Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
L'usage de la télémédecine pour gérer une situation d'urgence est souvent évoqué. Les situations sont nombreuses où la télémédecine pourrait peut être améliorer le pronostic vital de victimes ou patients qui sont dans un état de détresse. Encore faut-il le démontrer.
Dans les pays de culture anglo-saxonne, où l'urgence vitale est gérée par le sytème "para-medic", c'est à dire des ambulances de paramédicaux secouristes qui amènent la victime ou le patient le plus vite possible à l'hôpital, un système de télémédecine embarqué dans ces ambulances peut aider les ambulanciers secouristes à faire les premiers gestes qui sauvent, sous la conduite d'un médecin à distance, avant l'arrivée à l'hôpital.
L'intérêt de systèmes de télémédecine embarqués dans l'ambulance est particulièrement démontré dans l'AVC où le scanner embarqué permet de faire le plus vite possible le diagnostic d'AVC ischémique, d'interpréter les images cérébrales et d'administrer le médicament thrombolytique au cours de la "golden hour" (1ère heure après le début de l'AVC),tout cela sous l'autorité et la responsabilité d'un neurologue vasculaire. (voir sur ce site le billet "Télémédecine (4)" dans la rubrique "Publications").
En France, l'urgence vitale est gérée par le SAMU centre 15. La médecine clinique française estime que la priorité devant un état d'urgence vitale est d'examiner au plus vite le patient. Depuis 1968, on considére que l'équipe médicale doit se déplacer auprès de la victime d'un accident de la voie publique pour la mettre dans les meilleures conditions de transport vers le service de réanimation le plus proche, afin de réduire le risque de décès au cours du transport. La même conduite a été adoptée ensuite pour les malades en détresse vitale, bien qu'on se demande aujourd'hui si cette stratégie est la mieux adaptée à certaines urgences médicales, notamment l'AVC . Pour cette dernière urgence vitale, les patients français atteints d'AVC pourront difficilement bénéficier du traitement thrombolytique dans la 1ère heure qui suit le début de l'AVC, à moins d'appliquer le modèle allemand du scanner embarqué dans une ambulance du SAMU.
Nous présentons ici une intéresante revue de la littérature médicale scientifique que vient de publier une équipe médicale et soignante du St Thomas'Hospital de Londres. Les auteurs ont cherché dans la littérature les études apportant des preuves que la télémédecine permettrait de mieux prendre en charge les patients en soins intensifs, et qu'il existait non seulement un impact clinique (meilleure survie), mais également un impact sur les coûts de prise en charge.
Mackintosh N, Terblanche M, Maharaj R, Xyrichis A, Franklin K, Keddie J, Larkins E, Maslen A, Skinner J, Newman S, De Sousa Magalhaes JH,Sandall J.Telemedicine with clinical decision support for critical care: a systematic review. Syst Rev. 2016 Oct 18;5(1):176.
CONTEXTE
Les auteurs partent du constat que le vieillissement de la population entraîne de plus en plus fréquemment des circonstances de gravité des patients atteints de maladies chroniques, posant la question de leur prise en charge ou non en soins intensifs lorsque ces complications apparaissent. Les pratiques de télémédecine permettraient-elles de mieux gérer ces situations ou de prévenir les complications ? Ils soulignent que les TICs permettent d'assister à distance un professionnel de santé au chevet d'un malade ou de réaliser des téléexpertises entre le médecin traitant et le médecin spécialiste, avant d'adresser le patient à l'hôpital en soins intensifs. Les études contrôlées et randomisées chez des patients en état de détresse vitale ne sont pas recommandées au plan de l'éthique.
L'objectif de cette revue de la littérature scientifique est de voir quelles sont les études qui démontreraient un réel service médical rendu aux patients en situation de détresse vitale, grâce à une plateforme de télémédecine qui serait opérationnelle 24h/24, 7j/7 par rapport à une prise en charge classique sans l'usage des TICs.
METHODES
L'étude a suivi les recommandations PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic reviews and MetaAnalysis). Tous les essais randomisés et contrôlés, ou quasi randomisés, les études contrôlées avant-après, qui ont évalué l'impact de la télémédecine sur les soins intensifs ont été inclus dans l’analyse.
