Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
L'accord conventionnel sur les pratiques de téléconsultation et de téléexpertise, paru au Journal Officiel du 1er août 2018, est censé mettre un terme à la tendance d'ubérisation de la santé apparue depuis que l'Etat (ARS) a autorisé, à titre expérimental, la mise en place de plateformes de téléconsultations immédiates, lesquelles, selon certains de leurs promoteurs, devaient être le modèle d'une nouvelle médecine au XXIème siècle (voir les différents billets consacrés à la téléconsultation dans la rubrique "le pratico-pratique").
Les partenaires conventionnels ont signé un avenant à la Convention médicale de 2016 qui exclut du remboursement les plateformes de téléconsultations immédiates : "est ainsi exclue de l'accord conventionnel la prise en charge des actes via des plateformes commerciales qui proposent une autre façon de pratiquer la médecine en changeant l'organisation actuelle du système de soins, en préconisant des prises en charge ponctuelles sans notion de suivi global et d'orientation dans le système de soins".
La CNAM et la plupart des syndicats ont tenu à intégrer les nouvelles pratiques de la télémédecine dans la continuité de l'exercice d'une médecine qui respecte le parcours de soins coordonné. Nous avions annoncé ce choix il y a un an (voir le billet intitulé "Parcours de soins/TLM" dans la rubrique "On en parle").
Les promoteurs des plateformes commerciales sont obligés, à partir du 15 septembre, de revoir leur place dans ce parcours de soins coordonné (voir le billet intitulé "Téléconsultations (5)" dans la rubrique "Le Pratico-pratique")
Pourquoi s'est-il créée une incompréhension entre les partisans d'une nouvelle pratique médicale au XXIème siècle et les professionnels de santé qui sont en exercice aujourd'hui ?
Certains diront que la France est conservatrice, ne veut ou ne sait pas se réformer et qu'elle n'est pas capable d'entrer dans le nouveau monde qu'incarneraient la Chine, les USA et quelques autres pays émergeants. Intox ou réalité ?
Il est vrai que la Chine fait le buzz sur les réseaux sociaux. Elle veut par tous les moyens, qu'ils soient éthiques ou non, devenir le leader mondial de l'IA. C'est l'objectif politique que s'est fixé en 2017 le président Xi Jinping, de développer une nouvelle "route de la soie" vers l'occident, la route de l'Intelligence artificielle. Tous les chercheurs et industriels chinois servent aujourd'hui cet objectif politique. Ce pays a choisi de développer des robots intelligents plutôt que d'utiliser ses importantes ressources humaines à la création d'emplois, en particulier dans le secteur de la santé. La Chine consacre en 2017 23% de son PIB à la recherche, en particulier dans l'IA, et seulement 6% à la santé, là où les pays européens consacrent en moyenne 2 à 4% de leur PIB à la recherche et 11 à 14% à la santé.
En clair, la Chine préfère investir dans la transformation de la société par l'IA et parvenir à coloniser à son image le monde entier sur le plan commercial, plutôt que d'utiliser sa richesse actuelle à améliorer la santé de ses concitoyens. Elle sacrifie en quelque sorte une génération de chinois, car il lui sera probablement difficile de financer à la fois ses grandes ambitions commerciales par 20% de son PIB et, en même temps, une part de son PIB à la santé pour parvenir à la hauteur de la moyenne des pays développés (12-14%).
Si la Chine voulait doubler sa part actuelle du PIB consacrée à la santé (6%) pour améliorer les soins, il lui faudrait former de nombreux médecins et autres professions de santé. Son classement par l'OMS (92ème place en 2016 selon la revue The Lancet) montre les énormes progrès qui lui restent à accomplir pour que l'ensemble de la population chinoise ait un accès à des soins généraux, comme la plupart des pays développés.
Ce pays semble donc choisir une autre voie, illustrée par cette annonce récente, à savoir qu'un robot humanoïde "médecin" vient d'être créé, qu'il a passé avec succès les épreuves du doctorat chinois en médecine et qu'il est donc apte désormais à exercer la médecine...Mais quelle médecine un robot humanoïde peut-il pratiquer ?
Avec son programme de développement de l'IA, la Chine s'est engagée à remplacer les médecins et autres professions de santé par des robots humanoïdes. Cette vision totalement dèshumanisée et contraire à l'éthique d'une profession fondée depuis des siècles sur la relation humaine et l'empathie vis à vis des personnes malades ne peut pas séduire les professionnels de santé de la "vieille Europe", bien que certains "china lovers" déclarent que, quoiqu'elle fasse, l'Europe sera de toute façon colonisée à terme par les robots chinois de la santé.
