Le patchwork juridique de la télémédecine et de la santé connectée

On peut comprendre que les organisateurs et les prestataires de services de télémédecine, les fabricants d'objets connectés de santé ou de dispositifs médicaux et les professionneles de santé qui pratiquent la télémédecine, comme d'ailleurs les administrations elles-mêmes, aient un peu de mal à se retrouver dans ce véritable patchwork juridique sensé aider à développer la médecine du XXIème siècle.

Récapitulons tous les domaines où le droit européen et le droit national de la santé ont fourni des textes législatifs et réglementaires relatifs à la télémédecine et à la santé connectée.

Tout d'abord, le domaine de la santé en ligne (e-santé ou santé connectée) dans le droit européen.

Pour la Commission européenne, la santé en ligne désigne les outils et services recourant aux technologies de l'information et de la communication (TIC) susceptibles d'améliorer la prévention, le diagnostic, le traitement, la surveillance et la gestion. Elle peut profiter à l'ensemble de la société en améliorant l'accès aux soins et la qualité de ceux-ci et en renforçant l'efficacité du secteur de la santé. Elle comprend  le partage d'informations et de données entre les patients et les prestataires de services de santé, les hôpitaux, les professionnels de la santé et les réseaux d'informations sur la santé; les dossiers médicaux électroniques; les services de télémédecine; les dispositifs portables de surveillance des patients, les logiciels de planification pour les salles d'opération, la chirurgie robotisée et la recherche fondamentale sur l'humain physiologique virtuel.

Concernant les dossiers médicaux électroniques et les données de santé à caractère personnel qu'ils contiennent, un projet de revision est en cours. Ce projet doit revoir le périmètre de la protection de la donnée de santé à caractère personnel, laquelle est considérée comme « toute information relative à la santé physique ou mentale d’une personne, ou à la prestation de services de santé à cette personne ». Néanmoins, la frontière entre la donnée de santé et la donnée de bien-être reste poreuse puisque plusieurs données de bien être pourraient constituer des données de santé, notamment lorsqu'elles sont collectées par les objets connectés de santé pour le quantified-self et transmises au médecin.

La législation européenne sur les données à caractère personnel est riche. Le droit à la protection des données à caractère personnel fait partie des droits protégés par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, et énonce les conditions dans lesquelles des restrictions à ce droit sont admises. La Cour européenne des droits de l’Homme a développé une jurisprudence abondante sur ce point. Citons aussi  la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (Convention 108) adoptée en 1981, la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux qui rappelle que toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel.

Concernant les services de télémédecine, ils sont définis dans le droit européen comme partie prenante du droit de la concurrence : " la prestation des services de soins de santé utilisant les TIC dans des situations où le professionnel de la santé et le patient (ou deux professionnels de la santé) ne sont pas dans le même emplacement. Il s'agit d'une transmission sécurisée de données médicales et d'informations via un texte, audio, images ou autres formes nécessaires à la prévention, le diagnostic, le traitement et suivi des patients " . Sont exclus des services de télémédecine les portails d'information de santé, la pharmacie en ligne, les systèmes de dossiers médicaux électroniques, la transmission par voie électronique des ordonnances (e-prescription).

Le cadre juridique européen des services de télémédecine fait référence, lorsqu'il s'agit de services de soins, d'une part, aux articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'autre part, à la directive 2011/24/EU sur les droits des patients bénéficiant de soins transfrontaliers. Lorsqu'il s'agit d'un service de la société d'informations, le cadre juridique européen fait référence, d'une part à la drective 2000/31/EC sur le commerce électronique, dite "directive du e-commerce", d'autre part, à la directive 98/34/EC dite "directive de la transparence réglementaire"

Les articles 56 et 57 du traité rappellent la liberté fondamentale de circulation des services commerciaux au sein de l'Union européenne, ces services ne pouvant exclure ni le nature particulière des services de santé, ni la façon dont ils sont organisés ou financés.

Les services de télémédecine sont inclus dans le champ d'application de la directive 2011/24/UE sur les droits des patients européens aux soins de santé transfrontaliers lorsqu'il s'agit de services qui s'adressent aux patients et aux professions de santé. Cette directive contient deux références aux services de la télémédecine (Article 3 d et l'Article 7, paragraphe 7, de la directive) et le champ d'application couvre "la prestation des soins de santé aux patients, peu importe comment elle est organisée, envoyée ou financée " (Article 1er, paragraphe 2, de la directive). Cette directive clarifie les droits des patients au remboursement de la prestation transfrontalière de services de santé, y compris des services de télémédecine transfrontaliers. Les principales dispositions applicables sont les suivantes : obligation d'informer les patients sur les prix, la qualité et la sécurité des soins transfrontaliers, L'État membre du traitement (en cas de télémédecine, l'État membre où le prestataire du soin est établi doit s'assurer que les soins de santé en question sont fournis conformément à la propre législation en vigueur dans l'Etat. La directive rappelle le principe de la non-discrimination en matière de nationalité et que l'État membre d'affiliation du patient doit rembourser les frais de soins de santé transfrontaliers. Ce sont les droits de tout patient membre d'un des 28 Etats de l'Union. Encore faut-il que l'Etat membre ait défini une politique de financement des pratiques de télémédecine. C'est une  raison, parmi d'autres, pour lesquelles la France retarde la retranscription de cette directive dans son droit national. Elle devait le faire avant la fin octobre 2013 !

