Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Au moment où une nouvelle pratique médicale va être remboursée en septembre prochain par l'Assurance maladie et que les pouvoirs publics ont lancé une réflexion sur la pertinence de certains actes médicaux, l'auteur de ce billet propose une réflexion sur la pertinence des pratiques de téléconsultation en s'appuyant sur les recommandations de la HAS et les données de la littérature médicale internationale.
Si la télémédecine peut contribuer à améliorer les conditions d'exercice du médecin, cette nouvelle pratique doit servir en premier l'intérêt des patients en leur offrant des actes pertinents et de qualité.
Qu'est-ce qu'un acte médical pertinent ?
En 2013, la Haute Autorité de Santé (HAS) donnait une définition simple de la pertinence d'un acte médical : le bon acte pour le bon patient, au bon moment.
La RAND Corporation de l'Université de Californie de Los Angeles propose une définition du traitement médical : Un traitement est approprié quand le bénéfice escompté pour la santé (p. ex augmentation de l’espérance de vie, soulagement de la douleur, réduction de l’angoisse, amélioration de capacités fonctionnelles) est supérieur aux conséquences négatives attendues (p. ex mortalité, morbidité, anxiété, douleur, durée d’arrêt de travail) d’une façon suffisante pour estimer qu’il est valable d’entreprendre la procédure, indépendamment de son coût.
La NHS du Royaume Uni complète cette définition de la RAND Corporation en ajoutant deux dimensions supplémentaires : l’individualité du patient concerné et la disponibilité des ressources de santé. D'où une nouvelle définition proposée par la NHS pour qualifier de pertinente une intervention médicale :
Pertinente, pour un soin, signifie qu’elle a été choisie parmi l’ensemble des interventions disponibles qui ont démontré leur efficacité pour une affection, comme étant le plus vraisemblablement à même de produire les résultats attendus pour un patient donné. Une intervention ne peut être pertinente que si certaines conditions sont satisfaites. Les compétences techniques et les autres ressources nécessaires à l’intervention doivent être disponibles, en sorte qu’elle puisse être dispensée selon les bons standards. L’intervention doit être réalisée d’une manière telle qu’elle soit acceptable pour le patient. Les patients doivent recevoir une information adéquate au sujet de toutes les interventions potentiellement efficaces. Leurs préférences sont centrales dans la détermination de quelle intervention sera pertinente parmi celles dont l’efficacité est connue. Leurs préférences seront indicatives non seulement de l’objectif principal qu’ils espèrent atteindre, mais aussi de leurs perceptions des effets secondaires qui pourraient advenir. La pertinence des interventions de santé doit également être considérée dans le contexte social et culturel actuel, et au regard de la justice de la répartition des ressources de santé.
S'inspirant de ces deux définitions précédentes, la HAS recommande d'analyser la pertinence d’une intervention de santé sous plusieurs dimensions : 1) la balance entre les bénéfices et les risques ; 2) la probabilité pour l’intervention d’aboutir aux résultats attendus (par comparaison avec d’autres traitements ou pratiques) ; 3) la qualité de l’intervention de santé (au regard de standards) ; 4) la prise en compte des préférences des patients (ce qui implique une information appropriée) ; 5) la prise en compte du contexte social, culturel et de la disponibilité des ressources de santé.
En matière de télémédecine, la HAS a estimé en avril 2018 que la téléconsultation était l'équivalent d'une consultation en présentiel, en précisant toutefois deux éléments de pertinence : que le patient soit déjà connu du médecin qui réalise la téléconsultation et que le consentement à cette pratique ait été préalablement recueilli.
Nous proposons d'analyser la pertinence de la téléconsultation médicale par videotransmission au regard des recommandations générales de la HAS sur la pertinence d'une intervention en santé.
1) La balance entre les bénéfices et les risques.
Les médecins sont habitués à évaluer cette balance parce qu'ils sont formés à la médecine des preuves scientifiques ou Evidence-Based Medicine (EBM).
En télémédecine, cette analyse de l'EBM nécessite de connaitre les données publiées dans la littérature médicale, les guidelines des Sociétés médicales savantes et les recommandations de la HAS. Ces dernières, propres à la téléconsultation par videotransmission, seront complétées d'ici la fin de l'année 2018. On peut déjà souligner certaines pratiques pertinentes s'appuyant sur les données acquises de la science médicale.
Les bénéfices d'une téléconsultation programmée dans le suivi des patients atteints de maladies chroniques, en alternance avec une consultation en face à face, ont été démontrés dans plusieurs études internationales. C'est en particulier la possibilité pour les populations rurales isolées, atteintes de maladies chroniques, d'accéder à des téléconsultations spécialisées (cardiologie, neurologie, psychiatrie, diabétologie, etc) en présence du médecin traitant, pratique la plus souvent analysée dans la littérature médicale, notamment nord-américaine (Californie, Canada).