Les essais ont été jugés éligibles à l’étude si l’intervention de télémédecine comprenait (1) un enregistrement continu des signes vitaux au chevet du malade, relié à un système informatique permettant l’affichage en temps réel des données et (2) l’utilisation des algorithmes de prise de décisions cliniques et des alertes électroniques, (3) une équipe de spécialistes en soins intensifs y compris médecins, disponible 24h/7j, située à distance. Ont été exclues de l’analyse les applications de télémédecine qui étaient périodiques (p. ex. une surveillance intermittente par téléconsultation ou des décisions médicales asynchrones (par exemple le dépistage à distance dirigé par infirmière).
La recherche électronique a été effectuée dans les bases de données suivantes : MEDLINE, EMBASE, CINAHL (Cumulative Index to Nursing and Allied Health Literature), Cochrane Library, Health Technology Assessment Database et Web of Science (indice de référence sciences et sciences sociales). La stratégie de recherche a été la même pour toutes les bases de données. Pour éviter les biais de publication, les auteurs ont aussi recherché dans la littérature "grise" à l’aide de OpenGrey, OpenDOAR (le répertoire des référentiels libre accès) et l’inspection GÉNÉRALE (Healthcare Management Information Consortium).
RESULTATS
L'extraction de 4930 articles a été réalisée par la recherche électronique. Parmi ces articles extraits, 101 furent jugés éligibles aux objectifs de l'étude, puis 99 ont été exclus par deux lecteurs indépendants. Seulement 2 articles au final ont été conservés. Il s'agissait de deux études controlées de type "avant-après" réalisées aux USA. Les principales raisons d'inéligibilité des autres articles étaient la non-possibilité d'accéder à la totalité de l'article (8), un modèle de télémédecine insuffisamment décrit ou ne comportant pas de surveillance 24h/7j (68), des articles uniquement éditoriaux (12), des études qui ne répondaient pas aux guidelines EPOC (Effective Practice and Organisation of Care) (8), c'est à dire n'ayant pas respecté les règles pour prévenir les biais.
Conduite par la même équipe depuis 2005 dans 56 unités de soins intensifs, répartis dans 15 Etats américains, les deux études furent publiées successivement en 2011 et 2014.
Les deux études ont été jugées par les auteurs de l'analyse comme entachées d'un haut risque de partialité. La méta-analyse n’était pas possible. La première étude a utilisé une conception renforcée de soins non-randomisés dans sept unités de soins intensifs. La mortalité hospitalière fut le résultat principal, montrant une réduction de 13,6 % (IC : 11,9-15,4 %) à 11,8 % (IC : 10,9-12,8 %) au cours de la période d’intervention avec la télémédecine, avec un rapport ajusté de 0,40 (95 % CI, 0,31-0,52 ; p =.005). La seconde étude a utilisé un méthodologie non-randomisée, pre/post avec auto-évaluation des interventions de la télémédecine dans 56 unités de soins intensifs adultes. La mortalité hospitalière (résultat principal) fut réduite de 11 à 10 % (hazard ratio (HR) ajusté = 0,84 ; CI, 0,78-0,89 ; p = <.001.
CONCLUSIONS
Cette analyse de la littérature médicale scientifique met en évidence la mauvaise qualité méthodologique de la plupart des études réalisées sur l'impact éventuel de la télémédecine sur les soins intensifs. Les résultats des deux études incluses ont montré une réduction de la mortalité hospitalière chez les patients recevant l’intervention télémédecine. D'autres essais comparatifs multisites sont nécessaires.
COMMENTAIRES Cette revue de la littérature scientifique médicale sur l'usage de la télémédecine dans les situations d'urgence a été très rigoureuse. Elle montre qu'à ce jour, rien n'est démontré en faveur de l'usage de la télémédecine dans ces situations de détresse. Le travail reste à faire après la publication de plus de 4000 papiers sur ce sujet. Les auteurs soulignent l'insuffisance méthodologique de la plupart des études éligibles. L'utilisation de la télémédecine dans les situations d'urgence, notamment dans les EHPAD en relation avec les services d'urgences hospitaliers, ne repose, pour l'instant, sur aucune preuve d'un réel service médical rendu aux patients. On ne peut donc que recommander la plus grande prudence vis à vis de tels protocoles autorisés par certaines ARS, car en cas de préjudice porté à un patient par ce type d'organisation, les experts judiciaires ne pourraient pas reconnaitre que de telles pratiques s'appuient sur "les données actuelles de la science médicale".
Comme cela a déjà été dit sur ce site (voir le billet "SMR et Droit" dans la rubrique "article de fond"), l'évaluation d'un service médical rendu doit servir de référence principale pour mettre en place une activité de télémédecine, et pas uniquement la conformité avec le décret de télémédecine.