La directive sur le commerce électronique crée un cadre juridique permettant d'assurer la libre circulation des services de la société d'informations. Cette directive relève du droit européen de la concurrence. Elle précise les conditions exigées pour les services de la société d'informations concernant les fournisseurs de services, la réglementation en matière de communication commerciale, les contrats conclus par voie électronique et les responsabilités des prestataires intermédiaires. Dans ce cadre du e-commerce, un service de télémédecine est considéré comme un service de la société d'informations, lorsque le service est réalisé, à distance, par voie électronique, à la demande individuelle d'un destinataire du service, contre rémunération. Il faut souligner que cette directive européenne, assimilant le service de télémédecine à du e-commerce, remonte à 1998, soit plusieurs années avant que les Etats membres de l'Union s'engagent réellement dans des programmes nationaux ou régionaux de télémédecine.

Deux points de cette directive méritent cependant d'être soulignés. Le premier point est l'exclusion des services de la société d'informations les pratiques qui n'utilisent pas les services de télécommunication en ligne, comme un consultation médicale par téléphone ou par télécopie ou par centres d'appels parce qu'elles fournissent ces services par le biais de la téléphonie vocale traditionnelle. Le deuxième point est l'interdiction faite aux Etats membres de soumettre l'activité d'un prestataire de services de la société d'informations à une autorisation préalable ou toute autre exigence ayant un effet équivalent.

Concernant les dispositifs médicaux, le cadre juridique européen est en cours de révision. L’arsenal juridique actuel qui encadre la mise sur le marché des dispositifs médicaux s’articule autour de trois directives : la directive 90/385/CEE du Conseil, du 20 juin 1990, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs, la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux et la directive 98/79/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 1998 relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro. Ces directives réglementent la mise sur le marché des dispositifs médicaux et sont qualifiées de directives de marquage « CE », puisque la mise sur le marché d’un dispositif médical nécessite une certification CE. En 2012, la Commission européenne a soumis deux propositions de règlements relatifs aux dispositifs médicaux : la proposition de règlement relatif aux dispositifs médicaux - 2012/0266 (COD) et la proposition de règlement relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro -2012/0267 (COD). A travers ces deux textes, l’Union européenne entend renforcer non seulement le contrôle de la mise sur le marché des dispositifs médicaux mais aussi la surveillance après leur mise sur le marché.

La télémédecine et la santé connectée dans notre droit national

En matière de législation et de réglementation sur la télémédecine, le lecteur pourra se référer à un éditorial précédent intitulé "Clarifions encore". Comme le rappelle le document du 6/12/2012 de la Commission Staff Working le service de télémédecine ne doit pas être assimilé à un acte médical. La réglementation française, quant à elle, a défini des actes de télémédecine dans le décret du 19 octobre 2010 et les conditions de mise en oeuvre de ces nouvelles pratiques médicales à distance. Alors que les services de télémédecine dans le droit européen concernent essentiellement les organisateurs et prestataires commerciaux de ces services, la réglementation française concerne en priorité les professionnels de santé médicaux (médecin, sage-femme et chirurgien dentiste) qui pratiquent la télémédecine dans le respect de leur code de  déontologie, lequel, pour les médecins, n'autorise pas une pratique commerciale de la télémédecine (art.R.4127-19 du CSP). Il est vrai que les organisateurs et prestataires de services télémédecine doivent se soumettre dans le décret du 19 octobre 2010 (en cours de révision) à un contrat avec l'Agence régionale de santé, ce qui est en contradiction avec le droit européen.

Comme cela est rappelé dans le billet sur les "financements" de la télémédecine, le Code la sécurité sociale comporte plusieurs articles relatifs à la télémédecine : un article (L.162-3) autorisant le financement de la téléconsultation médicale suite à la LFSS de 2010, une série d'autres articles du Code la sécurité sociale permettant la prise en charge des actes de télémédecine : l'article R.6316-5 du décret de télémédecine précise que "les actes de télémédecine sont pris en charge dans les conditions prévues aux articles L. 162-1-7, L. 162-14-1, L. 162-22-1, L. 162-22-6, L. 162-32-1 et L. 165-1 du code de la sécurité sociale".

En matière de dispositifs médicaux, les directives 93/42/CEE du Conseil Européen du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux et 98/79/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 1998 relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro ont été retranscrites dans le droit français de la santé en 1995, notamment dans le Code de la santé publique (art. L. 5211-1 et suivants et R.5211-1 et suivants) et le Code de la Sécurité sociale ( les articles L.162-22-7, L.162-22-7-1, L.165-1 à L.165-3, L.165-7, et les articles R.162-32-1, R.322-1, D.162-6, D.162-9 à D.162-16). Le caractère communicant des dispositifs médicaux n'est pas encore retranscrit dans le droit français de la santé, de même que les termes e-santé ou santé en ligne ou santé connectée n'y figurent.

Quant aux données de santé à caractère personnel, leur accès, leur hébergement, leur protection relèvent d'une législation et d'une réglementation très riches que le lecteur peut retrouver dans l'excellente revue de Jeanne Bossi, lorsqu'elle était secrétaire générale de l'ASIP Santé (http://esante.gouv.fr/services/reperes-juridiques/le-cadre-juridique-du-partage-d-informations-dans-les-domaines-sanitaire)

En résumé, le lecteur aura probablement du mal à s'y retrouver! Le patchwork est vraiment complexe. Il est malheureusement difficile d'en faire une présentation plus simplifiée! Dans un prochain article de fond, nous tenterons de montrer que la pratique française actuelle de la télémédecine et de la santé connectée peut quand même s'y retrouver.... Il faut néanmoins souhaiter une harmonisation entre le droit européen et les différents droits nationaux des Etats membres. C'est l'ambition que se donne la Commission Staff Working de Bruxelles d'ici 2020. Nous lui formulons en ce début d'année 2016 courage et réussite !

3 janvier 2016 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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