Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
La pandémie Covid-19 a été un révélateur sur les possibilités de réalisation des soins distanciels. Comme chez d'autres médecins spécialistes, cette période exceptionnelle a permis aux médecins des urgences médicales, en charge des "soins critiques ou intensifs" (Critical Care), de découvrir l'apport de la télémédecine, en particulier de la téléexpertise, dans la gestion des parcours de soins des patients hospitalisés dans des services de soins intensifs.
Une équipe de chercheurs américains de l'université de Washington vient de publier dans la revue de référence "Current Opinion in Critical Care" un état des lieux sur l'usage de la télémédecine au cours de grandes catastrophes, de pandémies et de guerres de haute intensité comme l'est aujourd'hui la guerre en Ukraine.
Nous rapportons ici les passages les plus instructifs de cette nouvelle pratique en soins intensifs. Ce manuscrit passe en revue les avantages et les défis à surmonter dans l'utilisation des technologies numériques de la télémédecine dont l'objectif est de fournir une expertise à distance dans des environnements où les ressources sont limitées en experts et lorsqu'il est impossible de déplacer les patients vers les centres d'expertise.
Telemedicine for emergency patient rescue. Subramanian S, Pamplin JC.Curr Opin Crit Care. 2024 Jun 1;30(3):217-223. doi: 10.1097/MCC.0000000000001152. Epub 2024 Apr 12.PMID: 38690953 Review
CONTEXTE
S'il est relativement simple, bien que souvent coûteux, de s'équiper en matériels adéquats, et de créer un lieu pour gérer les soins intensifs, il est plus difficile de trouver un nombre suffisant de personnels expérimentés ayant les connaissances requises, les compétences et l'expérience nécessaire pour intervenir au bon endroit et au bon moment afin d'obtenir le meilleur bénéfice possible pour les patients qui relèvent des soins intensifs. Cela est particulièrement vrai pour la téléexpertise en soins intensifs, comme cela a pu être illustré pendant la pandémie de la COVID-19.
La télémédecine avec cette possibilité de délivrer une téléexpertise répondant à un besoin urgent lors d'une catastrophe, grâce aux technologies de l'information et de la communication, existe depuis les années 1980 (Garshnek V, Burkle FM Jr. Applications of telemedicine and telecommunications to disaster medicine: historical and future perspectives. J Am Med Inform Assoc 1999; 6:26–37).
Un large champ d'utilisation de la téléexpertise en soins intensifs
La télémédecine et particulièrement la téléexpertise ont été utilisées lors de situations d'urgences dans un contexte où les ressources en experts de soins intensifs étaient limitées lors de situations critiques comme les catastrophes naturelles, les pandémies, les guerres ou en raison d'un emplacement particulier des soins comme la médecine en milieu inhabitée, dans l'Espace et, plus récemment, dans les hôpitaux, en particulier ruraux, envahis par les patients infectés par le COVID-19.
L'une des premières applications de la télémédecine "sans fil" a eu lieu en 1985 lorsque la NASA a déployé la transmission vocale assistée par satellite ATS-3 pour les opérations de sauvetage lors du tremblement de terre de Mexico, lorsque toutes les infrastructures de communication terrestre avaient été détruites par le séisme (Nettesheim N, Powell D, Vasios W, et al. Telemedical support for military medicine. Mil Med 2018; 183:e462–e470).
Le terme "télé soins cliniques intensifs" ou tele clinical care (TCC) est maintenant utilisé pour décrire l'organisation qui permet d'accéder à des ressources spécialisées en soins intensifs, (par exemple, l'accès à la téléexpertise clinique pour l'utilisation de médicaments nécessaire au maintien des fonctions vitales lorsqu'il existe un dysfonctionnement grave des organes vitaux), téléexpertise qui peut se réaliser de n'importe quel endroit vers le lieu où l'on en a besoin.
Alors qu'à l'origine le TCC fournissait une téléexpertise vers des services de soins intensifs, ainsi qu'un un suivi infirmier pour les unités de soins intensifs qui étaient dépourvues de personnel compétent ou comme couche supplémentaire pour l'amélioration de la qualité, la pratique actuelle du TCC s'est étendue à des indications plus larges.