Les Etats-Unis ont une autre approche. A travers les GAFAM, les USA ont la prétention de s'approprier la santé "mondiale". Ils investissent plusieurs dizaines de milliards de dollars chaque année pour parvenir à l'éradication des maladies mortelles (cancer, cardio-vasculaires), afin que dans quelques années naisse un homme quasi immortel comme le proclame le mouvement transhumaniste, né dans la Silicon Valley.
Les adeptes du mouvement transhumaniste veulent créer un homme augmenté grâce à la techno-médecine. On entend par "techno-médecine" la connexion entre les technologies de l'infiniment petit (les nanotechnologies), la fabrication du vivant (les biotechnologies), les machines intelligentes (l'intelligence artificielle), et l'étude du cerveau de l'homme (les sciences cognitives). L'acronyme NBIC évoque ces quatre disciplines complémentaires.
Google disposerait de toutes les technologies NBIC pour transformer l'humanité... (voir le billet intitulé "NBIC dans la rubrique "Edito de semaine"). La part consacrée à la recherche chez Google est énorme, plus de 40% de son PIB (3500 milliards de dollars pour l'ensemble des GAFAM). Malgré les 17% du PIB consacrés à la santé et la puissance de recherche de la Silicon Valley, les USA piétinent depuis longtemps entre la 28ème et la 32ème place dans le classement OMS des systèmes de santé.
Le paysage sanitaire actuel dans le monde est donc très contrasté. On a une recherche intensive et couteuse sur l'immortalité de l'homme et le remplacement des professionnels de santé par des robots humanoïdes, alors que l'on continue de mourir de la rougeole partout dans le monde, que plusieurs millions d'enfants meurent de faim ou de maladies infectieuses chaque année par dénutrition ou absence de vaccination obligatoire à la naissance. On s'oppose ou méconnait le principe pasteurien du XIXème siècle qui rappelle que la vaccination obligatoire protège une population tout entière et non pas seulement l'individu. Un grand pays européen envisagerait même de supprimer prochainement cette obligation de vaccination, alors que la France vient de la renforcer. Tous les enfants chinois ne sont pas vaccinés contre la rougeole et continuent d'en mourir, alors que d'autres bénéficient d'une manipulation génétique pour augmenter leur QI et devenir des élites !
C'est dans un tel contexte sanitaire mondial qu'intervient la libéralisation des pratiques de télémédecine en France. Les partenaires conventionnels français (syndicats médicaux, CNAM) ne veulent pas casser l'organisation actuelle du système de santé français par des innovations de médecine "ponctuelle" (la téléconsultation immédiate) et ils le précisent clairement dans l'avenant 6 de la convention médicale : les conditions de déploiement de la télémédecine doivent respecter l'organisation actuelle du système de soins, avec des actes réalisés dans une logique de parcours et appuyés par le médecin traitant.
Peut-on réellement taxer la démarche française de conservatisme médical ? Je ne le pense pas, car l'exercice de la médecine au XXIème siècle en France devient bien différent de celle du XXème siècle, tout en conservant les mêmes valeurs éthiques, déontologiques et humanistes qui ont fondé sa réputation depuis plusieurs siècles.
La médecine française se transforme et sera bien différente au XXIème qu'au XXème siècle.
Au lieu de suivre la logique commerciale d'un marché de téléconsultation immédiate, voulu ou souhaité par certains prestataires de services de télémédecine, les professionnels de santé veulent proposer aux prestataires technologiques une coconstruction de la santé connectée pour que l'usage de la télémédecine dans le parcours de soins coordonné de leurs patients apporte un réel service médical rendu ou SMR (voir les différents billets consacrés au service médical rendu ou SMR aux patients par la télémédecine dans les rubriques "Articles de fond" et "On en parle").
Là où la médecine, à la fin du XXème siècle, commencait à se débattre dans des problèmes de continuité des soins chez les patients atteints de maladies chroniques (allongement des délais de rendez-vous chez certains spécialistes, surcharge des urgences par les patients âgés, souvent handicapés, insuffisamment suivis sur le plan médical pour prévenir les hospitalisations, apparition de zones en sous-densité médicale du fait du non-remplacement des départs en retraite et d'une vision différente de l'exercice de la médecine par les nouvelles générations, etc.), la télémédecine apporte certaines solutions et conforte en particulier le parcours de soins des patients atteints de maladies chroniques.
Passons donc en revue les différentes pratiques de télémédecine et leur intégration au parcours de soins coordonné.
