Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Dans ce deuxième billet consacré à l'exercice professionnel partagé et collectif, nous analysons comment la loi de Modernisation du système de santé promulguée le 26 janvier 2016, dites loi Touraine, du nom de la ministre de la Santé en poste de 2012 à 2017, a complété la démarche initiée par la loi HPST (https://www.telemedaction.org/452925167).
Cette loi prend en compte, entre autres, l'important problème de santé publique que représente désormais la progression des maladies chroniques lie au vieillissement des populations. Sa mesure phare très médiatisée fut le tiers-payant pour tous, les médecins étant désormais payés par l'Assurance maladie. La loi fut écrite autour de 4 piliers :
1) renforcer la prévention et la promotion de la santé (désigner un médecin traitant pour les enfants jusqu'à 16 ans, déployer un parcours éducatif en santé de la maternelle au lycée, lutter contre les phénomènes d'alcoolisation massive chez les jeunes, lutter contre le tabagisme, expérimenter les salles de consommation à moindre risque pour les usagers de la drogue, faire figurer un logo nutritionnel sur les emballages des produits alimentaires),
2) faciliter au quotidien les parcours de santé (améliorer le dépistage des maladies transmissibles, développer les parcours de santé, garantir une offre de soins sur tout le territoire pour les personnes souffrant de troubles psychiques, créer un numéro d'appel national pour joindre un médecin de garde, relancer le DMP, lutter contre les refus de soins, faciliter l'accès aux lunettes, aux prothèses auditives et aux soins dentaires),
3) innover pour garantir la pérennité de notre système de santé (renforcer la coopération entre les hôpitaux publics avec la création des groupements hospitaliers de territoire (GHT), préparer les métiers de demain en élargissant la compétence de certaines professions de santé, élargir l'accès aux données de santé des professionnels de santé impliqués dans un parcours de santé, créer un droit à l'oubli pour les anciens malades),
4) renforcer l'efficacité des politiques publiques et la démocratie sanitaire (déployer le service public d'information en santé, garantir plus de transparence entre les autorités sanitaires et les professionnels de santé et les industries de la santé, renforcer l'organisation et l'efficacité du système d'agences sanitaires).
Les principales avancées de la loi de Modernisation du Système de Santé pour un exercice professionnel partagé et collectif ?
Cette loi (https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000029589477/) crée un esprit de coopération pluriprofessionnelle, en remplaçant le secret "médical" par le secret "professionnel" auquel est désormais tenu tout professionnel intervenant dans le système de santé. (art.L.1110-4 du CSP). Lorsque ces professionnels appartiennent à la même équipe de soins, au sens de l'article L. 1110-12, ils peuvent partager les informations concernant une même personne qui sont strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social. Ces informations sont réputées confiées par la personne à l'ensemble de l'équipe. Une telle évolution était nécessaire pour développer les soins collectifs chez les patients atteints de maladies chroniques, dont certaines font intervenir plusieurs professionnels de santé avec leur rôle propre. Cette avancée législative permet une médecine intégrative et collective.
La loi conforte la médecine de proximité sur tout le territoire grâce aux équipes de soins primaires et elle s'engage à lutter contre les déserts médicaux en soutenant les initiatives des professionnels de santé libéraux dans la mise en place d’équipes de soins primaires (ESP), organisées autour des médecins généralistes de premier recours, en permettant la constitution de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), regroupant des médecins généralistes et spécialistes, des auxiliaires médicaux, des acteurs médico-sociaux et sociaux autour d’un projet de santé territorialisé.
Ces coordinations renforcées entre professionnels visent à améliorer, au premier chef, le parcours de santé des patients atteints de maladies chroniques, des personnes en situation de précarité sociale, de handicap et de perte d’autonomie.
Ces organisations collectives visent ainsi à mieux structurer les soins de proximité, à encourager, reconnaitre et valoriser les initiatives des acteurs de terrain, et pour finir adapter l’organisation de notre système de santé au plus près des territoires en tenant compte de leurs spécificités. Ces dispositifs renforcent également la couverture des territoires pour améliorer l'accès aux soins des personnes vivant en zones sous-denses.