Une évolution constante des technologies de communication
L'évolution continue de la technologie cellulaire et sans fil, "agile" et la maturation des technologies du cloud continuent de faciliter une rupture avec les installations de TCC fixes, centrées sur du matériel et des installations logicielles sur site, permettant ainsi à TCC d'englober des cas d'utilisation au-delà de l'enceinte d'une unité de soins intensifs et ainsi de combler les manques en matière de connaissances, de compétences et de capacités (KSA) en soins intensifs, où qu'elles se trouvent, et chaque fois qu'elles s'avèrent nécessaires.
TÉLÉMÉDECINE EN SITUATION DE CATASTROPHE.
Une fréquence croissante des catastrophes.
Les catastrophes sont des événements de destructions qui peuvent menacer la santé publique, ainsi que l'environnement. Elles perturbent et entravent la vie normale du citoyen. Elles peuvent exercer une pression considérable sur les systèmes de santé.
L'origine des catastrophes peut être naturelle ou résulter d'actions humaines (par exemple, des incendies et des attaques terroristes). Les épidémies peuvent également être considérées comme des catastrophes sanitaires, bien qu'elles durent sur une plus longue période qu'une catastrophe ponctuelle, tuant des milliers de personnes ou les rendant sans abri, détruisant les infrastructures de santé et perturbant les services publics et commerciaux. Rien qu'en 2018, le Centre de recherche sur l'épidémiologie des catastrophes a identifié 331 catastrophes naturelles dans le monde qui ont causé 14 854 décès, touché 81 143 283 personnes et ont eu un impact économique néfaste équivalent à 131,7 milliards de dollars américains.
La gestion d'une catastrophe nécessite une complémentarité entre les institutions et les professionnels de santé.
Pour contextualiser le rôle de la technologie numérique et de la télémédecine dans la gestion des catastrophes, il est important de comprendre certains aspects de cette gestion.
La gestion des catastrophes et la médecine de catastrophe sont des disciplines complémentaires qui peuvent réduire considérablement les effets néfastes de ces catastrophes.
La gestion des catastrophes comprend quatre phases : l'atténuation, la préparation, la réponse et le rétablissement. La résolution des problèmes qui se posent au cours de ces phases nécessite une bonne collaboration entre les organisations gouvernementales et non gouvernementales et les représentants de la médecine de catastrophe. Cependant, les opérations de gestion et de médecine de catastrophe peuvent être imparfaites..
Dans certains cas, les professionnels de la médecine de catastrophe ont une mauvaise communication avec les organismes de gestion des catastrophes, ce qui entraîne des retards dans la délivrance des soins, un mauvais alignement des patients sur les ressources disponibles et ainsi de mauvais résultats. Pour éviter cela, les organisations de gestion des catastrophes et les professionnels de santé spécialisés dans la médecine de catastrophe doivent travailler en étroite collaboration pour atteindre des objectifs qu'ils ont fixés en commun.
Les technologies de la communication et de l'information (TICs) peuvent améliorer cette nécessaire complémentarité.
Ni la gestion des catastrophes, ni la médecine de catastrophe, n'utilisent couramment les technologies modernes de l'information ou de la cybersanté, malgré des capacités accrues (par exemple, avec les nouvelles technologies de communication, l'informatique, l'intelligence artificielle, l'Internet et les appareils intelligents avancés) dans les soins de santé traditionnels. Leur application dans la gestion des catastrophes et la médecine de catastrophe doit être améliorée.
Ces outils offrent un énorme potentiel d'amélioration de l'efficience et de l'efficacité dans les situations de catastrophe, en particulier lorsque les technologies de la santé en ligne sont intégrées et appliquées systématiquement tout au long du cycle de gestion des catastrophes.
En 2015, Norris et al. ont décrit le concept de la "santé en ligne en cas de catastrophe" ou Disaster eHealth (DEH) comme l'intersection des domaines de la gestion des catastrophes, de la médecine de catastrophe et de la télémédecine (Abbas R, Norris T, Parry D. Pinpointing what is wrong with cross-agency collaboration in disaster healthcare. J Int Soc Telemed eHealth 2018; 6:1–10. e3).