Les bénéfices retenus en faveur de cette pratique sont, sur le plan médical, l'amélioration du diagnostic et des indications thérapeutiques, la diminution des délais de rendez-vous avec en corollaire la prévention d'une rupture dans la continuité des soins, sur le plan social, l'amélioration de la qualité de vie en évitant des déplacements aux cabinets médicaux, en particulier pour les personnes âgées et handicapées, et sur le plan économique, la réduction des hospitalisations, des venues aux urgences et des coûts de transports.
Dans la plupart des études publiées, c'est le médecin traitant (et l'infirmière en pratique avancée dans les pays anglosaxons) qui décide du recours à l'avis spécialisé et qui organise la téléconsultation par videotransmission en présence du patient. En France, c'est le modèle qui se développe dans les Ehpads où le besoin d'avis spécialisés est fréquent, compte-tenu de la sévérité des maladies chroniques qui touchent les résidents (moyenne d'âge 85 ans, cumul de 8 maladies chroniques en moyenne, fréquentes hospitalisations avec des DMS moyennes de 21 jours).
Les risques sont considérés comme minimes lorsque l'organisation de la téléconsultation est jugée de qualité par les patients.
Toutes ces études chez les patients atteints de maladies chroniques montrent une balance en faveur des bénéfices.
Il n'existe pas (encore) d'études scientifiques qui démontrent les bénéfices pour des téléconsultations immédiates auprès de plateformes, notamment pour la prise en charge des affections aiguës. Les risques apparaissent, en revanche, importants lorsque de telles téléconsultations immédiates ne sont pas réalisées par le médecin traitant qui a l'avantage de connaitre l'appelant et possède son dossier médical. C'est un domaine qui doit être exploré de manière scientifique pour évaluer la balance entre les bénéfices et les risques, car les risques de non-pertinence de cette pratique de la téléconsultation immédiate pourraient s'avérer élevés et supérieurs aux bénéfices (voir le billet intitulé "Téléconsultation (3)" dans la rubrique "le pratico-pratique").
On peut regretter en France que l'Etat (ARS) ait donné des autorisations de plateformes de téléconsultations immédiates par téléphone sur des seuls arguments juridiques (voir le billet "Téléconsultation (3)" dans la rubrique "Le Pratico-pratique"), sans avoir interroger préalablement la HAS sur la pertinence d'une telle pratique par téléphone. Il est heureux que la LFSS 2018 ait pu corriger l'insuffisance juridique du décret du 19 octobre 2010 en rappelant qu'il était plus pertinent de réaliser une téléconsultation par videotransmission que par téléphone pour bénéficier d'un remboursement par l'Assurance maladie.
2) La probabilité pour l’intervention d’aboutir aux résultats attendus.
C'est généralement un des domaines les plus sensibles pour retenir qu'un acte médical est réellement pertinent, quel qu'il soit.
Lors d'une téléconsultation médicale, l'examen physique est absent, même si des efforts sont produits aujourd'hui avec des objets de la santé connectée, construits avec l'IA, pour approcher le niveau d'une consultation en face à face.
Cette absence d'examen physique peut être le facteur qui ne permettra pas d'aboutir aux résultats attendus de la téléconsultation médicale. Le médecin se doit de l'évaluer avant toute décision de téléconsultation et il doit en particulier informer le patient sur le risque potentiel de ne pas atteindre le résultat escompté.
Cela est particulièrement vrai pour la téléconsultation immédiate avec un médecin non connu du patient, et moins vrai pour la téléconsultation programmée ou non avec le médecin traitant qui connait son patient et qui a reçu le consentement préalable du patient après une information claire et appropriée sur les bénéfices et les risques.
C'est pourquoi le médecin qui réalise une téléconsultation, qu'il soit le médecin traitant ou non, a l'obligation déontologique d'organiser une consultation en face à face lorsqu'il a un doute sur la situation médicale qui lui est soumise par téléconsultation et qu'il juge nécessaire de réaliser un examen physique. L'art. 33 du Code de déontologie médicale (art.R.4127-33 du Code de la santé publique) rappelle que le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés.
Lorsqu'un appelant d'une plateforme de téléconsultation immédiate n'a pas de médecin traitant, le médecin qui réalise cette téléconsultation doit être très vigilant sur ce point et ne pas hésiter à organiser une consultation avec examen physique chez un médecin disponible, voire d'envoyer l'appelant aux urgences hospitalières s'il n'en trouve pas. Il engage sa responsabilité personnelle.
3) La qualité de l'intervention en santé au regard des standards
Il y a des standards techniques, organisationnels et cliniques.
Pour les standards techniques, il faut rappeler qu'on ne peut pas pratiquer la télémédecine si le réseau numérique est absent ou insuffisant.
Il existe en France de nombreuses zones blanches ou insuffisantes pour réaliser un acte de téléconsultation de bonne qualité. Alors que le smartphone ou la tablette semble être l'outil de choix pour les patients et les médecins, il faut savoir que les opérateurs réseaux ne se sont pas encore entendus, malgré les recommandations de l'ARCEP, pour mutualiser leurs propres couvertures en réseau numérique à des fins de santé publique. Ainsi, le médecin peut être client d'un opérateur et le patient d'un autre, rendant difficile, voire impossible la réalisation d'une téléconsultation de qualité.
