Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Qu'on l'accepte ou non, les différentes pratiques de la télémédecine et de la santé connectée caractérisent désormais la médecine hybride du 21ème siècle. Elle fait désormais partie de notre quotidien, notamment dans les établissements de santé avec des blocs opératoires devenus hybrides grâce à la 5G, dans les cabinets de radiologie où l'analyse des images par l'Intelligence artificielle (IA) se développe, dans les laboratoires d'analyses médicales qui sont numérisées et automatisées, etc. ((https://telemedaction.org/422021881/m-decine-hybride-au-21-me-si-cle). Cette association complémentaire de la virtualité ET de la présence humaine se développe également dans les soins, comme l'illustre la télésanté. Cette transformation de la médecine ne va-t-elle pas être à l'origine de nouveaux droits et devoirs à la fois pour les usagers et les professionnels de la santé ?
Il était habituel de dire, depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, que les patients avaient acquis des droits vis à vis des professionnels de santé, qu'ils étaient devenus co-acteurs de leur santé et qu'ils n'avaient aucun devoir envers le système de soins. Ils avaient acquis le droit d'être informés des bénéfices et des risques de tout acte médical visant un diagnostic ou un traitement et pouvaient donner ou non leur consentement à la démarche médicale qui leur était proposée.
L'avènement de la médecine hybride (soins virtuels ou distanciels ET soins présentiels) peut-il modifier cette relation entre un professionnel de santé et un patient ? L'obligation réglementaire faite à un professionnel de santé de réaliser un soin distanciel pertinent (décret relatif la télésanté du 3 juin 2021) peut-il amener le professionnel à refuser au patient ce soin au motif qu'il le juge non pertinent ? Le patient du 21ème siècle est-il prêt à comprendre cette responsabilité médicale ? (https://telemedaction.org/437100423/453270154).
La mise à disposition pour chaque citoyen français depuis le début 2022 d'un espace numérique sante (MES) ne peut-elle pas générer de nouveaux devoirs pour les usagers de santé et de nouveaux droits pour les professionnels de santé ? (https://telemedaction.org/437100423/451157384)
Plus de 20 ans après la promulgation de la loi Kouchner, ne faut-il pas adapter les droits et les devoirs des usagers et professionnels de santé pour qu'ils soient en harmonie avec le développement de la médecine hybride (hybrid medicine pour les anglosaxons, c'est à dire complémentarité de soins distanciels ET de soins présentiels), notamment lorsqu'elle utilise l'intelligence artificielle médicale ? Toutes ces questions méritent des réponses. L'objet de ce billet est de lancer le débat.
Un peu d'histoire sur les droits des personnes malades et des usagers du système de santé.
C'est la loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière qui consacre pour la première fois un chapitre sur les droits du malade accueilli dans un établissement de santé . Cette affirmation explicite des droits de la personne malade dans ses relations avec le système de santé est confortée 4 ans plus tard par la circulaire ministérielle sur la "Charte du patient hospitalisé" décrivant les droits fondamentaux des malades et remplaçant la précédente charte annexée à une circulaire du 20 septembre 1974. Les droits exposés dans cette nouvelle charte ont reçu une véritable autorité juridique dans l'ordonnance du 25 avril 1996. Le législateur entendait rappeler que l'intérêt des malades devait être au coeur des préoccupations des différents acteurs de l'hospitalisation.
Cette volonté politique n'était pas étrangère à la parution des premières lois bioéthiques du 29 juillet 1994, lesquelles furent précédées deux jours auparavant d'une décision du Conseil Constitutionnel dans laquelle il était reconnu un principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Cette position du Conseil Constitutionnel venait renforcer le principe du droit à la protection de la santé consacré par le préambule de la Constitution de 1946.
Le séisme sanitaire que représenta l'affaire du sang contaminé par le virus VIH en 1984 et les conséquences douloureuses pour des centaines de malades fut à l'origine d'une nouvelle définition des missions de l'Etat pour protéger la santé des citoyens et de la personne malade. Plusieurs lois sur la sécurité sanitaire suivirent cette période : la loi sur la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicaments, la loi sur la protection des données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé, les lois bioéthiques consacrées au respect du corps humain, aux dons et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, la loi sur l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, la loi pour le renforcement de la veille sanitaire et du contrôle sanitaire des produits destinés à l'homme.
A tous ces textes législatifs, il faut ajouter la révision complète du Code de déontologie médicale publiée par décret en Conseil d'Etat, en date du 6 septembre 1995, ce nouveau code devenant une véritable source de légalité. Dans ce code de 1995, une large place est faite à la relation du patient avec son médecin, précisant ainsi certains droits du patient. Ils furent repris dans plusieurs décisions jurisprudentielles qui précédèrent la loi Kouchner du 4 mars 2002.
