Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Héritier du médecin de famille au 20ème siècle, le concept du médecin traitant a été créé en France par l'ordonnance du 13 août 2004 relative à l'Assurance maladie. Cette loi visait l'amélioration de l'organisation des soins par la mise en place du dossier médical personnel (DMP) et le développement de parcours de soins coordonnés autour du médecin traitant. Nous étions, en 2004, au tout début de l'ère numérique.
Qu'est-ce qu'un médecin traitant en France ?
Sur le site web de l'Assurance maladie, on trouve la définition suivante : "c'est celui qui vous soigne régulièrement, qui vous oriente dans le parcours de soins coordonnés, qui connaît et gère votre dossier médical. Il centralise toutes les informations concernant vos soins et votre état de santé. Il tient à jour votre dossier médical (résultats d'examens, diagnostics, traitements...). Si vous avez ouvert votre dossier médical partagé (DMP), il peut accéder à l’ensemble des données qui y sont intégrées par les professionnels de santé. C’est celui qui assure une prévention personnalisée : suivi de la vaccination, examens de dépistage organisés (ex : dépistage du cancer colorectal), aide à l'arrêt du tabac, conseils santé en fonction de votre style de vie, de votre âge ou de vos antécédents familiaux, conseils en nutrition, etc. C’est celui qui établit le protocole de soins que vous suivrez si vous êtes atteint d'une affection de longue durée. Il le construit en concertation avec les autres médecins qui suivent votre maladie afin que vous soyez bien informé sur les actes et les prestations qui vous sont nécessaires. Ceux-ci seront pris en charge à 100 % par l’Assurance Maladie."
"Consulter un médecin traitant apporte un double avantage : être mieux soigné, grâce à un suivi adapté à votre état de santé par un médecin qui vous connaît bien ; être mieux remboursé si vous le consultez en priorité avant de vous adresser à un autre professionnel de santé".
Médecin traitant et pratiques de télémédecine
L'avenant 6 de la convention médicale de juin 2018 signé par les représentants des professions médicales libérale et l'Assurance maladie obligatoire (AMO) maintient le rôle du médecin traitant dans le développement de la téléconsultation et de la téléexpertise, financées depuis le 15 septembre 2018 et le 10 février 2019 respectivement dans le droit commun de la sécurité sociale (http://www.telemedaction.org/424171961). L'Assurance maladie constate que pendant le premier confinement dû à la pandémie Covid-19, 87% des 5,5 millions de téléconsultations réalisées l'ont été par les médecins généralistes traitants (http://www.telemedaction.org/page:DD1C74F8-5908-4F98-9F15-0A9D62112612"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Qu'est-ce qu'un médecin de soin primaire "non traitant" ?
Les modèles d'Europe du Nord, mais aussi de la Chine, d'Afrique et maintenant des GAFA, sont caractérisés par un accès à la médecine de soin primaire auprès de médecins qui ne sont pas des médecins traitants (au sens de la définition française) Ces modèles sont aujourd'hui poussés par des industriels du numérique qui prônent un développement "commercial" (au sens capitalistique du terme) de la téléconsultation médicale avec des médecins de soin primaire "non traitants". (http://www.telemedaction.org/448146158)
Si Amazon et autres GAFA veulent développer des services commerciaux de téléconsultation partout aux Etats-Unis et bientôt à travers le monde, et entrer ainsi en concurrence en Europe, ils mettront en danger la pérennité d'un système de soin primaire fondé sur le médecin traitant. En télémédecine, les solutions numériques de type Saas sont adaptées au rôle des médecins traitants dans le système de santé français (https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/amazon-veut-devenir-le-doctolib-americain-1299229).
Quelle est la stratégie portée par la gouvernance française de l'e-santé sur le parcours de soin primaire ? A-t-elle une doctrine sur le maintien du rôle du médecin traitant ou envisage-t-elle de développer des plateformes d'accès aux soins primaires en dehors de l'accès au médecin traitant ? A la sortie de la crise sanitaire, les pouvoirs publics autoriseront-ils l'accès à un médecin de soin primaire qui ne soit pas le médecin traitant ? L'espace du numérique en santé (ENS) sera-t-il ouvert aux plateformes de type B to B, B to C et pas seulement aux solutions Saas qui se sont adaptées aux missions du médecin traitant ? (http://www.telemedaction.org/437233545)(http://www.telemedaction.org/446283095)
Existe-t-il des signes qui pourraient faire craindre la disparition en France du médecin traitant ?
