Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Le code de la santé publique (art. L6316-2) définit le télésoin comme " une forme de pratique de soins à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication. Il met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux dans l'exercice de leurs compétences prévues au présent code."
Si "Les activités de télésoin (seront) définies par arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de la Haute Autorité de santé, cet avis portant notamment sur les conditions de réalisation du télésoin permettant de garantir leur qualité et leur sécurité ainsi que sur les catégories de professionnels y participent », on peut déjà en dessiner les contours.
De plus, "les conditions de mise en œuvre des activités de télésoin seront fixées par décret en Conseil d'Etat."
L'avenant 15 à la convention pharmaceutique nationale en date du 8 décembre 2018 et publié au JORF du 2 septembre 2019 précise à son article 2 que ce nouvel avenant doit " permettre la réalisation d'entretiens pharmaceutiques à distance". Dans ce but, l'article 28 de la Convention pharmaceutique nationale est modifié : "sous réserve d'une évolution du cadre législatif, les partenaires conventionnels examineront les conditions dans lesquelles les accompagnements pharmaceutiques prévus par le présent article pourraient être réalisés par vidéotransmission avec l'accord du patient".
Les arrêtés et décrets seront publiés dans le courant de l'année 2020. Du moins, il faut l'espérer ! Il est toutefois possible, dès à présent, d'envisager le contenu de cette accompagnement pharmaceutique réalisé par videotransmission, autrement dit le télésoin pharmaceutique.
Qu'est-ce qu'un entretien pharmaceutique ?
Un entretien pharmaceutique doit permettre "de renforcer les rôles de conseil, d’éducation et de prévention du pharmacien auprès des patients, de valoriser l’expertise du pharmacien sur le médicament, d’évaluer la connaissance par le patient de son traitement, de rechercher l’adhésion thérapeutique du patient et l’aider à s’approprier son traitement, d’évaluer, à terme, l’appropriation par le patient de son traitement."
La durée de l'entretien, sa fréquence et son contenu spécifique sont définis, en fonction des programmes d’actions arrêtés d'un commun accord entre les représentants de la profession et l'Assurance maladie, traduits dans les différents avenants à la Convention pharmaceutique nationale depuis 2012.
L'accompagnement pharmaceutique d'un patient par le pharmacien est de "garantir les meilleures conditions d’initialisation, de suivi, d’observance et d’évaluation du traitement". Cet accompagnement est effectué selon les modalités définies également dans les programmes d’actions.
L’accompagnement pharmaceutique est particulièrement nécessaire dans plusieurs situations comme la dispensation de traitement au long cours, la dispensation de traitement à des nourrissons et nouveau-nés, la dispensation de traitements à des personnes âgées, le suivi des patients sous traitement particulier, la dispensation de médicaments ou de dispositifs médicaux soumis à des conditions de prescription et de délivrance particulières.
Les informations et préconisations suivantes sont fournies aux patients lors de la délivrance des médicaments : la posologie, y compris la posologie maximale pour les médicaments à prise modulable ou à posologie non précisée sur l’ordonnance (antalgiques, par exemple), la durée de traitement, les précautions d’emploi, les informations nécessaires au bon usage du médicament ou du dispositif médical délivré, les informations nécessaires lors de la substitution d’un médicament générique à un princeps, les éventuelles précautions particulières à prendre, ainsi que tout renseignement utile à la bonne compréhension du traitement par le patient, les analyses biologiques indispensables à l’initiation, à la surveillance et à la poursuite de certains traitements.
L'entretien pharmaceutique est naturellement associé à un accompagnement pharmaceutique à distance lorsque le télésoin pharmaceutique est mis en oeuvre.
Quelques exemples de programmes d'actions dans lesquels le télésoin pharmaceutique pourra être utilisé.
Prévenir les risques iatrogènes
Pour l'assurance maladie, sur la base des données du SNIIRAM, "la consommation d’anticoagulants oraux est responsable chaque année de 17 300 hospitalisations et de 4 000 décès. Elle constitue à ce titre la première cause de iatrogénie en France." Pour prévenir ces risques graves, l'assurance maladie demande aux pharmaciens d'officine d'accompagner les patients sous anticoagulants oraux, en prenant en compte la coordination interprofessionnelle avec les médecins et les infirmiers.
L'accompagnement du pharmacien passe par un entretien à l'initiation du traitement, la réalisation d’au moins deux entretiens pharmaceutiques annuels, au cours desquels le pharmacien informe et conseille le patient sur le bon usage des médicaments qui lui ont été prescrits dans le cadre de son traitement, le contrôle de la réalisation de l’INR, et en cas de besoin, la prise de contact avec le prescripteur avec avoir reçu l’accord du patient.
Le pharmacien, après l'entretien initial en présentiel, pourrait réaliser les autres entretiens à distance dans le cadre du télésoin pharmaceutique.
Accompagner les patients atteints de maladies chroniques
Plusieurs maladies chroniques sont concernées comme le traitement de l'asthme, la chimiothérapie orale du cancer, le traitement du diabète, etc. Si on prend l'exemple de l'asthme, l'assurance maladie, sur la base des données du SNIIRAM, fait le constat suivant. L’asthme concerne 6,8 % de la population générale, soit environ 4,5 millions de patients. Parmi ceux-ci, on compte 50 % de patients atteints d’un asthme dit « intermittent », ne nécessitant qu’un traitement des crises, et 50 % de patients atteints d’un asthme dit « persistant », nécessitant un traitement de fond au long cours. Il est possible d’estimer qu’un patient asthmatique sur 4 est insuffisamment contrôlé.