La téléconsultation programmée par le médecin traitant ou à sa demande. Telle qu'elle est définie dans l'avenant 6 de la convention médicale, elle doit se réaliser par videotransmission, mais l'outil support peut être différent selon que le patient est à son domicile équipé d'un ordinateur ou d'une tablette, qu'il réside en EHPAD où c'est l'établissement qui s'équipera (tablette, chariot de télémédecine, salle avec équipement mural, etc.). Si le patient n'a pas d'ordinateur ou de tablette et qu'il réside à proximité d'une pharmacie, celle-ci peut être équipée d'une salle ou d'une cabine de téléconsultation. S'il réside dans une zone isolée en plein désert numérique, la solution peut être l'intervention d'un camion sanitaire mobile de téléconsultation à la demande du médecin traitant, qui assurera cette téléconsultation grâce à une connexion satellitaire. Le camion doit être équipé d'objets connectés pour réaliser un examen le plus complet possible. La présence d'une infirmière auprès du patient pendant la téléconsultation est indispensable.
En clair, il faut que la téléconsultation programmée soit accessible à tous les citoyens et on dispose aujourd'hui des moyens technologiques qui le permettent. Ces moyens sont à la disposition du médecin traitant qui choisira les prestataires (au niveau régional) en fonction des possibilités du patient d'accéder à son médecin. Nul ne conteste aujourd'hui que si la téléconsultation est réalisée de façon pertinente (voir le billet "téléconsultation (4)" dans la rubrique "le Pratico-pratique"), elle ne peut qu'apporter de la qualité dans la conduite d'un parcours de soins coordonné.
La téléexpertise va transformer les relations professionnelles entre le médecin traitant, chargé de la coordination des soins, et le médecin spécialiste qui a en charge la maladie chronique d'organe ou le médecin spécialiste de la maladie rare. Cette pratique de télémédecine doit renforcer les liens et améliorer les compétences réciproques des médecins. C'est la fonction apprenante de la téléexpertise.
Limitée encore aujourd'hui, elle devrait être un mode d'exercice médical totalement libre au XXIème siècle, car la compétence se construit avec l'expérience et un jeune médecin ne peut pas avoir en sortant de la Faculté une compétence reposant sur de l'expérience. La mutualisation des savoirs médicaux au début de carrière est indispensable. La téléexpertise permet de la réaliser.
On ne peut pas demander à un médecin généraliste traitant de connaître toutes les avancées scientifiques dans le domaine des maladies chroniques, et on ne peut demander au médecin spécialiste d'avoir en charge la globalité d'un parcours de soins chez des patients qui cumulent le plus souvent plusieurs maladies chroniques (plus de 8 maladies chroniques à partir de 85 ans)
Il est certain que dans un délai de plus en plus proche, l'IA à finalité médicale sera d'une aide considérable pour aider le médecin dans son diagnostic et la conduite des traitements. (Voir le billet intitulé "bénéfices et risques de l'IA en TLM" dans la rubrique "articles de fond"). Mais l'IA ne remplacera jamais l'empathie d'un médecin vis à vis d'une personne malade de plusieurs affections chroniques qui ne guériront jamais. Le médecin soulage, permet de maintenir un bien-être social, mais il ne guérit pratiquement jamais (du moins aujourd'hui) une maladie chronique du vieillissement.
Deux autres pratiques de télémédecine, la téléassistance et la télésurveillance médicale ne sont pas encore financées dans le droit commun de la Sécurité sociale. La téléassistance pourrait être retenue pour reconnaitre les actes d'assistance de l'infirmière et/ou du pharmacien dans certaines téléconsultations. La télésurveillance est en cours d'évaluation dans le programme expérimental ETAPES et ne rejoindra le droit commun que lors de la LFSS 2022.
En résumé, il faut une bonne dose de mauvaise foi pour affirmer que la médecine française ne se transforme pas au XXIème siècle et qu'elle reste en retard sur la médecine chinoise ou américaine. La médecine en France se transforme en respectant les grands principes de l'éthique médicale. Il y a beaucoup de fantasme autour de la transformation radicale du métier de médecin par l'IA. Les technologies numériques font indiscutablement évoluer le métier de médecin et l'IA rendra le médecin du XXIème siècle plus compétent dans son exercice.
Il est important de lever l'ambiguïté actuelle sur l'évolution de la médecine française. L'auteur de ce billet fréquente régulièrement plusieurs pays à travers le monde, les plus riches comme les plus pauvres. Le bashing des français sur leur système de santé fait sourire en dehors de l'hexagone, comme un adulte sourit quand il entend un enfant gâté dire qu'il n'est pas heureux.
1er septembre 2018