Dans le même esprit, la loi oblige désormais le millier d'hôpitaux publics à se regrouper en "groupements hospitaliers de territoires" (138 GHT à ce jour) afin d'obtenir une meilleure coordination des parcours de santé au sein d'un territoire de santé à travers l'élaboration d'un projet médical partagé de territoire (PMT).
Ce PMT doit favoriser l’émergence de filières de soins territorialisées et organiser la gradation de l’offre de soins, dans une approche orientée "patient" afin de garantir une égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité. Le PMT crée nécessairement un exercice professionnel partagé et collectif pour tous les professionnels de santé salariés des établissements du GHT.
Une telle organisation innovante doit permet d’offrir les meilleurs soins, au meilleur moment et au meilleur endroit pour les patients de chaque GHT. Pour cela, les établissements doivent organiser ensemble une gradation des soins hospitaliers dans tous les territoires, pour tous les niveaux de soins. Cet impératif de gradation requiert une coordination entre hôpitaux de différentes natures et de différents niveaux de recours, qui est décrite dans le projet médical du GHT.
Pour réussir ce rassemblement d'hôpitaux publics en GHT, la loi précise la nécessite que les systèmes d'informations des établissements soient convergents, interopérables entre eux et sécurisés, tant pour le dossier patient informatisé que pour l'organisation commune de la biologie, de l'imagerie et de la pharmacie. Comme nous le verrons dans le troisième billet, c'est la loi OTSS qui permit de réaliser en 3 ans la transformation numérique du système de santé, permettant aux GHT de fonctionner en toute interopérabilité de leurs systèmes d'information. Cette transformation numérique est financée par l'Etat dans l'enveloppe accordée par le Ségur de la santé.(https://www.telemedaction.org/449536030)
C'est probablement l'évolution vers les pratiques avancées pour les auxiliaires médicaux qui marquera le plus cette loi pour les professionnels de santé. C'est la concrétisation en France des déclarations de la Sorbonne (1998) et de Bologne (1999), signées par plusieurs pays européens pour promouvoir et uniformiser l'enseignement supérieur dans l'espace européen. Notre pays avait pris du retard pour les professions de santé paramédicales par rapport à d'autres pays européens, en particulier du nord de l'Europe.
L'article L.4301-1 du CSP précise que les auxiliaires médicaux peuvent exercer en pratique avancée au sein d'une équipe de soins primaires coordonnée par le médecin traitant ou au sein d'une équipe de soins en établissements de santé ou en établissements médico-sociaux coordonnée par un médecin ou, enfin, en assistance d'un médecin spécialiste, hors soins primaires, en pratique ambulatoire. Contestée au départ par les organismes représentatifs des médecins libéraux, cette évolution législative a mis du temps à obtenir ses décrets d'application en Conseil d'Etat, lesquels précisent les domaines d'application des pratiques avancées.
Le premier décret, encore unique à ce jour, concerne les infirmiers et infirmières en pratiques avancées (IPA). Il fut publié le 18 juillet 2018, soit deux ans et demi après la promulgation de la loi de modernisation du système de santé. (https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=3m3Uc5wFauIOOfWXk79HNRGRoI0iXVWc-jhvPSDD-ZM=)
Le décret instaure un diplôme d'infirmier en pratique avancée (IPA) qui est un diplôme d'Etat délivré par l'université et reconnu au grade master. Ce diplôme permet à son titulaire l'exercice infirmier en pratique avancée tel que défini par les articles R. 4301-1 à D. 4301-8 du CSP.
Le rapport Igas publié en janvier 2022 sur les nouveaux partages de compétence entre professionnels de santé (https://www.igas.gouv.fr/spip.php?article842) préconise de différencier deux types de pratiques avancées : celle des infirmiers en pratique avancée « spécialisés » et celle des infirmiers en pratique avancée « praticiens », les premiers exerçant surtout dans les établissements de santé où se trouvent les 2/3 des médecins spécialistes.
