Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
S'il existe des patients qui sont très attachés à voir régulièrement en consultation présentielle un médecin spécialiste, ce sont bien les patients qui ont bénéficié d'une transplantation d'organe. Ils sont très attachés à revoir régulièrement l'équipe médicale qui leur a donné une deuxième vie. La file active de patients greffés ne cesse de progresser et les médecins transplanteurs sont amenés aujourd'hui à réfléchir à de nouvelles organisations de suivi.
Il est donc intéressant de savoir si cette population de patients, toujours animée d'une crainte de perdre le greffon, accepte d'être télésuivie au domicile au lieu de se déplacer au centre universitaire de transplantation pour y rencontrer en face à face le médecin transplanteur.
Des enquêtes de satisfaction chez des patients greffés du rein et du foie
Satisfaction des patients qui ont reçu une greffe rénale
Il est aujourd’hui possible, grâce à un score construit avec 8 critères cliniques et biologiques, de reconnaître dès la première année de greffe les patients qui ont un risque de perdre leur greffon dans les 8 années qui suivent la transplantation. Lorsque le score est supérieur à 4,17, 93% des patients ont encore leur greffon à 8 ans, alors que pour un score inférieur, 70% seulement des patients ont conservé leur greffon à la 8ème année de greffe.
C'est ce qui permet aux médecins transplanteurs d'envisager une autre organisation du suivi en utilisant la télémédecine. Quelques centres de transplantation français et européens ont commencé à se tourner vers les solutions de télémédecine pour alléger la surveillance des patients à bas risque de rejet ou au contraire l’intensifier chez ceux qui ont un haut risque de perte du greffon.
L’étude Transplantélic, lancée en Lorraine, est en place depuis plusieurs années et donne des résultats encourageants qui devraient être confirmés par l'étude eNephro conduite par la même équipe, dont les résultats seront connus au cours de l'année 2020.
Kessler M, Erpelding ML, Empereur F, Rose C. Transplantelic : an application of telemedicine in kidney transplantation. European Research in Telemedicine / La Recherche Européenne en Télémédecine,Volume 2, Issue 1,March 2013,Pages 5-10
Thilly N, Chanliau J, Frimat L, Combe C, Merville P, Chauveau P, Bataille P, Azar R, Laplaud D, Noël C, Kessler M. Cost-effectiveness of home telemonitoring in chronic kidney disease patients at different stages by a pragmatic randomized controlled trial (eNephro): rationale and study design. BMC Nephrol. 2017 Apr 5;18(1):126. doi: 10.1186/s12882-017-0529-2.
Trois centres universitaires français de greffe rénale (Nantes, Paris, Lyon) ont lancé en 2010 l’étude Télégraft qui vise à vérifier si l’usage des téléconsultations au domicile est utile, d’une part pour alléger la surveillance médicale chez les patients à bas risque de rejet, d’autre part pour l’intensifier chez les patients à haut risque de perte du greffon.
Une remarquable thèse de médecine, réalisée dans le cadre de cette étude, montre que les patients transplantés rénaux préfèrent le suivi par téléconsultation au domicile plutôt que de se rendre au centre de transplantation. L'étude contrôlée et randomisée de Télégraft n'est pas parvenue en dix ans à réunir les 700 patients prévus initialement. Les résultats seront analysés avec seulement 300 patients. Ces résultats seront connus dans le courant de l'année 2020.
Houdard-Brunet S. Le suivi des patients greffés rénaux par télémédecine : étude de leurs préférences individuelles par la méthode des choix discrets [thèse]. Nantes : université de Nantes ; 2014. file:///C:/Users/pierr/Downloads/houdardMED14.pdf
L’étude allemande KTx360° est une étude multicentrique visant à analyser la qualité de prise en charge des patients ayant bénéficié d’une transplantation rénale. Les auteurs rappellent qu’une perte du greffon survient chez 8% des patients dans les trois premières années qui suivent la transplantation. Un tiers de ces pertes seraient dues à la non-compliance au traitement antirejet, en particulier chez les adolescents.
Cette étude vise à préciser un parcours de soins des patients greffés qui intégrerait les centres de transplantations, les néphrologues des centres périphériques, notamment les néphrologues pédiatres et les autres professionnels de santé qui sont amenés à suivre ces patients. KTx360° est à la fois une étude observationnelle et prospective qui compare les patients greffés entre 2010 et 2016 (963 patients dont 83 enfants) à une cohorte de patients greffés après mai 2017. 448 patients dont 38 enfants sont inclus dans cette partie prospective de l’étude. La téléconsultation et la téléexpertise sont utilisées par les néphrologues dans leur relation avec les patients et le centre de transplantation. Les modifications des traitements qui interviennent dans le suivi des patients sont particulièrement analysées.
Les auteurs de l’étude émettent l’hypothèse que grâce à une amélioration des relations entre les néphrologues, les centres de transplantation et les patients, il y aura une amélioration de la survie des greffons et de la qualité de vie, ainsi qu’une réduction des hospitalisations et des comorbidités, entrainant ainsi une diminution d’au moins 20% des coûts de santé liés à la greffe rénale par comparaison avec la période précédente (2010-2016). Les résultats de l’étude sont attendus en 2021.
Pape L, de Zwaan M, Tegtbur U, Feldhaus F, Wolff JK, Schiffer L, Lerch C, Hellrung N, Kliem V, Lonnemann G, Nolting HD, Schiffer M. The KTx360°-study: a multicenter, multisectoral, multimodal, telemedicine-based follow-up care model to improve care and reduce health-care costs after kidney transplantation in children and adults. BMC Health Serv Res. 2017 Aug 23;17(1):587. doi: 10.1186/s12913-017-2545-0
Satisfaction des patients qui ont reçu une greffe hépatique
Une équipe de médecins transplanteurs de l'Université de Californie à Los Angeles fait le constat, d'une part de la concentration dans les centres experts des médecins spécialistes de la transplantation hépatique, d'autre part une file active de patients greffés du foie qui ne cesse d'augmenter. Le but de l'étude était de savoir si une surveillance à distance des patients greffés du foie donnait une entière satisfaction aux patients.
