. L. Bonham, L. C. Brody, M. E. C. Ginoza, C. M. Hutter, T. A. Manolio, and E. D. Green. 2018. Prioritizing diversity in human genomics research. Nature Reviews Genetics 19:175–185. 

Mieux gérer l'information qui figure dans les dossiers des patients et convaincre les soignants à se servir du soutien "cognitif" de l'IAM.

Il existe aujourd'hui dans la plupart des pays une réglementation exigeante vis à vis de l'usage des dossiers patients informatisés par les soignants, ces règles n'ayant pas forcément un impact sur les décisions cliniques. L'IAM a le pouvoir d'améliorer la manière dont les cliniciens hébergent et récupèrent les données cliniques de leurs patients. Par exemple, les systèmes de reconnaissance vocale sont déjà utilisés aujourd’hui pour aider le clinicien à gérer les dossiers de ses patients. Cependant, jusqu’à présent, ces systèmes ne sont utilisés que comme une aide à la dictée médicale de rapports narratifs, tels que des notes cliniques ou des comptes-rendus diagnostics d'imagerie.

Les systèmes conversationnels interactifs et activés par l'IA (par exemple, Alexa d'Amazon, Siri d'Apple, Cortona de Microsoft) sont largement utilisés en dehors des soins de santé. Une technologie similaire pourrait être utilisée en médecine pour mieux gérer les données de santé qui figurent dans les dossiers des patients. Par exemple, les cliniciens pourraient demander à un agent conversationnel intelligent de trouver des informations spécifiques dans le dossier d’un patient, par une question ou un ordre donné de la manière suivante : "montrez-moi les derniers résultats HbA1c du patient X...". Au lieu de cliquer sur leur écran de PC pour trouver l'information pertinente du patient, les cliniciens pourraient demander oralement à l'agent conversationnel d'IAM de trouver ces informations spécifiques qui figurent dans le dossier médical d'un patient. le médecin peut continuer à donner des "ordres de recherche" pendant la consultation tout en parlant avec son patient ou les aidants qui l'accompagnent. Dans un proche avenir, cette technologie aura l'avantage d'améliorer la relation patient-médecin pendant la consultation en réduisant le temps que passe aujourd'hui le médecin, rivé à son écran d'ordinateur.

Le soutien cognitif de l'IAM peut améliorer la performance des soins. L'IAM a la faculté non seulement d'améliorer les modalités déjà existantes de soutien à la décision clinique, mais aussi de permettre un large éventail d'innovations susceptibles d’avoir un impact favorable sur les soins délivrés aux patients. Les fonctions de « soutien cognitif de l’IAM » comprennent des alertes et des rappels intelligents ainsi qu'un accès à la littérature médicale scientifique évaluée par les pairs.

Les cliniciens sont généralement non satisfaits par des alertes et rappels non pertinents qui ne reposent que sur les données qui figurent dans le dossier médical du patient. De plus, ces systèmes reposent sur des règles artisanales simples qui ne tiennent pas compte du contexte.

L'IAM peut améliorer la spécificité­ des alertes et des rappels en tenant compte d'un nombre  beaucoup plus élevé de variables venant des patients et de différents contextes. Par exemple, les dispositifs médicaux utilisés dans la télésurveillance au domicile des patients atteints de maladies chroniques peuvent en bénéficier. L'IAM est en mesure de fournir des seuils de probabilité qui peuvent être utilisés pour prioriser la présentation d'une alerte au clinicien. L’IAM peut également apprendre du comportement passé du clinicien. Il s'adapte alors en abaissant, par exemple, le seuil de priorité de certaines alertes qu'il ignore habituellement.

L'accès à la littérature médicale scientifique pour appuyer la prise de décision clinique est amélioré par l'IAM. Il y a des progrès récents qui montrent des applications prometteuses dans la récupération des connaissances cliniques au sein d'une banque de données scientifiques. Les outils de récupération des connaissances scientifiques au sein des banques de données médicales, activés par l'IAM, pourraient intervenir avec les mêmes systèmes conversationnels que ceux qui permettent aux cliniciens de récupérer l'information sur les patients dans le dossier médical électronique. Grâce à des techniques telles que l'extraction de l'information, le NLP (natural language processing for Machine Learning), la synthèse automatique et l'apprentissage profond (Deep Learning), l'IAM a le pouvoir de transformer des articles narratifs statiques en visualisations interactives de preuves cliniques spécifiques au patient concerné.

Commentaires. Ce troisième billet résume la partie du 3ème chapitre du rapport 2019 de la National Academy of Medicine consacrée à la performance des soins apportée par l'IAM. Il montre les progrès actuels obtenus avec l'IAM pour améliorer la performance des cliniciens. On perçoit aussi que le traitement par l'IAM des dossiers médicaux avec des données dites "statiques" (dossiers patients professionnels, DMP, autres) permettrait de les transformer en données "actives" et d'en extraire des données spécifiques grâce à des agents conversationnels intelligents dédiés à la médecine.

9 janvier 2020 

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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