Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Les indicateurs internationaux PROMs (Patient-Reported Outcome Measures) et PREMs (Patient-Reported Experience Measures) sont des indicateurs centrés sur les patients. Ils furent utilisés dès les années 90 en Suède et aux Pays Bas. Le Royaume-Uni et les Etats-Unis les adoptèrent en 2010. La France (HAS) a commencé à les expérimenter entre 2011 et 2013. Ils font désormais partie des recommandations HAS dans son rapport rendu public le 1er juillet 2021 (1).
Les PROMs évaluent les résultats des soins par les patients eux-mêmes, grâce à des questionnaires généraux quel que soit le problème de santé. Les PROMs génériques portent sur l'impact des soins délivrés sur la vie globale (quality of life ou QoL), sur la qualité de vie liée à la santé (Health Related QoL ou HRQoL), sur des points plus spécifiques comme la fonction physique, le fonction sociale, la fonction émotionnelle, la fonction cognitive, etc. D'autres PROMs peuvent être adaptés à une pathologie ou un groupe de pathologie, à une population, etc. Les PROMs ont été peu utilisés jusqu'à présent dans les études françaises.
La HAS souhaite le développement de leur usage en France. Elle recommande l’intégration des PROMs pour l’évaluation des produits de santé en pratique clinique courante, dans le cadre des accès précoces ou d’études en vie réelle. Elle a déjà élaboré des guides d'analyse spécifique pour la prothèse totale de hanche, du genou et du cancer colo-rectal, pour les parcours de patients atteints de BPCO.(1)
Les PREMs s'intéressent à l'expérience vécue par le patient au cours des soins : satisfaction de l'information reçue, le vécu subjectif, le vécu objectif, etc. La France est plutôt en avance dans l'usage des PREMs avec le dispositif e-Satis (1) pour les patients hospitalisés en médecine, chirurgie et obstétrique depuis 2016 (e-Satis MCO), dispositif étendu à la chirurgie ambulatoire depuis 2018 (e-Satis CA) et aux soins de suite et de réadaptation depuis 2020 (e-Satis SSR).
Dans les deux cas, il s'agit de questionnaires courts (10 à 20 questions), remplis par le patient à plusieurs étapes de sa prise en charge, incluant les recueils à distance lorsqu'il est revenu à son domicile.
(1) Qualité de soins perçue par les patients : indicateurs PROM (Patient-Reported Outcome Measures) et PREM (Patient-Reported Experience Measures). https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-07/rapport_panorama_proms_prems_2021.pdf
Au cours de la table ronde qui s'est tenue aux Ateliers de Giens 2021 (2), la place des PROMs et des PREMs dans l'évaluation et la valorisation des technologies de santé a été débattue. Nous saisissons les conclusions de cette table ronde, à laquelle la HAS s'est associée, pour réfléchir à ce que pourrait être l'usage des PROMs et des PREMs dans l'évaluation des pratiques professionnelles de télésanté en France. Cette réflexion de fond s'inspire des études internationales, revues récemment par une équipe de chercheurs allemands de l'Université de Dresde et dont nous avons fait un résumé. (https://www.telemedaction.org/page:08FA1444-CAAB-4D4D-9A43-90D8CE1DE126"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">(2) Place des mesures rapportées par les patients (PROMS/PREMS) dans l’évaluation et la valorisation des technologies de santé en France. Roussel C, Chassany O, Durand-Zaleski I, Josseran A, Alter L, Auquier P, Bourguignon S, Cachoux J, Desforges C, Fernandez J, Gaudin AF, Germe AF, Haenel E, Olivier P, Maillard N, Naïditch N, Nguyen T, Péan C, Rumeau-Pichon C, Sales JP, Schmidely N, Tuppin P, Vray M. Therapie. 2022 Jan-Feb;77(1):89-102. doi: 10.1016/j.therap.2022.01.007. Epub 2022 Jan 13.PMID: 35115142.
L'expérience des téléconsultations par les usagers de la santé est encore mal connue en France.
La téléconsultation est rejetée aujourd'hui par une majorité de médecins français au motif qu'elle ne permet pas la réalisation de l'examen clinique du patient, comme cela est enseigné au cours de la formation académique. La téléconsultation serait même une forme dégradée de la médecine pour ceux qui l'ont utilisée pendant la pandémie à la covid-19. Cette critique est surtout formulée par les médecins qui n'ont pas eu de formation DPC, pourtant considérée comme prioritaire par l'ANDPC dans le programme 2019-2022. Nous avons déjà abordé cette question dans plusieurs billets précédents que le lecteur est invité à consulter s'il le souhaite.(https://www.telemedaction.org/452026585) (https://www.telemedaction.org/449098323)
Plusieurs enquêtes ont été réalisées par des instituts de sondage avant la pandémie et pendant l'année 2021 au décours des confinements au cours desquels la téléconsultation a été utilisée par 25% des médecins (dont 85% de médecins généralistes), et vécue par 30% de la population française. Nous avons rapporté les résultats de ces enquêtes, qui peuvent être considérées comme des PREMs sur la télésanté, dans 3 billets publiés sur ce site en 2021; (https://www.telemedaction.org/437468922) (https://www.telemedaction.org/447449615) (https://www.telemedaction.org/page:CA71C504-CF13-4F35-A62E-740CD80D862C"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Que disent ces PREMs sur la télésanté ? Pour 36% des 30% des français qui ont eu une téléconsultation pendant les confinements, le principal avantage de cette pratique à distance serait un "meilleur confort physique". 45% des usagers interrogés étaient âgés de 18 à 34 ans et 45% vivaient en région parisienne. Dans une autre enquête réalisée entre le mois d'août et le mois de novembre 2021 auprès de 84 000 usagers, l'âge médian de ceux qui ont été téléconsultés au cours de cette période était de 27,7 ans, confirmant ainsi la jeunesse de la population qui a utilisé la téléconsultation en 2021. (https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/telemedecine-les-pratiques-des-francais-1408868)
Dans cette dernière enquête, seulement 10% des 84 000 usagers qui ont téléconsulté avaient plus de 50 ans, confirmant l'enquête de France Assos Santé montrant que seulement 12% des 30% de français qui ont eu une expérience de la téléconsultation en 2020-2021 étaient âgés de 60 ans et plus. (https://www.telemedaction.org/450618190). L'expérience "patient" de la téléconsultation en France concerne donc essentiellement une population jeune, en activité professionnelle et vivant dans les grands centres urbains.
