Etat des lieux des pratiques de téléexpertise en France en 2024.


Le prochain webinaire organisé par le Think Tank Santé Numérique et Télésanté traitera des pratiques de téléexpertise pour améliorer les filières de soins au sein des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ainsi que les relations entre la médecine de ville et l'hôpital. Il se tiendra le jeudi 20 juin, à 19h30.

La participation est libre à partir du lien zoom suivant : https://us02web.zoom.us/j/81520696608?pwd=ZEw3NTArRVp0ZjhTbExGL0hURXlYdz09

Nous présentons ici un état des lieux des pratiques de téléexpertise en France en 2024, en particulier à l'attention des participants au prochain webinaire.


Une pratique de la télémédecine qui a eu du mal à décoller.


La définition de la téléexpertise dans le Code de la santé publique (CSP) à l’article R.6316-1 mérite d’être rappelée :  la téléexpertise a pour objet de permettre à un professionnel de santé de solliciter à distance l'avis d'un ou de plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations de santé liées à la prise en charge d'un patient.

Cette pratique est la reconnaissance au 21ème siècle que tout professionnel de santé, qu’il soit médecin, pharmacien ou auxiliaire médical, peut avoir besoin de l’avis d’un professionnel médical plus spécialisé ou hyperspécialisé dans un domaine précis de la médecine.

Le numérique en santé permet de recueillir un tel avis d'expert à distance sans être obligé de demander au patient de prendre un rendez-vous avec ce spécialiste, comme cela se faisait au 20ème siècle.

Requérir un tiers compétent lorsque cela est nécessaire est une obligation déontologique pour les médecins (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006912895).

Depuis le décret relatif à la télésanté du 3 juin 2021 (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043596730), tout professionnel de santé peut requérir un avis d’expert auprès d’un professionnel médical.


Le financement de la téléexpertise dans le droit commun de la sécurité sociale depuis 2019.

Financée dans le droit commun de la Sécurité sociale depuis le 11 février 2019, elle fut en fait très peu pratiquée dans le secteur libéral en 2019 (moins de 1000 téléexpertises remboursées par l'Assurance maladie obligatoire (AMO) (https://telemedaction.org/422016875/443565029), mais elle fut davantage pratiquée pendant la période d'urgence sanitaire liée à la pandémie, à l'initiative des établissements de santé (https://telemedaction.org/423570493/447769818).


Les réticences à son usage dans le secteur libéral étaient multiples (https://telemedaction.org/432098221/446370112) : une habitude depuis des décennies du médecin généraliste de réaliser sa propre « téléexpertise » par téléphone avec les spécialistes correspondants qu'il avait choisis, toutefois sans que ce moment d’échange avec un autre professionnel médical spécialiste fût connu du patient, et surtout sans que le compte-rendu de cet échange téléphonique soit tracé dans le dossier informatisé du patient (DPI). L’AMO ne rétribuait pas ce temps de travail au téléphone parfois important, malgré la demande des représentants de la profession. Le temps consacré par le médecin généraliste traitant avec un médecin spécialiste correspondant a été estimé en 1 et 2h par semaine.

Près de 60 millions d’appels téléphoniques ou d'échanges par WhatsApp ont été recensés chaque année dans le secteur libéral (https://telemedaction.org/445927157/449127536)  par le médecin traitant généraliste "requérant" vers un médecin correspondant spécialiste dit "requis". Ces appels respectaient rarement le droit des patients à l’information préalable vis à vis de cette démarche qui les concernait et à leur consentement. De même, l’obligation réglementaire de tracer dans le dossier professionnel le compte rendu de l’échange téléphonique avec l’avis donné par l’expert était rarement respecté (https://telemedaction.org/437100423/449190966).

Les médecins généralistes et spécialistes libéraux estimaient que le modèle économique qui leur était proposé par l’AMO depuis février 2019 était insuffisamment attractif (par rapport à une consultation spécialisée en présentiel). Enfin, ils estimaient que des solutions numériques agiles faisaient défaut en 2019. Ce n’est plus le cas en 2024 après la transformation numérique réussie de notre système de santé, laquelle permet désormais l’interopérabilité de toute solution numérique avec les logiciels métiers des professionnels et des établissements de santé (https://www.houdart.org/linteroperabilite-condition-pour-beneficier-des-2-milliards-deuros/).


Une jurisprudence de juillet 2010 a clarifié les responsabilités engagées par le requérant et le requis lors d'une téléexpertise.