Le médecin devra donc s'informer des possibilités techniques avant de proposer à ses patients des téléconsultations. Il existe d'autres solutions que la santé mobile pour réaliser des téléconsultations de qualité, en particulier des solutions fixes de proximité (salle dédiée dans les Ehpads et pharmacies d'officine), voire des solutions mobiles pouvant utiliser le réseau satellitaire.
Pour les standards organisationnels, on peut considérer que le standard de référence d'une pratique de télémédecine, plus spécifiquement de la téléconsultation, est décrit dans le décret de télémédecine du 19 octobre 2010 qui précise les conditions de mise en oeuvre de cette nouvelle pratique.
Bien évidemment, le standard clinique est la consultation en présentiel avec examen physique, la téléconsultation pouvant s'en rapprocher grâce à l'usage d'objets connectés fiables et sécurisés.
Combien de médecins traitants et de médecins spécialistes qui débuteront la téléconsultation en septembre 2018 auront pris connaissance des standards techniques et organisationnels de mise en oeuvre de la télémédecine ? (Hors contractualisation avec l'ARS qui disparaîtra de la prochaine révision du décret) Dans certains pays, notamment en Amérique du Nord, la pratique de la télémédecine nécessite une certification préalable. Nous avons souvent développé sur ce site les raisons d'une formation préalable pour une pratique pertinente de la télémédecine (voir le billet intitulé "un DPC pour la TLM" dans la rubrique "On en parle").
4) La prise en compte des préférences des patients.
Ce domaine de la pertinence de tout acte médical s'applique également à la télémédecine, comme l'a rappelé la HAS dans ses premières recommandations d'avril 2018.
Tout médecin français a l'obligation légale d'informer son patient sur toute pratique médicale (loi Kouchner du 4 mars 2002), obligation appliquée également à la télémédecine, notamment pour la partie "organisation de l'acte" décrite dans le décret du 19 octobre 2010. La pratique d'une téléconsultation programmée doit s'appuyer sur le consentement préalable de la personne (ou de son tuteur lorsqu'elle n'est pas en mesure de le donner) après une information claire et appropriée.
Le respect des droits du patient est un point important de la pertinence d'un acte, car en cas de préjudice subi par un patient en lien avec une pratique de téléconsultation, le juge cherchera à établir si cette pratique a bien été pertinente, c'est à dire si le patient a été préalablement informé des bénéfices et des risques, et qu'il a donné son consentement en toute connaissance de cause.
Dans les exemples de téléconsultation donnés sur son site à ses adhérents par un des syndicats signataires de l'avenant 6 de la convention médicale, nous avons relevé un risque de non-pertinence de certaines pratiques données en exemple (voir le billet intitulé "Téléconsultation (3)" dans la rubrique "Le pratico-pratique"). Il faudra que le médecin traitant fasse une information claire à sa patientèle du process qu'il entend mettre en place s'il veut développer la téléconsultation, notamment avec un smartphone. Et si le patient préfère voir son médecin traitant en présentiel plutôt qu'en téléconsultation, le médecin ne pourra que respecter cette préférence du patient.
5) La prise en compte du contexte social, culturel et de la disponibilité des ressources de santé
Le contexte social est un domaine de pertinence qui s'applique aussi à la télémédecine. Certaines indications de téléconsultation peuvent chercher à améliorer la vie sociale des personnes isolées et éloignées d'un centre de soins primaires. C'est le cas par exemple des téléconsultations qui se développent pour le suivi des patients greffés, au lieu de les obliger à venir en consultation en face à face dans le centre de greffe.
C'est également l'objectif des Pouvoirs publics de permettre aux patients isolés dans des zones sous-denses un accès à un médecin par la téléconsultation en videotransmission. Une pratique pertinente de la téléconsultation sera alors de privilégier ces populations isolées.
Le contexte culturel peut être illustré par les téléconsultations qui vont se développer avec la population de Mayotte, 101ème département français, où le manque de médecins spécialistes est plus important qu'ailleurs. Les causes en sont multiples. La langue mahoraise est majoritaire dans la population avec peu de médecins qui la pratiquent. Il est nécessaire alors qu'avoir un traducteur qui assiste à la téléconsultation, lequel devra respecter le secret médical lorsqu'il est amené à traduire en langues mahoraise et française les échanges au cours de la téléconsultation. De même, une traduction des informations sur les objectifs de la télémédecine, ses bénéfices et ses risques, devra être faite avant de recueillir le consentement du patient concerné. En métropole, des situations similaires peuvent exister chez des personnes étrangères immigrées en France et maitrisant mal le français.
Enfin, la disponibilité des ressources de santé conduit le médecin à être pertinent dans l'usage de la téléconsultation et à ne pas l'utiliser abusivement pour des raisons de confort personnel. L'Assurance maladie a prévu en 2019 un budget pour 1 million de téléconsultations, avec une progression de 500 000/an jusqu'en 2022.
En résumé, il faut retenir qu'une téléconsultation médicale pertinente doit d'abord servir l'intérêt du patient et secondairement celui du médecin.
29 juillet 2018