Ce que nous a appris le webinaire consacré aux applications de la télémédecine à l'Outre-Mer.


Les problèmes d'accès aux soins dans les départements et territoires d'Outre-mer peuvent être résolus par des organisations professionnelles innovantes, comme celles que nous présentons dans ce webinaire : la télé-ophtalmologie à Mayotte et la télé-dialyse/télé-néphrologie  à Saint Pierre et Miquelon.

Le service rendu aux patients par ces organisations innovantes permises par la télémédecine sont indiscutables après plusieurs années de fonctionnement (3 ans pour la télé-ophtalmologie, 12 ans pour la télé-dialyse).

L'intérêt de ce webinaire est de montrer les facteurs de réussite, mais aussi l'insuffisante reconnaissance par les autorités sanitaires et assurantielles françaises de ces réussites.

Le replay sur You Tube est accessible par le lien suivant : https://we.tl/t-g69SPXqb38


LA TÉLÉ-OPHTALMOLOGIE A MAYOTTE (présentation par le Dr Jean Bernard Rottier).


Quel besoin médical auquel le projet initial a voulu répondre via la Santé numérique et la télésanté ?

Le territoire de Mayotte souffre d’une pénurie générale de professionnels de santé. Concernant l'ophtalmologie il n'existe aucun ophtalmologiste temps plein pour une population de 450000 habitants.


Quelle organisation professionnelle a été mise en place ?

En l’absence d’orthoptiste, des infirmières ont été recrutées à Mayotte. Une formation théorique a été dispensée au Mans dans ma structure libérale et parallèlement elles ont appris à manipuler les appareils d’ophtalmologie.
A Mayotte, elles reçoivent tous les patients qui les sollicitent, réalisent les examens, puis nous appellent pour la prise en charge.


Quel est le fonctionnement actuel ?

Actuellement les dossiers simples qui concernent le renouvèlement de corrections optiques sont gérés en téléexpertise, donc en différé.

Pour les patients présentant des pathologies visuelles, l’infirmière sollicite le médecin pour connaitre la conduite à tenir.

Une Visio est rarement organisée car elle consomme du temps ophtalmo, elle n’est pas nécessaire pour construire le diagnostic,  mais reste indispensable pour expliquer aux patients son futur parcours de soins.
Il y a un groupe de 6 ophtalmos lecteurs, un par jour de la semaine et un qui est plutôt dédié aux télé expertises asynchrones. Les ophtalmos sont salariés de l’association Unono wa matso à hauteur de 26 heures par mois.


Quelles sont les compétences professionnelles mobilisées ?

L'infirmière possède déjà des compétences professionnelles et relationnelles de très bonne qualité. En complément, la maitrise de l’outil informatique devient une compétence de base indispensable.
Au-delà de ce socle, elle doit devenir à l’aise avec le maniement des divers appareils utilisés en ophtalmologie.

De notre expérience c’est la conduite de l’interrogatoire qui requiert le plus de temps d’apprentissage.

Enfin il fui faut du courage et de l’audace pour faire face à l’appréhension de l’autonomie totale à 8500 km de son ophtalmologiste.


Quelles sont les difficultés rencontrées ?  Ou, au contraire, quels ont été les éléments de réussite du projet initial ?

Le plus gros problème reste les périodes avec l’absence complète d’ophtalmo sur l’ile, interdisant toute expertise présentielle. Mais nous sommes partis de zéro et tout ne peut pas fonctionner d’un seul coup en peu de temps.
Les éléments favorables sont tout d’abord la très forte implication personnelle du DGA de l’ARS Mayotte (Patrick Boutié) et ensuite mon expérience (Dr Jean Bernard Rottier) des Postes Avancés d’Ophtalmologie (PAO) dans la Sarthe et enfin le fait que la gestion de l’association unono wa matso  (Dr Barbe , M. Alain Foret et Dr JB Rottier)  qui reçoit les budgets de l'ARS Mayotte  soit  bénévole et totalement désintéressée.


Comment est financée l’expérience : droit commun SS ?  Hors droit commun SS ?

Le financement est 100% dépendant de l’ARS de Mayotte. La CSSM (Caisse de Sécurité Sociale de MLayotte) refusant toute entorse aux règles de facturation, la prise en charge des patients ne lui coute rien. Suivant les règles en vigueur la cotation des examens complémentaires n’est possible qu’avec le médecin sur place. Ces examens sont réalisés, interprétés, utilisés pour la prise en charge du patient, mais non cotés. La CNAM nous semble indifférente aux Territoires Ultra Désertiques tels que Mayotte qui mériteraient, pour être attractifs, une réglementation adaptée.