Les résultats (PROMs) donnés par les usagers français sur la qualité des pratiques de télésanté sont encore rares.
Que mesurent les PROMs ? La récente revue de la littérature internationale par une équipe allemande (https://www.telemedaction.org/452564889) rappelle les différents domaines de mesures effectuées par les patients : la qualité de vie liée à la santé, la mesure de la fonction physique, les mesures des fonctions sociale, émotionnelle, cognitive, la capacité du patient à éviter, à soulager ou à vivre avec sa maladie, l'évaluation des plaintes liées aux traitements, le rôle actif du patient dans la mise en oeuvre de son traitement.
Il n'y a pas d'études contrôlées et randomisées (ECR), incluant des PROMs, qui aient été publiées en France depuis que la téléconsultation et la téléexpertise sont financées en médecine libérale dans le droit commun de la sécurité sociale (15 septembre 2018 et 11 février 2019, respectivement). Pour la télésurveillance médicale, on attend les résultats de l'étude ETAPES dont l'expérimentation se termine à la fin juillet 2022 et dont le financement dans le droit commun sera effectif à compter du 1er août 2022 pour 5 pathologies chroniques. Quant aux pratiques de télésoin, aucune étude française n'est actuellement publiée.
Des études observationnelles de télésanté "combinée" chez des patients atteints de maladies chroniques (https://www.telemedaction.org/449968069) ont inclus des PROMs. C'est le cas des patients insuffisants rénaux chroniques suivis en télédialyse, à leur domicile ou au plus proche, qu'il s'agisse d'hémodialyse ou de dialyse péritonéale. Les patients étaient invités à évaluer la qualité des soins dans ces structures dites "hors centre" par rapport à la qualité qu'ils vivaient dans le centre lourd d'où ils avaient été sortis.
Dans ces études, la qualité des soins délivrés à domicile ou au plus proche par des solutions de télésanté combinées (téléconsultation, télésurveillance médicale, télésoin) fut jugée par les patients "non-inférieure" à ceux délivrés au centre lourd en présentiel. De plus, la qualité de vie liée à la santé (QVLS) était nettement améliorée, en particulier à cause de la réduction de la fréquence des transports en ambulance vers le centre lourd.
Teledialysis in satellite hospital: 5-year practice in Saint-Brieuc]. Charasse C, Boulahrouz R, Leonetti F, Potier J, Stanescu C, Le Cacheux P, Ang KS, Baluta S, Simon P. Nephrol Ther. 2013 Jun;9(3):143-53. doi: 10.1016/j.nephro.2013.01.002. Epub 2013 Feb 12.PMID: 23410948.
Telemedicine and nursing practices in teledialysis. Bougeard D, Le Sann K, Domalain M, Burel S, Le Goff G. Soins. 2010 Nov;(750):43-4.PMID: 21155312.
On retrouve également des PROMs dans d'autres études conduites chez les patients atteints de maladies chroniques, en particulier en oncologie, en diabétologie et en psychiatrie. En santé mentale, la téléconsultation apporte le même service médical rendu que la consultation en présentiel.
Remote mental health services: a mixed-methods survey and interview study on the use, value, benefits and challenges of a national video consulting service in NHS Wales, UK. Johns G, Burhouse A, Tan J, John O, Khalil S, Williams J, Whistance B, Ogonovsky M, Ahuja A.BMJ Open. 2021 Sep 30;11(9):e053014. doi: 10.1136/bmjopen-2021-053014.PMID: 34593506
La télépsychiatrie est une spécialité intéressante car "l'examen clinique" en téléconsultation est limité à l'échange verbal et non-verbal du patient avec le médecin spécialiste (https://www.telemedaction.org/450415051). La psychiatrie est la spécialité médicale qui a le mieux adhéré à la téléconsultation en videotransmission et conserve au décours de la pandémie une activité de téléconsultation significativement élevée, évaluée à 12-13% alors qu'elle est redescendue à 2-3% chez les médecins généralistes et autres médecins spécialistes. (https://www.telemedaction.org/452395661)
Measuring QoE of a Teleconsultation App in Mental Health Using a Pentagram Model. de la Torre Díez I, Alonso SG, Cruz EM, Franco MA.J Med Syst. 2019 Jun 1;43(7):213. doi: 10.1007/s10916-019-1342-1.PMID: 31154515.
En résumé, à la sortie de la pandémie Covid-19, il paraît difficile de convaincre les professionnels médicaux français que les pratiques de télémédecine peuvent avoir un service médical rendu (ASMR) ou attendu (ASA) non-inférieur à des pratiques en présentiel lorsqu'on observe les bonnes pratiques recommandées par la HAS et qu'on applique les cas d'usage retenus par les société médicales savantes. (https://www.telemedaction.org/450667818) L'évaluation par les patients eux-mêmes de ces nouvelles pratiques, à travers les PROMs et les PREMs, pourraient à terme convaincre les professionnels médicaux de l'intérêt de leur usage.
10 juin 2022