C'est avec la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs que le législateur a souhaité créer au sein du Code de la santé publique (CSP) un chapitre préliminaire consacré aux Droits de la personne malade et des usagers du système de santé marquant ainsi une volonté politique de mieux garantir ces droits. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé s'est inscrite dans la nouvelle partie du CSP consacrée à la protection des personnes en matière de santé. Au cours des 20 dernières années, cette partie du CSP s'est régulièrement enrichie.
Quels sont les principaux droits des malades et des usagers du système de santé acquis par la loi Kouchner du 4 mars 2002 ?
(https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/#:~:text=%C2%AB%20Toute%20personne%20a%20le%20droit,digne%20jusqu'%C3%A0%20la%20mort).
La loi affirme d'emblée un droit fondamental : toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Le législateur donne une valeur juridique supérieure à celle de la disposition du code de déontologie médicale de 1995, ce principe ayant désormais une valeur législative. Mais la volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission. C'est au nom du principe d'un droit à l'information que le malade se voit reconnaître un rôle nouveau : il prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé.
Quel est le contenu de cette information ? Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.
Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.
Qui informe le patient ou l'usager ? Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.
Comment se fait l'information ? Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. En demandant que l'information soit individuelle, le législateur donne la priorité à l'information orale, permettant qu'elle soit adaptée au cas de chaque personne.
Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l'information sont établies par la Haute Autorité de Santé.
Qui apporte la preuve de l'information ? En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.
Les droits des malades et des usagers de la santé à l'épreuve de la médecine "hybride".
Les grands principes de la loi Kouchner ont traversé sans modifications majeures les 20 dernières années. Ces principes, s'ils sont toujours applicables dans le cadre d'un exercice médical traditionnel, le sont-ils encore lorsque l'exercice médical associe des soins distanciels et des soins présentiels ? Nous en donnons ici quelques exemples.
La téléconsultation ponctuelle à l'initiative de l'usager de la santé continue de se développer depuis la fin de la pandémie Covid-19. Elle fait désormais partie des formes de téléconsultation que nous avons décrites dans un billet précédent consacré au service médical rendu (SMR) par ces différentes pratiques (https://telemedaction.org/422021881/t-l-consultation-et-smr)
Qu'elle soit en distanciel ou en présentiel, la consultation médicale est une investigation à visée diagnostique et souvent thérapeutique. Elle relève donc d'une information sur les bénéfices et les risques, information délivrée lors d'un entretien individuel de préférence oral pour qu'elle soit adaptée au cas de chaque personne.
Lors d'une téléconsultation ponctuelle à l'initiative de l'usager de la santé auprès d'une plateforme gérée par une "société de téléconsultation" (https://telemedaction.org/437100423/453459149), l'information est réalisée par un CGU (conditions générales d'utilisation) dont la lecture effective n'est pas vérifiée. En cas de litige, le professionnel médical qui aura réalisé la téléconsultation ponctuelle, lorsqu'il n'est pas le médecin traitant de la personne, ne pourra pas apporter la preuve qu'il a fourni une information claire, appropriée et adaptée au cas de la personne, notamment sur le caractère pertinent ou non du motif de téléconsultation. Un référentiel éthique (opposable), à l'intention des sociétés organisatrices de téléconsultation ponctuelle est en cours de publication par les autorités sanitaires. Il demande à ces sociétés de mettre en place un système numérique qui permette de prouver que le CGU a bien été lu par l'usager d'une téléconsultation ponctuelle (https://telemedaction.org/437100423/ethique-et-t-l-sant).
Mais un CGU ne peut apporter une information adaptée au cas de chaque personne puisque le motif de la téléconsultation ponctuelle n'est connu qu'au moment de la connexion avec le médecin de la plateforme, ce dernier devant alors juger, dès le début de la téléconsultation, si le motif est pertinent ou non. En cas de non-pertinence, la HAS recommande d'arrêter la téléconsultation et d'orienter l'usager vers une consultation en présentiel que le professionnel doit lui-même organiser au sein du territoire où vit l'usager. Le besoin de cette consultation en présentiel peut être jugé par le médecin de la plateforme comme un besoin immédiat ou différé de quelques jours avec le médecin traitant. En cas d'urgence engageant le pronostic vital, le médecin de la plateforme doit appeler le centre 15 et s'assurer de la prise en charge effective du patient vers les urgences hospitalières.