Il est demandé au pharmacien "de contrôler l’observance du traitement de fond, de réaliser des entretiens pharmaceutiques au cours desquels le pharmacien informe et conseille le patient sur la bonne utilisation de son traitement, de contrôler régulièrement la maîtrise de la technique d’inhalation par le patient ainsi que la bonne observance du traitement, et en cas de besoin, de prendre contact avec le prescripteur avec avoir obtenu l’accord du patient."
Comme précédemment, l'accompagnement du patient par entretiens réguliers pourra être fait à distance par télésoin, en alternance avec des entretiens en présentiel.
Les pharmacies qui seront équipées pour la téléconsultation médicale auront acquis les moyens techniques de videotransmission pour réaliser le télésoin pharmaceutique.
Il y a naturellement un lien entre l'aide apportée par le pharmacien à l'organisation de téléconsultations au sein de son officine et l'aide qu'il apportera également au patient en pratiquant le télésoin, en particulier pour une éducation thérapeutique et un meilleur suivi des traitements chez les patients atteints de maladies chroniques. Ce n'est pas un hasard si ces deux nouveaux rôles du pharmacien d'officine figurent dans l'avenant 15 de la convention nationale pharmaceutique, avenant publié au JORF du 2 septembre 2019.
La mise en oeuvre de ces activités de télésoin pharmaceutique sera précisée par un décret en Conseil d'Etat et les activités proprement dites du télésoin dans un arrêté ministériel qui s'appuiera sur les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS).
Les règles de confidentialité et de sécurité des échanges devront être respectées. Et c'est probablement la plateforme publique annoncée dans la loi "Ma santé en 2022" qui permettra aux citoyens de s'adresser aux professionnels de santé médicaux et non médicaux en toute sécurité.
Quelles seraient alors les règles éthiques et déontologiques du télésoin pharmaceutique ?
Comme pour tout acte médical ou de soin, le patient a le droit d'être informé sur les conditions de réalisation de l'acte qui lui est proposé, notamment les conditions techniques lorsqu'il s'agit d'un acte réalisé à distance. C'est sur la base de ces informations données par le pharmacien que le patient est en capacité de donner son consentement.
Lorsque l'on parcourt le code de déontologie des pharmaciens, inscrit au code de la santé publique (CSP) dans la partie des articles réglementaires (articles en R), on relève déjà plusieurs articles que le pharmacien devra connaître et respecter lorsqu'il pratiquera le télésoin pharmaceutique.
Quelques-uns de ces articles peuvent être cités....
Dans le champ des devoirs généraux, le pharmacien est tenu de respecter le secret professionnel (art.R4235-5 du CSP), en particulier lors d'un télésoin qui devra être effectué dans une salle qui assure la confidentialité des échanges. Ce peut être celle utilisée pour la téléconsultation en officine lorsque la pharmacie est équipée. Puisque les programmes actés dans la convention nationale pharmaceutique visent à améliorer la protection de la santé des citoyens, l'article R4235-9 demande aux pharmaciens de prêter leur concours aux actions entreprises par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé. Si le pharmacien qui connaît le patient (parce qu'il a réalisé l'entretien pharmaceutique) délègue à un autre pharmacien de son équipe la réalisation du télésoin, les articles R4235-13 et R4235-14 du CSP devront être respectés.
Pour la question du libre choix du pharmacien par la clientèle, il est indéniable que la pharmacie d'officine qui s'équipera pour réaliser des téléconsultations médicales et du télésoin pharmaceutique paraîtra plus attractive à une certaine clientèle qui serait favorable à l'usage de ces nouvelles pratiques. La pharmacie équipée pourrait alors être considérée, à tort, par d'autres pharmacies non équipées comme développant une concurrence déloyale. Le patient a le libre choix de son pharmacien. Cependant, les pharmaciens qui développeront l'offre de téléconsultation et le télésoin pharmaceutique devront être particulièrement vigilants vis à vis des articles R4235-21, R4235-25 et R4235-30 du CSP et ils devront respecter leurs devoirs de confraternité (Art.R4235-31 et R4235-33 du CSP).
Dans la collaboration interprofessionnelle qui doit exister au sein d'un parcours de soin coordonné par le médecin traitant, le pharmacien a des devoirs de confraternité avec les autres professionnels de santé, devoirs rappelés précédemment. Il doit de plus s'abstenir "de formuler un diagnostic sur la maladie au traitement de laquelle il est appelé à collaborer" (art.4235-63). Chaque fois qu'il lui paraît nécessaire, le pharmacien doit inciter ses patients à consulter un praticien qualifié (art.4235-62). Toutefois, lorsque l'intérêt de la santé du patient lui paraît l'exiger, "le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament. Si ce médicament est prescrit sur une ordonnance, le pharmacien doit informer immédiatement le prescripteur de son refus et le mentionner sur l'ordonnance." (art.4235-61). Tous ces articles doivent être pris en compte par le pharmacien qui réalise le télésoin pharmaceutique.
En résumé, ce billet anticipe de quelques mois la parution des textes officiels qui préciseront les activités du télésoin pharmaceutique et ses conditions de mise en oeuvre. Lorsqu'il sera en place, avec le télésoin infirmier, le télésoin pharmaceutique viendra renforcer la sécurité des traitements engagés chez les patients atteints de maladies chroniques et améliorera la compliance des patients à ces traitements. L'impact du télésoin infirmier et du télésoin pharmaceutique sur la prévention des complications iatrogènes ou d'autre nature de ces maladies chroniques devrait être significatif à court terme pour un plus grand confort des patients.
13 décembre 2019