Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Lundi 16 janvier, l'OCDE a remis deux rapports aux ministres de la santé des 35 pays membres et partenaires à l'occasion de leur participation au Forum et à la réunion ministérielle sur "La prochaine génération des réformes de la santé".
Le rapport consacré aux Dispositifs médicaux (DM) remet en question l'utilité de certaines technologies médicales remboursées. https://www.oecd.org/health/managing-new-technologies-in-health-care-9789264266438-en.htm
Le responsable de la division santé à l'OCDE, Francesco Colombo, attire l'attention des Etats sur l'accroissement des dépenses médicales dues aux technologies médicales. Selon l'OCDE, elles seraient à hauteur d'au moins 50% de la progression de ces dépenses. L'intérêt therapeutique de certaines de ces technologies serait faible, voire inexistant selon l'OCDE, alors que le risque d'accident iatrogène de ces technologies médicales n'est pas nul.
En 2014, la Cour des Comptes tirait déjà la sonnette d'alarme sur la progression des dépenses médicales liée aux DM dans un rapport dont le titre ne souffrait d'aucune ambiguité : les dispositifs médicaux, une dépense non maitrisée, et puis un rapport de l'IGAS en 2015 qui notait que la dépense exhaustive relative à l'utilisation des DM n'était pas connue. En France, on estime que les DM inscrits sur la liste des produits et des prestations remboursés (LPPR) par l'Assurance maladie contribuent de 15 à 20% à la progression des dépenses de soins de ville.
La question que pose en fait l'OCDE est celle du rapport "bénéfice/risque" des dispositifs à finalité médicale, c'est à dire du service médical rendu (SMR) aux patients qui en bénéficient. L'institution européenne reconnait ainsi implicitement que le respect du cadre réglementaire pour autoriser la mise sur le marché des DM et leur remboursement ne garantit en aucune manière le SMR aux patients par les DM.
Nous avons déjà abordé cette question, à nos yeux importante, dans un précédent billet intitule "SMR et Droit" dans la rubrique "articles de fond". Dans ce précédent billet, nous dénoncions des autorisations de téléconsultations données par certaines ARS sur le seul fondement du décret de télémédecine de 2010, alors que ces téléconsultations ne répondent pas à un besoin sanitaire avéré et que la pratique, sans accès au dossier médical des patients qui appellent la plateforme, est de qualité inférieure à la pratique de la téléconsultation programmée avec accès au dossier médical, comme par exemple dans le suivi de patients atteints de maladies chroniques, en alternance avec des consultations traditionnelles en face à face (voir sur ce site le billet "la téléconsultation" dans la rubrique "le pratico-pratique").
Il est donc intéressant que le même débat surgisse au niveau des organismes européens pour les DM.
Comment est défini le DM au niveau de l'Europe et au niveau national ?
La définition officielle d'un Dispositif médical par la Directive européenne 93/42/CEE est la suivante: "tout instrument, appareil, équipement, matière ou autre article, utilisé seul ou en association, y compris le logiciel nécessaire pour le bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins: 1) de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d'atténuation d'une maladie, 2) de diagnostic, de contrôle, de traitement, d'atténuation ou de compensation d'une blessure ou d'un handicap, 3) d'étude ou de remplacement ou modification de l'anatomie ou d'un processus physiologique, 4) de maîtrise de la conception, et dont l'action principale voulue dans ou sur le corps humain n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens"
C'est à peu près la définition reprise dans le Code français de la santé publique à l'article L5211-1: "On entend par dispositif médical tout instrument, appareil, équipement, matière, produit, à l'exception des produits d'origine humaine, ou autre article utilisé seul ou en association, y compris les accessoires et logiciels nécessaires au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins médicales et dont l'action principale voulue n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens. Constitue également un dispositif médical le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé spécifiquement à des fins diagnostiques ou thérapeutiques."
Les dispositifs médicaux qui sont conçus pour être implantés en totalité ou en partie dans le corps humain ou placés dans un orifice naturel, et qui dépendent pour leur bon fonctionnement d'une source d'énergie électrique ou de toute source d'énergie autre que celle qui est générée directement par le corps humain ou la pesanteur, sont dénommés dispositifs médicaux implantables actifs.
Bien que le rapport de l'OCDE ne cible pas particulièrement (ou pas encore) les DM connectés, il nous semble important d'aborder cette question puisque le marché des DM connectés est en pleine progression, rejoint aujourd'hui par celui des objets et applis de santé à finalité médicale non déclarée.