Pour ces auteurs, la définition des différents termes serait la suivante :
Le Disaster eHealth (DEH), un domaine émergent.
Le DEH est un domaine émergent en médecine de catastrophe. Il est essentiel de définir son champ d'application et d'évaluer son rôle dans chaque phase du DMC (Disaster Management Cycle). Il est urgent de mettre en place une gestion plus efficace des catastrophes et une médecine d'urgence qui permette d'atténuer la douleur et les souffrances humaines, ainsi que l'impact global des catastrophes sur la santé ; ces questions doivent susciter un regain d'intérêt dans le champ de la recherche clinique, dans le développement et l'application du DEH.
En outre, l'amélioration du partage des données et la collaboration entre les organismes impliqués dans le cycle de gestion des catastrophes, l'utilisation accrue de tableaux de bord de données en temps réel, l'analyse de ces données, les algorithmes prédictifs pour faire correspondre les ressources humaines aux besoins prévus, le maintien de bases de données partagées et actualisées de ces ressources, l'encouragement à l'interopérabilité entre les systèmes d'information sanitaire et l'investissement dans les échanges d'informations sur la santé, représentent quelques-uns des moyens qui peuvent y remédier.
Le développement des applications du Disaster eHealth (DEH).
De nombreuses interventions pour des catastrophes ont utilisé le DEH. Elles ont été rapportées dans la littérature. Citons les principales : les épidémies (39/349,11,1 %), les attaques terroristes (38/349, 10,8 %), les conséquences des ouragans (37/349, 10,6 %) et les tremblements de terre (36/349, 10,3 %). Bien que les technologies de cybersanté soient utiles dans toutes les phases d'une catastrophe, elles sont le plus souvent appliquées dans les phases préparatoires (255/513, 49,7 %) et de réponse (150/513, 29,2 %) par rapport aux phases d'atténuation (49/513, 9,5 %) et de rétablissement (59/513, 11,5 %), comme le rapporte l'OMS (WHO digital health initiative. https://www.futurelearn.com/info/courses/investing-in-diagnostics-for-the-silent-amr-pandemic-what-has-covid-19-taught-us-/0/steps/273158).
Le DEH utilise diverses technologies numériques pour soutenir les activités de santé dans les différentes phases d'une catastrophe. Plusieurs de ces technologies sont spécifiques aux soins de santé, telles que les dossiers médicaux électroniques (DSE), la téléradiologie et les systèmes d'archivage et de communication d'images (PACS). Elles peuvent toutefois nécessiter des modifications pour une utilisation optimale en cas de catastrophe. D'autres technologies, pas nécessairement conçues pour les systèmes de santé, trouvent également des applications dans ce domaine. Ces technologies comprennent l'identification automatique, l'intelligence artificielle, les systèmes d'aide à la décision (DSS), l'Internet des objets (IoT), les systèmes de réalité augmentée, etc.
TÉLÉCONSULTATION ET TÉLÉEXPERTISE LORS DE LA PANDÉMIE COVID-19.
La pandémie Covid-19 fut l'évènement fondateur des soins distanciels.
La pandémie de COVID-19 a entraîné une augmentation de l'utilisation de la télémédecine, et plus généralement des soins distanciels, dans les établissements hospitaliers et le système ambulatoire. Le besoin urgent de maintenir l'accès aux soins, de gérer les vagues épidémiques et de protéger les professionnels de santé a conduit à un abandon rapide des modèles traditionnels de prestation de soins en présentiel et à l'évolution vers des soins distanciels qui intègrent les pratiques de télémédecine, en particulier la téléconsultation, la téléexpertise et la télésurveillance. La demande de soutien en soins intensifs au cours de la pandémie a permis de prendre en charge un grand nombre de patients souffrant d'insuffisance respiratoire sévère due à la Covid-19. Cela a entraîné l'expansion des services de TCC dans de nombreuses structures hospitalières.
Des innovations organisationnelles.