LA TÉLÉ-DIALYSE ET LA TÉLÉ-NÉPHROLOGIE A SAINT PIERRE ET MIQUELON (présentation par le Dr François Babinet).


Quel besoin médical auquel le projet initial a voulu répondre via la Santé numérique et la télésanté ?

La Collectivité Territoriale de Saint Pierre et Miquelon (SPM) est particulière par son éloignement de la métropole (4500 km) mais surtout son isolement avec deux liaisons aériennes hebdomadaires indirectes (via Montréal).

L’offre médicale hospitalière associe des médecins permanents et des missions de spécialistes pour une ou deux semaines réparties tout au long de l’année. C’est le cas pour la néphrologie depuis l’année 2000 avec deux missions semestrielles d’une semaine.


Quelle organisation professionnelle a été mise en place ?

L’unité d’hémodialyse est une UDM (Unité de Dialyse Médicalisée) selon les décrets de 2002 (patients stables, IDE formées à la dialyse, pas de présence physique d’un néphrologue au cours des séances).

Les IDE recrutées par la Direction du Centre Hospitalier de SPM ont toujours une expérience antérieure de dialyse le plus souvent en Outremer. Une possibilité de formation annuelle dans les sites de l'E.C.H.O. (Expansion des Centes d'Hémodialyse de l'Ouest) en métropole est inscrite dans la convention qui lie nos deux établissements.


Quel est le fonctionnement actuel ?

5 patients sont actuellement dialysés sur l’Archipel avec 3 séances d’hémodialyse hebdomadaire les Lu, Me et Ve matin (décalage horaire 4h).

La connexion « télé-dialyse » associe une visioconférence active entre nos 2 sites (SPM et Pôle Santé Sud du Mans) et la télétransmission de toutes les données enregistrées par le générateur d’hémodialyse sur un second écran, données intégrées dans notre DPI (dossier Patient Informatisé) pendant la durée de la séance.


Quelles sont les compétences professionnelles mobilisées ?

2 infirmières assurent à tour de rôle les séances d’hémodialyse. Elles participent au suivi des patients connus pour une insuffisance rénale et vus lors des missions semestrielles. Elles assistent aux consultations.

Sur les aspects techniques de la dialyse (choix du matériel et du consommable, traitement d’eau et son suivi) une forte collaboration entre nos deux établissements existe depuis 2013.


Quelles sont les difficultés rencontrées ?  Ou au contraire quels ont été les éléments de réussite du projet initial ?

Les difficultés techniques de connexion sont exceptionnelles. Des décisions dérogatoires par rapport au statut UDM sont prises pour certains patients dont l’évolution médicale nécessiterait le transfert dans une structure avec présence médicale permanente.

Une relation de confiance très forte s’est établie entre tous les professionnels concernés soignants mais aussi administratifs.

2 missions de téléconsultations ont pu être réalisées pendant la pandémie de la COVID-19 grâce aux liens tissés dans les dix années précédentes.


Comment est financée l’expérience : droit commun SS ?  Hors droit commun SS ?

Dans le cadre d’une convention, le CH François Dunan verse à l’ECHO un forfait annuel qui couvre la maintenance de la double liaison informatique (visio et données techniques) et la disponibilité néphrologique d’un praticien ou ses remplaçants.


COMMENTAIRES. Une parfaite démonstration du service médical rendu (SMR) à des patients isolés dans une île ou un Archipel où l'accès à des soins spécialisés ne serait pas possible sans les organisations innovantes de télémédecine. Pourquoi sommes-nous toujours dans des autorisations "dérogatoires" par rapport à la réglementation en vigueur en métropole ? Pourquoi ces modèles organisationnels ne bénéficient-ils pas d'un financement dans le droit commun alors qu'ils le sont en métropole ? Ces modèles organisationnels ont fait la preuve depuis déjà plusieurs années (3 ans pour la télé-ophtalmologie à Mayotte et 12 ans pour la télé-dialyse/télé-néphologie à Saint Pierre et Miquelon) de leur efficacité, de leur sécurité et du service rendu aux populations. Ces modèles organisationnels sont "réplicables" dans d'autres régions de l'Outre-mer. Ils pourraient faire bénéficier les quelque 2,2 millions de Français qui vivent dans les départements et territoires d'Outre-mer d'un meilleur accès aux soins spécialisés.

Ces modèles et leurs résultats sont-ils connus des autorités politiques françaises "décisionnaires" pour que le cadre "dérogatoire" devienne un cadre "propre" aux régions françaises d'Outre-mer, comme c'est le cas dans d'autres domaines ? Le Think Tank Santé Numérique et Télésanté a l'intention de les faire connaître aux pouvoirs publics, en particulier à la nouvelle ministre de la Santé.


10 octobre 2024