En France, le SMR aux patients par les objets connectés à finalité médicale déclarée (DM) est évalué par la HAS (la Commission nationale d'évaluation des disposititifs médicaux et des technologies en santé ou CNEDiMTS) qui en fait un passage obligé avant que le remboursement soit négocié avec le Comité économique des produits de santé ou CEPS pour l'inscription à la liste des prestations et produits remboursés (LPPR).
Le marquage CE définit les conditions de mise sur le marché du dispositif médical. Ce marquage est apposé sous la responsabilité du fabricant (ou de son mandataire). Le fabricant doit faire la preuve de la conformité de son produit aux exigences de la directive concernée, avant d’apposer le marquage CE sur son produit. Le marquage CE matérialise la conformité du dispositif aux exigences essentielles des directives. La commission de l'OCDE les jugent insuffisantes et parfois trop laxistes, malgré le durcissement apporté par la directive 2007/47/CE12 du 5 septembre 2007, qui modifie les directives 90/385/CEE et 93/42/CEE, et qui s’applique depuis le 20 mars 2010. Parmi les modifications qu’elle a introduites dans la législation, il faut insister sur le renforcement de la nécessité pour le responsable de la mise sur le marché d’apporter des données cliniques.
Ainsi l’essai clinique est la règle pour les implants et dispositifs de classe III, sauf à justifier de pouvoir y déroger. Il s’agit donc d’un renversement de la charge de la preuve, le chapitre clinique devant désormais être systématiquement documenté dans tout dossier de marquage CE d’un DM. L’évaluation clinique du marquage CE vise à justifier la revendication d’utilisation médicale en termes de rapport bénéfice/risque. Il n'est donc pas nécessaire de faire une évaluation clinique pour les trois premières classes (I,IIa et IIb).
L'unité des essais cliniques de l'ANSM est responsable de l'autorisation et du suivi des essais cliniques interventionnels de DM et DMDIV conduits en France. Par suivi des essais, il faut comprendre l'analyse des événements graves survenant au cours des essais cliniques et l'autorisation des modifications (amendements) au cours de l’essai. L'ANSM n'intervient pas directement dans le processus de mise sur le marché du DM.
Il semblerait donc que l'OCDE dénonce ce manque d'évaluation du bénéfice/risque pour les DM relevant de ces trois premières classes, qui leur permet d'obtenir plus facilement une inscription sur la LPPR et ainsi de contribuer à la forte augmentation des dépenses de santé liées aux DM.
Le sujet est d'importance lorsqu'on prend en compte le développement actuel des objets connectés et applis mobiles à finalité médicale non déclarée (choix du fabricant) pour lesquels la HAS a établi un référentiel destiné aux fabricants et aux évaluateurs (voir sur ce site le billet intitulé "Référentiel HAS" dans la rubrique "On en parle"). Ces objets connectés non DM pourraient même faire l'objet, dans un avenir proche, de prescriptions médicales qui seraient remboursées, comme le propose un récent rapport parlemenatire en date du 10 janvier 2017 (http://www2.assemblee-nationale.fr/14/commissions-permanentes/commission-des-affaires-economiques/secretariat/a-la-une/objets-connectes-examen-du-rapport-d-information).
L'idée n'est pas absurde dans la mesure où à partir de mars 2017, tout médecin pourra faire une prescription d'activité physique à ses patients, et, inéluctablement, se posera la question de recommander ou de prescrire une appli mobile d'activité physique qui aiderait le patient dans la réalisation de cette activité. Mais ces applis sont elles prêtes à faire du coaching médical, adapté à la pathologie chronique du patient ? Nous ne le pensons pas car la quasi totalité n'a pas été l'objet d'études cliniques sur les bénéfices/risques, c'est à dire sur le SMR aux patients.
Nous pensons que le développement de ces objets connectés à finalité médicale déclarée ou non déclarée doit être l'objet d'une coopération étroite entre les professionnels de santé et les industriels/start-ups de la santé connectée. Les objets connéctés et applis de santé sont nécessaires aux médecins dans la médecine du XXIème siècle, Les Sociétés savantes médicales sont les partenaires incontournables et incontestés dans ce développement. Les médecins de soin primaire et spécialistes s'appuieront sur leurs recommandations. Toute prescription d'un objet connecté de santé doit s'appuyer sur un SMR aux patients. La réglementation en vigueur n'apporte pas cette garantie, comme vient de le révéler le rapport de l'OCDE.