Dans cette forme de téléconsultation ponctuelle, le professionnel médical a le devoir de réaliser un compte-rendu de l'acte et de le verser dans le DMP de l'usager, afin que le médecin traitant en ait connaissance ultérieurement et qu'il puisse le verser dans son dossier professionnel. On peut en déduire que le professionnel médical a le droit d'accéder au DMP de l'usager qui demande une téléconsultation ponctuelle afin qu'il puisse y déposer le compte-rendu de son acte. Ainsi, dans cette forme de téléconsultation, l'usager a de nouveaux devoirs : d'une part, celui d'avoir activé MES avant de demander une téléconsultation ponctuelle pour que le médecin de la plateforme qui ne le connait pas puisse prendre connaissance de son profil médical (où figurent les antécédents et les traitements déjà prescrits), d'autre part, celui de permettre au médecin de déposer dans le DMP de MES le compte-rendu de la téléconsultation. Nous pensons que, grâce à MES, le consentement de l'usager à cette téléconsultation ponctuelle devient plus explicite que le simple clic à la fin de la lecture du CGU.
La télésurveillance médicale d'une maladie chronique au domicile est un autre exemple de la médecine "hybride", c'est à dire de la complémentarité de soins distanciels ET de soins présentiels. Elle nécessite une nouvelle organisation professionnelle qui va modifier la relation traditionnelle entre un patient et l'équipe de soins dans un suivi conventionnel. La rémunération de cette pratique de télémédecine dans le droit commun de la sécurité sociale depuis le 1er août 2023, correspond à un périmètre précis et défini par les référentiels HAS (https://www.has-sante.fr/jcms/p_3311071/fr/telesurveillance-medicale-referentiels-des-fonctions-et-organisations-des-soins).
Une fois que le patient a donné au médecin prescripteur un consentement libre et éclairé suite à une information claire et appropriée sur les conditions de mise en place de la télésurveillance médicale au domicile (transmission des données et alertes aux professionnel requis, éligibilité, accompagnement thérapeutique) et sur le mode de fonctionnement du Dispositif Médical Numérique (DMN) qui saisit et analyse les données personnelles du patient, ce dernier a le devoir d'appliquer le protocole prescrit. L'information sur le fonctionnement du DMN précise l’analyse des données et alertes transmises par ce moyen au professionnel de santé, le paramétrage du DMN, la formation du patient à son utilisation, la vérification et le filtrage des alertes, ainsi qu’un accompagnement thérapeutique. Pour la HAS, le refus par le patient de cet accompagnement thérapeutique le rend inéligible à la télésurveillance médicale.
Au moment de donner son consentement, le patient avait le choix entre un suivi conventionnel (en présentiel) ou un suivi à distance par DMN alterné avec des consultations en présentiel. Si la télésurveillance médicale ne lui convient plus après l'avoir essayée, il a le droit de revenir à un suivi conventionnel uniquement en présentiel.
De même, le professionnel médical ou l'équipe médicale a le devoir de suivre scrupuleusement le protocole tel qu'il est précisé dans le référentiel HAS et qu'il a été expliqué au patient, en particulier le devoir de mettre en place une organisation professionnelle compétente qui permette d'assurer la gestion des alertes afin de prévenir la survenue de complications qui conduiraient à une hospitalisation ou qui créeraient une réelle perte de chance pour le patient.
En clair, si l'entrée d'un patient atteint d'une maladie chronique dans le parcours de soins que représente la télésurveillance médicale au domicile relève bien des droits des patients définis dans la loi de 2 mars 2004 (information sur les bénéfices et les risques de la télésurveillance médicale), de nouveaux droits et devoirs pour les patients et les professionnels apparaissent lors de la mise en place de cette télésurveillance médicale.
L'aide au diagnostic et au traitement par l'intelligence artificielle médicale (IAM). Le devoir d'information des patients qui bénéficient de l'IAM dans un but diagnostic et/ou thérapeutique est assuré par le professionnel médical lors d'un entretien individuel. Cette information claire et appropriée sur les bénéfices et les risques d'un traitement algorithmique de données de santé est difficile à expliquer, notamment lorsque l'application d'IA est "générative", comme la version 4 de ChatGPT dont l'algorithme est entrainé sur plus de 300 milliards de mots (https://telemedaction.org/422016875/chat-gpt-et-sant-publique). En matière de santé publique, ChatGPT fournit de manière prudente quelques informations, sachant que certaines peuvent être insuffisantes ou erronées. A l'inverse, les systèmes d'IAM plus spécifiques, construits par exemple sur la lecture d'images, sont plus fiables, mais l'erreur diagnostique ou thérapeutique reste toujours possible.
C'est la raison pour laquelle le principe d'une garantie humaine pour interpréter les résultats d'un traitement algorithmique a été introduit en France dans la révision de la loi bioéthique (2021). Ce principe vient d'être repris au niveau de l'Union Européenne. Tout professionnel de santé qui utilise l'IAM dans une démarche diagnostique et/ou thérapeutique a le devoir d'engager sa responsabilité dans l'interprétation finale des résultats. C'est la garantie humaine apportée aux patients.
16 août 2023