Les innovations organisationnelles  en télémédecine au 30ème congrès de l'American Telemedicine Association de San Antonio (1ère partie).

Ce rendez-vous annuel de l'ATA ( American Telemedicine Association) était attendu car il devait montrer l'impact qu'avait eu la période pandémique à la Covid-19 sur les pratiques et organisations américaines de télémédecine (ou télésanté) et de santé connectée. Ce congrès 2023 a tenu toutes ses promesses. Nous rapportons ici les communications orales qui illustrent des changements organisationnels durables dans le système de santé américain à la suite de la pandémie. Ce premier billet (d'une série de trois) traite des innovations organisationnelles en télé ophtalmologie et en télépsychiatrie.


Les innovations organisationnelles en télé-ophtalmologie.  


IMPLEMENTATION OF A NOVEL TELEMEDICINE PROGRAM FOR FOLLOW‐UP OF OPHTHALMIC EMERGENCY ROOM ENCOUNTERS Daniel Liebman, MD, MBA Harvard Medical School, Department of Ophthalmology, Boston, MA, USA.

CONTEXTE

Les plaintes visuelles représentent une proportion importante des passages aux services d’urgences hospitaliers. Elles nécessitent souvent des examens de suivi à court terme pour évaluer l’amélioration clinique. Cependant, de tels examens peuvent être difficiles sur le plan logistique pour les patients, les professionnels de santé et les systèmes de santé. Cette étude décrit le développement d’une nouvelle clinique de suivi virtuel des services d’urgence (VEDFU) à Mass Eye and Ear (MEE), un centre de référence tertiaire et de traumatologie ophtalmique doté d’un service d’urgence ophtalmologique. Nous rendons compte des caractéristiques de ce programme.

METHODOLOGIE

Les patients traités à l’urgence MEE se sont vu offrir un rendez-vous VEDFU s’ils vivaient au Massachusetts lorsqu'une une réévaluation clinique à court terme était nécessaire, dans des conditions jugées appropriées pour administrer des soins virtuels. Les rendez-vous vidéo ont été effectués via Zoom et Doximity, avec des échanges téléphoniques utilisés comme option de secours. Toutes les téléconsultations avec les patients dans le MEE VEDFU ont été évaluées entre le 6 décembre 2021 et le 26 juin 2022. Les critères de jugement principaux comprenaient le taux des rendez-vous manqués, les diagnostics cliniques et le taux de renvois ultérieurs vers d’autres cliniques ou vers l’urgence.

RESULTATS

Au total, 145 téléconsultations ont été programmées dans le VEDFU au cours des six premiers mois de fonctionnement, 99 patients (68,3 %) se présentant à leur rendez-vous virtuel. L’âge moyen des participants était de 38,1 ans (ET ±14,2 ans) et l’intervalle de temps moyen entre l’évaluation dans le service d'urgence et le suivi virtuel était de 8,3 jours (ET ±3,9). Après un rendez-vous VEDFU, 23 patients (23,2%) ont ensuite été référés pour d’autres soins de spécialité. Aucun patient ne s’est représenté aux urgences après son rendez-vous VEDFU.

CONCLUSIONS

Un nouveau programme de suivi par téléconsultation pour les patients adressés aux services d’urgences ophtalmologiques a permis une réévaluation virtuelle fiable et opportune pour une gamme de situations mineures de pathologies visuelles, en évitant de nouvelles venues aux urgences générales ou ophtalmologiques. La télé-ophtalmologie peut représenter une voie prometteuse pour les soins de suivi post-aigus à court terme après les consultations au service des urgences pour des pathologies visuelles mineures. À notre connaissance, il s’agit du premier programme du genre et il peut servir de modèle pour d’autres spécialités, pour lesquelles le suivi clinique post-aigu à court terme peut être tout aussi difficile à organiser.