Le modèle chinois (Alibaba, Tencent) géants de la Tech chinoise qui réalise chaque mois plus de cent millions de téléconsultations de soin primaire, le modèle américain avec Amazon, Google, Apple qui se prépare à être présent sur le marché mondial de la santé, le modèle du Nord de l'Europe, tous ces modèles sont présentés comme l'avenir de la santé numérique au niveau mondial. Mais tous ces modèles ignorent le concept du médecin traitant.
Certaines entreprises françaises du numérique en santé et de télémédecine rêvent d'un modèle européen porté par des géants de l'e-santé qui pourrait concurrencer sur le plan commercial les modèles chinois et américains d'accès aux soins primaires. Toutefois, une difficulté de taille à surmonter serait d'évoluer vers une Europe de la santé, les Etats membres abandonnant leur souveraineté en matière de stratégie sanitaire.
Une telle évolution n'est
pas impossible, comme peut l'évoquer la stratégie commune de vaccination contre la covid-19. Toutefois, le développement de plateformes européennes d'accès aux soins primaires supprimerait le modèle français
du médecin traitant. Curieusement, certains "thinks tanks" sensés éclairer les décisions des pouvoirs publics français dans le champ de l'innovation en santé semblent ignorer, sciemment
ou non, les missions actuelles d'un médecin traitant. (http://www.telemedaction.org/446513908)
Si la Chine et les Etats-Unis ont des indicateurs de santé publique inférieurs à ceux des pays de l'Europe de l'Ouest, en particulier en termes d'espérance de vie à la naissance, force est de constater qu'il n'existe pas de différences significatives entre les pays du Nord de l'Europe qui ont un modèle de soin primaire sans médecin traitant et ceux du Sud qui, à l'instar du modèle français, maintiennent l'organisation des soins primaires autour d'un médecin traitant ou de famille.
Les médecins français qui portent la vision d'une médecine de soin primaire sans médecin traitant ont souvent l'expérience des services d'urgences hospitaliers qui se sont spécialisés au cours des 20 dernières années dans les soins primaires non programmés. En revanche, la plupart des plateformes françaises de soins primaires non programmés ont du mal à convaincre lorsqu'elles affirment pouvoir suivre des patients atteints de maladies chroniques. Il leur faudrait alors accéder à un DMP comme dans les pays de l'Europe du Nord et ne prendre en charge que les citoyens qui ont ouvert un DMP.
La clientèle de ces plateformes est surtout une population jeune (âge moyen 40-45 ans), mobile, qui habite les grandes métropoles et qui ne peut trouver le temps d'une consultation programmée auprès d'un médecin traitant en dehors de leur activité professionnelle.
Cette population d'adultes jeunes et actifs défend la téléconsultation immédiate auprès de plateformes plus pour des raisons sociétales que sanitaires, en particulier pour des questions de gain de temps privé ou professionnel. Ces jeunes adultes, le plus souvent, n'ont pas de maladies chroniques et donnent comme motifs d'une téléconsultation médicale le renouvellement d'une ordonnance, des symptômes légers ou bénins, ou le commentaire d'examens biologiques ou d'imagerie qu'ils ont réalisés, etc. (http://www.telemedaction.org/447449615)
Les plateformes de soin primaire du nord de l'Europe s'appuient sur un DMP, dossier médical que le patient fait partager au médecin qu'il consulte en présentiel ou par téléconsultation, ce qui n'est pas le cas en France pour le moment. Lorsque l'Espace numérique en santé (ENS) sera accessible à tout citoyen, le DMP sera systématiquement créé et tout citoyen qui aura autorisé son ouverture recevra ses données de santé personnelles de nature médico-administrative (AMO), les comptes rendus d'hospitalisation, les examens biologiques, examens d'imagerie, etc.
Les offres de services numériques sécurisées que proposera l'ENS à chaque citoyen français d'ici 2022 créeront-elles des usages nouveaux qui pourraient à terme faire disparaître les missions du médecin traitant ? Les responsables de la transformation numérique du système de santé français en ont-ils conscience ? La gouvernance française de l'e-santé et l'Agence du numérique en santé (ANS) ont-t-elles intégré cette possibilité ? Cette possible évolution est-elle réellement envisagée par les autorités sanitaires en charge de la transformation numérique du système de santé ou sera-t-elle prévenue et contrôlée pour que le médecin traitant demeure la référence des soins primaires ?