Une jurisprudence administrative a précisé en 2010 que l’expert requis, en exercice libéral ou salarié d’un établissement, a la responsabilité pleine et entière de l’avis qu'il donne au médecin requérant. Ainsi, en cas de préjudice porté à un patient qui aurait un lien direct avec une téléexpertise, les professionnels médicaux requérant et requis doivent apporter la preuve qu’ils ont bien respecté, d'une part les droits des patients, d'autre part l’obligation réglementaire de tracer dans un dossier médical le contenu et les conclusions de la téléexpertise (Téléexpertise et responsabilité professionnelle. https://www.weka.fr/sante/dossier-pratique/maitrise-des-risques-et-de-la-qualite-dt86/teleexpertise-et-responsabilite-des-professionnels-de-sante-14094/#:~:text=Il%20existe%20une%20jurisprudence%20sur,les%20donn%C3%A9es%20qui%20lui%20manquent.).


Un envol de la téléexpertise depuis avril 2022.


Un nouvel avenant à la convention médicale nationale après la pandémie.

La pratique en secteur libéral de la téléexpertise, telle que définie dans les avenants 6 et 7 de la convention nationale médicale, a été peu pratiquée pendant la pandémie, en particulier en 2020 (moins de 10 000 remboursements d’avis d’experts).

L’avenant 9 de la convention nationale médicale, signée entre les partenaires sociaux et l’AMO en septembre 2021 (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044097701), entrée en vigueur le 1er avril 2022,  donne une nouvelle impulsion à la téléexpertise, d’une part sur le plan de la rétribution financière (20 euros pour le médecin expert et 10 euros pour le requérant), d’autre part, en étendant sa pratique à tout patient dans la limite de 4 téléexpertises par an, par patient et par expert concerné. Depuis l’avenant 9, on observe un envol des téléexpertises grâce à l’implication de plus en plus forte des établissements de santé qui veulent améliorer les liens entre la médecine de ville et l'hôpital.


Un assouplissement du cadre réglementaire et une révision du mode de financement dans l'avenant 9.

Les conditions d’éligibilité des patients à la téléexpertise sont supprimées (https://telemedaction.org/432098221/446370112) : les professionnels peuvent désormais solliciter des téléexpertises pour tous les patients.

La téléexpertise s’ouvre à l’ensemble des professionnels de santé : tous les professionnels de santé peuvent désormais solliciter un avis auprès d’un médecin (https://telemedaction.org/437100423/449726934). Depuis le mois de septembre 2022, les sage-femmes (qui pouvaient déjà solliciter des avis depuis avril 2022) peuvent donner des avis médicaux et être rémunérées pour cela. Certains auxiliaires médicaux sont désormais rémunérés pour leurs demandes d'expertise : les orthophonistes (depuis mai 2022), les infirmiers (depuis fin mars 2023), les kinésithérapeutes et les pédicures-podologues (depuis avril 2024).

Les lettres-clefs à saisir pour coter une téléexpertise ont été précisées : les demandes de téléexpertise sollicitées par les professionnels de santé requérants doivent être facturées avec la lettre-clef RQD (rémunération à l’acte). Les avis rendus par des professionnels médicaux dans le cadre d’une téléexpertise sont facturés avec la lettre-clef TE2 (rémunération à l’acte). La rémunération forfaitaire a été supprimée.

Le type de cotation dépend du statut du professionnel de santé.

  • Les professionnels de santé ayant une activité totalement libérale cotent un acte RQD ou TE2 dans leur logiciel métier.
  • Les praticiens hospitaliers ayant une activité salariée, déclarent leurs actes de téléexpertise au secrétariat du service médical ou au bureau des entrées qui les inscrits dans le logiciel de gestion administrative des maladies (GAM) de l’hôpital.
  • Les praticiens hospitaliers qui ont à la fois une activité libérale et hospitalière peuvent coter leurs actes de téléexpertise via leur logiciel métier s’ils sollicitent/rendent des avis médicaux dans le cadre de leur activité libérale ou dans le GAM/DPI de leur établissement si les actes sont réalisés dans le cadre de leur activité hospitalière.

Les conditions de réalisation d'une téléexpertise de qualité sont rappelées par l'AMO sur son site (https://www.ameli.fr/paris/medecin/exercice-liberal/telemedecine/teleexpertise) ainsi que par la HAS en mai 2019 (https://www.has-sante.fr/jcms/c_2971632/fr/teleconsultation-et-teleexpertise-guide-de-bonnes-pratiques).