Les systèmes de santé touchés par la pandémie ont rapidement adopté des solutions de télémédecine pour améliorer l'allocation appropriée des ressources. Un bon exemple est le système de santé NYU Langone qui a utilisé le concept du « triage avancé/télétriage » pour déterminer l'état des patients avant leur arrivée au service des urgences. Leurs données ont montré une croissance exponentielle du triage avancé au cours des premiers mois de la pandémie : en 15 jours, les téléconsultations sont passées de 82 à 1336 et, en 6 semaines, ce nombre a dépassé les 16 000. Grâce au télétriage, les professionnels de santé ont pu évaluer les patients qui présentaient un risque élevé de détérioration de leur état respiratoire et qui nécessitaient une prise en charge hospitalière, par rapport aux patients qui pouvaient être suivis à leur domicile (Mann DM, Chen J, Chunara R, et al. COVID 19 transforms healthcare through telemedicine: evidence from the field. J Am Med inform Assoc 2020; 27:1132–1135).
Une généralisation du télétriage par téléexpertise en médecine de catastrophe ?
Face à un afflux massif de patients, le télétriage peut s'avérer une stratégie inestimable dans les autres domaines de la médecine de catastrophe et les futures pandémies, afin d'assurer une utilisation appropriée des ressources humaines en santé et minimiser l'exposition des cliniciens à la maladie ou à d'autres risques. Un signal similaire en faveur d'une meilleure adéquation des ressources humaines aux besoins des patients a été identifié par le National Emergency Tele-Critical Care Network (Pamplin JC, Scott BK, Quinn MT, et al. Technology and disasters: the evolution of the National Emergency Tele-Critical Care Network. Crit Care Med 2021; 49:1007–1014).
L'équipe de l'université de New York (NYU) a tiré parti de son expérience antérieure pour limiter davantage l'exposition du personnel en intégrant divers outils de télémédecine tels que des appareils d'examen physique connectés et des moniteurs de signes vitaux pour fournir des soins distanciels aux patients, maintenir la continuité des soins, améliorer les inégalités sociales, améliorer la satisfaction des patients et des prestataires de soins et, en fin de compte, de s'assurer que seuls les soins les plus appropriés seraient fournis en présentiel.
La possibilité d'examiner les dossiers médicaux à distance à l'aide d'une solution de téléexpertise synchrone en vidéo, intégrée à la consultation du dossier médical électronique (DME) a permis de prendre des décisions complètes, même sans la présence physique de médecins et d'autres prestataires de soins.
Bien que l'expérience de NYU puisse être considérée comme le meilleur des scénarios, il faut savoir que leur système était déjà en place deux ans avant la pandémie. Leur système était donc prêt à se développer pendant la pandémie avec une solution technique fiable, défendue par une équipe multidisciplinaire locale de cliniciens, d'administrateurs et de spécialistes informatiques, ce qui a rendu possible sa mise à l'échelle de la catastrophe sanitaire et son acceptation. Malheureusement, de nombreux endroits n'étaient pas préparés et ne possédaient pas ce type d'organisation innovante avant que la pandémie survienne.
L'expérience de l'armée américaine
L'armée américaine a été un chef de file pour adapter et faciliter l'accès aux solutions technologiques numériques lorsqu'une demande de téléexpertise était exprimée, y compris dans les services de soins intensifs (Nettesheim N, Powell D, Vasios W, et al. Telemedical support for military medicine. Mil Med 2018; 183:e462–e470).
Son approche utilise des communications asynchrones par messagerie combinées à des communications vocales par audiophone. L'usage de la vidéo se fait uniquement lorsque cela s'avère nécessaire et que les ressources nécessaires à un réseau numérique suffisant étaient réunies. Cela s'est avéré réalisable dans des contextes cliniques les plus difficiles. D'autres ont utilisé une approche similaire pour soutenir les réfugiés dus à la guerre en Syrie et en Ukraine.(Moughrabieh A, Weinert C. Rapid deployment of international tele- intensive care unit services in war torn Syria. Ann Am Thoracic Soc 2016; 13:165–172.)(Kaplan, Lewis J, Levin, et al. Providing remote aid during a humanitarian crisis. Crit Care Explor 2023; 5:e0992).