REAL TIME TELE‐OPHTHALMOLOGY UTILIZATION IN AN UNDERSERVED RURAL COMMUNITY. Andy Vu, Castle Hill Eye Centers, San Antonio, TX, USA

CONTEXTE

La pandémie de COVID-19 a fait disparaître les frontières dans tous les domaines de la médecine. En ce qui concerne la télé-ophtalmologie, plusieurs articles de recherche ont été publiés soulignant la précision de la télé-ophtalmologie dans des conditions d’accès limité aux soins visuels. Souvent, il s’agit d’appels de consultation ophtalmologique via une application vidéo. En situation de guerre, l’armée utilise ce modèle organisationnel dans lequel il y a une téléconsultation pour 86% des appels, réalisées dans les 24 heures. Le diagnostic initial par téléconsultation est suivi d’une consultation en présentiel. Une telle organisation illustre que même avec la rareté des ressources, l’utilisation de la télémédecine reste un modèle viable et efficace.

Au cours de la dernière année, nous avons mis en œuvre un nouveau modèle organisationnel utilisant la télé-ophtalmologie en temps réel dans une communauté rurale située à 143 miles de San Antonio, TX. Notre modèle utilise la tomographie par cohérence optique (OCT), la photographie du fond d’œil, les tests de champ visuel en réalité virtuelle (VR), les tests de vision et la réfraction sur site avec l’aide d’un assistant en ophtalmologie. Tous les résultats sont ensuite téléchargés dans le dossier médical électronique (DME) et partagés avec le patient en temps réel lors de la téléconsultation par vidéoconférence avec un ophtalmologiste à distance. Des pathologies telles que la cataracte, le glaucome, la dégénérescence maculaire, les problèmes de paupières et la rétinopathie diabétique sont diagnostiquées, puis ensuite traitées. Lorsqu’une intervention chirurgicale est nécessaire, les patients se rendent à San Antonio, tandis que les soins postopératoires sont ensuite fournis à distance.

METHODOLOGIE

Enquête qualitative auprès des patients et analyse des coûts

RESULTATS

Notre étude a utilisé un sondage en 6 questions afin d'évaluer les économies de coûts, l’expérience des patients et l’accès aux soins. L’analyse des économies réalisées a tenu compte des coûts de l’essence, de l’assurance-voiture et des frais de déplacement. Cette organisation a permis aux patients d'économiser 46 $ et 2,5+ heures en moyenne par téléconsultation. Les patients ont évalué la qualité des soins virtuels à 4,7/5, ce qui est une note supérieure à la satisfaction dans les soins en présentiel (3/5). De plus, nous avons utilisé des questionnaires pour évaluer la fréquence de suivi en soins visuels et la volonté de voyager pour des soins visuels en présentiel. Les patients signalent une augmentation de 88 % de la fréquence du suivi en soins visuels après avoir visité notre clinique virtuelle et une volonté accrue de voyager de 96 % pour des soins visuels supplémentaires. Avec notre modèle, la technologie utilisée et le jugement clinique, le diagnostic et les procédures thérapeutiques ont engendré une congruence de 100%.

CONCLUSIONS

Nous pensons que des soins ophtalmologiques fiables et de qualité peuvent être accessibles à tous. Notre modèle organisationnel et les résultats qui en découlent illustrent une solution qui ne sacrifie pas à un diagnostic précis réalisé en présentiel. On peut soutenir que ce modèle peut manquer d’examens de la vue en présentiel, ce qui peut générer un diagnostic erroné. L’expérience clinique et le bon jugement d’un ophtalmologiste doivent être pris en considération dans ces situations. De plus, l’imagerie et les tests fournissent des informations adéquates pour la plupart des diagnostics. Cependant, dans des circonstances cliniques préoccupantes, les patients sont immédiatement programmés pour des consultations en cabinet. Il s’agit d’un modèle éprouvé et qui fonctionne actuellement avec peu de limites. De plus, son accessibilité et son rapport coût-efficacité augmentent les possibilités d'accès aux soins visuels, au bénéfice global des patients.


Commentaires. Instaurer des téléconsultations d'ophtalmologie dans le suivi de problèmes visuels bénins aigus qui s'adressent aux urgences d'ophtalmologie ou aux urgences générales permet d'éviter un retour dans ces services tout en assurant un suivi de qualité. C'est un modèle organisationnel qui peut être appliqué à d'autres spécialités (traumatologie bénigne, certains soins médicaux primaires, etc.). Ce modèle évite d'engorger les urgences après la phase aiguë. L'amélioration de l'accès aux soins visuels dans les zones rurales ou dans les déserts médicaux est un sujet qui touche tous les pays développés. L'expérience rapportée illustre une organisation qui peut exister en France avec l'aide d'orthoptistes en mobilité.