Des solutions numériques agiles "clés en main" et adaptées à la pratique de la téléexpertise.

C’est grâce à des solutions numériques agiles, "clés en main", sécurisées et fiables qui sont de plus en plus nombreuses sur le marché de l'offre que la téléexpertise se développe (https://app.omnidoc.fr/group/928c2a00-d10b-47ff-86c8-0ea4c91e1a1e)(https://conexsante.com/les-differents-types-de-reseaux-conex-sante-ess-essp-esp/)(https://www.rofim.fr/actualites/la-teleexpertise-en-centre-de-lutte-contre-le-cancer-clcc)(https://www.medaviz.com/la-teleexpertise-comment-ca-marche/), certaines ayant intégré l'accès à une téléexpertise directement au sein du logiciel de cabinet (LGC) (https://www.cgm.com/fra_fr/magazine/articles/2024/teleexpertise-dans-les-lgc.html).


Quelques chiffres sur cette activité en 2024.

Le leader industriel de cette activité de téléexpertise faisait état pour l'année 2023 d'environ 30 000 téléexpertises remboursées chaque mois par l'AMO (https://comparatif-logiciels-medicaux.fr/actualite/la-teleexpertise-entre-dans-les-moeurs-des-professionnels-de-sante). Sans trop de risque de se tromper on peut estimer en 2024 un rythme mensuel d'environ 50 000 téléexpertises requises auprès d'un professionnel médical. Il y a désormais une progression régulière de cette activité de télémédecine, surtout depuis que plusieurs sociétés se sont regroupées pour optimiser leur offre auprès de l'ensemble des professionnels médicaux et non médicaux afin qu'elle figure au sein même des LGC.


L'importance de l'organisation professionnelle.

Certaines solutions numériques de téléexpertise sont construites à partir d'organisations professionnelles en réseaux de santé : équipes de soins pluridisciplinaires (ESP) qui se déclinent ensuite en équipes de soins spécialisés (ESS), lesquelles assurent une permanence des soins dans la spécialité concernée pour donner une expertise rapide au professionnel requérant, organisation pouvant aller jusqu’à l’équipe de soins spécialisés par pathologie (ESSP), certaines institutions développant des expertises très approfondies dans des pathologies complexes comme le cancer (https://conexsante.com/les-differents-types-de-reseaux-conex-sante-ess-essp-esp/)(https://www.rofim.fr/actualites/la-teleexpertise-en-centre-de-lutte-contre-le-cancer-clcc). Les permanences de soins hospitalières (astreintes à domicile ou gardes sur place) devraient favoriser le déploiement de la téléexpertise entre les spécialiste hospitaliers et les médecins de ville.

Qu’elle soit asynchrone par messagerie sécurisée (MSS) avec un délai de réponse en 24 à 48h, ou synchrone avec une réponse quasi immédiate dans les heures qui suivent la demande, la téléexpertise doit utiliser une plateforme d’échange sécurisée qui permette que le compte-rendu du médecin expert puisse figurer à la fois dans le dossier professionnel du requérant et du requis (DPI), ainsi que dans le DMP du patient au sein de Mon Espace Santé (MES).


La téléexpertise doit améliorer les parcours de santé entre la médecine de ville et l’hôpital, ainsi qu’entre les établissements de santé d’un GHT.


La téléexpertise peut améliorer les parcours de santé au sein d'un territoire.

Les soins primaires caractérisent la médecine du secteur ambulatoire, et les établissements de santé assurent la médecine du deuxième recours, offrant ainsi une prise en charge à la fois médicale, chirurgicale et obstétricale, ainsi que médico-sociale. Cette organisation date de la loi n°91-748 du 31 juillet 1991 (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000720668).

Elle a été progressivement modifiée au cours des 25 dernières années, avec la fermeture progressive de blocs opératoires et des maternités dans les petits hôpitaux de proximité. L’hyperspécialisation médicale et chirurgicale depuis la fin du 20ème siècle a contribué à cette réorganisation hospitalière. Les établissements de santé les plus importants ont désormais la mission de développer des soins spécialisés reposant sur des technologies médicales de pointe avec des plateaux techniques lourds et coûteux, dont le rayonnement est territorial ou régional. La téléexpertise permet d'accéder au sein du territoire à des avis sur les soins spécialisés.


Une nouvelle organisation hospitalière au sein des territoires depuis 2022 qui peut bénéficier de la téléexpertise.