Leur expérience a conduit à la création du "Réseau national de télé soins intensifs d'urgence" (NETCCN ou National Emergency Tele-Critical Care Network). Le NETCCN fut un projet mené conjointement entre l'Agency for Strategic for Preparedness and Response (ASPR) et le Centre de recherche sur la télémédecine et les technologies avancées de l'armée américaine (TATRC ou US Army Telemedicine and Advanced Technology Research Center) pour fournir des TCC (Tele Clinical Care) aux hôpitaux submergés par les poussées de COVID-19, dont beaucoup se trouvaient dans des zones éloignées ou mal desservies.
Le NETCCN a réuni trois équipes clinicotechniques pour fournir un soutien TCC à la demande là où il n'y en avait pas auparavant, en utilisant des appareils mobiles cellulaires et des solutions logicielles simples à utiliser qui ont été rigoureusement testées en utilisant des principes de conception centrés sur l'utilisateur afin de s'assurer que les interfaces des applications étaient rapidement compréhensibles et répondaient à un flux de travail « d'urgence » à un rythme rapide.
L'une des principales conclusions était que le logiciel NETCCN ne pouvait pas être plus complexe que les dossiers médicaux électroniques (DME) traditionnels. La solution logicielle et matérielle de télémédecine (téléexpertise) en cas de catastrophe devait nécessairement être une application facile à appréhender et à utiliser pour minimiser la charge de formation et accélérer le lancement du service. Dans l'ensemble, le projet a fourni un soutien national aux hôpitaux urbains et ruraux et a démontré la faisabilité du concept selon lequel, même sans planification préalable ou système en place familier aux cliniciens et aux patients, les plateformes de télémédecine créées avec une conception centrée sur l'utilisateur, comme l'a souligné précédemment le National Institute of Standards and Technology (NIST), mais destinées à l'intervention en cas de catastrophe, peuvent être utilisées pour optimiser les soins aux patients et à l'allocation de ressources humaines.
TÉLÉEXPERTISE EN SOINS INTENSIFS HORS DE L’UNITÉ DE SOINS INTENSIFS.
Le TCC peut fournir une téléexpertise en soins intensifs à tout moment, n'importe où, et pas nécessairement au sein d'une unité de soins intensifs. L'équipe d'intervention rapide (RRT ou Response Rapid Team) est une solution pour intervenir rapidement chez les patients dont l'état pourrait se détériorer en dehors de l'unité de soins intensifs. Les RRT représentent une solution idéale pour le TCC (tele Clinical Care), facilitant ainsi l'accès à l'expertise en soins intensifs au niveau d'un lieu extérieur en évitant le déplacement des patients aux soins intensifs.
Des équipes mobiles de téléexpertise en soins intensifs
Bien qu'il n'existe encore que peu de littérature sur le sujet, les auteurs ont observé des cas d'utilisation qui ont une valeur générale à la suite de l'intégration de TCC dans les organisations de RRT :
Dans une étude conduite par les hôpitaux Health First (comté de Brevard, Floride, États-Unis), l'ajout d'un soutien mobile en télémédecine aux équipes de RRT augmentait de 66 % les coûts évités par les transferts inutiles en soins intensifs. Les raisons les plus courantes de l'activation de la RRT étaient la détresse respiratoire, l'altération de l'état mental et l'hypotension. Trente-trois pour cent des patients de cette étude ont été pris en charge sans transfert en soins intensifs (Pappas PA, Tirelli L. Projecting critical care beyond the ICU. Telemed eHealth 2016; 22).
Une organisation de plus en plus performante.
La télémédecine est utilisée pour améliorer les soins dans diverses situations de soins aigus où l'accès aux soins spécialisés est limité ou retardé. Les revues systématiques et les méta-analyses publiées au cours des dernières années sur les cas d'utilisation de la téléexpertise immédiate en situation d'urgence vitale sont nombreuses : le télé-AVC, le syndrome coronarien aigu, la télépédiatrie pour les détresses du nourrisson et de l'enfant, etc.