Le LB, Rahal HK, Viramontes MR, Meneses KG, Dong TS, Saab S. Patient Satisfaction and Healthcare Utilization Using Telemedicine in Liver Transplant Recipients. Dig Dis Sci. 2019 May;64(5):1150-1157. doi: 10.1007/s10620-018-5397-5. Epub 2018 Dec 5.
Trois questionnaires patients étaient utilisés : un questionnaire portant sur la satisfaction globale, un questionnaire sur le moyen de télémédecine utilisé (la téléconsultation) et un questionnaire sur le vécu de leur santé. 21 patients suivis par télémédecine étaient appariés à des patients suivis de façon classique à la clinique de transplantation. L'âge moyen (MD) était respectivement de 51 ans (5,62 ans) et de 52 ans (6,12 ans) pour le groupe suivi par télémédecine et le groupe témoin.
La satisfaction générale des patients était semblable dans les deux groupes (p=0,89). Bien que les patients suivis par télémédecine étaient aussi satisfaits de la communication et de la relation interpersonnelle que les patients suivis à la clinique, il y avait beaucoup moins de trajets dans le groupe télémédecine (p<0,0001) et d'attente de la disponibilité du médecin (p<0.0001). Étant donné la facilité d'utiliser la télémédecine (téléconsultation) sans que l'interaction patient-médecin soit altérée, 90 % (19/21) des patients suivis par télémédecine ont choisi d'utiliser ce nouveau service à la fin de l'étude.
La conclusion des auteurs californiens était que la télémédecine était la fois une solution alternative au suivi à la clinique de transplantation avec des coûts moindres sans que la précieuse relation patient-médecin soit compromise. Ainsi la télémédecine est considérée chez les receveurs de greffes de foie comme ayant le potentiel d'améliorer la gestion des flux de patients à la clinique de transplantation, de réduire les temps d'attente du médecin transplanteur et de réduire les coûts globaux de prise en charge.
C'est la même démarche qui a inspiré les médecins transplanteurs du CHU de Tours. Dans la grande région Centre, la distance entre le CHU de Tours et le CH de Bourges est de 165 km, soit deux heures de voiture pour se rendre au CHU. Une étude "Preuve du Concept" a été mise en place en 2018 avec l'aide financière de l'ARS Centre-Pays de Loire. Les patients greffés habitant la région de Bourges se rendent, s'ils sont consentants à la télémédecine, au CH de Bourges pour avoir une téléconsultation avec un médecin transplanteur du CHU de Tours. Fait intéressant de cette expérimentation, une infirmière IPA du CH de Bourges, formée à la transplantation hépatique, assiste les patients au moment de la téléconsultation.
Les premiers résultats ont été présentés au Club de Transplantation à Avignon le 31 janvier 2020. Ils sont très prometteurs pour devenir prochainement une solution pérenne avec un modèle économique stabilisée (financement de la téléconsultation et de l'assistance de l'infirmière par le droit commun de la SS). La satisfaction des patients qui avaient accepté d'entrer dans l'étude était grande et peu de patients de cette région ont demandé à continuer leur suivi au CHU de Tours.
Salamé E, Lepagnot D, Goujon I. An innovative teleconsultation project in liver transplantation]. Rev Infirm. 2018 Jan;67(237):33-35. doi: 10.1016/j.revinf.2017.11.017. French
Une relation patient-soignant qui ne semble pas être altérée par les pratiques de télémédecine chez les patients greffés.
Que ce soit avec la télémédecine, et bientôt avec le télésoin, les patients atteints de maladies chroniques découvrent un autre mode de relation avec leurs soignants lorsqu'ils doivent se plier à une surveillance plus ou moins rapprochée de leur maladie chronique. La greffe d'organe, avec son risque de rejet et la nécessité de suivre étroitement la dose des médicaments antirejets et de dépister précocement les premiers signes d'un rejet subaiguë ou chronique, est une maladie chronique particulière car la relation de ces patients avec leur médecin transplanteur est très forte.
L'adhésion à cette méthode de suivi à distance est difficile pour eux et l'organisation médicale et soignante doit leur garantir une qualité de prise en charge qui ne soit pas inférieure au suivi présentiel auquel ils sont très attachés. C'est le but des études contrôlées et randomisées qui commencent à apparaître dans la littérature scientifique.
Le financement pérenne de cette nouvelle organisation est aujourd'hui étudié dans le programme ETAPES (voir le billet intitulé "Programme ETAPES" dans la rubrique "On en parle"). Les patients qui ont bénéficié d'une greffe rénale sont éligibles au programme ETAPES. Peu d'équipes de transplantation ont inclus des patients dans ce programme. L'explication pourrait être que le programme est parfois trop limité à l'usage d'une solution technologique de télésurveillance. Il aurait été nécessaire d'inclure dans le protocole ETAPES l'acte de téléconsultation par video qui permet au patient de voir "son" médecin transplanteur.
Il faut prendre en compte cette relation très forte du patient greffé avec le médecin qui lui a donné une deuxième vie. On a encore beaucoup de choses à étudier et à apprendre des patients dans les solutions organisationnelles de télémédecine afin qu'elles répondent à leurs attentes. La télésurveillance des maladies chroniques doit devenir de plus en plus personnalisée.
3 février 2020