Au sein des 136 GHT créés par la loi du 26 janvier 2016 (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000031913559) et constitués en 2022, certains établissements de proximité ne disposent que de services de médecine polyvalente, d’un service d’urgence de premier recours, voire d’une activité de soins de suite et de réadaptation (SSR). Ces établissements de proximité sont des lieux d’hospitalisation pour des patients dont l’état ne justifie pas le transfert dans un service spécialisé du CHU ou de l’établissement pivot du GHT.

Encore faut-il que le non-transfert ait été validé préalablement par une téléexpertise réalisée entre le médecin urgentiste ou le médecin polyvalent et le médecin spécialiste de l’établissement pivot. C’est là que la télémédecine peut jouer un rôle essentiel dans un parcours de santé gradué au sein du territoire de santé. La téléexpertise avec l’établissement pivot permet de déterminer le bon endroit pour hospitaliser un patient.

Une telle organisation fondée sur la téléexpertise  a montré son efficacité dans les années 90 entre le CHU de Toulouse et les établissements de proximité de la région Midi-Pyrénées. Mise en place par le Pr Louis Lareng, chef du service d’anesthésie-réanimation au CHU de Toulouse et fondateur du SAMU en 1968, la téléexpertise entre les spécialistes du CHU et les médecins polyvalents des hôpitaux périphériques de cette grande région évitait une fois sur deux un transfert des patients vers le CHU et corrigeait une fois sur cinq un diagnostic qui justifiait le transfert alors qu'il n'était pas demandé par le requérant. La télémédecine au sein du GHT permet également d’avoir des téléconsultations spécialisées avec les patients hospitalisés au sein de ces établissements de proximité, en lieu et place des consultations spécialisées avancées développées dans les années 90 qui créait à l'époque un nomadisme médical. (https://telemedaction.org/422783742/422886029)(https://telemedaction.org/423570493/un-visionnaire-de-la-t-l-m-decine-nous-a-quitt-s)


La téléexpertise peut structurer les filières de soins au sein d’un GHT.

La télémédecine redonne aux petits établissements de santé d’un GHT une mission d’hospitalisation de premier recours tout en assurant, si cela est nécessaire, un suivi spécialisé par téléexpertise et téléconsultation avec les équipes spécialisées de l’établissement-pivot. Ce sont les filières de soins déterminés par le projet médical de territoire.

On voit l’intérêt pour les médecins généralistes de soin primaire d’hospitaliser leurs patients âgés au plus proche de leur domicile, dans des services de médecine polyvalente, tout en étant assurés d’un suivi spécialisé par téléexpertise au cours de l’hospitalisation. Une telle organisation évite le transfert dans l’établissement pivot où la prise en charge peut être parfois inadaptée, voire inacceptable comme celle de malades âgés ayant une complication de leurs maladies chroniques et hospitalisés dans des services de chirurgie par faute de place dans les services médicaux spécialisés de l’établissement pivot.

Encore faut-il que l’établissement pivot ait une organisation professionnelle qui réponde aux demandes de téléexpertise et de téléconsultation spécialisées sollicitées par les médecins polyvalents des établissements de proximité. C’est probablement là que se trouve la clé du succès d’une pratique de téléexpertise, voire de téléconsultation, pour structurer le projet médical partagé du GHT qui définit les parcours de santé au sein du territoire.

Les médecins spécialistes de l’établissement pivot doivent intégrer dans leur planning de travail un temps consacré à ces téléexpertises et téléconsultations sollicitées par les établissements de proximité. Une première étape peut être de substituer le temps passé aujourd’hui aux consultations avancées dans le territoire à cette pratique de la télémédecine.

Le remplacement progressif du financement T2A des établissements de santé, annoncé pour 2024-2025, par un financement accordé à des organisations professionnelles territoriales innovantes et de qualité pour les patients du territoire, devrait soutenir le développement de la télémédecine, en particulier de la téléexpertise, au sein des GHT.

D’autres pratiques professionnelles à distance, comme le télésoin (Loi OTSS du 24 juillet 2019. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038821260) et la téléexpertise requise par un professionnel de santé non médical (Décret relatif à la télésanté du 3 juin 2021. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043596730), par exemple à l'initiative d'infirmier(e)s de pratique avancée spécialisé(e)s dans le suivi des patients atteints de maladies chroniques, peuvent également renforcer la qualité des parcours de santé au sein du territoire.


18 juin 2024