(https://telemedaction.org/445927157/448700411)(https://telemedaction.org/445927157/450646742). 


Innovations organisationnelles en télépsychiatrie


BUILDING AND SUSTAINING A STATEWIDE TELEPSYCHIATRY NETWORK‐ A DECADE LONG EXPERIENCE OF THE NORTH CAROLINA STATEWIDE TELEPSYCHIATRY PROGRAM (NC‐STEP). Sy Saeed, MD, MS, The North Carolina Statewide Telepsychiatry Program (NC‐STEP), East Carolina University, NC, USA.

CONTEXTE

De plus en plus d'articles suggèrent que le recours à la télépsychiatrie pour fournir des soins de santé mentale a le potentiel d’atténuer les effets de la pénurie en professionnels de santé, pénurie qui affecte l’accès aux soins, en particulier dans les régions éloignées et mal desservies.

Le programme de télépsychiatrie à l’échelle de l’État de Caroline du Nord (NC-STeP) a été développé en réponse à la loi NC 2013-360. Il a été lancé en octobre 2013. Compte tenu du succès du programme, en 2018 l’Assemblée législative de la Caroline du Nord a élargi la portée des services fournis aux milieux communautaires, en utilisant un modèle de soins collaboratifs. Depuis, NC‐STeP a ajouté 18 sites ambulatoires à son réseau de 40 hôpitaux. Nous présentons les données de la recherche publiée par NC-STeP, laquelle se concentre sur la prise en charge des patients aux urgences, les économies de coûts associées à l’utilisation de la télépsychiatrie et comment la crise de la COVID-19 a entraîné une demande accrue de téléconsultations en psychiatrie en Caroline du Nord.

METHODOLOGIE

Elle est descriptive avec la présentation des résultats de trois études différentes.

RESULTATS

Depuis 2013, au 31 mars 2022, NC‐STeP a réalisé 52 764 téléconsultations en psychiatrie et 8 392 demandes d'hospitalisation ont été évitées,  ce qui a permis de réaliser des économies de plus de 45 316 800 $.

CONCLUSIONS

L’utilisation de la télépsychiatrie peut améliorer l’expérience des patients et des cliniciens et réduire les coûts en ayant une incidence sur le temps de prise en charge aux urgences, et en réduisant les hospitalisations psychiatriques inutiles.

La COVID-19 a accru la demande de téléconsultations de psychiatrie en Caroline du Nord, mais il existe une disparité raciale dans ces demandes de soins en santé mentale entre les patients noirs et les patients blancs.


MACHINE LEARNING DETECTS SIGNS OF DEPRESSION FROM SPEECH SAMPLES IN INDIVIDUALS SELF‐REPORTING SEVERE DEPRESSION. Alexa Mazur, BA,1 Harrison Constantino, BS,1 MS, Kathryn Dover, BS,1 Mei‐Hsin Cheng, PhD,1 Prentice Tom, MD,1,2 Herbert Harman, BS, MD, MBA2. 1Kintsugi Mindful Wellness Inc.2Vituity.

CONTEXTE

Les soins liés à la dépression représentent 10 % des consultations de soins primaires, qui sont de plus en plus effectuées virtuellement. Cependant, les médecins généralistes identifient correctement les patients déprimés dans seulement 47,3 % des cas. L’apprentissage automatique (Machine Learning) peut être utilisé pour analyser des échantillons d’expression orale réalisée en toute liberté, afin d’identifier les patients présentant des signes de dépression et dans le but de les dépister lors de téléconsultations.