Ces études indiquent que l'accès à la téléexpertise rapide permet d'obtenir des résultats non inférieurs à l'intervention d'un spécialiste en présentiel. Parfois, les délais d'intervention sont plus rapides et peuvent donner de meilleurs résultats, notamment lorsque les interventions se font en zones rurales. Plus récemment, l'application généralisée du concept TCC chez les patients qui nécessitent une surveillance intensive ou une thérapie de soutien au sein des services des urgences en raison de la disponibilité limitée des lits en soins intensifs, a démontré une amélioration de la mortalité. Une revue récente de 11 études évaluant près de 59 000 patients adultes traumatisés évalués par téléexpertise au sein des services des urgences hospitaliers a démontré une réduction de la durée de séjour sans différence dans les taux de mortalité
(Kadar RB, Amici DR, Hesse K, et al. Impact of telemonitoring of critically ill emergency department patients awaiting ICU transfer. Crit Care Med 2019; 47:1201–1207)(Alter N, Arif H, Wright D-D, et al. Telehealth utilization in trauma care: the effects on emergency department length of stay and associated outcomes. Am Surg 2023; 89:4826–4834).
LA TÉLÉMÉDECINE EN UKRAINE
La télémédecine a récemment été déployée pour soutenir les équipes sur le terrain en Ukraine, déchirée par la guerre. Cette intervention a été décrite par Kaplan et al.(Kaplan, Lewis J, Levin, et al. Providing remote aid during a humanitarian crisis. Crit Care Explor 2023; 5:e0992.).
Dans cet article, une équipe de cliniciens de l'Université de Pennsylvanie, en collaboration avec Omnicure, Inc., a fourni des téléconsultations d'experts à un hôpital en Ukraine pour aider à gérer les plaies complexes. L'application TCC d'Omnicure a été spécifiquement affinée pour les cas d'utilisation en cas de catastrophe dans le cadre de la participation de l'entreprise au programme NETCCN. Elle a fourni une interface intuitive et cybersécurisée pour la communication, la documentation et l'assistance à distance sans que cela nécessite une installation préalable de matériel et d'interopérabilité entre les installations ou les consultants (anywhere to anywhere platform ou la plateforme « n'importe où »).
La plateforme était reliée aux cliniciens par différents appareils (smartphone, tablette, ordinateur portable, ordinateur de bureau) à l'aide d'un portail Web ou d'une application téléchargeable. La sécurité opérationnelle (sécurité des identités des cliniciens ukrainiens) a été assurée par l'établissement d'identités génériques pour les cliniciens ukrainiens. Grâce à cette application, les cliniciens ukrainiens ont pu se connecter directement à des médecins basés aux États-Unis pour réaliser des téléconsultations et des téléexpertises à la demande. Une interface a maintenu la continuité de l'accès aux dossiers des patients, a permis de s'assurer que les images et les données saisies étaient correctement séquencées et liées aux recommandations spécifiques des consultants, et, surtout, étaient faciles à identifier dans un contexte clinique d'urgence vitale.
Ces équipes ont effectué près de 200 téléconsultations auprès de 300 patients qui nécessitaient une prise en charge chirurgicale. Les téléconsultations ou téléexpertises ont conduit à des recommandations précises en temps réel, à un séquençage du traitement, à une gestion optimale des blessures des tissus mous, à préciser les options d'interventions reconstructives grâce à des discussions sur les approches chirurgicales, l'antibiothérapie, la gestion des soins intensifs et le soutien nutritionnel.
CONCLUSIONS
La télémédecine trouve de nombreuses applications à l'intérieur et à l'extérieur des murs de l'hôpital. Les progrès technologiques ont permis des modèles de prestation de soins plus innovants. Alors que le monde évolue vers des systèmes de soins à distance, pouvant être guidés par l'intelligence artificielle, il est naturel que ces technologies soient rapidement et largement intégrées dans les systèmes de soins hybrides alternant des soins distanciels et des soins présentiels.
COMMENTAIRES. Cette excellente mise au point sur l'usage de la télémédecine en soins intensifs met en lumière les nombreuses situations de la médecine de catastrophe où l'usage des pratiques de télémédecine, en particulier de la téléexpertise, apporte indiscutablement un service médical aux patients. Il faut souligner son usage dans la guerre qui se déroule en Ukraine. La France qui a un programme d'aide à l'Ukraine pourrait inclure l'usage de la télémédecine auprès des hôpitaux ukrainiens probablement démunis actuellement en ressources humaines compétentes dans les soins intensifs à délivre aux blessés de la guerre et aux citoyens victimes des bombardements.
8 juin 2024