Peut-on se passer d'un médecin traitant au 21ème siècle ?
En 2020, les citoyens français plébiscitent à 90% le médecin traitant. Tous les sondages réalisés en 2019 et 2020 autour de la téléconsultation soulignent le rôle essentiel du médecin traitant pour initier ou poursuivre les pratiques de télémédecine. 6 français sur 10 souhaitent que leur médecin traitant, au décours de la crise sanitaire, poursuivent la téléconsultation et la téléexpertise.
Dans le futur avenant 9 de la Convention médicale, l'AMO maintient les grands principes de l'avenant 6 tout en assouplissant certaines règles pour la téléconsultation et la téléexpertise: le médecin traitant pourra réaliser 20% de son activité annuelle par téléconsultation, il devra connaître le patient mais une consultation présentielle dans les 12 derniers mois n'est plus exigée. La téléconsultation en dehors du territoire de santé est autorisée pour des situations où la compétence médicale n'est pas trouvée au niveau du territoire de santé. La téléexpertise est élargie à toute la population française et les niveaux sont supprimés. Un seul tarif pour le médecin requis en téléexpertise (20 euros) avec une limite de 2 téléexpertises par an et par patient. La tarification du médecin demandeur sera discuté avec les représentants de la profession.
La pandémie à la covid-19 a montré le rôle important du médecin traitant dans le suivi des patients contaminés et dans le repérage des populations vulnérables devant être vaccinés en priorité. Sans les médecins traitants, les pouvoirs publics n'auraient pas pu mettre en place une stratégie vaccinale ciblée sur les populations porteuses de comorbidités. Seul le médecin traitant pouvait les identifier dans le dossier médical de ses patients. Dans les pays sans médecin traitant (les Etats-Unis, la Chine, la Russie, Israël, etc.) la stratégie vaccinale a été de masse car elle ne pouvait pas être mieux ciblée, le patient vulnérable n'étant défini que par son âge avancé.
A l'ère des maladies chroniques dont la prévalence progresse avec le vieillissement et l'allongement de l'espérance de vie (plus de 15 millions de français en 2020), le parcours de soins pluriprofessionnel d'un patient doit être coordonné. Plusieurs professionnels de santé interviennent dans le parcours de santé d'un patient atteint d'une ou de plusieurs maladies chroniques. Le législateur a confié en 2009 cette mission de coordination au médecin traitant. Elle n'est pas remise en cause aujourd'hui. D'autres acteurs, comme les IPA, pourront également contribuer à la coordination des parcours, en particulier lorsque la télémédecine et le télésoin seront utilisés. ( http://www.telemedaction.org/443339538)
Le médecin traitant aura indiscutablement un rôle important à partir de 2030, lorsque les diagnostics et les traitements médicaux seront fournis par des algorithmes. Qui mieux que le médecin traitant pourra appliquer l'obligation de garantie humaine des décisions algorithmiques puisqu'il connaitra le patient dans toutes ses dimensions sociale et sanitaire ? Qui mieux que le médecin traitant pourra développer une médecine de prévention des risques de maladies chroniques puisqu'il suivra régulièrement sa patientèle ?
"Le futur médecin sera jugé davantage sur sa capacité à maintenir les personnes en bonne santé que sur sa capacité à soigner qui reposera beaucoup sur l'intelligence artificielle et la science des algorithmes". Qui mieux qu'un médecin traitant pour parvenir à cet objectif ? (http://www.telemedaction.org/435763092)(http://www.telemedaction.org/448060112)
En résumé, soutenir et maintenir les missions actuelles du médecin traitant pour préparer la médecine de 2030 est à nos yeux un pari gagnant pour la qualité humaine de la médecine du 21ème siècle. Elle doit demeurer une médecine "clinique", c'est à dire au service des patients. Même si cette évolution est difficile pour les médecins généralistes en activité ou mal comprise des acteurs de la santé numérique, il faut que les responsables de la transformation numérique du système de santé français ne prennent pas des décisions qui mettraient en péril l'existence même du médecin traitant en 2030. Les citoyens français en auront besoin. La fameuse médecine 5P du 21ème siècle (prédictive, préventive, personnalisée, participative et prouvée) ne peut être réalisée que par le médecin traitant tel que la loi française l'a défini en 2004. ( Médecine 5P - www.telemedaction.org)
19 mars 2021