METHODOLOGIE

Elle est observationnelle. Les hommes et les femmes âgés de plus de 18 ans aux États-Unis et au Canada ont été recrutés via les réseaux sociaux. Ils ont fourni des données démographiques et ont été inscrits à l'étude transversale visant à développer un modèle d’apprentissage automatique pour détecter les signes de dépression en utilisant des réponses vocales de plus de 45 secondes à la question suivante :  « Comment s’est passée ta journée ? » et des scores PHQ-9 (Patient Health Questionnaire) autodéclarés en ligne (http://www.phqscreeners.com/). L’instrument PHQ-9 a démontré à la fois une sensibilité et une spécificité de 0,88. Pour déterminer la performance prédictive du modèle d'IA, des patients gravement déprimés ont été dépistés et les personnes ayant des scores PHQ-9 supérieurs à 20 ont été incluses dans cette analyse visant à valider le modèle d'IA.

Le rendement préliminaire a été mesuré à l’aide de paramètres de sensibilité et de spécificité avec des intervalles de confiance à 95 %. Avant la saisie, les réponses ont été examinées individuellement pour en vérifier l’authenticité, converties en qualité audio homogène, transformées en représentations numériques et ensuite divisées en deux groupes : 80 % pour formation (n = 1305) et 20 % pour validation (n = 340), sans qu'il y ait de chevauchement des échantillons.

Le modèle a été formé de manière itérative avec les données d’apprentissage avant la validation où les résultats de prédiction ont été mis à l’échelle entre 0 et 1.

RESULTATS

Quantitativement, les signes de dépression détectés correspondaient à une valeur supérieures à 0,573 ou égale à 1 et à un score de PHQ-9 supérieur à 10. Les signes de dépression non détectés correspondaient à des valeurs égales à 0 et inférieures à 0,427, et un score PHQ-9 inférieur à 10. Les valeurs comprises entre 0,427 et 0,573 ont été traitées à part et une évaluation plus approfondie a été recommandée.

L’évaluation de la capacité du modèle à détecter les signes de dépression sévère à partir d’au moins 45 secondes de liberté d’expression chez les participants ayant un PHQ-9 supérieur ou égal à 20 a démontré une sensibilité de 0,91 (IC à 95 % : 0,88, 0,95) et une spécificité indéfinie sans vrais négatifs ou faux positifs dans cette sélection. Un groupe de 73 participants a été isolé pour une évaluation plus approfondie lorsque les valeurs étaient comprises entre 0,427 et 0,573 avec un PHQ-9 supérieur à 10.

CONCLUSIONS

Cette étude transversale visant à former et à valider un modèle d’apprentissage automatique montre qu'il est possible de détecter les signes de dépression sévères chez les participants déprimés en utilisant au moins 45 secondes de liberté d’expression verbale, par rapport aux mesures de performance pour le PHQ-9 et / ou le jugement du clinicien lors d'une évaluation clinique. Étant donné que plus de 50 % des patients souffrant de dépression dans les établissements de soins primaires ne subiront pas de dépistage formel, l’exploitation de l’apprentissage automatique pour détecter les biomarqueurs vocaux de la dépression peut aider à prioriser et à identifier les patients à risque souffrant de dépression sévère via des supports de télésanté pour étendre le dépistage.


Commentaires. Le besoin de consultations en santé mentale a augmenté de 2 à 3 fois depuis la pandémie Covid-19. Cette progression de la demande est confrontée à une offre insuffisante en professionnels de la santé mentale. L'organisation mise en place en Caroline du Nord, s'appuyant sur des téléconsultations, parait atténuer cette inadéquation entre l'offre et la demande. De plus, elle génère des économies de transport qui, outre l'impact favorable qu'elles ont pour aller vers la neutralité carbone (https://telemedaction.org/422016875/une-m-decine-plus-verte-gr-ce-la-t-l-m-decine), génèrent de nouveaux moyens financiers au système de santé pour augmenter l'offre. La téléconsultation de psychiatrie repose essentiellement sur un échange verbal et le recueil d'indicateurs non-verbaux (https://telemedaction.org/422021881/453458896). Utiliser un algorithme de l'IA pour dépister dans le langage verbal libre d'une téléconsultation l'existence ou non d'une dépression sévère est certainement un progrès qui permettra de reconnaître précocement en soins primaires un état dépressif ou une autre pathologie mentale (50% des troubles mentaux ne sont pas reconnus en soin primaire) et d'assurer ainsi une prise en charge psychiatrique rapide, la garantie humaine confirmant le diagnostic fait par l'algorithme.



25 avril 2023