Pour les auteurs du rapport, la création d'IPA praticiens permettrait l'intervention de ces professionnels de santé en soins primaires et en population générale sur des pathologies courantes et bénignes pour améliorer l'offre de soins dans les territoires en libérant du temps médical. Les auteurs du rapport reprennent à leur compte le modèle anglo-saxon des "nurse practitioners" qui a permis aux Etats-Unis et à l'Australie, entre autres, d'améliorer l'accès aux soins primaires dans les zones en sous-densité médicale.(https://www.telemedaction.org/452164786)
Pour les IPA "praticiens" en activité libérale, l'avenant 9 à la convention nationale des infirmiers libéraux, signé par les partenaires conventionnels le 27 juillet 2022, dont l'arrêté de mise en oeuvre sera publié fin septembre-début octobre 2022, propose une évolution significative de la rémunération des IPA dans le but d'accentuer le déploiement de cette nouvelle profession en ville et de contribuer à l'amélioration de l'offre de soins sur les territoires, en particulier dans le champ de la prévention et du suivi des maladies chroniques. Les IPA sont autorisés à utiliser le télésoin lorsque son usage est pertinent et à requérir une téléexpertise auprès d'un professionnel médical (https://www.telemedaction.org/449707641).
Les organisations représentatives de la profession infirmière soulignent cependant qu'il existe encore un long chemin à parcourir pour que les IPA aient la juste reconnaissance de leur nouvelle compétence dans le système de santé ambulatoire. A ce jour, le nombre total d'IPA libéraux en France serait de 117, dont seulement 47 auraient un exercice professionnel exclusif. (https://toute-la.veille-acteurs-sante.fr/196150/signature-de-lavenant-9-a-la-convention-nationale-des-infirmiers-liberaux-valorisation-de-lactivite-des-ipa-communique/)
Pour les IPA "spécialisés" en activité salariée au sein d'établissements de santé, leur nombre en juillet 2022 serait d'environ 1500, (au total il y aurait en 2022 en France 1700 IPA titulaires du diplôme d'Etat, nous sommes encore loin des 5000 postes souhaités par le ministère de la Santé) (https://www.telemedaction.org/443339538). Comme le précise la loi, les IPA salariés sont intégrés à une équipe de soins en établissements de santé ou en établissements médico-sociaux, coordonnée par un médecin.
L'avantage pour les IPA salariés est d'exercer en collaboration étroite avec les médecins spécialistes hospitaliers, ce qui favorise le partage des compétences, comme le recommande le rapport Igas de janvier 2022. A l'hôpital public, l'organisation des soins relève de protocoles de soins établis au sein des pôles ou des services, validés par les instances professionnelles (CME, CSIRMT) et administratives (Directoire). Cette souplesse dans l'innovation organisationnelle des professionnels de santé au sein de l'hôpital public (axe 2 de la Stratégie nationale de santé 2020) favorise le développement de la télésanté par les IPA, en particulier au sein des GHT.
En résumé, cette grande loi de santé, publiée quelques mois avant la fin du quinquennat 2012-2017, est trop méconnue. Elle apporte indiscutablement une nouvelle organisation du système de santé, construite sur un exercice professionnel collectif et partagé de la médecine et des soins, tant en ville qu'à l'hôpital. L'élargissement du secret professionnel favorise la coopération pluriprofessionnelle dans les parcours de santé des patients atteints de maladies chroniques, avec les équipes de soins primaires, les CPTS, les GHT et l'ouverture vers des pratiques avancées pour les auxiliaires médicaux.
La plupart des avancées de cette loi n'ont pas eu le temps d'être connues et appliquées par leurs auteurs. La loi OTSS (Ma santé 2022) du nouveau quinquennat (2017-2022) les reprendra à son compte, démontrant ainsi la volonté du législateur de continuer la refondation de notre système de santé.
10 août 2023
Le troisième et dernier billet consacré aux lois de santé des trois derniers quinquennats traite de la loi OTSS.